C’est ce qu’affirme ce vendredi un haut responsable du Pentagone, qui bat en brèche la version russe. Selon Moscou, le naufrage de ce lance-missiles est dû à un incendie accidentel.
Le lance-missiles russe Moskva, en 2013. (VASILIY BATANOV / AFP)
Le croiseur russe « Moskva » a bien été coulé par deux missiles ukrainiens, a déclaré un haut responsable du Pentagone ce vendredi 15 avril, soulignant que c’est « un gros coup dur » pour la Russie.
« Nous estimons qu’ils l’ont touché avec deux Neptune », a indiqué à quelques journalistes ce haut responsable ayant requis l’anonymat, démentant ainsi la version de Moscou qui affirme que son navire amiral sur le théâtre ukrainien a été « gravement endommagé » par un incendie.
La «liberté d'expression» est-elle un vrai principe ou un simple slogan dans les «démocraties avancées» ? A observer l'état actuel des médias dont l'écrasante présence impose une vision unilatérale du conflit en cours en Europe centrale, on ne peut qu'exprimer des doutes légitimes sur l'existence même de cette liberté, pourtant inscrite dans les constitutions et les lois des pays «donneurs de leçons de démocratie», prêts à dénoncer toute atteinte à ce droit sacro-saint, qu'elles ne respectent pas elles-mêmes.
La censure, mais auto-imposée, est une violation de la liberté d'expression
Car, qu'on l'accepte ou non, lorsque la censure, qu'elle soit officielle ou auto-imposée par les médias eux-mêmes, porte atteinte au droit des citoyens à une information objective et équilibrée, la liberté d'expression est obérée. Le cynisme et l'hypocrisie, quand il s'agit de ce droit inaliénable et indispensable à l'exercice de la citoyenneté, est aussi condamnable que la suppression ou la limitation de ce droit dans les Etats non démocratiques.
C'est une hystérie guerrière qui s'est emparée, telle une maladie contagieuse, de tous ces médias, bien financés, et pouvant louer des milliers de bouches pour répéter les mêmes faussetés, et payer des centaines de porteurs d'appareils photo et de caméras pour couvrir par l'image et la parole les mêmes scènes.
Malgré le fait qu'il s'agit d'entités juridiquement indépendantes, leur ligne rédactionnelle directrice est la même: il s'agit tout simplement de déshumaniser et de diaboliser l'adversaire, et de le personnaliser pour que tout ce qui se passe sur le terrain lui soit directement et exclusivement lié, pour créer une atmosphère de haine totale contre lui, tout comme contre son peuple et son pays, et justifiant tous les écarts de langage, et toutes les éventuelles évolutions du conflit, encore plus dramatiques que celles qui se jouent devant les yeux des spectateurs.
Le mensonge et la fabrication d'événements dramatiques sont des attaques contre la citoyenneté
La liberté d'expression devient la liberté de mentir effrontément et toute honte bue. Il s'agit de dominer totalement les profonds mécanismes psychiques du spectateur pour détruire en lui toute capacité de jugement et l'amener à adopter le type de sentiment indispensable pour légitimer la finalité politique des évènements en cours. Le spectateur, habituellement passif, devient un acteur indispensable dans la réussite des desseins de ceux qui le manipulent, car par son adhésion, acquise par sa manipulation, il donne une base populaire à des politiques dont seule une infime partie lui est révélée. Il est indispensable de créer, chez lui, un sentiment authentique et profond d'indignation devant «la barbarie de l'ennemi», qui le rend encore plus disposé à accepter sans broncher tous les mensonges qui se déversent sur lui, par «médias libres interposés». S'il le faut, on ira jusqu'à inventer un évènement si inhumain que l'absence d'indignation contre lui pourrait être assimilée une complicité avec les préparateurs du crime.
L'effet «pouponnière du Koweït»
On peut citer pour exemple, parmi tant d'autres, le faux montage du meurtre de bébés par l'armée irakienne, lors de l'invasion du Koweït en août 1990, montage conçu par une firme publicitaire américaine. On se contentera de citer un article d'un hebdomadaire «atlantiste» français:
«Je m'appelle Nayirah et je suis une jeune Koweïtienne. J'ai vu les soldats irakiens entrer avec leurs armes dans la maternité de l'hôpital de Koweit City. Ils ont arraché les bébés des couveuses, les ont emportés et les ont laissés mourir sur le sol froid.» Les représentants du Comité des droits de l'homme du Congrès américain écoutent ce témoignage terrible dans un silence religieux. L'assistance est médusée devant cette barbarie gratuite de la soldatesque irakienne qui a envahi le Koweït le 2 août 1990. Nul ne demande, ce 10 octobre 1990, à enquêter sur l'identité du témoin. Elle semble si sincère et si bouleversée, et on leur a expliqué qu'il était nécessaire de protéger sa famille restée au Koweït.
Les représentants américains ignorent donc que sous le pseudonyme de Nayirah se cache la propre fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis et qu'elle participe à la machination montée par le Koweït et les Etats-Unis pour faire accepter à l'opinion publique américaine et mondiale une future intervention militaire. «Elle aura lieu en janvier 1991. Pour Washington, il ne suffit pas d'obliger le dictateur irakien à retirer ses troupes du Koweït, il faut casser l'Irak, ce pays trop peuplé, trop riche de ses hydrocarbures, à l'armée nombreuse et qui, dix ans auparavant, a eu des velléités de se doter de l'arme nucléaire. Inadmissible.
«Le Koweït, soutenu par le Pentagone et la CIA, a fait appel à une agence de relations publiques, Hill and Knowlton, pour préparer les esprits à l'indispensable guerre. Coût du contrat : 10000000 de dollars.
«Lorsque Amnesty International et l'Observatoire des droits de l'homme au Moyen-Orient mettront ces affirmations en doute, faute d'avoir trouvé des témoins fiables pour les corroborer, nul ne les écoutera. Les opinions publiques sont convaincues que Saddam Hussein est le mal absolu et que son armée est coupable de toutes les barbaries. L'opération de désinformation a pleinement réussi. (source hebdomadaire le Point Montage. Pour faire accepter la guerre du Golfe, on invente un massacre de nouveau-nés, par Mireille Duteil, 1- Août 2012)
La violence guerrière unilatérale pour changer les régimes politiques récalcitrants
Tous les bas coups sont permis dans les états de guerre totale, et hélas! la règle de base dans les relations internationales contemporaines est de provoquer, si nécessaire avec des complicités intérieures, l'effondrement des Etats récalcitrants à l'ordre mondial, imposé par une poignée de grandes puissances, baptisée faussement et pompeusement « Communauté internationale » et, une fois cet objectif atteint, de laisser les morceaux qui en restent se débrouiller tous seuls.
Tous les acteurs étrangers, qui ont créé le désordre dans les pays voués à la destruction sur décisions de ces puissances, disparaissent -une fois leurs objectifs de dislocation atteints- brusquement de la scène de la tragédie dont ils ont écrit et exécuté le scénario, choisi les acteurs principaux tout comme les dialogues.
Et les exemples tirés de l'actualité, et le drame ukrainien n'en est que le dernier, ne manquent pas pour illustrer le cynisme des grands « moralisateurs » de ce monde chaotique. Le scenario est le même, et les slogans pour lui donner une certaine cohérence et une certaine légitimité n'ont rien d'original: c'est le bien contre le mal absolu, la «liberté» contre «l'oppression», la «démocratie» contre le «pouvoir personnel». On ne tente même pas de faire preuve d'originalité.
Et si l'observateur prend la peine de faire une analyse approfondie du contenu des informations diffusées lors de ces crises provoquées délibérément, il s'apercevrait qu'en fait, les «reporters» dans le feu de l'actualité ne font que reprendre ce qui a été dit mille fois dans d'autres circonstances plus ou moins similaires, sous d'autres cieux et pour d'autres pays!
Pour illustrer cette affirmation, valable également pour le drame ukrainien, on ne peut que reprendre certains évènements tout aussi dramatiques, tout aussi violents, mais qui se sont déroulés dans des continents appartenant au «monde servile», celui où la souffrance humaine serait tellement commune qu'elle ne mériterait pas un excès d'émois et d'outrages de la part de la «communauté internationale».
Les sirènes de la démocratie ne sont que des requins assoiffés de sang déguisés en beautés enchanteresses au sex-appeal irrésistible !
Le Soudan du Sud est-il moins misérable, indépendant que sous administration de Khartoum ? Il a même disparu des medias, comme par enchantement ! Il n'est remis à l'ordre du jour international, et de temps à autre, que pour prouver combien sont raisonnables et généreux les pays mêmes qui ont concocté la tragédie que vivent ses populations. L'anthropophagie y est même retournée !
L'Irak démocratique, débarrassé de Saddam Hossein est-il plus heureux, plus prospère, plus sûr ? Le règne brutal de ce dictateur a moins causé de morts innocents et de destruction que l'intervention étrangère violente, qui ne cesse d'inventer de nouveaux prétextes pour entretenir le désordre au nom de principes que contredisent les moyens que les « donneurs de leçons morales armés » utilisent. Et le redressement de ce pays, jadis sur la route du progrès, est loin d'être assuré. Les minorités religieuses qui faisaient de ce pays un musée des religions moyen-orientales ont été décimées et jamais le futur des minorités ethniques, qui y cohabitent depuis des millénaires, n'y a été aussi incertain.
Y a-t-il moins de tueries, de tortures, de souffrances, donc de barbarie dans la Libye débarrassée de Kadhafi ? Et l'Afrique sans lui est-elle plus assurée d'être sur la bonne voie ? La Méditerranée, grâce à la disparition de ce dictateur, si sanguinaire fût-il, est-elle enfin devenue la « mer paisible » qu'annonce son climat ?
La Syrie détruite se reconstruira-t-elle plus vite sans El Assad ? Rien n'est moins certain, car ceux mêmes qui dépensent des centaines de milliards de dollars pour la faire disparaître de la carte politique, seront les premiers à prendre la « poudre d'escampette » quand il s'agira de leur demander de mettre la main à la poche pour reconstruire ce qu'ils ont délibérément détruit directement, ou par comparses et complices interposés. Et que le peuple syrien ne prête pas créance à ceux qui lui promettent monts et merveilles, une fois qu'ils auront atteint leur objectif de contrôler chaque aspect de la vie politique de la Syrie ! Elle restera un grand champ de ruines, attirant de temps à autre, mais seulement quand ça rapporte, les pleurs et lamentations des âmes charitables qui se trouvent être ceux qui l'ont détruite de fond en comble.
Où sont ces défenseurs des droits de l'homme, si prompts à pleurer sur le sort des peuples opprimés par leurs dictateurs indigènes et si disposés à applaudir, si ce n'est à participer au massacre de ces peuples, lorsque leurs dirigeants, démocratiquement élus, en décident ainsi pour la défense de leurs « intérêts nationaux », intérêts jamais définis, et changeant avec les circonstances pour s'adapter aux décisions du moment ?
Les Nations démocratiques, qui se veulent les phares de la Civilisation et les exemples de l'humanisme dans le sens le plus complet du terme, ont tué au nom de la démocratie, de la liberté d'expression et de la défense des droits de l'homme encore plus de monde que les dictateurs, dont ils ont voulu débarrasser les peuples, qui ont eu le malheur d'attirer leur compassion meurtrière.
La banalisation du génocide pour régler les problèmes politiques internationaux
On sait maintenant que la démocratie est un autre mot pour le droit à la barbarie et que les sirènes de la démocratie ne sont que des requins sanguinaires déguisés pour attirer leurs victimes, que le printemps, qui symbolise le retour à la vie, est devenu le vestibule de l'Enfer sur terre, que la promotion de la liberté de la presse n'a d'autre visée que d'imposer à l'humanité entière un monopole unilatéral de l'information, que la défense des droits de l'homme est un slogan destiné à camoufler la banalisation et la promotion du génocide comme solution finale aux différends internationaux et que, conséquence logique, la barbarie est maintenant la forme suprême de la Civilisation.
Un dirigeant de cette « Communauté internationale » n'a-t-il pas menacé, il y a encore peu de temps de cela, « d'effacer de la surface de la Terre » un peuple auquel a été imposée de l'extérieur une situation de guerre totale qui dure depuis 40 années et qui n'est pas près de finir ?
