Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
« La première femme à avoir détourné un avion » est une jeune Palestienne de 25 ans qui avait choisi la lutte armée. Son portrait a fait le tour du monde et « l’Obs » revient sur son parcours à l’occasion d’un dossier spécial sur l’histoire d’Israël et de la Palestine.
Keffieh drapé autour des cheveux, visage penché comme pour se détourner de l’objectif. Sur la photo, Leïla Khaled tient un fusil-mitrailleur AK-47. Sa bague a été fabriquée à partir de la première grenade qu’elle a dégoupillée. Le portrait, devenu emblématique, est celui d’une Palestinienne de 25 ans devenue mondialement célèbre à l’été 1969. Le 29 août, avec un complice, elle prend le contrôle du vol 840 de la TWA à destination de Tel-Aviv. Les deux membres du Front populaire de Libération de la Palestine (FPLP) – une organisation nationaliste d’extrême gauche – détournent l’appareil jusqu’à Damas où ils dynamitent le cockpit, une fois les 116 passagers débarqués sur le tarmac. Celui qu’ils voulaient prendre en otage – Yitzhak Rabin, alors ambassadeur d’Israël à Washington – ne se trouve pas à bord.
L’objectif du commando « Che Guevara » est manqué. Mais c’est un succès médiatique. Les journalistes s’intéressent à la cause palestinienne et à celle qui, par les armes, la rend visible. Née à Haïfa, que le pilote de la TWA a été forcé de survoler, « la première femme à avoir détourné un avion » fait partie de la « génération des camps » : elle et sa famille se sont réfugiées au Liban lors de l’exode palestinien de 1948. A 15 ans, elle a rejoint le Mouvement nationaliste arabe (MNA) aux côtés de ses frères, et a choisi la lutte armée.
Au tournant des années 1970, le recours au terrorisme par des nationalistes palestiniens a deux objectifs : livrer des attaques dans les Territoires occupés, attirer l’attention par des actions spectaculaires. Prises d’otages et détournements d’avion émaillent ainsi la décennie. Le nez et le menton refaits, pour ne pas être reconnue, Leïla Khaled se prêtera d’ailleurs à un autre acte de piraterie. Le 6 septembre 1970, des commandos tentent de détourner quatre avions. Le complice de Leïla Khaled est abattu en vol. Remise aux autorités britanniques, à Londres, où l’avion a atterri, elle est libérée vingt-huit jours plus tard à la faveur d’un échange d’otages.
Elle ne participe pas cependant à l’action la plus marquante de l’été 1976, où une poignée de terroristes détournent un vol Air France reliant Tel-Aviv à Paris, avec plus de 240 passagers, pour le forcer à se poser en Ouganda. Eux réclament la libération de 53 prisonniers palestiniens. Après des jours de négociations, Israël déclenche un raid, conduit par Yonatan Netanyahou (frère aîné de Benyamin), pour libérer la quasi-totalité des otages.
Médiatiser la cause palestinienne
Comme l’écrit l’historien Gilles Ferragu, si le keffieh de Yasser Arafat et le sourire de Leïla Khaled ont pu médiatiser la cause palestinienne, une autre image la dessert, « celle d’un homme cagoulé qui se penche du balcon d’un bâtiment du village olympique ». En 1972, l’organisation Septembre noir, branche dissidente du Fatah, prend en otage et tue des athlètes israéliens pendant les Jeux de Munich. Sidération mondiale devant cette horreur. En représailles, l’armée israélienne bombarde des bases de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en Syrie et au Liban.
Avec les accords d’Oslo en 1993, l’organisation d’Arafat s’engagera à renoncer au terrorisme et à lutter contre lui. Mais le bilan, sur ce point, est ambigu. Leïla Khaled, qui n’a jamais revu Haïfa, a vécu au Liban, en Syrie et en Jordanie, où elle a élevé deux garçons. Elle s’est engagée auprès du Conseil national palestinien. Perçue ici comme une terroriste et là comme une héroïne, elle répète ne pas regretter ses choix
Par Emilie Brouze
·Publié le ww.nouvelobs.com/histoire/20231231.OBS82713/leila-
L’Afrique du Sud a déposé une requête auprès de la Cour internationale de Justice, l’organe de l’ONU censé juger les différends entre États. Pretoria entend ainsi dénoncer et prévenir le caractère « génocidaire » de l’invasion israélienne à Gaza.
avéPavé dans la mare, pour les défenseurs du peuple palestinien, ou pétard mouillé pour les inconditionnels de l’État d’Israël : l’Afrique du Sud a déposé une requête introductive d’instance, assortie d’une demande de mesures conservatoires (l’équivalent d’un référé), devant la Cour internationale de justice (CIJ). Cet organe de l’ONU siège à La Haye et ne doit pas être confondu avec la Cour pénale internationale (CPI), qui statue également dans la cité décisionnelle exécutive et législative des Pays-Bas.
La requête en question vise donc l’État d’Israël et ses possibles manquements à la prévention du crime de génocide, dont apparaissent victimes les Palestiniens coincés et pilonnés dans la bande de Gaza. La saisine de la CIJ est affaire délicate, les compétences de la cour s’avérant limitées du fait de la souveraineté des États, qui ne sont soumis à cette juridiction qu’à partir du moment où ils y ont donné leur consentement – afin, par exemple, de régler un tracé de frontière, terrestre ou maritime, comme entre le Niger et le Burkina Faso (2013), ou entre le Pérou et le Chili (2014).
La Cour peut également être saisie si les États concernés ont signé une clause facultative de juridiction obligatoire : un tiers seulement des pays siégeant à l’Onu l’ont fait. L’URSS, devenue la Russie, n’a jamais signé. Pas plus que la Chine. La France a retiré sa signature pour échapper aux condamnations liées à ses essais nucléaires dans le Pacifique. Les États-Unis se sont extraits sous la présidence de Ronald Reagan, lors du financement des « Contras » au Nicaragua.
Aujourd’hui l’Afrique du Sud, au sujet de la guerre menée par Israël contre le Hamas – devenue guerre contre le peuple palestinien –, a suivi une troisième voie : saisir la Cour à partir d’un traité international comportant une clause de juridiction.
C’est le cas de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, approuvée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948 – dans le sillage de la destruction des juifs d’Europe. Or le crime de génocide, individuel ou collectif, peut et doit être empêché ou réprimé à partir du moment où se révèle l’intentionnalité qui le définit. Le délit international est en effet constitué lorsque certains actes sont commis « dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Les interprétations contradictoires ne manquent pas concernant ce texte. En février 2022, le Kremlin a justifié son invasion de l’Ukraine en raison des prétendues menées génocidaires perpétrées dans le Donbass par le gouvernement de Kyiv. Celui-ci a retourné l’accusation contre son agresseur, ne cessant de documenter un procès qui devrait se tenir à la fin de l’année 2024 devant la CIJ.
