Je m’en vais partir... :-)
de Ben Mohammed (1944)
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Je m’en vais changer de pays
A la recherche de lumière
Je m’en vais fuir la mort
En quête de temps nouveaux
J’irai plus loin que les nues
Où les femmes ont droit de rire
Je m’en vais vous laisser mon pays
Où désormais aimer est péché
Je m’en vais laisser le printemps
Où les fleurs sont atrophiées
Je m’en vais laisser le coutelas
Qui dans l’obscurité nous égorge
Je m’en vais vous laisser le pays
Qu’agite un vent de folie
Je m’en vais vous laisser l’oubli
Qui assoupit l’opinion
Je m’en vais laisser le domino
Le domino que dissimule le joueur
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui exile ses propres enfants
Je m’en vais vous laisser la plaine
Qui dans mon coeur attise le feu
Je m’en vais vous laisser l’outre
Qui en nous amplifie les bruits
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui écarte les savants
Je m’en vais vous laisser «Tipaza»
Voici que lui poussent des cornes
Je m’en vais laisser la porte
Qui se claque au nez des gens
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui ne moissonne ni ne trie le grain
Je m’en vais vous laisser le plat
Qui ne trouve pas de farine dans sa jarre
Je m’en vais vous laisser le vieux burnous
Sur l’épaule du pauvre hère
Je m’en vais vous laisser le pays
Le pays qui élève des crabes
Je m’en vais vous laisser le tourbillon
Qui rassemble les rancuniers
Je m’en vais vous laisser cette boule
Coincée derrière les gencives
Je m’en vais vous laisser le pays
Hanté par les moribonds
Je m’en vais vous laisser la galette
Dont ils se disputent l’héritage
Je m’en vais vous laisser la cruche
Qui lave les matières des panses
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui du plat a fait une côte raide
Je m’en vais vous laisser le pays
Où les bouches sont décousues
Je vous ai laissé le pays
Où les frères sont des ennemis
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Tolérance
Amar Azzouz - 1934
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Toi mon frère toi ma soeur
Ne condamnez pas facilement
Celui qui porte le malheur
Pour lui soyez cléments
Nul ne connaît vraiment
De son péché les raisons
Ne condamnez pas pour rien
Vous qui n’avez point connu
L’affreuse douleur de la faim
La pureté terrifiée fuit
Mais l’horreur la poursuit
La souille pour un morceau de pain
Ne condamnez pas facilement
vous qui n’avez point senti
Le glaive sur votre gorge nue
Consciemment ou peut-être non
Il s’acharne mû par Satan
Sur l’Ange fait de vertu
Ne condamnez pas facilement
Vous qui n’êtes pas conscient
De ce que l’on peut faire par ignorance
Faible face aux tentations
On entre dans les desseins de Satan
Sans se soucier des conséquences
Ne condamnez pas facilement
Nous sommes cause solidaire du mal
Car l’homme naît naturellement bon
La violence l’ignorance la faim
L’oppression en général
Dans ce monde mettons-y fin
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Rêves de ma jeunesse
Abou el kacem Chebbi
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N’ont-ils pas, de naissance,
Une santé chétive et faible
Les rêves des jeunes hommes
Brisés comme des branches
Par les malheurs incessants
Qui tombent ainsi que la grêle ?
J’ai demandé aux ténèbres
Où avaient disparu
Les rêves de ma jeunesse
Elles m’ont répondu :
Les vents obliques les ont chassés
Les dispersant en tous sens.
Et lorsque j’ai demandé aux vents où donc ils les
Avaient emportés, ils répliquèrent :
Le torrent du destin les ont engloutis
A tout jamais
Dans les flots noirs du malheur.
Ils sont devenus poussière, fumée, néant
Tel le grain broyé dessous la meule,
Envolés sur le srivages de fièvre,
Proie des flots noirs
Où la vague affreuse, crie.
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L'Homme du Mont Chenoua
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Il semblait géant pour moi, cet inconnu
coiffé d'un large chapeau de paille
vêtu d'une longue blanche djellaba à rayures bleus de ciel
ses longs blonds cheveux couvrant ses épaules
sa soyeuse barbe l'enveloppant comme une écharpe
Il marchait seul, en sandales, de ville en ville
de bourgs en quartiers, sans ambage ni bagage
moi, enfant de sept ans, ne voyant son visage
qu'une fois par année parfois, à Tipaza
Ma mère disait qu'il ne savait qu'un dialecte
berbère des monts du Chenoua en Algérie
et peu d'ici à Alger ne le comprenait
Visages s'oublient parfois, mais pas ce regard
gris-bleu-vert d'où émanait tant de bonté et d'amour
Lui, posant sa paume sur mes cheveux
un instant me parlait pour me donner courage
d'une langue morte qui ressuscitait mon âme
et la faisait bondir au firmament des cieux
Au revoir Moussa, dis-je, il me sourit et partit
Au-delà de la longue avenue,des Musulmans
s'approchèrent de lui avec respect,
s'agenouillèrent, baisant sa main
le suivèrent, le protégeant des soldats.
"Tes papiers, étranger !" Entendis-je au soudain, au loin
des mots se mêlèrent tout haut, des disputes
tirs de mitraillettes, les deux hommes qui
protégeaient Moussa, soudain s'affalèrent sans vie
Visage hagard, mon âme s'enfuit dans les ténèbres
vers leurs jours qui ne paraissent plus encor ...
souvenir poignant entre la bonté d'un homme et l'horreur des armes...
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