La banalisation du génocide comme solution aux problèmes politiques internationaux n'est pas seulement une phrase choc dans un quotidien local. Seuls les simples d'esprit, quels que soient, par ailleurs, les titres et diplômes dont ils se parent, peuvent croire que le bourreau est l'ami de ses victimes.
La colonie de peuplement d'Israël, cette entité religieuse dédiée au génocide au nom de la «démocratie» et de «l'humanisme antinazi»
Il faudrait également rappeler au passage le génocide en cours dans la colonie de peuplement d'Israël, cette «démocratie-apartheid» où rien d'autre ne se passerait, suivant les médias «libres» que la découverte de sites archéologiques antiques ou l'exécution sommaire de «terroristes,» et, bien sûr, les «élections libres» dont les candidats changent, mais dont l'idéologie génocidaire est immuable au point où on se demande à quoi servent ces élections sinon à assouvir des ambitions personnelles. Voici, pour mémoire comment a commencé le génocide en cours du peuple palestinien:
«Comme résultat de la campagne... du nettoyage ethnique exécuté en Palestine par les Juifs en 1948, cinq cents villages et onze quartiers urbains palestiniens ont été détruits, sept cent mille Palestiniens ont été expulsés, et plusieurs milliers d'entre eux massacrés. Même aujourd'hui, il est difficile de trouver un résumé succinct de l'exécution de ce plan de nettoyage et les répercussions de ces résultats tragiques.» (dans: «Noam Chomsky et Illan Pappé: Gaza en Crise: Réflexions sur la Guerre d'Israël Contre les Palestiniens,» Haymarket Books, Chicago, Illinois, p. 63)
L'invasion de la Palestine a été une suite sans fin de crimes contre l'humanité, comme d'ailleurs son occupation qui, chaque jour, vient avec des exécutions extra-judiciaires faites au vu et au su de la «communauté internationale», si prompte à s'émouvoir de la moindre violation des droits de l'homme quand il s'agit évidemment de régimes déclarés «hostiles».
En conclusion
On se contentera de citer ce qu'a écrit Aimé Césaire sur les guerres européennes contemporaines:
«Oui, il vaudrait la peine d'étudier cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXIème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que, s'il le vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation de l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique» (dans «Aimé Césaire: «Discours sur le Colonialisme», Editions Présence Africaine, Paris, 1955, p. 77)
A elle seule cette citation explique l'hystérie qui s'est emparée actuellement des médias internationaux, qui violent toutes les règles de l'éthique de l'information et ont dévoilé leur vrai visage: des machines à manipuler les opinions publiques et a légitimer les mensonges d'Etat destinés à justifier des politiques de violence et d'agression qui n'ont rien à voir avec les principes moraux ou légaux quels qu'ils soient et qu'ils prétendent incarner et défendre.
Historien de la guerre 1914-1918 et spécialiste du Rwanda, Stéphane Audoin-Rouzeau est considéré comme un expert des "massacres de masse". Il réagit au crime de guerre de Boutcha.
"A Boutcha, il s'est agi de faire payer à la population civile le prix de la résistance opposée par les Ukrainiens à l'armée russe", estime l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau. (Ici, un homme se tient près d'une fosse commune à Boutcha, près de Kiev, le 3 avril 2022.)
Historien de la guerre de 1914-1918, Stéphane Audoin-Rouzeau s'est aussi intéressé de près au génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, auquel il a consacré le hautement recommandable Une initiation (Seuil, 2017). Ce qui fait de cet auteur prolifique - il a récemment publié C'est la guerre. Petits sujets sur la violence du fait guerrier, XIXe-XXIe siècle (Editions du Félin, 2020) - une sorte de "spécialiste des massacres".
Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, il a grandement contribué à renouveler l'historiographie de la Première Guerre mondiale, sur laquelle il a notamment écrit Retrouver la guerre (Gallimard, 2000, en collaboration avec Annette Becker). A propos du conflit en Ukraine, il suggère qu'il existe bel et bien une violence spécifique à la Russie.
L'Express : Que vous inspire le crime de Boutcha, une localité de la banlieue nord de Kiev ?
Stéphane Audoin-Rouzeau : Nous sommes là en présence de pratiques d'atrocités et sans doute de cruauté, c'est-à-dire de violences qui dépassent l'objectif militaire de neutralisation de l'ennemi. Ici, il s'est agi, pour les Russes, d'infliger à la communauté ukrainienne le maximum de souffrances possibles avec, par exemple, des exécutions sommaires de gens devant les membres de leur famille. Il y a clairement une volonté de terroriser pour briser le moral de la population.
Les conflits qui se déroulent au milieu de la population civile sont toujours extrêmement meurtriers, soit accidentellement soit intentionnellement. Plus une guerre est dure, plus le sort qui leur est réservé est extrême. Nous sommes dans cette configuration. A Boutcha, il s'est agi de faire payer à la population civile le prix de la résistance opposée par les Ukrainiens à l'armée russe.
Malheureusement, oui. Le viol des femmes est une pratique de cruauté qui accompagne presque toujours les autres crimes de guerre. Rappelons que le viol en temps de guerre ne résulte pas d'une frustration sexuelle supposée chez les soldats, mais d'une arme utilisée sciemment afin d'abîmer psychologiquement une communauté et, qui plus est, de détruire son lien de filiation. Pour les Russes, la frontière qui doit séparer ceux qui portent qui portent des armes et les civils sans défense (femmes, enfants, vieillards...) semble s'être effondrée.
Hélas, non. Ce qui est étonnant, c'est plutôt notre stupeur face à la violence de guerre. Mais que croyait-on ? Que les Russes allaient mener une "guerre propre" en donnant la main aux vieilles dames pour les aider à traverser la rue ? Notre surprise et notre indignation, bien que très légitimes, sont des révélateurs de l'ampleur de nos dénis. Déni avant la guerre : les chancelleries et les experts étaient persuadés que la Russie n'attaquerait pas l'Ukraine. Déni aujourd'hui : maintenant que la guerre est là, nous sommes surpris par la façon dont elle se déroule, sans parler de notre inconscience face aux possibles développements chimiques et nucléaires.
Comment l'expliquer ?
Nous nous sommes "dépris" de la guerre. Nos sociétés occidentales se sont bâties sur une sorte d'eschatologie - c'est-à-dire une doctrine sur le sort de l'homme - de disparition de la guerre. Ce rêve des élites européennes remonte au XIXe siècle. Nous n'étions donc pas les mieux placés pour anticiper les intentions russes et nous ne le sommes pas pour comprendre la réalité du fait guerrier. Notre myopie en dit beaucoup sur notre société, où la fin du service militaire, décidée par Jacques Chirac en France, n'est pas un événement anodin. Aujourd'hui, la notion de citoyenneté ne passe plus par l'expérience militaire, laquelle consistait d'abord à apprendre à tenir une arme entre ses mains.
"Ce qu'ont fait les Russes à Grozny, à Alep et à Marioupol est d'une brutalité inouïe"
Le "fait militaire" a été sous-traité à des professionnels et s'est retrouvé enclavé à l'intérieur de la société, privée de vrai contact avec l'armée. Sachant que la France endosse une responsabilité énorme au sein de l'Otan, c'est étrange.
Et il existe un autre paradoxe: en Europe, certains pays qui possèdent une tradition de neutralité (la Suisse, la Suède, la Finlande) sont finalement moins éloignés du "fait militaire", parce qu'ils ont continué à se préparer à la guerre en perpétuant la "défense civile" qui avait été mise en place pendant la Guerre froide.
Y a-t-il quelque chose de spécifiquement russe dans la pratique du crime de guerre ?
Du point de vue historique, la société russe a été "brutalisée" - c'est-à-dire rendue brutale - par quantité d'événements : la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique, le stalinisme, la Seconde Guerre mondiale, l'éclatement de l'URSS, le durcissement poutinien, les guerres d'Afghanistan et de Tchétchénie... A travers ces épisodes, existe une constante : une tolérance à la brutalité et une faible considération pour la vie humaine.
Un exemple : le service de santé de l'armée russe semble très sommaire. En témoigne le ratio mort-blessé des Russes, comparable à celui de la guerre 1939-1945. On dénombre chez eux trois soldats blessés pour un tué, d'après leurs propres chiffres. Ce même ratio est de sept blessés pour un mort dans l'armée américaine lors de conflits récents. Autrement dit : un soldat américain a beaucoup plus de chance d'être soigné et de survivre à ses blessures qu'un Russe. Et cela grâce à une chaîne de soins qui permet d'acheminer un blessé au bloc opératoire en vingt minutes. A l'inverse, côté russe, le souci de la préservation de la vie d'un blessé semble beaucoup plus faible.
L'armée russe est-elle aujourd'hui la plus violente de la planète ?
J'ignore comment se comporterait l'armée chinoise, car nous ne l'avons pas vu à l'oeuvre depuis la guerre sino-vietnamienne de 1979. Mais ce qu'ont fait les Russes à Grozny, à Alep ou à Marioupol, avec l'utilisation massive de l'artillerie, des bombes et des missiles contre les villes, est d'une brutalité inouïe. Il y a bien un continuum entre Grozny et Marioupol. Toutefois, les crimes de guerres ne sont pas l'apanage de la Russie. Les Américains en ont commis au Vietnam : on se souvient par exemple du massacre de My Lai, en mars 1968 (347 villageois tués [NDLR : selon l'armée américaine]).
Cependant, le haut commandement américain n'a jamais encouragé ce type de comportement. Au contraire, il avait édicté des règles précises sur l'ouverture du feu et sur le traitement des prisonniers. Il y eut maintes transgressions de ces règles sur le terrain mais le pouvoir, à Washington, ne les a jamais couvertes. Au contraire, le massacre de My Lai a donné lieu à un immense scandale dans l'opinion et débouché sur des mises en cause judiciaires. Quant aux Français en Algérie, on le sait : ils ont torturé, violé et pratiqué des exécutions sommaires.
Le massacre de Boutcha répond-il à la définition de "crime de guerre" ?
Rappelons-en la définition juridique : il s'agit d'"assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés ; assassinat ou mauvais traitement de prisonniers de guerre ou de personnes en mer, exécutions des otages, pillages de biens publics ou privés, destructions sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires". Il est clair qu'en Ukraine, les militaires russes multiplient les crimes de guerre.
Il faut bien comprendre que ce sont l'intentionnalité et le modus operandi qui permettent de faire la distinction entre "crime de guerre", "crime contre l'humanité" et "crime de génocide". Or, à Boutcha, la scène de crime ne donne pas l'impression d'une intentionnalité préalable, ni d'un ordre cohérent de liquidation des populations civiles, mais plutôt d'actes non prémédités perpétrés par de petits groupes de soldats - ou d'hommes du FSB ? -, qui se vengent sur la population civile présente à ce moment-là.
Le crime contre l'humanité, lui, est "la violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par desmotifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux". Quant au crime de génocide, c'est un "acte commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national ethnique, racial ou religieux comme : le meurtre de membres du groupe, l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe".
Le massacre de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine (plus de 8 000 hommes et adolescents bosniaques tués entre le 11 et le 24 juillet 1995), a pu être juridiquement qualifié de "génocide", parce qu'il y avait eu un ordre donné par une hiérarchie et parce que la tuerie était organisée. L'intentionnalité était là. Les victimes avaient été triées, évacuées, transportées sur les lieux du massacre ; elles avaient été exécutées en masse, puis des dispositions avaient été prises pour dissimuler le crime, ce qui supposait une organisation et un ordre émanant d'une hiérarchie.
Propos recueillis par Axel Gyldén
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Poutine n'est pas un comique de cinéma mais un vrai patriote. D. R.
Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et après la Guerre froide équilibrée par la puissance militaire comparable des deux superpuissances qui a vu à la fin la dislocation et la disparition brutale de l’URSS, les divisions entre les pays de l’OTAN et la Russie n’ont été aussi profondes. La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine et qui va en s’amplifiant de jour en jour le confirme et augure d’un avenir plein d’incertitudes pour notre planète. Rien ne symbolise mieux le désarroi de l’OTAN confrontée à une guerre qui n’aurait jamais pu voir le jour que la détermination de la Russie à poursuivre son objectif, à savoir la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine. La Russie, et à juste titre, ne veut pas que l’Ukraine sa voisine et sa cousine fasse partie de l’OTAN et devienne une pièce maîtresse sur l’échiquier européen en servant de base euro-américaine avec des missiles nucléaires pointés vers Moscou.
Dès le démantèlement de l’URSS, les objectifs des Américains étaient clairs : faire de l’Ukraine un poste avancé en l’intégrant au sein de l’OTAN. Les tractations avaient commencé à évoluer petit à petit avec subtilité car on n’osait pas encore appeler un chat un chat. Ce qui va susciter la colère prévisible de la Russie qui s’opposa catégoriquement à ces tentatives belliqueuses et provocatrices qui nuisent dangereusement à sa sécurité.
Le président Vladimir Poutine est un homme d’Etat avisé qui ne plaisante pas quand il s’agit de la sécurité de son pays. Il faut toujours le prendre au sérieux. C’est un patriote et un nationaliste russe. Ce n’est pas un acteur comique de cinéma, c’est un dur. Il n’est pas un clown comme le sont certains pour ne pas les citer. Il peut être parfois brutal et cruel. Ce ne sont pas des qualités, à mon avis, mais c’est une réalité et un fait. On l’a vu en Syrie et en Tchétchénie. Il n’est pas un homme incohérent mais un vrai chef d’Etat fort qui possède les moyens de sa politique. Il a toujours tenu ses promesses, et ses menaces doivent être prises en considération. Il a une sacrée tendance à agir selon ses visions et ses calculs. Il aurait fallu lire et écouter ses discours concernant l’Ukraine et prendre au sérieux ses justifications, sa logique et ses motivations et la guerre aurait été évitée. Son discours prononcé à propos de l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN avant d’occuper ce pays illustre le résumé de sa pensée depuis plus de trente ans.
«Chers citoyens russes, chers amis, aujourd’hui, je trouve indispensable de revenir sur les événements tragiques qui se produisent au Donbass et aux questions clés qui concernent la sécurité de la Russie. Je commencerai par ce que j’ai déjà évoqué dans mon allocution du 21 février de cette année. Il est question de ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes. » Et, plus loin : «En fin de compte, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire, le destin de la Russie est entre les mains de notre peuple aux nombreuses nationalités. Et cela signifie que les décisions prises seront exécutées, les objectifs fixés seront atteints, que la sécurité de notre patrie sera garantie.»
Voilà qui est clair. Plus rien ne compte à ses yeux que la sécurité de son pays. Bien entendu, pour l’Occident, il est devenu l’homme à abattre qu’on affuble des pires qualificatifs. Il est diabolisé à l’extrême, mais lui n’en a cure. La sécurité de son pays n’a pas de prix.
Quand les Russes sous Khrouchtchev en 1961 avaient installé à Cuba de Fidel Castro des missiles nucléaires pointés vers les Etats-Unis, ces derniers avaient réagi et ne les avaient pas laissé faire. La troisième guerre mondiale avait été évitée de justesse et elle a bien failli être nucléaire. Curieusement, on ne semble pas aujourd’hui comprendre que les pays de l’OTAN soient vus comme un danger potentiel et une menace par la Russie. Complaisance et cynisme de la part de certains pays qui semblent avoir oublié le sens de la justice. Des pays qui se disent souverains et qui s’alignent, toute honte bue, sur le désidérata des Américains, se laissant ainsi réduire à la triste condition de vassaux et de suivistes.
Nous sommes au quarante-cinquième jour de la guerre en Ukraine et Poutine y est déjà presque arrivé à réaliser ce qu’il a toujours cherché et les objectifs qu’il avait fixés. Ses exigences vont être appliquées à la lettre. Ayant reçu certainement les instructions de ses mentors, Volodymyr Zelensky tente désespérément de négocier en ce moment la neutralité de l’Ukraine. Comme l’avait exigé Poutine avant le lancement de l’opération spéciale. Et l’armée ukrainienne reprend les terrains en ruines abandonnés par l’armée russe, comme l’avait voulu Poutine aussi. Mais Poutine ne s’arrêtera jamais, tant que les pays de l’OTAN ne se rendent pas à l’évidence et ne montrent pas un signe clair de retour aux accords passés, avec des garanties écrites. Pour Poutine, revenir à une Ukraine neutre pourrait suffire.
Mais pourquoi les pays de l’OTAN n’avaient pas réagi aux doléances de la Russie avant que n’éclate la guerre ? Si on avait écouté Poutine et prêté une oreille attentive à ses demandes justes et légitimes, jamais la guerre n’aurait éclaté. Pourtant, Poutine les avait à maintes reprises mis en garde contre les dangers de toute adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Tout le monde savait que la Russie ne resterait pas les bras croisés face aux machinations sordides et aux tentatives réitérées de l’Occident de l’isoler et de le menacer.
Qui sont les principaux responsables de cette guerre et qui a mis de l’huile sur le feu pour que celle-ci n’éclate et que le peuple ukrainien en subisse les conséquences ? Une question que personne n’ose poser, celle du prix que la population ukrainienne paiera pour ce conflit armé. La vie et la sécurité des civils doivent être la préoccupation capitale de Zelensky, et c’est lui le principal responsable de la tragédie que traverse son pays pour avoir écouté ses mauvais conseilleurs.
Après l’annexion de la Crimée par la Russie, Barack Obama, l’ancien président des Etats-Unis, avait déclaré : «Le fait que la Russie ait ressenti le besoin d’avoir recours à l’armée et de violer le droit international est la preuve d’une moindre influence, pas d’une influence croissante.» Et ce sont les Etats-Unis, par la bouche du même ancien locataire de la Maison-Blanche, qui osent citer le droit international et en faire un modèle et une référence, eux qui ont toujours affiché leur mépris total du droit international et l’ont eux-mêmes violé à maintes reprises. Ahurissant !
«Il ne faut pas être trop ambitieux, il faut être réaliste et ne pas considérer que le droit international peut et doit triompher partout sur la planète, mais d’abord dans les zones où il rejoint l’intérêt des principales puissances», a déclaré Henri Kissinger, l’ancien ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis. Il n’est nul besoin de faire un dessin sur ce «réalisme» des Américains qui soufflent le chaud et le froid sur la planète et interviennent là où ils veulent, quand ils veulent. Seuls leurs intérêts comptent.
Le droit international est une fiction et une chimère aux yeux des Américains. Mais contre la Russie, ils ont poussé le bouchon un peu trop loin. A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler, dit l’adage. Le dessein principal de leur stratégie demeure l’étouffement et l’étranglement de la Russie. Cependant, le contexte a changé. Ce n’est plus la Russie d’Eltsine mais celle de Poutine. Zbigniew Brezinski, l’ancien conseiller pour la sécurité du président Jimmy Carter, avait tout prédit pour réaliser ses plans machiavéliques et faire de l’Ukraine un pion fiable devant jouer un rôle important pour contrecarrer la Russie, l’affaiblir et la déstabiliser. Il avait déclaré, entre autres : «L’extension de l’orbite euro-atlantique rend impérative l’inclusion des nouveaux Etats indépendants ex-soviétiques, et en particulier l’Ukraine.»
Voilà qui est clair comme l’eau de roche. L’hostilité à l’égard de la Russie plus ou moins exacerbée selon les périodes demeure vivace et est une constante de la politique étrangère des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et ce bien avant l’annexion de la Crimée par la Russie qui appartient à la Russie et dont Khrouchtchev, par un simple décret, a fait un don à l’Ukraine.
Depuis le 11 septembre 2001 et la vague de sympathie qu’avait attirée le peuple américain à travers le monde, à juste titre d’ailleurs, les dirigeants américains avaient défini leur nouvelle stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis. Ils n’hésiteront pas à «agir seuls si nécessaire» pour exercer leur «droit à l’autodéfense en agissant à titre préventif». Une fois identifiée une «menace imminente», l’Amérique interviendra avant même que la menace ne se concrétise. C’est le meilleur des mondes, selon l’Oncle Sam ! Les autres doivent suivre à la lettre les ordres de la «première puissance mondiale» et faire profil bas pour ne pas subir les foudres du «plus puissant pays du monde». Mais cette époque est révolue et les Américains continuent à agir comme si de rien n’était.
Désormais, rien ne sera plus comme avant. Les Américains ont dormi sur leurs lauriers. Les nouveaux missiles hypersoniques à capacité nucléaire russes annoncent la fin de la suprématie américaine. Les Chinois se lancent aussi dans cette course effrénée aux missiles hypersoniques, tout comme la Corée du Nord. L’avenir s’annonce sombre et ne sera plus un fleuve tranquille pour les Américains qui régentaient tout à leur guise et qui se voyaient le seul gendarme au monde.
L’Algérie a voté, jeudi, contre la résolution sur la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme des nations unies, lors de la session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU. La résolution a été adoptée par 93 voix pour. 24 pays ont voté contre, 58 autres se sont abstenus, tandis que 18 n’ont pas participé au vote.
Dans son allocution prononcée devant l’Assemblée générale, le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies, l’ambassadeur Nadir Larbaoui a expliqué les raisons de ce choix, estimant que suspendre la Russie de l’instance onusienne ne renforce pas le travail de coopération. «La délégation de mon pays estime que les efforts internationaux multilatéraux requièrent le renforcement du dialogue et de la coopération, sans exclusion aucune, malgré la divergence des positions», a déclaré Larbaoui, repris par l’agence APS, affirmant que la suspension de la qualité de membre d’un pays élu par la communauté internationale, par une quelconque instance onusienne, n’est pas à même de renforcer l’esprit de travail et de coopération multilatérale.
L’ambassadeur a réitéré «le soutien» de l’Algérie aux négociations directes entre la Russie et l’Ukraine en vue de cesser les opérations militaires et de prendre en charge la crise humanitaire, tout en appelant à «l’intensification» des efforts diplomatiques internationaux visant le règlement de cette crise de manière à empêcher l’effondrement progressif des normes diplomatiques et à parvenir à une solution politique «garantissant la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays».
«C’est avec une bonne foi que mon pays a adhéré aux bons offices, initiés dans le cadre du Groupe arabe de contact qui s’est réuni récemment avec les parties concernées», a-t-il soutenu, appelant la communauté internationale à «renoncer à toute action susceptible d’entraver les négociations en cours et de faire prolonger la crise dont les conséquences seront désastreuses pour tous les pays du monde».
La résolution qui suspend la Russie du Conseil des droits de l’Homme des nations-unies, a pointé ses atteintes «flagrantes et systématiques» aux droits humains, depuis le début de l’invasion militaire de Ukraine. Mais pour l’Algérie, il y a lieu de mener une enquête impartiale.
«En dépit de la cruauté des images relayées sur certaines villes ukrainiennes qui doivent être condamnées dans les termes les plus vifs et les crimes présumés qui en découlent d’une extrême gravité, il est plus qu’impératif de permettre aux mécanismes onusiens compétents d’enquêter sur ces faits sur le terrain de manière neutre et impartiale afin de rendre justice à toutes les victimes», a estimé le représentant algérien.
Et d’ajouter : «Permettre aux mécanismes onusiens compétents de s’acquitter pleinement de leur mission et rôle conformément aux règles du Droit international et aux résolutions pertinentes de l’ONU, loin de toute ingérence ou préjugé, constitue pour l’Algérie une condition sine qua non en vue de prouver les faits concernant toute violation grave et systématique des droits de l’Homme».
Ancien colonel du KGB, le maître du Kremlin utilise de longue date les services et les espions de son pays pour déstabiliser l’Occident. Son objectif ? Miner les démocraties libérales de l’intérieur pour réussir sa reconquête de l’empire russe. Dont la guerre en Ukraine est le dernier acte. Histoires d’une armée de l’ombre.