En attendant, la paralysie du système international s’est une fois de plus manifestée au grand jour : la Cour, censée rendre des décisions juridiquement contraignantes sans avoir les moyens de les faire appliquer, a ordonné à la Russie de mettre fin à son offensive en Ukraine, dès le mois de mars 2022 ; avec le résultat que nous savons.
L’opinion publique mondiale se montre toutefois sensible à cette façon de dire le droit. Dans une telle optique, la requête du 29 décembre 2023 portée par l’Afrique du Sud affirme que « les actes et omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire dans la mesure où ils s’accompagnent de l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens ».
Comment Israël réagira-t-il ?
Le texte ajoute : « Du fait de son comportement – par le biais de ses organes, agents et d’autres personnes ou entités agissant selon ses instructions, sa direction, son contrôle ou son influence – à l’égard des Palestiniens de Gaza, Israël manque aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention contre le génocide. »
Comment Israël réagira-t-il ? Une requête pour avis consultatif a déjà été déposée cette année à la CIJ sur les « conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est ».
Cette saisine des juges de La Haye découle d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 30 décembre 2022, par 87 États, avec 53 abstentions et 26 votes contre. Les plaidoiries sont prévues le 17 février prochain et la procédure pourrait conduire la Cour internationale de justice à statuer sur la légalité de la présence israélienne dans les territoires en question.
La représentation israélienne à l’ONU s’est opposée en vain à une telle résolution qui, selon elle, « diabolise Israël et exonère les Palestiniens de toute responsabilité dans la situation actuelle ». Le délégué israélien ajoutant que la saisine de l’institution « décimerait toute chance de réconciliation entre Israël et les Palestiniens ». Cet argument spécieux a été repris par Washington, Londres, ou Ottawa – mais non par Paris.
Détruire le mur
En 2004, la CIJ avait rendu un avis consultatif clair et net contre le « mur de séparation » voulu par Israël et qui constitue, selon l’institution onusienne, un élément d’opposition au droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. L’avis recommandait de détruire le mur, de rembourser les dégâts et d’interdire aux entreprises de poursuivre la construction. L’avis n’a pas été suivi d’effet mais Israël avait mal supporté une telle mise en évidence de sa politique systématique.
Depuis, selon un observateur attentif de la Cour, celle-ci aurait perdu ses juges internationaux les plus sagaces et tranchants (ils sont au nombre de quinze élus pour neuf ans), remplacés en majorité par des diplomates au rencart – experts dans l’art de couper les cheveux en quatre et animés du désir de ne froisser personne.
Cette fois-ci, Israël pourrait ne pas s’en tirer par le simple mépris, en contestant la compétence de la CIJ, qui rendra publique la procédure une fois terminée. Pratiquer la politique de la chaise vide – et donc ne pas se défendre sur le terrain de la preuve face à une accusation de génocide –, serait une énorme bévue. Mais le gouvernement Nétanyahou n’en serait pas à sa première faute.
Il vient de rejeter « avec dégoût » les assertions de l’Afrique du Sud par la voix de Lior Haiat, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères. Celui-ci a qualifié la requête devant le tribunal onusien de « diffamation sans fondement légal », tout en assurant que son pays « respecte le droit international dans sa guerre contre le Hamas à Gaza ».
Un long et tortueux chemin demeure, pour que la raison du plus fort n’ait plus le premier ni le dernier mot. Et pour que ceux qui nous gouvernent soient eux-mêmes gouvernés par des lois. Néanmoins, la requête portée par Pretoria auprès de la CIJ laissera des traces, qui ne pourront que contrarier ceux qui tablent sur leur effacement...
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Addendum du 31 décembre à 14h30
En réaction à l'accusation de génocide portée devant la CIJ par l'Afrique du Sud, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a déclaré lors d'une réunion de son gouvernement, ce dimanche 31 décembre : « Nous continuerons notre guerre défensive, dont la justice et la moralité sont sans équivalent. » L’armée « fait tout pour éviter de blesser des civils, alors que le Hamas fait tout pour leur nuire et les utilise comme boucliers humains », a ajouté le premier ministre. Selon lui, les forces de l’État d'Israël agissent « de la manière la plus morale possible » dans la bande de Gaza.
Je crois en l’homme, cette ordure. Je crois en l’homme, ce fumier, Ce sable mouvant, cette eau morte. Je crois en l’homme, ce tordu, Cette vessie de vanité. Je crois en l’homme, cette pommade, Ce grelot, cette plume au vent, Ce boute feu, ce fouille-merde. Je crois en l’homme, ce lèche-sang.
Malgré tout ce qu’il a pu faire De mortel et d’irréparable. Je crois en lui Pour la sureté de sa main, Pour son goût de la liberté, Pour le jeu de sa fantaisie
Pour son vertige devant l’étoile. Je crois en lui Pour le sel de son amitié, Pour l’eau de ses yeux, pour son rire, Pour son élan et ses faiblesses.
Je crois à tout jamais en lui Pour une main qui s’est tendue. Pour un regard qui s’est offert. Et puis surtout et avant tout
L’écrivain franco-libanais partage son regard sur l’actualité récente qui touche à la fois le Proche-Orient et la France, le pays où il a grandi. Il invite à davantage de cohésion et d’ouverture sur l’« autre », qu’il soit palestinien, immigré, ou défenseur des droits des femmes.
Ses origines palestiniennes lui sont revenues au visage « plus tard », et la nouvelle phase du conflit faisant rage au Proche-Orient y a largement contribué. Dans ses romans, Jadd Hilal-Giuliani, écrivain franco-libanais installé à Paris, en était jusqu’ici resté à des trajectoires de vie, comme dans Des ailes au loin (Elyzad, 2018), où il narre avec brio les conséquences de la guerre d’occupation en Palestine, la « Nakba », l’exil forcé et le « deuil de la terre », jusqu’à l’accueil dans les pays européens ; tout en décrivant avec subtilité toute la complexité d’être femme dans un monde à la fois violent et sexiste.
Et puis, il y a eu l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre. La réplique sanglante orchestrée par Benyamin Nétanyahou. Les bombardements incessants sur Gaza, le phosphore blanc. Le déplacement forcé de près de deux millions d’habitant·es privés de maison, de soins, d’anesthésie, d’eau, de nourriture. Et le silence du reste du monde, en particulier des États-Unis, qui refuse de condamner expressément ce bain de sang et persiste à apporter son soutien à un État meurtrier, assoiffé de vengeance, supposé être « démocratique ». « Je ne vois pas d’autre solution que l’exil », confie l’auteur du Caprice de vivre (Elyzad, 2023), qui relève une « impasse politique ».
