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Au cours du procès, le juge d'instruction pose, par trois fois, cette quéstion à Meursault qui ne donne aucune explication (I, 1174). Il semble bien que ces quatres coups supplémentaires n'aient pas d'explication rationnelle et qu'ils aient été tirés sous l'effet d'une pulsion instinctive née d'une angoisse que Meursault partage avec les autres membres de la communauté européenne. Meursault déclare qu'il est "comme tout le monde, absolument comme tout le monde" (I, 1173). C'est-à dire qu'il a les mêmes réactions que les autres Européens. En particulier, il partage avec eux la même peur à laquelle Camus fait allusion dans le Premier Homme. Parlant de la population arabe, Camus écrit : "Ils étaient si nombreux dans les quartiers ou ils étaient concentrés, si nombreux que par leur seul nombre, bien que résignés et fatigués, ils faisaient planer une menace invisible" (PH, 257).
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Meursault tire une première fois parcequ'il se croit en danger. Après un instant, il tire à nouveau quatre fois d'une façon impulsive en raison de la menace que constitue pour lui et pour sa communauté, la présence arabe. Ce n'est qu'une hypothèse qui paraît être cohérente avec la place que Camus accorde à l'instinct dans le comportement humain. C'est ainsi que dans l'Homme révolté, Camus reconnaît la présence en chacun de nous d'un criminel, ou d'un désir instinctif de tuer qu'il faut combattre.. Il écrit :"Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n'est pas de les déchainer à travers le monde : elle est de les combattre en nous mêmes et dans les autres" (II, 704).
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Comme tout le monde, c'est-à dire en tenant compte du contexte, comme tous les Européens de son quartier, Meursault se sent menacé. Comme eux, il porte en lui la peur de l'Arabe et le désir instinctif de le tuer. C'est ce désir non maîtisé qui le conduirait, dans un premier temps, à tirer "encore quatre fois sur un corps inerte ou les balles s'enfonceraient sans qu'il y parût" (I, 1168). S'il en était ainsi, le meurtre de l'Arabe tel qu'il est décrit -avec ces quatre coups en plus- ne se comprent que dans le contexte colonial des années 1938-1940 ou il est situé. Cependant, remarque importante, il ne faut pas identifier Camus au personnnage de Meursault qu'il a créé.
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Mauresque et musulman en costume de ville dans la Casbah d'Alger
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N.B. :
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PH - Le Premier Homme (Gallimard, 1994)
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Les citations des écrits d'Albert Camus, sont extraites de deux volumes de la "Bibliothèque de la Pléiade". Ces citations sont notées des chiffres romains I ou II, suivis de la numérotation de la page (ou des pages) :
I - Thêatre; Récits, nouvelles, 1962 (réedition du 4èmetrimestre 1974)
II - Essais, 1965 (réedition du 1er trimestre 1981)
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