Le président russe Vladimir Poutine. (PHOTOMONTAGE D’APRÈS : MIKHAIL SVETLOV/GETTY IMAGES - EMRAH GUREL/AP/SIPA)
Ce 17 août 2020, les vacances du lieutenant-colonel L. se terminent − sa vie d’avant aussi, mais il ne le sait pas encore. L’officier, qui vient de passer quelques semaines de congé en France avec sa famille, s’apprête à regagner son lieu de travail à l’étranger : la base de Lago Patria, près de Naples. C’est le siège du commandement de l’Otan d’où sont dirigées les opérations de l’Alliance atlantique sur son flanc sud, jusqu’à la mer Noire. Mais L. ne retournera pas à Lago Patria. Plus jamais.
La DRSD, le contre-espionnage militaire français, estime qu’il serait trop dangereux de laisser revenir cet officier français dans ce site hautement stratégique où sont planifiés les éventuels affrontements avec la Russie. L. pourrait sortir des documents confidentiels et les remettre à l’officier traitant russe qu’il a rencontré à plusieurs reprises. Les autorités préfèrent l’arrêter et le placer en détention à Paris. Dans la foulée, il est mis en examen pour « livraison d’information à une puissance étrangère » et « intelligence » avec celle-ci « portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » − bref, pour espionnage. Au profit de Moscou.
A la surprise générale, la ministre des Armées confirme l’arrestation d’un officier français pour trahison. « D’ordinaire, ces affaires demeurent dans l’ombre,explique alors un haut responsable. Mais cette fois, le plus haut sommet de l’Etat veut signifier au Kremlin que trop, c’est trop ! L’agressivité des services russes devient insupportable. » Au même moment – c’est-à-dire quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine – plusieurs autres responsables occidentaux dénoncent, eux aussi, l’activisme des agents du Kremlin. « Nous voyons l’étendue et l’agressivité des actions russes dans toute l’Europe, prévient John Sawers, l’ancien patron du MI6, le service d’espionnage britannique. Et nous ne connaissons probablement que 10 % de ce qu’ils font. »
Le chef du contre-espionnage allemand assure, lui, que « le Kremlin a mis en place en Allemagne des réseaux d’espionnage très complexes dans presque tous les domaines d’activité ». Et son homologue du BND (le renseignement extérieur) note un « changement dans la morale » des agents russes, qui sont désormais « impitoyables ». Bref, le lieutenant-colonel L. n’est que l’un des pions dans la stupéfiante guerre secrète que Vladimir Poutine mène contre l’Occident.
Recrutement de sources mais aussi manipulation d’élections, cyberattaques et même assassinats… le maître du Kremlin a ordonné à ses services spéciaux de recourir à toutes leurs techniques de l’ombre en Europe et aux Etats-Unis, jusqu’aux plus sales. Son but : affaiblir les démocraties libérales et leur bras armé, l’Otan. Afin d’avoir les mains libres dans sa reconquête de l’empire russe, dont la guerre actuelle en Ukraine est – à ce jour – le dernier acte.
Plus que tout autre chef d’Etat, Vladimir Poutine s’appuie sur les services secrets en tout, pour son action extérieure comme pour la gestion du pays. Lui-même ancien patron du FSB, il a construit son régime autour d’eux, de leur idéologie, de leur manière d’agir et de penser. Son entourage le plus proche, son clan, est composé, pour la plupart, d’hommes issus comme lui du KGB. Tous se revendiquent tchékistes, du nom de la Tcheka, la sinistre police politique créée en 1917, dont ils se disent les continuateurs.
LES TROIS SERVICES SECRETS RUSSES
SVR. Service des Renseignements extérieurs de la Fédération de Russie. Créé en 1992, c’est le successeur du KGB et l’équivalent russe de la DGSE. Depuis 2016, il est dirigé par un proche de Poutine, Sergueï Narychkine.
FSB. Service fédéral de Sécurité de la Fédération de Russie. C’est le plus puissant. Poutine l’a dirigé de 1996 à 1999. Chargé du contre-terrorisme et du contre-espionnage à l’intérieur du pays, il s’occupe aussi du renseignement dans les pays de l’ex-URSS (dont l’Ukraine). Il a la responsabilité du Fapsi, le service des écoutes à l’étranger. Depuis 2008, son directeur est Alexandre Bortnikov.
GRU. Direction générale des Renseignements de l’Etat-major. Responsable de l’espionnage militaire, il portait le même nom du temps de l’Union soviétique. Outre le renseignement, il est chargé des assassinats d’opposants à l’étranger. Malgré sa petite taille, il est le plus craint des services secrets russes. Depuis 2018, il est dirigé par Igor Kostioukov.
Le maître du Kremlin ne rate d’ailleurs pas une occasion de leur rendre hommage. Le 10 janvier 2020, lors du 100e anniversaire du bureau des « illégaux » (ces espions qui prennent l’identité d’un mort pour s’infiltrer pendant des années à l’Ouest, comme dans la série « The Americans »), il a lancé : « Nous sommes fous d’eux ! » Il a ajouté :
« Ce sont tout simplement des personnes uniques. Tout le monde ne peut abandonner sa vie actuelle, ses proches et quitter le pays pendant de nombreuses années, consacrer sa vie au service de la patrie. Seuls les élus peuvent faire cela. »
D’ailleurs il a accueilli avec tous les honneurs les dix « illégaux » arrêtés en 2010 aux Etats-Unis puis échangés. L’une d’entre eux, la désormais célèbre Anna Chapman, anime une émission sur une grande chaîne d’Etat.
A quel moment Vladimir Poutine a-t-il pris la décision de lancer ses agents secrets à l’assaut de l’Occident ? Un homme de l’art confie :
« Les opérations clandestines du Kremlin se sont multipliées et durcies après l’annexion réussie de la Crimée en 2014 par les forces spéciales russes. Comme si ce succès avait convaincu Poutine que ses services spéciaux étaient tout-puissants, qu’ils pourraient affaiblir durablement et profondément l’Occident et ainsi préparer l’affrontement final. »
Pour mettre en œuvre ce plan, les différents services russes – le FSB, le GRU et le SVR – ont d’abord embauché à tour de bras, à tel point qu’ils ont dû agrandir plusieurs fois leurs locaux. Selon des images satellites, le siège du SVR, situé à Yasenevo, dans la banlieue sud de Moscou, a quadruplé de taille en quelques années.
Ensuite, ils ont dépêché des centaines d’agents en Europe et aux Etats-Unis, une véritable armée de l’ombre. Rien qu’en France − pays particulièrement visé puisque à la fois allié des Etats-Unis, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, important exportateur d’armement et détenteur de la bombe atomique − leur nombre dépasserait 300, selon un haut responsable au fait de ces questions.
A Bruxelles, ils seraient, d’après un rapport du Service européen pour l’Action extérieure, au moins 200 : la moitié d’entre eux se trouveraient sous couverture diplomatique (ils ne risquent ainsi aucune poursuite judiciaire), les autres œuvrantdans des ONG, des entreprises et des médias. On en compte sans doute autant à Berlin et à Londres. Et des dizaines à Madrid, Rome ou La Haye. Un grand nombre également au Mexique, où se trouverait « la plus grande partie des effectifs du GRU dans le monde […] à l’affût de n’importe quelle occasion pour influer » sur l’Amérique, a déclaré le chef du commandement Nord des Etats-Unis, le 24 mars dernier.
L’Otan, nid d’espions russes
Première mission, donc, de ces centaines d’espions infiltrés à l’Ouest : le recrutement de sources, et d’abord parmi les officiers basés à l’Otan, leurs cibles principales. Auprès de ces militaires, ils cherchent à découvrir l’ordre de bataille de l’Alliance, les failles de ses armements, le profil de ses hommes clés, ses modes de communication, ses divisions… Autant de secrets décisifs pour qui veut, un jour, faire plier l’Occident.
Pour convaincre les militaires ou les civils détachés à l’Otan de trahir, les Russes utilisent toutes les ficelles du métier. Leurs leviers : l’argent, la compromission, l’idéologie et l’ego. Afin d’amadouer le lieutenant-colonel L., ils auraient joué sur une blessure d’orgueil.
Russophile et russophone, l’officier aurait basculé lorsqu’il était en poste dans une ancienne République soviétique. Issu d’une grande famille de la noblesse et qualifié de « brillant » par certains de ses collègues, ce diplômé de Saint-Cyr était promis à une carrière prestigieuse. Mais, en bisbille avec sa hiérarchie qu’il accuse de harcèlement au point de lancer en vain une procédure judiciaire, ce quinquagénaire n’est même pas colonel. Et il ne supporte pas de voir ses camarades progresser plus vite et plus haut que lui.
Et puis, il y a cet ancêtre fascinant, rallié aux Russes pendant la Révolution française, un officier royaliste qui est allé combattre Napoléon dans l’armée d’Alexandre Ier et qui – sinistre ironie de l’histoire – a participé à la constitution de la « Nouvelle Russie » autour d’Odessa. Le lieutenant-colonel L. a-t-il voulu l’imiter et aider le tsar Poutine dans son entreprise impériale ? Le mystère sera probablement levé lors de son procès.
Quoi qu’il en soit, ses avocats assurent que leur client, qui a fait un an de détention provisoire, conteste « catégoriquement les accusations portées contre lui ». Ils ajoutent que « l’Obs » n’a pas le droit de publier le nom de ce militaire puisque son « identité est protégée par l’article 413-13 du Code pénal ». Ce qui signifie qu’il est, ou a été, membre d’un service secret français.
Ces dernières années, il y a eu bien d’autres affaires d’espionnage russe contre l’Alliance atlantique – et encore ne connaissons-nous que celles qui ont été rendues publiques, donc la partie émergée de l’iceberg. Par exemple, en 2020, deux officiers supérieurs bulgares sont incarcérés pour avoir vendu à des hommes du GRU des renseignements sur les modifications apportés à l’avion de combat américain F-18 que Sofia venait de commander.
En mars 2021, un capitaine de frégate italien affecté à l’état-major est pris en flagrant délit alors qu’il reçoit 5 000 euros en liquide des mains de son officier traitant russe. Et, le 15 mars dernier, après le début de la guerre en Ukraine, quatre officiers du GRU sont expulsés de Slovaquie. L’un d’eux a été filmé en train de donner des ordres à un blogueur prorusse. La mission de ce dernier : identifier parmi ses abonnés les militaires qui seraient susceptibles de collaborer avec les espions du Kremlin.
Dans la vidéo qui est visible sur internet, on entend le blogueur en question, un certain Bohus Garbar, demander à son officier traitant une rallonge d’argent à cause de « la hausse des prix du gaz » ! Le Russe lui glisse alors 1 000 euros…
Le siège de l’Otan à Bruxelles est évidemment le terrain de chasse par excellence des espions de Poutine. Et il est d’autant plus accessible que, depuis 1997, la Russie y est représentée par une mission diplomatique. A cette délégation officielle, le Kremlin affecte évidemment bien plus d’officiers de renseignement que de vrais diplomates.
Tels des loups dans la bergerie, les agents tentent de recruter à tour de bras. Dernière affaire en date, en janvier 2022, quatre d’entre eux sont priés de rejoindre Moscou, dont Alexandre Smushko, l’interprète personnel en anglais de l’actuel ministre de la Défense et dauphin putatif de Poutine, Sergueï Choïgou.
Missiles, engins militaires… : les secrets industriels ciblés
Focalisés sur la préparation d’une guerre contre l’Ouest, les espions du Kremlin cherchent aussi à voler des secrets industriels dans le secteur de la défense, notamment les missiles. En juin 2021, le contre-espionnage allemand arrête un employé du centre aérospatial allemand. Selon le procureur de Bavière, il aurait remis à son officier traitant, un « diplomate » du consulat de Russie à Munich, des renseignements sur le lanceur d’Ariane, en particulier sur les matériaux de la fusée − et donc des missiles balistiques − qui supportent de très fortes variations de températures. D’après le quotidien « Die Welt », il déposait 2 500 euros en cash sur son compte après chacune de ses rencontres avec l’espion russe – son salaire de taupe, en quelque sorte.