À 36 ans, il suit l’horreur depuis la France, où il est né et a grandi, et où il développe un engagement croissant depuis « l’avènement de Macron », la réforme des retraites, la loi immigration qui jette une lumière crue sur notre conception des « étrangers » et nos représentations du monde africain, ou « l’affaire Depardieu » et le soutien affiché du chef de l’État à un « monstre sacré du cinéma », trahissant la « grande cause du quinquennat ». Comment s’accrocher à la vie, à l’espoir, dans un tel contexte ? Il faut « trouver un canal », parler, se trouver « un commun », répond l’écrivain, également professeur de philosophie et de littérature dans un lycée en banlieue parisienne.
Mediapart : Le monde fait face à deux grandes guerres, l’extrême droite gagne du terrain çà et là, l’immigration en France a fait l’objet de discours haineux et stigmatisants ces derniers mois… Comment allez-vous, dans ce contexte ?
Jadd Hilal-Giuliani : Je réapprends à respirer. Ce qui se produit depuis trois mois en Palestine – enfin, c’est le résultat de décennies d’injustices accumulées – m’a beaucoup atteint. En France, l’avènement de Macron et ses politiques ont suscité un engagement grandissant chez moi, par des formes variables, comme le fait d’aller en manif en tant qu’étudiant, puis en tant qu’enseignant. Cet engagement s’est ensuite concrétisé par l’écriture. Mais je pense qu’il y a des temps d’engagement, et des temps de souffle. Il faut donc arriver, à un moment donné, à s’extraire pour pouvoir replonger. C’est ce qu’on apprend à faire plus ou moins bien.
Vous êtes franco-libanais, d’origine palestinienne, et vous avez raconté dans « Des ailes au loin » combien les douleurs de la guerre d’occupation et de l’exil pouvaient être un arrachement. Comment vivez-vous cette nouvelle phase du conflit au Proche-Orient ?
Depuis ce qui s’est produit le 7 octobre, j’ai pleinement assumé mon engagement, par l’écriture, à défendre les injustices causées aux Palestiniens. Je le faisais peu précédemment, et pour plusieurs raisons. Ma grand-mère a fui pendant la Nakba, et notre solution, pour gérer cette horreur du départ forcé, a été l’effacement total de ce qui s’est produit avant. J’ai grandi dans un contexte où la référence à la Palestine était donc très occasionnelle. Je voyais des images à la télé, j’entendais un soupir ou une colère chez mes proches, mais je les ai décryptés plus tard. Ce n’est que récemment que les choses sont devenues plus explicites.
J’ai dîné il y a peu avec ma mère. Elle est née l’année de la Nakba et a toujours cru à la solution à deux États. Elle y croit toujours. Nous n’étions pas d’accord car je ne vois pas d’autre solution que l’exil. Il y a selon moi une impasse politique : un gouvernement totalitaire fonde sa politique sur le principe de vengeance aveugle. C’est consternant, c’est une gifle au droit international. Le combat de Nétanyahou est vain. « Quand on tue un homme, tous ses enfants racontent son histoire. » Plus on tue à Gaza, plus on donne de la place à la Palestine. Un enfant qui voit ses parents mourir, c’est du pain bénit pour le Hamas. Et sur le plan symbolique, c’est l’Histoire qui s’en souviendra. Il y a un devoir des artistes à raconter, parce qu’il va falloir donner voix à tout cela après. La seule manière que j’ai à me consoler du deuil de la terre, c’est d’écrire. Je suis conscient que c’est un privilège énorme, parce qu’il faut être en sécurité, ailleurs.
La population gazaouie se fait massacrer sans que le reste du monde, et en particulier les États-Unis, dont beaucoup disent que ce sont les seuls à pouvoir y mettre un coup d’arrêt, ne réagisse vraiment. Comment interprétez-vous cette forme d’impunité dont bénéficie Israël ?
Je l’interpréterais au regard du droit international. Ce qui se produit est un rideau tombé devant ce qu’il caractérise aujourd’hui. C’est une notion non restrictive, absolument pas pensée à l’échelle internationale : il n’y a aucune sanction, aucun tribunal qui ait une force de frappe suffisante pour empêcher des pays d’agir comme ils le font. Le droit international est aussi corroboré aux Nations unies, qui ont un rôle beaucoup moins important, avec un budget dépendant fortement des États-Unis, un Conseil de sécurité qui comporte un droit de veto, et se constitue des États-Unis et de la Russie. L’échec est inévitable dans le dispositif lui-même, les intérêts de ces deux pays étant totalement opposés dans la région. Il est incroyable de considérer que les Nations unies ont la possibilité de régler ce conflit.
Ce qui se produit là en Palestine est une catastrophe. Mais le gouvernement israélien bafoue les droits internationaux depuis des années, sans aucune conséquence. C’est aussi cela que je trouve spectaculaire dans le traitement médiatique du 7 octobre. Quand on donne pour origine du conflit le 7 octobre, on passe à côté du point central, à savoir qu’il n’y a pas de droits dans cette région. Il est cynique de dire que cette attaque est venue de nulle part : il y a eu des marches pacifiques, des discours devant les Nations unies, des manifestations… Quand on est tous les jours dans une prison à ciel ouvert, une zone de non-droit, qu’on ne peut pas fuir faute de visa, qu’on ne peut pas travailler ; à un moment, on joue avec les cartes qu’on a. Le Hamas a fait quelque chose de terrible, mais s’en étonner, c’est ignorer ce qui se produit depuis des années.
Les discussions en France ont vite été stériles, avec une obsession à contraindre certains à se désolidariser de l’attaquedu Hamas du 7 octobre ou à la qualifier de terrorisme. Comment percevez-vous le niveau du débat ?
Le traitement médiatique a été atroce. C’est une des raisons pour lesquelles la respiration m’a parue nécessaire. Il y a eu le dégoût du 7 octobre, de ce que ça a entraîné, et le dégoût de la manière dont ça a été vu en France. Il y a eu un biais spectaculaire dans les médias français. Jusqu’à mi-novembre, on était toujours en boucle sur le massacre du 7 octobre. On ne parlait que de ça sur les plateaux télé, avec l’idée qu’il fallait condamner. Dans le même temps, le gouvernement d’Israël bombardait des enfants, des femmes, des hommes, utilisait du phosphore blanc, bloquait et déplaçait des populations illégalement.
Et pourtant, on ne parlait pas de génocide. Je sais que le droit a besoin de temps, mais j’emploie les termes de génocide et de nakba. Toutes les conditions sont réunies pour user de ces termes selon moi. Et surtout, il y avait toujours une amorce nécessaire visant à condamner le Hamas pour pouvoir être entendu. De l’autre côté, on a vu l’ouverture médiatique à des journalistes ou éditorialistes islamophobes. Un effort de prudence était demandé dans un sens, pas dans l’autre. Enfin, même si on en arrivait à cette atrocité intellectuelle qu’on puisse faire justice en tuant autant qu’on a subi de pertes, le rapport ne se vaut pas. On n’est plus du tout sur la même échelle.
Quelles sont les voix qui se sont élevées pour dénoncer ce carnage ?
Je n’en ai pas entendu beaucoup. En tout cas, pas de personnes ayant un audimat permettant de faire la différence. J’ai apprécié les propos de Dominique de Villepin ou d’Alain Gresh. Dans la sphère artistique, il y a eu la voix de Karim Kattan.
Le conflit a engendré à ce jour le déplacement de près de deux millions de personnes. Serions-nous prêts à accueillir les Palestiniens comme nous avons accueilli les Ukrainiens si la situation le nécessitait dans les prochains mois ?
Les enjeux ne sont pas les mêmes. Sur un plan géopolitique et économique, la France et les pays occidentaux sont plutôt alignés sur les positions américaines. Cela a pu avoir des conséquences terribles au Moyen-Orient, comme en Syrie ou en Irak. Les Américains sont aussi derrière Israël, je serais donc très étonné que les Palestiniens bénéficient du même accueil que les Ukrainiens.
L’accueil des Syriens en Europe, et notamment en France, a par exemple été très limité. Avec la dérive actuelle qu’on observe en France, la tendance à l’extrême droite de la sphère politique, et la loi anti-immigration votée il y a peu, il serait mystérieux et paradoxal que, tout à coup, on accueille les Palestiniens en nombre.
Les migrations, dont vous racontez les contours dans « Des ailes au loin », crispent en effet à la fois en Europe et en France. Quel regard portez-vous sur la loi immigration votée le 19 décembre ?
Elle s’inscrit dans un contexte général de nationalisme, à la fois européen et français. Il y a un repli sur soi lié à des conditions économiques, mais aussi à beaucoup d’ignorance. Considérer que l’immigration est contrôlable, que les migrants volent notre travail ou que la France pourrait exister sans immigrés, c’est une triple aberration. C’est le résultat d’une hypocrisie énorme. Le Caprice de vivre soulève ce discours de droite et d’extrême droite, qui laisse entendre que les gens ne veulent pas s’intégrer. Nous sommes un État républicain, notre Constitution s’appuie sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, nous traitons de manière indifférenciée les citoyens…
Mais tout ceci reste au stade de l’aspiration. Les personnes racisées n’ont pas les mêmes droits, mais cette dichotomie autorise la droite et l’extrême droite à dire qu’il n’y a pas de racisme, et que si les habitants des cités ont des difficultés, c’est parce qu’ils ne veulent pas s’intégrer. Dans le même temps, ces mêmes personnes se rendent bien compte qu’elles ne sont pas associées à la société. On gagne le débat en France en renversant la cause et la conséquence. C’est de la mauvaise foi. La France n’intègre pas. Cette loi sur l’immigration, c’est l’aveu de ça. C’est le passage à l’explicite. Et c’est aussi un alignement avec l’extrême droite pour des raisons électorales.
Il y a un rejet généralisé du monde arabe en France qui se produit de façon très intense, depuis les attentats du World Trade Center, et qui trouve en fait ses sources dans le « bruit et l’odeur » de Chirac, le « Kärcher » de Sarkozy, et même avant dans les ratonnades. C’est un phénomène extrêmement grave, qui prend des formes difficiles à maîtriser. Et il y a une responsabilité des artistes, parce qu’on se doit de raconter les personnes issues de l’immigration autrement.
Beaucoup disent que cette nouvelle loi est « raciste ». Quelle image la France renvoie-t-elle aux principaux concernés, mais aussi aux enfants issus de l’immigration ?
Elle renvoie l’image de la vérité. La France est raciste depuis des années, et cette loi accentue cela. Quand mon cousin a fui la Syrie, ou quand ma mère est arrivée en France, ils avaient comme beaucoup l’image du pays des droits de l’homme, de l’amour, de la tolérance, des Lumières. J’ai fait ma thèse sur le siècle des Lumières, et on se rend vite compte que c’est une vitrine.
Depuis des années, la France est raciste et bafoue des droits sur bien des aspects, comme la littérature, la géographie… J’enseigne dans un lycée de périphérie parisienne, et je compte peut-être un élève n’ayant pas un nom à consonance africaine. Je suis sûr que dans les établissements du VIIe arrondissement, le rapport est inversé. Sans parler de l’interprétation de la loi sur la laïcité ou du passé colonial français. La moindre des choses, c’est de donner des droits à ces personnes qui rejoignent notre sol en partie à cause de nous. Comment peut-on en arriver à une amnésie hystérique telle et considérer qu’on ne leur doit rien ?
Dans le contexte de la loi immigration, Emmanuel Macron a choisi d’apporter son soutien à Gérard Depardieu, accusé par plusieurs femmes de viol et d’agressions sexuelles. Une tribune de soutien à l’acteur, rédigée par une cinquantaine d’artistes, a suivi et a choqué celles et ceux qui luttent contre les violences faites aux femmes. Si la France est « raciste », peut-on dire qu’elle est aussi sexiste ?
Toutes ces questions sont étroitement liées, car c’est une question de représentations. Celles que l’on peut avoir des pays arabes en France, qui sont très vendeuses. Celles que l’on peut avoir de la France elle-même, avec l’impression que ces problématiques n’existent qu’ailleurs et ne nous concernent pas. Quand une loi comme celle-ci est votée, ou quand une affaire Depardieu éclate, on est ramené à notre propre réalité. Cela tire le rideau sur ce qu’est la France, un pays aussi arriéré que ceux qu’elle décrit parfois comme étant rétrogrades. C’est vrai sur le plan politique, mais aussi artistique, parce que cela se joue à l’échelle de la société.