Quelques mois auparavant, c’est un Suédois d’origine russe, Kristian Dmitrievski, qui est pris en flagrant délit en train de recevoir 278 000 couronnes, soit 2 800 euros, de la main d’un officier du SVR. En échange, il lui livrait depuis deux ans des secrets de la firme Volvo où il travaillait. Selon les enquêteurs, il ne faisait pas de copie papier des documents confidentiels de cette société automobile qui possède une branche défense, notamment pour des engins de transport de troupes ; suivant les ordres de son officier traitant, Dmitrievski les chargeait sur son ordinateur puis les photographiait sur l’écran avec son smartphone.
Des lieux de pouvoir sur écoute
Autre terrain d’action des agents russes : la politique. Leur Graal étant de retourner un officiel proche du pouvoir. Ainsi, comme « l’Obs » l’a révélé à l’époque, Emmanuel Macron a, en décembre 2017, expulsé en catiminiun agent du GRU qui tentait depuis plusieurs mois de recruter une source importante dans l’appareil d’Etat français, en profitant de sa couverture diplomatique à la mission économique de l’ambassade russe à Paris.
Il y a plus simple : « sonoriser », comme disent les experts, les lieux de pouvoir. En Lituanie, un officier du SVR, Nikolaï Filiptchenko, vient d’écoper de dix ans de prison pour avoir recruté un membre des services de sécurité du pays : l’agent double devait poser un micro dans le bureau du président de la République. En novembre 2021, c’est un Allemand de 56 ans, qui travaille alors pour une firme de sécurité, qui est arrêté pour avoir livré à un agent russe un CD-Rom contenant les plans du sous-sol du Bundestag et de son réseau de communication sécurisée.
A Paris, la Russie a failli disposer d’un vaste espace pour écouter les hauts responsables français. En 2010, elle avait demandé que le terrain qu’elle venait d’acheter au bord de la Seine pour construire une cathédrale orthodoxe soit considéré comme emprise diplomatique, c’est-à-dire un lieu dans lequel la police française ne peut entrer sauf accord de l’ambassadeur.
Mais le contre-espionnage français a convaincu l’Elysée de ne pas accorder ce statut. Il redoutait que le Kremlin ne profite de ce statut protégé pour installer des systèmes d’écoute dans cet endroit situé au cœur du quartier des ministères. Est-ce un hasard ? De drôles de constructions ont été récemment installées sur le toit de l’ambassade de Russie, près du bois de Boulogne…
Recruter des agents d’influence, mode d’emploi
Les services secrets russes s’attellent également à une autre tâche : recruter des sources et des agents d’influence dans les partis, les médias ou les universités, dans le but de faire basculer les opinions publiques en faveur du Kremlin – mission cruciale si l’on a comme objectif d’envahir un pays européen. Pour ce faire, les espions font leur marché principalement parmi les activistes prorusses d’extrême droite. La plupart des pays européens sont touchés. Mais très peu de cas ont été rendus publics.
Ainsi, en mai dernier, un certain Janusz Niedźwiecki, militant connu de longue date par les observateurs de l’extrémisme, est arrêté par le contre-espionnage polonais pour avoir tenté de « recruter des personnalités politiques polonaises et étrangères, y compris au sein du Parlement européen et cela sur ordre d’un service de renseignement russe ». Chez lui, les enquêteurs ont saisi l’équivalent de 67 000 euros en liquide.
En Lituanie, un certain Pyotr Chagin, agissant sous le pseudonyme de Petras Taraskevicius, est arrêté pour avoir tenté de manipuler la minorité russophone des pays Baltes, grâce à une organisation montée de toutes pièces par le GRU. En novembre 2021, il est échangé au poste frontière de Nida contre un espion norvégien emprisonné en Russie.
Ailleurs, il y a de forts soupçons mais pas de preuves. En Italie, des enregistrements non confirmés de conversations entre un représentant du leader populiste Matteo Salvini et un responsable russe font état de versements de plusieurs millions d’euros à la Ligue (ex-Ligue du Nord). Il est fort probable que les services secrets russes ont pris part au moins à la livraison de la somme en cash. En Espagne, certains affirment que le parti indépendantiste catalan, à la recherche de financement et de soutien politique, aurait pris secrètement contact avec le Kremlin et les services spéciaux russes.
Le cyber, immense champ de bataille
Pour influencer le jeu politique occidental, les services russes utilisent aussi mieux que quiconque les ressources d’internet. En Grande-Bretagne, beaucoup sont convaincus que les agents secrets du Kremlin ont tenté de pousser le « Yes » lors du référendum sur le Brexit. Un rapport parlementaire de juillet 2020 regrette amèrement qu’aucune enquête officielle n’ait été conduite à ce sujet. « Le gouvernement britannique a activement évité de chercher des preuves d’une ingérence de la Russie »,écrivent les rapporteurs, qui notent pourtant l’utilisation massive de bots et trolls russes sur Twitter pendant la campagne référendaire.
A la décharge du gouvernement britannique, l’intervention massive des agents et des hackers russes dans un processus électoral n’est apparue clairement que quelques mois plus tard, dans les dernières semaines de la campagne présidentielle américaine de 2016. Un rapport du Congrès publié récemment désigne un coupable : l’Institut russe d’Etudes Stratégiques, organisme longtemps dépendant du SVR que Poutine a rattaché au Kremlin.
Depuis 2016, il est d’ailleurs dirigé par un proche du président russe, l’ancien Premier ministre Mikhaïl Fradkov, qui a été à la tête du SVR pendant dix ans. C’est cet institut qui aurait établi le plan d’action russe en faveur de Donald Trump. Baptisé « Projekt Lakha », ce dernier comprenaitles usines à trolls installées notamment à Saint-Pétersbourg ; la création de milliers de faux comptes Facebook soutenant les idées du milliardaire populiste contre Hillary Clinton ; et le piratage d’e-mails du Parti démocrate qui ont été partiellement publiés sur un site créé lui aussi par des agents russes.
L’année suivante, en 2017, les mêmes hackeurs à la solde du GRU ont piraté certains e-mails de la campagne d’Emmanuel Macron afin de les mettre en ligne sur le site WikiLeaks, entre les deux tours du scrutin. Toujours en 2017, lors du référendum sur l’indépendance de la Catalogne jugé illégal par les autorités, les services espagnols se sont inquiétés de l’activisme de deux agents du GRU soupçonnés de vouloir favoriser les indépendantistes, afin d’affaiblir ce pays membre de l’Otan.
Aujourd’hui, les services russes tentent d’influer plus directement encore sur le résultat des scrutins en s’attaquant aux ordinateurs des commissions électorales. De cette façon, ils pourraient modifier le résultat officiel si celui-ci ne convient pas au Kremlin. C’est pour éviter une telle fraude que la petite République du Guyana (ex-Guyane britannique), alors en plein scrutin législatif et présidentiel, a expulsé en mars 2020 un hackeur, officier du GRU.
Pirater des sites sensibles pour déstabiliser le jour venu
Les services russes ont développé d’autres capacités inquiétantes : la prise de contrôle à distance de centrales atomiques, de barrages hydroélectriques, de sites d’assainissement de l’eau, de réseaux de distribution de gaz, de pétrole, mais aussi le brouillage de télévisions ou de radios. Autant de piratages qui peuvent être terriblement déstabilisateurs en cas de tensions très fortes ou de conflit ouvert.
Le Kremlin y travaille depuis longtemps. En France, la première attaque d’envergure a lieu le 8 avril 2015. C’est TV5 Monde qui est alors visée. Pendant plusieurs heures, la chaîne qui émet dans 200 pays affiche un écran noir. Son site internet et ses comptes sociaux diffusent de la propagande djihadiste. Plus tard les spécialistes identifieront le coupable : APT28, aussi baptisé Fancy Bear, un groupe de hackeurs lié au GRU, qui mène des attaques coup de poing.
Un autre groupe de hackeurs russes fait également beaucoup de dégâts, mais à plus long terme. Il est surnommé APT29, ou Cozy Bear, et dépendrait, cette fois, du SVR. C’est à lui qu’en avril 2021 le FBI attribue la plus grande cyberattaque de l’histoire, baptisée « Solarwinds » du nom de la société qui commercialise un logiciel dont les hackeurs russes ont découvert une faille. Grâce à elle, ils ont pu, de mars à décembre 2020, prendre le contrôle des systèmes informatiques de centaines d’entreprises, d’ONG et d’infrastructures. L’affaire a conduit, en représailles, à l’expulsion de dix « diplomates » russes des Etats-Unis et la fermeture des deux derniers consulats américains en Russie, à Vladivostok et Iekaterinbourg.
Tuer… sans trop se cacher
Dernier outil, le plus féroce, dans la panoplie des agents russes : l’assassinat. En août 2019, un rebelle tchétchène est abattu en plein jour, à Berlin. Le tueur s’est approché de sa victime à vélo, avant de tirer sur lui à deux reprises avec un pistolet muni d’un silencieux puis de l’achever d’une balle dans la tête. En décembre dernier, l’assassin a été condamné à la prison à vie : selon le procureur, ce « commandant d’une unité spéciale des services secrets russes FSB » a bénéficié d’une « aide active » de l’ambassade de son pays.
L’année suivante, en 2020, un tueur du FSB arrive, sous couverture diplomatique, à l’aéroport de Prague. Il porte une mallette contenant selon la police tchèque de la ricine, un poison violent. Sa cible, d’après le magazine d’investigation « Respekt » : le jeune maire de Prague, Zdenek Hrib, qui, quelques semaines auparavant, avait décidé de rebaptiser la place située devant l’ambassade russe du nom de l’opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015 devant le Kremlin. Une gifle pour Vladimir Poutine. Mais le projet d’attentat est déjoué par les autorités tchèques. Depuis, le maire est accompagné, 24 heures sur 24, de gardes du corps.
A en croire les divers services occidentaux de contre-espionnage, certains contrats du Kremlin sont exécutés par un groupe du GRU : l’unité 29155. Deux de ses hommes ont, en 2014, fait sauter en République tchèque un dépôt d’armes à destination de l’Ukraine.
Un an plus tard, ils ont assassiné un marchand d’armes bulgare fournisseur de Kiev. Et en 2018, à Salisbury en Grande-Bretagne, ils ont empoisonné Sergueï Skripal, un ancien du GRU retourné par les services de Sa Majesté.
Pour cela, ils ont utilisé du Novitchok, un neurotoxique de fabrication soviétique − une façon de signer l’opération punitive et de mettre en garde les agents russes contre toute tentative de passer à l’Ouest. Quelques jours après cette tentative, Poutine a qualifié Skripal de « traître » et d’« ordure ».
Un responsable proche du renseignement français explique :
« Cet attentat à l’arme chimique contre Skripal, qui aurait pu tuer plusieurs personnes, aurait dû davantage nous alerter sur la dangerosité de Vladimir Poutine en Europe. Les capitales occidentales ont, en rétorsion, pris des sanctions contre le pouvoir russe. Mais ce n’était sans doute pas assez : à travers cet attentat quasiment revendiqué et d’une brutalité sans précédent, Poutine disait à son peuple et à nous-mêmes que, pour atteindre ses objectifs, il était prêt à tout. Nous l’avons compris trop tard, quand il a lancé l’invasion de l’Ukraine. »
Comment l’Occident riposte efficacement
Les difficultés que l’armée russe rencontre dans cette guerre en Ukraine montrent néanmoins que les espions de Poutine sont loin d’être infaillibles. Manifestement mal informé sur l’état de la société et de l’armée ukrainiennes, le maître du Kremlin a d’ailleurs, quelques jours après le début de l’invasion, limogé le patron de la branche du FSB chargé du renseignement dans les anciennes Républiques soviétiques, ainsi que l’a révélé le spécialiste des services russes Andreï Soldatov.
La veille de l’offensive, il a aussi publiquement humilié le directeur du SVR, Sergueï Narychkine, pourtant un ami de plus de quarante ans. Probablement parce que, malgré les centaines d’espions russes dépêchés aux Etats-Unis et en Europe, Poutine jugeait que les renseignements sur les intentions et les plans secrets des Occidentaux dont il disposait étaient insuffisants. Alors que les services américains de renseignement avaient, eux, découvert les plans de guerre du président russe et les détaillaient publiquement jour après jour.