Que le chef de l’État soutienne Depardieu est d’une hypocrisie folle. Cela montre un alignement international du sexisme, parce qu’aucun pays n’est préservé, y compris ceux qui se targuent de progressisme. C’est aussi un coup de com’ de Macron, qui défend presque un produit AOC. Depardieu est un produit international incroyable, c’est donc un réflexe relevant du capitalisme. C’est tellement français de vouloir glorifier un « monstre sacré du cinéma ». Il n’y a pas de monstre, il n’y a pas de sacre. C’est un acteur, point. Un acteur qui évolue dans un milieu économique, qui a fait des films, et se retrouve accusé de violences sexuelles. Il doit être jugé, voilà tout.
Que reste-t-il pour nous permettre de nous raccrocher à la vie, de garder espoir ?
J’ai le sentiment que l’une des manières de gérer le mal-être a été pour moi de considérer l’écriture comme un canal. Je pense que chacun doit trouver le sien. Pour les Palestiniens, cela peut passer par la transmission, l’écoute, la cuisine, la musique… Il faut aussi sortir d’un certain discours politique très chiffré et idiot, avoir des récits de vie, parce que c’est ainsi que les histoires se transmettent et restent.
Des ailes au loin est né d’une phrase de ma grand-mère sur la Palestine, qui disait « Je suis partie, mais je suis restée ». Je suis né en France et je n’avais jamais trop compris ce qui se produisait là-bas. Mais à partir de là, j’ai commencé à comprendre et à trouver mon canal. Grâce à elle, on en a parlé en famille, ça a apaisé beaucoup de tensions. Une manière d’espérer est de continuer à se sentir ensemble. Pour les Palestiniens, les femmes, les hommes solidaires des femmes, les étrangers. Créer une communauté, ce qui ne veut pas dire que tout le monde est de la même confession ou de la même origine, mais qu’il y a un commun. C’est précieux de retrouver cela, parfois.
Les attaques israéliennes contre les hôpitaux de la bande de Gaza étaient préméditées et fondées sur la base d’accusations mensongères de leur utilisation militaire par le Hamas. Ce sont les conclusions d’une longue enquête menée par le Washington Post sur l’assaut contre l’hôpital Al Shifa.
La préméditation est apparente puisque, avant même le début de l’opération terrestre, l’armée israélienne s’est mise à communiquer sur des cibles potentielles situées sous des hôpitaux.
Le 17 octobre, l’hôpital Al Ahli avait déjà été bombardé, faisant 500 morts, selon le Hamas. Le 27 octobre, jour du début de l’incursion terrestre, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a présenté ce qu’il a appelé des « preuves concrètes » que cinq bâtiments hospitaliers étaient directement impliqués dans les activités du Hamas. Les tunnels qui abritent les combattants palestiniens étaient directement accessibles à partir des bâtiments hospitaliers, a-t-il prétendu.
Après avoir pris d’assaut le complexe hospitalier Al Shifa, le plus grand de la bande de Gaza, le 15 novembre, l’armée israélienne a publié une série de photographies et de vidéos prouvant soi-disant ses accusations.
« Mais les preuves présentées par le gouvernement israélien sont loin de démontrer que le Hamas avait utilisé l’hôpital comme centre de commandement et de contrôle», conclut le journal américain après avoir visualisé les images open source disponibles, des images satellite et de tous les documents rendus publics par l’armée israélienne.
Les analyses effectuées par le Washington Post, dont l’enquête a été publiée le 21 décembre, font ressortir, en effet, que les pièces reliées au réseau de tunnels « ne montraient aucune preuve immédiate d’une utilisation militaire par le Hamas », qu’aucun des cinq bâtiments hospitaliers identifiés par le porte-parole de l’armée « ne semblait connecté au réseau de tunnels » et qu’il « n’existe aucune preuve que les tunnels soient accessibles depuis l’intérieur des salles d’hôpital ».
« Les pièces nues, carrelées de blanc, ne présentaient aucune trace immédiate d’utilisation – à des fins de commandement et de contrôle ou autre. Il n’y a aucun signe d’habitation récente, y compris des détritus, des contenants de nourriture, des vêtements ou d’autres objets personnels », a conclu l’équipe du Washington Post qui a analysé les images et vidéos diffusées par l’armée israélienne.
Attaque contre l’hôpital Al Shifa à Gaza : les gros mensonges d’Israël démentis
Même chez certains responsables américains qui ont pourtant soutenu Israël dans ses allégations, le doute commence à s’installer.
« Avant, j’étais convaincu que Al Shifa était le lieu où se déroulaient ces opérations. Mais maintenant, je pense qu’ils devraient présenter plus de preuves », a déclaré un haut membre du Congrès sous couvert d’anonymat, cité par le même journal.
Le Washington Post fait remarquer que le ciblage par un allié des États-Unis d’un complexe abritant des centaines de patients malades et mourants ainsi que des milliers de personnes déplacées n’a pas de précédent.
L’assaut israélien a provoqué l’effondrement du fonctionnement de l’hôpital où le carburant s’est épuisé, les fournitures n’ont pas pu entrer et les ambulances n’ont pas pu récupérer les blessés dans les rues.
Le journal rappelle que juste avant l’entrée des soldats israéliens, les médecins d’Al Shifa ont creusé une fosse commune pour y enterrer 180 personnes, selon les Nations unies, et la morgue ne fonctionnait plus depuis longtemps.
Toujours selon l’ONU, au moins 40 patients, dont quatre bébés prématurés, sont morts dans les jours qui ont précédé et suivi le raid. Les médecins de l’OMS, arrivés quelques jours après l’assaut, ont décrit l’hôpital comme étant une « zone de mort ».
Au moins deux bébés prématurés sont morts le 11 novembre lorsque l’hôpital est tombé à court d’électricité et plusieurs dizaines de patients supplémentaires sont décédés aux soins intensifs au cours des jours suivants, ont rapporté les médecins.
En dépit de ces horreurs et des enquêtes réalisées par de grands médias occidentaux prouvant qu’Israël a menti, aucun gouvernement soutenant Israël n’a condamné la destruction de cet hôpital. Au contraire, à chaque fois, ils réitèrent le droit de l’État hébreu de se défendre.
L’attaque contre l’hôpital Al Shifa a commencé début novembre. Ghassan Abu Sitta, un chirurgien palestinien britannique travaillant à l’hôpital au premier jour de l’attaque, a témoigné que « le bâtiment tremblait si violemment » à cause de l’intensité des bombardements.
Cela, au moment où des milliers de civils terrifiés étaient coincés à l’intérieur alors que les Israéliens isolaient l’enceinte du monde extérieur.
L’armée israélienne ne s’est pas arrêtée à ce crime, mais a systématisé ses agressions contre les enceintes hospitalières de Gaza, rendant difficile, voire impossible la prise en charge des victimes civiles des bombardements. Au 15 novembre, la moitié des infrastructures sanitaires du bord de la bande de Gaza était déjà endommagée.
La mise hors service du complexe Al Shifa a compliqué la situation étant donné qu’il est l’hôpital « le plus avancé et le mieux équipé de Gaza ». Après le début de la guerre, il est devenu « le cœur battant du système de santé défaillant de l’enclave, ainsi qu’un lieu de refuge pour des dizaines de milliers de Gazaouis déplacés », écrit le Washington Post.
Depuis le début de l’offensive israélienne, des familles ayant des liens avec la France et vivant dans la bande de Gaza demandent leur évacuation au Quai d’Orsay. Certaines l’obtiennent, mais doivent abandonner une partie de leur famille.
neUne mère ou un père peuvent-ils accepter d’être évacués en laissant certains de leurs enfants, seuls, à Gaza ? La situation est difficilement concevable. Pourtant, c’est bien à ce crueldispositif que le ministère des affaires étrangères a confronté plusieurs Palestiniens.
Ainsi que le prévoit le dispositif mis en place depuis le début des bombardements, plusieurs familles de ressortissants français ou palestiniens travaillant pour l’Institut français de Gaza demandent leur évacuation. Le consulat général de Jérusalem dresse une liste des personnes devant rejoindre le territoire français, liste soumise également aux autorités israéliennes et égyptiennes.
Alors que le Quai d’Orsay vient de faire un communiqué pour annoncer l’accueil de deux enfants palestiniens blessés, le 28 décembre, il a en revanche refusé de répondre aux questions que nous lui avons posées sur les incohérences de la politique des évacuations et leurs conséquences.
Comme nous l’avions révélé, Ahmed Abu Shamla, agent du quai d’Orsay depuis plus de vingt ans, avait demandé à être rapatrié avec ses enfants, mais quatre de ses fils n’y avaient pas été autorisés par le Quai d’Orsay. Tandis que sa femme et ses autres enfants ont pu rejoindre la France en novembre, Ahmed a donc fait le choix de rester auprès de ses quatre fils et, malgré ses appels à l’aide, il n’a pu être évacué. Il est mort sous les bombardements, le 16 décembre.
Quinze jours après son décès et la publication de notre enquête, le 29 décembre, le Quai d’Orsay a annoncé, auprès de Mediapart, que ses fils viennent de quitter la bande de Gaza, finalement autorisés à rentrer en France. Une procédure tardive qui a coûté la vie à un agent.
Mais Ahmed n’est pas un cas isolé.
Amine, autorisé à partir mais sans sa fille ni son fils
Depuis le début du conflit, Amine*, 49 ans, demande à être rapatrié en France, où il a vécu avec sa famille pendant plus de dix ans. Trois de ses six enfants ont la nationalité française. Installé depuis 2012 dans le nord de Gaza, après la destruction de son quartier, il se réfugie avec sa famille dans une école à Jabalia. Dès le 13 octobre, il sollicite la cellule de crise du consulat général à Jérusalem, afin d’être évacué et en attendant de pouvoir recevoir les médicaments pour sa fille diabétique.
Deux semaines plus tard, les services consulaires l’informent que sa famille figure sur la liste des personnes autorisées à quitter Gaza. Du moins, une partie. Car ses deux plus jeunes enfants, âgés de 8 et 3 ans, son fils de 21 ans de nationalité française et sa fille aînée n’y figurent pas.
Pensant à une erreur, il renouvelle sa demande et transmet l’ensemble des documents attestant de l’identité et du lien de filiation de chacun des membres de sa famille. Le 17 novembre, il appelle à l’aide le consulat, une proche parente venant d’être tuée par un obus tombé sur l’école. Espérant être évacuée, toute la famille part alors vers le sud de la bande de Gaza. Quelques jours plus tard, le consulat acte bien le renouvellement de sa demande pour l’ensemble de sa famille, tout en précisant qu’il n’est pas maître de la décision des autorités israéliennes.
Sans plus de nouvelle, Amine adresse le 3 décembre un courrier à la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna. « Je ne me vois pas abandonner dans ce conflit la moitié de mes enfants », explique-t-il à la ministre.
Lui qui a vécu « plus de dix ans » en France y détaille son parcours. Après un master à l’Institut national polytechnique et à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble ainsi qu’un doctorat, il a fondé une société qu’il a gérée de 2008 à 2012, avant de retourner s’installer à Gaza « pour exercer le métier d’enseignant-chercheur en management supérieur ».
Il rappelle à la ministre que les services consulaires français lui ont proposé de « laisser [s]es deux jeunes enfants mineurs dont un en bas âge » ainsi que son fils français de 21 ans et sa fille de 23 ans, qui tous deux « ont vécu plus de la moitié de leur vie en France ». À ce jour, il n’a toujours pas reçu de réponse.
Le 13 décembre, c’est au tour d’avocats ayant formé un collectif pour venir en aide aux familles françaises et palestiniennes éligibles aux évacuations de soutenir la demande d’Amine et de solliciter le Quai d’Orsay, dont la réponse est quasi-automatique : « Les services compétents ne manqueront pas d’apporter avec diligence toute l’attention requise à votre démarche. »
Le 22 décembre, plus de deux mois après sa première demande, Amine reçoit à nouveau la proposition des services consulaires : ils l’invitent à quitter Gaza. Cette fois, ses enfants mineurs y sont également autorisés mais ni sa fille de 23 ans ni son fils de 21 ans, qui a la nationalité française, n’y figurent. À la suite de cette terrible nouvelle, Amine a fait part de son désespoir auprès d’un ami. Il lui explique avoir demandé aux autorités françaises de « rapatrier [sa] fille à [sa] place ». « Je reste avec mon fils, ici à Gaza. »
Youssef part seul en France sans ses parents
Autre situation kafkaïenne, celle de Hani*, 47 ans, qui travaille depuis treize ans à l’Institut français avec l’un de ses enfants, Youssef*, 24 ans, également employé depuis cinq ans. À la suite de sa demande d’évacuation faite pour son épouse, ses quatre enfants, dont le plus jeune a 11 ans, ainsi que ses deux petits-enfants, âgés de 5 et 3 ans (enfants de l’une de ses filles), il reçoit, le 20 novembre, une réponse des autorités, qui l’invitent à rejoindre la frontière.Mais seuls ses enfants sont autorisés à rejoindre la France. Ni lui, ni son épouse, ni ses petits-enfants ne le sont.
Sa fille refusant de quitter Gaza sans ses enfants,seul son fils Youssef part. Depuis, il demande que sa famille puisse être évacuée. Le 21 décembre, la dernière réponse du Quai d’Orsay lui assure, comme pour Amine, que le ministère va « apporter toute l’attention requise à [s]a démarche ».