Vladimir Poutine serait d’autant plus de fou de rage que la précision des informations sur les préparatifs de la guerre conduit à penser que Washington dispose d’une ou de plusieurs taupes au Kremlin. Ce ne serait pas la première fois. Si l’on en croit les médias américains, un diplomate russe de haut rang, Oleg Smolenkov, aurait informé la CIA pendant des années avant d’être exfiltré aux Etats-Unis en 2017. C’est lui qui, l’année précédente, aurait révélé l’implication personnelle de Poutine dans le « Projekt Lakha » visant à faire triompher Donald Trump. Humiliation suprême pour l’ancien colonel du KGB.
Depuis la Russie, témoignages montrent des refus d’obéissance au sein de l’armée russe dans le conflit en cours : des soldats désertent. Des anciens déserteurs, réfractaires à la guerre d’Algérie et d’autres guerres plus récentes, objecteurs de conscience, insoumis au service militaire, antimilitaristes, apportent leur soutien aux réfractaires. « C'est aussi un moyen de soutenir ceux qui, en Russie, s'opposent à Poutine [...] Ils doivent être accueillis dans le pays de leur choix, en tant que réfugiés politiques ! »
Le 24 février, l’armée russe a envahi le territoire ukrainien. Depuis, la population ukrainienne subit les bombes, tirs d’artillerie, chars, qui tuent, mutilent, détruisent. Ils et elles résistent aux attaques décidées par le régime dictatorial de Poutine. Comme dans toute guerre, ce sont les peuples qui sont les premières victimes.
Des témoignages montrent des refus d’obéissance au sein de l’armée russe. Des soldats désertent. Nous devons leur apporter notre solidarité ! C'est aussi un moyen de soutenir ceux qui, en Russie, s'opposent à Poutine et à son régime. Nous sommes pour le droit à l’objection de conscience dans tous les pays et toutes les circonstances.
Anciens déserteurs, réfractaires à la guerre d’Algérie et d’autres guerres plus récentes, objecteurs de conscience, insoumis au service militaire, antimilitaristes, nous sommes solidaires des réfractaires, insoumis, objecteurs et déserteurs de l’armée russe qui refusent de participer à la guerre menée en Ukraine. Ils doivent être accueillis dans le pays de leur choix, en tant que réfugiés politiques !
мы поддерживаем российских солдат, отказывающихся воевать
24 февраля российская армия вторглась на территорию Украины. С тех пор украинцы и украинкиподвергаютсябомбардировкам, их обстреливают при помощи артиллерии и танков, убивают, калечат и уничтожают. Они противостоят атакам, инициированным диктаторским режимом Путина. Как и в любой войне, первыми жертвами становятсямирные жители.
Появляется информация о солдатах российской армии, которые отказываются подчиняться приказам. Солдаты дезертируют. Мы должны показать, что мы солидарны с ними! Это еще один способ поддержать тех россиян, кто выступает против Путина и его режима. Мы выступаем за право на отказ от военной службы по убеждениямв любой стране и при любых обстоятельствах.
Дезертиры прошлого, те кто сопротивлялись войне в Алжире и другим позднейшим войнам, отказники по убеждениям, уклонисты, антимилитаристы, все мы солидарны с уклонистами, отказниками и дезертирами российской армии, отказывающимися принимать участие в войне в Украине. Их нужно принимать в стране их выбора как политических беженцев!
Entretien avec un volontaire de la défense territoriale de Kiev
Le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. Depuis plusieurs semaines, la guerre fait rage sur le territoire ukrainien, l’armée russe intensifie son offensive, plusieurs villes sont assiégiées, la situation humanitaire s’aggrave. A Kiev, l’étau se resserre. Afin de protéger leur ville, des milliers de Kiévien·nes se sont porté·es volontaires pour la défense territoriale. Taras Kobzar, l’un de ces volontaires, nous parle de son expérience de cette guerre et du contexte politique en Ukraine. Taras Kobzar est un militant anarcho-syndicaliste, ayant porté de nombreuses initiatives sociales à Donetsk depuis 1989, ville qu’il a dû fuir en 2014 à cause de l’occupation du Donbass par les séparatistes. Il vit depuis à Kiev et se bat actuellement dans la défense territoriale (unités de civil·es formé·es à protéger la zone où iels résident sous les ordres de l’armée nationale).
Perrine Poupin (P.P.) : Comment as-tu vécu le début de la guerre, le 24 février 2022 ?
Taras Kobzar (T.K.) : Même si jusqu’aux derniers jours on parlait abondamment de la possibilité d’une guerre, je n’avais jamais voulu y croire. La plupart des Ukrainiens ordinaires ont été pris par surprise par l’attaque des troupes russes. Comme d’autres personnes, j’ai été réveillé tôt le matin par des bruits d’explosion qui ont retenti dans le ciel. Vers 5 heures, des avions russes (j’ai appris ensuite qu’il s’agissait de drones) ont attaqué l’aéroport de Boryspil (le plus grand aéroport civil d’Ukraine), situé aux marges de la ville de Kiev. Je suis sorti sur le balcon et j’ai entendu des échanges de tirs entre la défense aérienne de l’armée ukrainienne et l’aviation russe. Au début, je voulais croire qu’il ne s’agissait que d’une provocation militaire pour faire pression sur l’Ukraine. Et que cela se terminerait ainsi. Personne ne voulait croire à une guerre totale et prolongée. Malgré les avertissements des services de renseignement occidentaux, notamment états-uniens et britanniques, et de nombreux autres signes, personne ne voulait y croire. On ne croyait pas que Poutine se lancerait dans une telle aventure. La guerre a été un grand choc pour les Ukrainiens. J’éprouve un sentiment d’irréalité. J’ai vécu une expérience similaire à Donetsk en 2014.
P.P. : Pourquoi, à ton avis, la Russie attaque-t-elle l’Ukraine maintenant ?
T.K. : Cette guerre marque le retour des ambitions impériales du Kremlin et de Poutine, qui considère que sa mission historique est de rétablir les frontières de l’Empire russe ou de l’Union soviétique. Son aspiration est de faire à nouveau de la Russie un empire influent dans le monde, comme à l’époque soviétique, en « récupérant » les « terres russes » qui sont devenues des États indépendants il y a plus de trente ans, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée. Poutine a été très encouragé par la réaction positive de la société russe à l’annexion de la Crimée. Je pense également qu’il a considéré l’absence d’une réaction forte de l’Occident à ses activités criminelles comme une preuve de faiblesse et comme le signe que l’Occident ne constituerait pas un obstacle à ses plans.
Une autre raison de cette guerre est que Poutine a décidé, en vue de la prochaine élection présidentielle russe en 2024 (dont l’issue est déjà décidée d’avance), d’offrir à la majorité chauvine du pays une autre victoire spectaculaire, qui prouve la grandeur de la Russie, personnifiée par un grand président. C’est une façon de s’assurer que sa cote de popularité monte en flèche auprès de cet électorat. Poutine veut entrer dans l’histoire comme le grand-père de la nation, un peu comme Staline. L’Ukraine fait obstacle à ses projets, par son attitude indépendante, pro-occidentale et anti-russe.
P.P. : Beaucoup d’analystes font un parallèle avec la guerre en Syrie. Qu’en penses-tu ?
T.K. : De nombreuses villes ukrainienes ne se distinguent déjà guère d’Alep : elles sont en totalité ou en partie en ruines. Les soldats russes tirent sans scrupules sur les civils et les quartiers résidentiels. Nous ne pardonnerons jamais et n’oublierons jamais cela. La machine militaire réputée de la Russie fait face en Ukraine à un peuple qui se battra jusqu’au bout. L’expérience acquise par les Russes dans les guerres qu’ils ont menés ces dernières années, que ce soit en Syrie ou ailleurs, ne leur suffira pas pour nous vaincre. La machine militaire russe, malgré sa terrible réputation, se révèle être un colosse aux pieds d’argile, tout comme l’empire russe dans son ensemble. Cette guerre va détruire le régime de Poutine. L’armée et la société ukrainiennes ont beaucoup changé depuis 2014. Tout comme on disait de l’Irlande qu’elle était un oiseau qui dévorerait le foie de l’empire britannique, l’Ukraine est aujourd’hui un pays petit, mais redoutable, qui provoquera le chute du dernier empire fasciste de ce monde.
P.P. : Comment le paysage politique a-t-il évolué en Ukraine depuis la révolution de Maïdan[1] ? Quelles sont les différentes forces politiques en présence ? Qu’en est-il du poids des mouvements d’extrême droite ?
T.K. : Au départ, j’étais sceptique à l’égard du mouvement de Maïdan. Au cours des premières semaines, j’avais l’impression qu’il ne s’agissait que d’une mascarade politique destinée à préparer les élections en Ukraine. Mais avec le temps, ce soulèvement est clairement apparu comme une authentique révolution nationale, comme une profonde refondation de la communauté politique et sociale ukrainienne à partir d’une réelle auto-organisation de la société civile.
Les oppositions entre droite et gauche s’effacent désormais devant la nécessité impérieuse d’affronter un problème commun : défendre la vie des gens, l’intégrité territoriale du pays et l’avenir de notre jeune démocratie. Aujourd’hui, des valeurs telles que la liberté politique, l’auto-organisation par la base, les réformes sociales, la possibilité pour le peuple de s’armer, l’alternance du pouvoir appuyée sur un processus électoral, le respect des droits fondamentaux, la conscience de soi du peuple sont au cœur de la lutte menée par l’ensemble des Ukrainiens. Ces principes distinguent radicalement la société ukrainienne unie par un destin historique commun de l’agresseur autoritaire, chauvin et raciste contre lequel nous nous battons.
Trois tendances aux traditions historiques propres, issues de la révolution et de la guerre civile d’il y a un siècle (1917-1922), se retrouvent aujourd’hui organiquement liées en Ukraine : la Makhnovschina, la Petlyurovschina et la Hetmanschina. La Makhnovchtchina puise ses racines dans la tradition anarchiste du peuple ukrainien, qui s’incarne aujourd’hui dans l’auto-organisation dont ce peuple fait preuve, notamment à travers le mouvement des volontaires et la défense territoriale ; la Petlyurovchtchina, c’est l’armée et les associations nationales républicaines ; la Hetmanschtchina, c’est le pouvoir d’État et le monde des affaires. Toutes ces tendances se retrouvent maintenant unies par un même désir de défendre le pays, par un même souci de voir ce pays se développer de façon libre et indépendante. Ce n’est qu’après la guerre que l’on pourra voir ce qu’il se passera vraiment, mais aujourd’hui, on vit une situation unique : tout le monde se tutoie. Cela me rappelle l’Espagne républicaine de 1936. Le président Zelensky rappelle d’ailleurs le président Manuel Asanjo. Donc actuellement, on ne peut en aucune façon parler d’une concurrence ou d’une opposition entre ces différents courants politiques.
Je sers dans une unité créée par des nationalistes, qui est approvisionnée par les autorités municipales et par des volontaires, et qui est financée par des entreprises privées. Nous donnons des cours sur l’anarchisme aux combattants et nous organisons des comités de soldats qui veillent au bien-être des combattants et au respect de leurs droits sans que cela ne pose aucun problème. On peut trouver arme à la main dans une même tranchée un anarchiste, un nationaliste, un euro-optimiste, un simple paysan, un ouvrier ou un informaticien sans opinion politique précise. Tous sont unis par un même désir de protéger leur peuple, et l’indépendance et la liberté de l’Ukraine. Nous sommes tous frères et sœurs, nous sommes le peuple ! C’est le slogan universellement partagé et la seule idéologie qui règne aujourd’hui. La Révolution française de 1789 a créé une nation française, la révolution ukrainienne de 2013-14 et surtout la guerre de 2022 sont en train de créer une nouvelle nation, la nation ukrainienne. Le peuple s’est réveillé. Les 600 années de lutte et de souffrance du peuple ukrainien touchent à leur fin.
Arrontements sur la place Maïdan en février 2014
P.P. : Quelles sont les personnes qui s’engagent ? P
urquoi et dans quel but ? Que peut-on dire du nationalisme en Ukraine, sujet qui passionne certain·es commentateur·trices ici en France ?
T.K. : Il est difficile de dire maintenant ce qui se passera après cette guerre. Quelle que soit son issue, l’Ukraine a déjà gagné. Elle a gagné moralement, spirituellement, politiquement et socialement. Peut-être que des années de maturation, des années de batailles sociales nouvelles et de lutte de classe au sein de la société nous attendent. Des luttes pour la transformation sociale, une série de nouvelles révolutions. Mais tout cela, c’est la guerre d’aujourd’hui qui le rendra possible, cette guerre qui est à la fois une guerre de libération et une guerre sociale. Une guerre entre un empire et une république, entre la loi et le mépris de la loi, entre la vie et la mort, entre la liberté et l’esclavage.
Dans ce contexte, le nationalisme ukrainien s’apparente au nationalisme des Irlandais dans leur lutte contre l’empire britannique. C’est un nationalisme libérateur et créatif. C’est une lutte de libération nationale menée par le peuple. L’influence des groupes radicaux n’est pas aussi importante qu’il n’y paraît de l’extérieur. Cette guerre fait peser sur le peuple ukrainien une menace de génocide. Face au danger que représente cet anéantissement, l’unité s’impose comme nécessaire, même si elle s’estompera avec le temps. Mais c’est l’essence du mouvement qui compte, l’élan de libération qui parcourt l’Ukraine face au racisme social russe qui nous refuse par principe le droit d’exister. Les mots, les bannières et les marqueurs d’identification historiques ne relèvent plus que de l’esthétique ou du symbole. Ils ont depuis longtemps cessé d’avoir les significations que l’on essaie de leur attribuer. Le drapeau rouge et les mots « antifascisme » ont un sens complètement différent aujourd’hui de celui qu’ils avaient il y a un siècle. Alors même que les autorités russes réduisent les villes ukrainiennes en ruines (on peut parler de Guernica du XXIe siècle), elles se préparent à organiser un « congrès international antifasciste ». Est-ce de l’ironie ? Une moquerie ? Ou la réalisation de la brillante prophétie de George Orwell ? Poutine est le Hitler d’aujourd’hui. Il n’y a rien d’autre à dire.
P.P. : Qui est le président Zelenski ? Comment a-t-il accédé au pouvoir ?
T.K. : Zelensky était un comédien et un homme de spectacle très populaire en Ukraine. Son élection à la présidence reflètait le désir du peuple de voir émerger des personnes qui ne soient pas associées à l’ancien establishment politique d’avant-guerre, le désir d’un renouvellement de la classe politique. Le slogan de campagne de Zelensky était « la paix ». De nombreux Ukrainiens avaient placé leurs espoirs en lui car ils étaient fatigués par la guerre qui durait depuis 2014. Zelensky avait promis de trouver une issue à la situation actuelle dans le Donbass et de régler le conflit militaire. En outre, l’équipe de Zelensky s’était engagée à mener des réformes économiques et politiques qui bénéficieraient aux gens ordinaires. Mais ces attentes ont été déçues et le gouvernement de Zelensky, tout comme Zelensky lui-même, ont été sévèrement critiqués par différentes segments de la société. Il est de tradition en Ukraine de constamment et publiquement critiquer toute autorité, plutôt que de la sacraliser.
Au départ, le parti de Zelensky était donc perçu comme le parti de la paix. Mais les accords de Minsk imposés par la Russie se sont révélés impossibles à appliquer, car cela aurait signifié un éternel chantage à la guerre de la part du Kremlin et une dépendance totale de l’Ukraine à la volonté de Poutine. Ces accords prévoyaient en effet la reconnaissance forcée de « républiques » séparatistes au sein de l’Ukraine, lesquelles auraient été entièrement dépendantes des décisions du Kremlin. L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a mis un terme à cette situation ambigüe et a montré que la paix n’était pas une option envisageable pour les Ukrainiens. La Russie ne souhaite en rien collaborer avec un pays partenaire indépendant, elle veut un vassal, un protectorat, un territoire entièrement dépendant. L’invasion a révélé une fois pour toutes au grand jour les véritables intentions de Poutine envers l’Ukraine, des intentions qui datent de bien avant 2014. Alors que le président Zelensky avait jusque-là été un homme politique à l’autorité contestée, otage des circonstances, depuis l’invasion il s’est transformé en un dirigeant fort qui bénéficie du soutien de la quasi-totalité des citoyens.
P.P. : Quelle est la situation au Donbass ? Comment analysez-vous celle-ci, vous qui êtes originaire de la région ?
T.K. : Tout ce qui se passe dans le Donbass depuis 2014 est une opération bien planifiée par le Kremlin. Le développement de sentiments séparatistes au sein de la population de ces régions qui a précédé la création des soi-disant « républiques » a été orchestré de toutes pièces par les services spéciaux russes. Je me souviens de la façon dont tout a commencé : j’ai assisté des mes propres yeux à la mise en scène théâtrale du « référendum populaire » sur l’indépendance du Donbass et j’ai été témoin du nombre réel de personnes y ont participé. Les sentiments pro-russes dans le Donbass en 2014 étaient très limités. La situation a beaucoup évoluée au fil du temps. Selon la propagande russe, le nombre des partisans de la Russie s’est fortement accru, mais cela s’est fait progressivement, par étapes. Au printemps 2014, dans les grandes villes comme Donetsk, les pro-russes étaient en fait des citoyens russes convoyés là en autobus (notamment depuis la région de Rostov, en Russie) pour soutenir les actions pro-russes en se faisant passer pour des locaux. Au même moment se tenaient des rassemblements pro-ukrainiens à Donetsk qui ont réuni un très grand nombre de véritables habitants, comme le montrent de nombreuses photos et vidéos, et comme j’ai pu en être témoin. Des combats de rue entre manifestants pro-ukrainiens et pro-russes ont éclaté au printemps 2014 qui ont provoqués des blessés du côté ukrainien. Les partisans de la Russie étaient activement approvisionnés en armes par des bases spécialement établies à Rostov. Donetsk a été inondée d’agents des services de sécurité russes aux ordres du Kremlin, supervisés en particulier par Sergey Glazyev, un responsable politique de premier plan. C’est alors que les assassinats de militants civils ukrainiens et que la persécution des Ukrainiens ont commencé.
La situation a ensuite radicalement changé lorsque des groupes militants russes se sont mis à arriver à Donetsk et ont fait pression pour créer une milice séparatiste dirigée par le FSB. En été, la situation a dégénéré en hostilités directes avec des unités de l’armée ukrainienne et avec l’emploi de l’artillerie et de l’aviation. Les services de sécurité pro-russes ont effectués des tirs de mortier dans des zones résidentielles en accusant l’armée ukrainienne d’en être responsables. Ces provocations ont permis de susciter le climat souhaité par les occupants.
La troisième étape de la création d’un sentiment pro-russe a consisté en la création de la « République populaire de Donetsk », dont le territoire a été isolé du reste de l’Ukraine. Dans ce régime d’isolement, avec l’aide des médias pro-russes, l’opinion publique a été livrée à la propagande du Kremlin. Dans les institutions, les universités et les établissements scolaires s’est mise à régner une atmosphère de « 1937 » (lorsque les purges staliniennes ont provoqué l’exécution et la déportation vers des camps de travail soviétiques de plusieurs millions d’Ukrainiens).
Actuellement, d’après les informations que j’ai, une partie importante de la population des enclaves séparatistes est favorable à l’Ukraine et n’accepte pas l’état de choses dans les « républiques ». En 2014, Donetsk était une région riche et développée, où le niveau de vie était bien plus élevé que dans de nombreuses autres régions en Ukraine, comme celles autour des villes de Zaporizhzhia ou de Dnipro. Le parti communiste (CPU) avait peu d’influence dans la région de Donetsk. Par exemple, ses partisans n’étaient pas beaucoup plus nombreux que les anarchistes lors des manifestations du 1er mai. Il est donc étrange de parler d’une quelconque nostalgie de l’Union soviétique. Tous ces sentiments ont été artificiellement fabriqués dans le cadre du projet du « Printemps russe ».
P.P. : Comment l’armée ukrainienne a-t-elle évoluée depuis 2014, époque où elle était quasiment inexistante ?
T.K. : En 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée et déclenché la guerre dans le Donbass, l’armée ukrainienne était en effet très faible et insuffisamment mobilisée. Au cours des trente années d’indépendance de l’Ukraine (1991-2014), le gouvernement ukrainien a échoué à réformer l’armée, à la réarmer, à créer une conscience civique élevée chez les militaires et à leur assurer une formation effective à la guerre moderne. Survivance de l’ancienne armée « soviétique », l’armée ukrainienne était davantage une décoration qu’une véritable force armée. Il en va de même pour la marine ukrainienne. En outre, la Russie n’a jamais été considérée comme une menace militaire et il n’y avait aucun plan pour un éventuel conflit militaire. La direction militaire de l’armée ukrainienne était composée pour l’essentiel de personnes à l’esprit plus bureaucratique que militaire, pro-russes et issues d’une « tradition militaire soviétique » qu’ils partageaient avec leurs « collègues » russes. Par conséquent, il y avait très peu d’unités de l’armée ukrainienne en capacité de résister à l’invasion russe en 2014. Peu d’Ukrainiens étaient psychologiquement préparés à tirer sur les Russes. De ce fait, au cours des premières années de la guerre, l’effort de défense a été pour l’essentiel pris en charge par des formations de volontaires ukrainiens, des citoyens à l’esprit patriotique et des unités de partisans, mal équipés et inexpérimentés au combat. Les huit années de guerre (2014-2022) ont vu cette situation changer radicalement. Une armée efficace et bien équipée s’est mise en place, très motivée et dotée d’une vraie expérience du combat. Une force de défense territoriale capable d’être déployée en cas de guerre générale a été créée, avec des centres de formation communautaires tenus par des volontaires où les civils pouvaient recevoir une formation militaire de base. Tout cela a permis d’opposer une résistance efficace aux troupes russes lors de l’invasion en février 2022. L’armée, le peuple en armes et les volontaires civils fonctionnent à présent de façon coordonnée dans tout le pays, ce qui a permis de contrer la tentative de guerre éclair du Kremlin, qui espérait traverser la frontière et s’emparer rapidement des centres les plus importants de l’Ukraine. En outre, la population ukrainienne est bien plus organisée et unie qu’en 2014. L’armée russe n’a été accueilie favorablement par personne, et il n’y a eu aucune tentative par la population civile de former de nouvelles enclaves pro-russes.
P.P. : Cette guerre suscite beaucoup de discussions et de tensions dans le monde militant Occidental. Comment vous positionnez-vous par rapport au débat OTAN vs Russie ?
T.K. : Chez les partisans d’une Ukraine démocratique et républicaine, le désir d’intégrer l’Europe et l’adhésion aux valeurs de la démocratie occidentale ne font aucun doute. S’il faut choisir entre le régime totalitaire de l’empire de Poutine et la démocratie occidentale (tout en restant lucide sur ses défauts), le choix en Ukraine est clairement et irrévocablement en faveur de l’Occident. Face à la perspective d’être écrasé par les ambitions impériales du Kremlin (la Russie ne reconnaît même pas l’existence des Ukrainiens en tant que peuple indépendant), l’idée de devenir un allié de l’OTAN, de l’UE et des États-Unis ne semble pas être une chose bien terrible. Le problème de l’expansion de l’OTAN vers l’Est (même s’il s’agit d’une réalité plutôt que d’un épouvantail ou d’une chimère comme à l’époque de la guerre froide) n’est pas un problème pour l’Ukraine, mais pour la Russie. On peut pas accepter que la Russie résolve ses problèmes géopolitiques par le génocide du peuple ukrainien. Ces questions auraient pu être résolues par la tenue de négociations internationales. Mais maintenant, Poutine a perdu cette opportunité et il n’y a pas d’autre stratégie que la destruction du régime agresseur russe. Il est évident pour tout le monde que la machine militariste russe ne s’arrêtera pas en Ukraine. Après l’Ukraine, la guerre s’étendra aux États baltes et plus loin encore en Europe de l’Est, via la Pologne. Le Kremlin parle d’un espace d’influence allant de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique, donc il ne faut pas se faire d’illusions sur ce qui va se passer ensuite. C’est une répétition de l’histoire avec Hitler et le grand Reich. Le désir de l’Ukraine de s’allier aux démocraties occidentales est donc justifié, il relève de l’évidence. La guerre en Ukraine est une question de survie non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour l’Europe. Si la Russie actuelle se croit autorisée à réagir ainsi pour éviter d’avoir l’OTAN à ses frontières (en admettant un instant que cette rhétorique soit recevable), alors que cette Russie aille au diable !