Le documentariste Iyad Alasttal désormais seul à Gaza
Également réfugié aux côtés d’Ahmed Abu Shamla dans la maison qui a été bombardée, le cinéaste Iyad Alasttal, qui avait témoigné en octobre auprès de Mediapart. Auteur de plusieurs documentaires sur le quotidien des Gazaoui·es, il vivait dans le sud de la bande de Gaza, à Khan Younès avant de rejoindre Rafah, au sud de la bande de Gaza.
Travaillant depuis trois ans pour l’Institut français et détenteur d’un visa valable jusqu’en 2025, le documentariste a demandé son évacuation avec sa femme et ses trois enfants. Là encore, la famille a dû se séparer, Iyad n’étant pas sur la liste des rapatriés.
Il n’y a aucune obligation absolue pour le ministère des affaires étrangères de rapatrier des Palestiniens qui travaillent pour l’Institut français, mais en revanche le devoir de protéger ceux qui ont servi l’État français. Raison pour laquelle, avec les ressortissants français, ils font partie des personnes éligibles aux évacuations.
Nour, 73 ans, absente des listes, meurt dans un bombardement
Alors qu’il travaille depuis près de dix-huit ans pour l’Institut français, Sharif*, 35 ans, a demandé à être évacué avec ses deux enfants, son épouse et sa mère, Nour*, âgée de 73 ans. À son grand étonnement, ni sa mère ni lui n’y ont été autorisés. Le 23 novembre, il a donc laissé partir son épouse et ses enfants en France, restant quant à lui avec sa mère dans le sud de Gaza.
Le 4 décembre, par l’intermédiaire de son avocat, la famille renouvelle sa demande auprès de la cellule de crise du consulat général de Jérusalem. Le défenseur évoque sa crainte que la famille soit « la cible d’un bombardement ».
Quelques jours plus tard, le 13 décembre, la mère de Sharif perd la vie. La maison dans laquelle ils s’étaient réfugiésavec plusieurs autres agents administratifs de l’Institut français, parmi lesquels Ahmed Abu Shamla, a été prise pour cible par l’armée israélienne. Comme Ahmed, Nour n’a pas survécu à ses blessures.
Le ministère de l’intérieur n’a pas accepté de répondre à nos questions. Quant au Quai d’Orsay, il précise que « depuis le 1er novembre, 168 personnes ont été évacuées de la bande de Gaza » et déclare : « Nous nous réjouissons de la sortie le 28 décembre des quatre fils de notre collègue décédé [Ahmed Abu Shamla]. »
En revanche,le ministère des affaires étrangères a refusé d’expliquer les raisons pour lesquelles ceux-ci n’avaient pas été évacués avec l’ensemble de leur famille, obligeant leur père à rester auprès d’eux à Gaza.
Concernant les autres situations problématiques, là encore, le Quai d’Orsay n’a pas voulu répondre.
« Il y a bien sûr des échanges avec le ministère de l’intérieur sur les demandes faites de rapatriement, assure une source à la Place Beauvau. Mais aucune précision ne sera donnée sur ce sujet et c’est le quai d’Orsay qui gère ces évacuations. »
Un ancien fonctionnaire du Quai d’Orsay explique, auprès de Mediapart, que « plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Il peut y avoir des suspicions à l’égard de certains Palestiniens proches du Hamas et il faut prendre en compte l’intervention des autorités israéliennes. Mais le Quai d’Orsay ne peut pas se décharger en sous-entendant que les autorisations dépendent uniquement des autorités israéliennes ».
Outre une « certaine désorganisation » au sein du ministère, ce spécialiste du Proche et Moyen-Orient y voit surtout « un caractère politique ». « Ça en dit long sur le regard que l’on porte sur les Palestiniens. » Il y a « une certaine réticence ou une certaine mauvaise volonté », ironise-t-il, avant d’ajouter : « Est-il nécessaire de rappeler que la loi sur l’immigration vient d’être votée en France ? »
À ce jour, selon le Quai d’Orsay, encore une « cinquantaine de personnes » éligibles à une évacuation sont encore bloquées dans la bande de Gaza. Un chiffre en deçà des demandes qui sont faites auprès du collectif des avocats, selon lequel encore « une quinzaine » de familles sont encore en attente, soit un peu moins de cent personnes, précise l’avocate Amel Delimi, membre du collectif.
Ce n’est pas la première fois que la France faillit au devoir de protection de celles et ceux qui ont travaillé pour elle. En 2012, lorsque les militaires français s’étaient retirés d’Afghanistan, la France avait abandonné à leur sort les interprètes afghans qui avaient travaillé pour l’armée. Comme Mediapart l’avait raconté, la France avait alors fait preuve d’une mauvaise volonté
Depuis le début de l’offensive israélienne, des familles ayant des liens avec la France et vivant dans la bande de Gaza demandent leur évacuation au Quai d’Orsay. Certaines l’obtiennent, mais doivent abandonner une partie de leur famille.
neUne mère ou un père peuvent-ils accepter d’être évacués en laissant certains de leurs enfants, seuls, à Gaza ? La situation est difficilement concevable. Pourtant, c’est bien à ce crueldispositif que le ministère des affaires étrangères a confronté plusieurs Palestiniens.
Ainsi que le prévoit le dispositif mis en place depuis le début des bombardements, plusieurs familles de ressortissants français ou palestiniens travaillant pour l’Institut français de Gaza demandent leur évacuation. Le consulat général de Jérusalem dresse une liste des personnes devant rejoindre le territoire français, liste soumise également aux autorités israéliennes et égyptiennes.
Alors que le Quai d’Orsay vient de faire un communiqué pour annoncer l’accueil de deux enfants palestiniens blessés, le 28 décembre, il a en revanche refusé de répondre aux questions que nous lui avons posées sur les incohérences de la politique des évacuations et leurs conséquences.
Comme nous l’avions révélé, Ahmed Abu Shamla, agent du quai d’Orsay depuis plus de vingt ans, avait demandé à être rapatrié avec ses enfants, mais quatre de ses fils n’y avaient pas été autorisés par le Quai d’Orsay. Tandis que sa femme et ses autres enfants ont pu rejoindre la France en novembre, Ahmed a donc fait le choix de rester auprès de ses quatre fils et, malgré ses appels à l’aide, il n’a pu être évacué. Il est mort sous les bombardements, le 16 décembre.
Quinze jours après son décès et la publication de notre enquête, le 29 décembre, le Quai d’Orsay a annoncé, auprès de Mediapart, que ses fils viennent de quitter la bande de Gaza, finalement autorisés à rentrer en France. Une procédure tardive qui a coûté la vie à un agent.