Une question distincte pour les gauchistes et les anarchistes est de savoir quelle stratégie adopter qui soit en accord avec leurs principes idéologiques. Pour moi, la solution est simple. Tant qu’Hitler existe (personnellement ou collectivement), la gauche doit s’opposer à lui et le combattre, et les ennemis d’Hitler sont nos alliés. Après la défaite d’Hitler s’ouvrira une époque nouvelle où les stratégies de classe locales et internationales auront toute leur place. C’était le cas pendant la Seconde Guerre mondiale, il devrait en être de même aujourd’hui.
D’après moi, la vie publique en Ukraine depuis la révolution de Maïdan est traversée de toutes parts par des tendances que je considère comme plutôt libertaires. Les noms, les couleurs et les formes diffèrent de ceux des forces anarchistes traditionnelles, mais dans leur essence, ces dynamiques s’inscrivent dans les principes de l’anarchisme : électivité et alternance du pouvoir, démocratie directe, auto-organisation et développement de liens horizontaux, armement universel du peuple, spontanéité et sens de l’initiative, capacité des groupes civiques de base à contrôler le gouvernement, information libre et transparente au sein de la société civile et entre les citoyens et le gouvernement. Certes, beaucoup de choses existent à l’état embryonnaire et coexistent avec les institutions bourgeoises et la corruption, mais tout est en évolution et il est en notre pouvoir de poursuivre ce que nous avons commencé depuis Maïdan. Dans la Russie de Poutine, il n’y a rien de tout cela : il s’agit d’un État policier où règne le culte des dictateurs sanguinaires et où le militarisme, le chauvinisme et le racisme sont élevés au rang de religion d’État qui imprègne toutes les couches de la société. De ce point de vue, il n’y a aucune comparaison possible avec la présence ou l’influence de groupes radicaux d’ultra-droite en Ukraine : ces groupes restent très minoritaires dans le pays. Bien sûr, je préférerais que notre guerre se place sous la bannière de Nestor Makhno (fondateur de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, qui, après la révolution d’Octobre et jusqu’en 1921, combat à la fois l’armée tsaristes contre-révolutionnaire et l’armée rouge bolchévique) et non de Stepan Bandera (homme politique et idéologue nationaliste ukrainien qui a collaboré avec l’Allemagne nazie), encore que la figure de Makhno soit assez populaire ici ! Je souhaiterais bien sûr combattre au nom de l’anarchie plutôt que de la Nation, mais il ne s’agit que de symboles et de mots qui ne changent rien à la nature réelle du mouvement qui traverse l’Ukraine. En tout cas, actuellement, à choisir entre : « Vive le Roi » et « Vive la Nation », je choisis sans hésiter la Nation !
[1] En février 2014, des manifestants ont occupé la place de Maïdan (« place de l’indépendance ») et ont obtenu la destitution du président Viktor Ianoukovytch, proche de Moscou, après 5 jours d’affrontements avec la police.
La manière dont les conflits armés sont représentés depuis des décennies dans l’imaginaire occidental, notamment à travers le cinéma, pourrait en partie expliquer le racisme latent qui s’est manifesté dans certains commentaires au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Deux poids, deux mesures. Voilà ce qui frappe lorsqu’on compare le traitement politique et médiatique de la guerre en Ukraine – et plus spécifiquement, mais pas seulement, celui de l’exode massif que ce conflit engendre – au traitement (ou au non-traitement) des multiples crises qui ont touché de manière similaire les pays africains ces dernières décennies.
Pensons, par exemple, aux déclarations de Charlie D’Agata, l’envoyé spécial de la chaîne CBS News, le 25 février : « Ce n’est pas un endroit […] comme l’Irak ou l’Afghanistan […]. Kiev est une ville relativement civilisée », disait-il pour souligner ce que les images tournées en Ukraine avaient de particulièrement choquant. La guerre serait donc « anormale » en Occident, « normale » ailleurs.
Déclarations ahurissantes
Prenons un peu de recul : comment la représentation de la guerre a-t-elle pu jouer sur les imaginaires au point de conduire à des déclarations aussi ahurissantes ?
DANS LA VRAIE VIE, AUCUNE MUSIQUE N’ACCOMPAGNE LES BOMBARDEMENTS OU L’EXODE DES CIVILS
Revenons, par exemple, au discours du président Volodymyr Zelensky devant le Congrès des États-Unis, le 16 mars. J’ai été frappée d’entendre de la musique accompagner les images de destruction de la ville de Kharkiv pour illustrer ce que les civils ukrainiens vivent au quotidien.
Comme si nous avions besoin, pour voir la réalité (l’horreur de la guerre), d’utiliser les codes de la fiction (l’habillage sonore et musical). Comme si nous étions incapables de saisir ce qu’est réellement la guerre quand ce que nous en percevons dans la réalité ne ressemble pas suffisamment à l’image que nous nous en forgeons à travers la fiction.
Dans la vraie vie, aucune musique n’accompagne les bombardements ou l’exode des civils. Pourtant, les images de la guerre nous semblent plus réalistes et plus touchantes quand elles se rapprochent de celles que nous voyons au cinéma ou à la télévision, musique incluse.
Étrange retournement, qui souligne la complexité de l’articulation entre la fiction et la réalité, et son importance dans notre perception des événements.
L’ENNEMI RUSSE MET EN ŒUVRE LE MAL AVEC INTELLIGENCE, L’HOMME AFRICAIN, AVEC SAUVAGERIE
Or non seulement les Occidentaux ne voient pas, ou ne veulent pas voir, les images de la guerre sur le continent africain, mais, en plus, ce qu’ils voient est bien souvent passé au crible de la fiction – souvent, des grosses productions américaines. Dans ces représentations, la guerre « là-bas » est par essence sauvage, barbare, non civilisée, au point qu’elle rendra sauvage, voire fou, le soldat occidental qui y participera.
Celui-ci en reviendra souvent brisé, inapte à la vie en société, c’est-à-dire, justement, à la vie « civilisée ». Autant l’ennemi russe se caractérise par l’intelligence avec laquelle il met en œuvre le Mal (c’était encore le cas récemment dans Black Widow ou dans le dernier James Bond), autant, chez l’homme africain, le Mal se manifeste par sa sauvagerie – par exemple dans Beast of No Nation ou dans La Chute du faucon noir.
Stéréotypes dominants
Et lorsque la guerre est donnée à voir sur le continent européen, c’est un autre ailleurs qui se dessine : celui de l’ « avant », celui du siècle ou des siècles précédents. Les Occidentaux n’ont donc pas construit d’imaginaire de la guerre compatible avec leurs sociétés dites « civilisées » (ça, c’est un autre débat !) actuelles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Emmanuel Macron a utilisé le terme de guerre pour parler de la pandémie de Covid-19 : la guerre, la vraie, semblait inimaginable à l’époque…
Il y a donc un cercle vicieux entre la réalité et la fiction. La fiction reprend des stéréotypes dominants dans la réalité, en l’occurrence racistes. Ce faisant, elle agit en retour sur notre perception de la réalité et donc sur ce qui, réellement, advient (ici, la mobilisation des Occidentaux face à cette tragédie qu’est la guerre). Ce jeu, comme bien d’autres, ce sont les Africains qui en font les frais.
Le président de l'Ukraine est certainement le seul chef d'Etat au monde à avoir doublé l'ours "Paddington" au cinéma avant d'accéder au pouvoir. Il s'adresse aux Parlementaires français ce mercredi 23 mars.
GUERRE EN UKRAINE - Il a remporté en Ukraine “Danse avec les stars” et le voilà aujourd’hui forcé à danser avec le Tsar, Vladimir Poutine. Élu en 2019 à la tête de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky doit faire face à l’invasion de son pays par la Russie depuis le 24 février.
Près d’un mois jour pour jour après le début du conflit, le président ukrainien interviendra ce mercredi 23 mars à 15h en direct par vidéo devant les députés et sénateurs français.
Avant ce rendez-vous avec les parlementaires, le président âgé de 44 ans s’est distingué par son sang-froid et sa capacité à utiliser les réseaux sociaux pour maintenir le lien avec ses concitoyens durant la crise. Il y fait le compte rendu de ses appels téléphoniques avec les chefs d’État du monde entier, en quête de soutiens, ou se filme avec son smartphone dans les rues de Kiev pour appeler la population à résister et prouver qu’il reste dans la capitale, violemment attaquée par les troupes russes.
Un chef d’État, devenu bien malgré lui chef de guerre... et qui ferait presque oublier son étonnante carrière avant la politique. Car avant son élection le 21 avril 2019, Volodymyr Zelensky était un humoriste et comédien très populaire dans son pays, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article.
Producteur, chanteur et danseur
À la fois producteur et présentateur, Volodymyr Zelensky se fait connaître en Ukraine avec sa société de production, Studio Kvartal 95, co-fondée en 2003. Et bien avant de présider aux destinées de son pays, Volodymyr Zelensky s’était distingué dès 2006 par ses pas de danse. Il remporte la toute première édition de la version ukrainienne de “Danse avec les Stars” (“Tantsi z zirkamy”) diffusée sur la chaîne 1+1. Le comédien avait séduit le jury en dansant notamment la salsa et le tango avec la danseuse professionnelle Olena Shoptenko.
En plus de se déhancher à la perfection, Volodymyr Zelensky fait rire le public. C’est notamment le cas dans la comédie Rzhevsky Versus Napoleon en 2012.Il y incarne l’empereur Napoléon Bonaparte qui envahit la Russie au 19e siècle. Alors qu’il a conquis Moscou, les Russes mettent au point un plan surprenant pour le ralentir dans sa progression: un lieutenant déguisé en femme est chargé de séduire l’empereur français. Le tout sur les notes de Et si tu n’existais pas de Joe Dassin. Un film déroutant dans lequel apparaît même Jean-Claude Van Damme.
Fort de ses succès dans les comédies, Volodymyr Zelensky accepte de doubler en ukrainien l’ours Paddington en 2014. Il renouvellera l’expérience en 2017 lors de la sortie du second volet du film à succès.
Un rôle prémonitoire dans Serviteur du peuple
Mais de toutes ses expériences, son rôle dans Serviteur du peuple est incontestablement le plus marquant. De 2015 à 2019, il incarne un professeur d’histoire honnête et naïf qui va devenir président de l’Ukraine. Cette série, dont la première saison est disponible sur Arte.tv, rencontre un véritable succès en Ukraine. Au point de donner des idées à Volodymyr Zelensky.
L’acteur très populaire décide de profiter de la série pour créer un parti politique du même nom et se lance dans la campagne présidentielle à coups de posts sur les réseaux sociaux. Au terme d’une campagne éclair, il triomphe avec plus de 70% au second tour, écrasant au passage le président sortant Petro Porochenko, souffrant d’une popularité en berne.
“Président par accident”
Celui qui hérite de l’étiquette de président ”élu par accident” a dû faire face à plusieurs crises depuis son entrée en fonction. Volodymyr Zelensky s’était rapidement fait connaître du reste du monde après une conversation téléphonique controversée avec Donald Trump qui tentait d’obtenir du néophyte président ukrainien une enquête pour embarrasser son rival, Joe Biden.
En octobre 2021, le nom du président ukrainien était apparu dans le scandale financier des “Pandora Papers” . Les révélations concernaient “des biens immobiliers de luxe au cœur de la capitale britannique, des sociétés qui dissimulent des affaires en Crimée”. Une polémique qui fait tache pour celui qui a été élu avec pour projet de lutter contre les oligarques.
Face à Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky est confronté à une crise d’une tout autre ampleur. Mais celui qui était jadis présenté par ses détracteurs comme une marionnette à la merci des États-Unis est en passe de faire taire les critiques. Dans ce combat de David contre Goliath, beaucoup louent sa capacité à incarner la détermination de son peuple face à la supériorité militaire de Moscou.
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