Mais Ahmed n’est pas un cas isolé.
Amine, autorisé à partir mais sans sa fille ni son fils
Depuis le début du conflit, Amine*, 49 ans, demande à être rapatrié en France, où il a vécu avec sa famille pendant plus de dix ans. Trois de ses six enfants ont la nationalité française. Installé depuis 2012 dans le nord de Gaza, après la destruction de son quartier, il se réfugie avec sa famille dans une école à Jabalia. Dès le 13 octobre, il sollicite la cellule de crise du consulat général à Jérusalem, afin d’être évacué et en attendant de pouvoir recevoir les médicaments pour sa fille diabétique.
Deux semaines plus tard, les services consulaires l’informent que sa famille figure sur la liste des personnes autorisées à quitter Gaza. Du moins, une partie. Car ses deux plus jeunes enfants, âgés de 8 et 3 ans, son fils de 21 ans de nationalité française et sa fille aînée n’y figurent pas.
Pensant à une erreur, il renouvelle sa demande et transmet l’ensemble des documents attestant de l’identité et du lien de filiation de chacun des membres de sa famille. Le 17 novembre, il appelle à l’aide le consulat, une proche parente venant d’être tuée par un obus tombé sur l’école. Espérant être évacuée, toute la famille part alors vers le sud de la bande de Gaza. Quelques jours plus tard, le consulat acte bien le renouvellement de sa demande pour l’ensemble de sa famille, tout en précisant qu’il n’est pas maître de la décision des autorités israéliennes.
Sans plus de nouvelle, Amine adresse le 3 décembre un courrier à la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna. « Je ne me vois pas abandonner dans ce conflit la moitié de mes enfants », explique-t-il à la ministre.
Lui qui a vécu « plus de dix ans » en France y détaille son parcours. Après un master à l’Institut national polytechnique et à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble ainsi qu’un doctorat, il a fondé une société qu’il a gérée de 2008 à 2012, avant de retourner s’installer à Gaza « pour exercer le métier d’enseignant-chercheur en management supérieur ».
Il rappelle à la ministre que les services consulaires français lui ont proposé de « laisser [s]es deux jeunes enfants mineurs dont un en bas âge » ainsi que son fils français de 21 ans et sa fille de 23 ans, qui tous deux « ont vécu plus de la moitié de leur vie en France ». À ce jour, il n’a toujours pas reçu de réponse.
Le 13 décembre, c’est au tour d’avocats ayant formé un collectif pour venir en aide aux familles françaises et palestiniennes éligibles aux évacuations de soutenir la demande d’Amine et de solliciter le Quai d’Orsay, dont la réponse est quasi-automatique : « Les services compétents ne manqueront pas d’apporter avec diligence toute l’attention requise à votre démarche. »
Le 22 décembre, plus de deux mois après sa première demande, Amine reçoit à nouveau la proposition des services consulaires : ils l’invitent à quitter Gaza. Cette fois, ses enfants mineurs y sont également autorisés mais ni sa fille de 23 ans ni son fils de 21 ans, qui a la nationalité française, n’y figurent. À la suite de cette terrible nouvelle, Amine a fait part de son désespoir auprès d’un ami. Il lui explique avoir demandé aux autorités françaises de « rapatrier [sa] fille à [sa] place ». « Je reste avec mon fils, ici à Gaza. »
Youssef part seul en France sans ses parents
Autre situation kafkaïenne, celle de Hani*, 47 ans, qui travaille depuis treize ans à l’Institut français avec l’un de ses enfants, Youssef*, 24 ans, également employé depuis cinq ans. À la suite de sa demande d’évacuation faite pour son épouse, ses quatre enfants, dont le plus jeune a 11 ans, ainsi que ses deux petits-enfants, âgés de 5 et 3 ans (enfants de l’une de ses filles), il reçoit, le 20 novembre, une réponse des autorités, qui l’invitent à rejoindre la frontière.Mais seuls ses enfants sont autorisés à rejoindre la France. Ni lui, ni son épouse, ni ses petits-enfants ne le sont.
Sa fille refusant de quitter Gaza sans ses enfants,seul son fils Youssef part. Depuis, il demande que sa famille puisse être évacuée. Le 21 décembre, la dernière réponse du Quai d’Orsay lui assure, comme pour Amine, que le ministère va « apporter toute l’attention requise à [s]a démarche ».
Le documentariste Iyad Alasttal désormais seul à Gaza
Également réfugié aux côtés d’Ahmed Abu Shamla dans la maison qui a été bombardée, le cinéaste Iyad Alasttal, qui avait témoigné en octobre auprès de Mediapart. Auteur de plusieurs documentaires sur le quotidien des Gazaoui·es, il vivait dans le sud de la bande de Gaza, à Khan Younès avant de rejoindre Rafah, au sud de la bande de Gaza.
Travaillant depuis trois ans pour l’Institut français et détenteur d’un visa valable jusqu’en 2025, le documentariste a demandé son évacuation avec sa femme et ses trois enfants. Là encore, la famille a dû se séparer, Iyad n’étant pas sur la liste des rapatriés.
Il n’y a aucune obligation absolue pour le ministère des affaires étrangères de rapatrier des Palestiniens qui travaillent pour l’Institut français, mais en revanche le devoir de protéger ceux qui ont servi l’État français. Raison pour laquelle, avec les ressortissants français, ils font partie des personnes éligibles aux évacuations.
Nour, 73 ans, absente des listes, meurt dans un bombardement
Alors qu’il travaille depuis près de dix-huit ans pour l’Institut français, Sharif*, 35 ans, a demandé à être évacué avec ses deux enfants, son épouse et sa mère, Nour*, âgée de 73 ans. À son grand étonnement, ni sa mère ni lui n’y ont été autorisés. Le 23 novembre, il a donc laissé partir son épouse et ses enfants en France, restant quant à lui avec sa mère dans le sud de Gaza.
Le 4 décembre, par l’intermédiaire de son avocat, la famille renouvelle sa demande auprès de la cellule de crise du consulat général de Jérusalem. Le défenseur évoque sa crainte que la famille soit « la cible d’un bombardement ».
Quelques jours plus tard, le 13 décembre, la mère de Sharif perd la vie. La maison dans laquelle ils s’étaient réfugiésavec plusieurs autres agents administratifs de l’Institut français, parmi lesquels Ahmed Abu Shamla, a été prise pour cible par l’armée israélienne. Comme Ahmed, Nour n’a pas survécu à ses blessures.
Le ministère de l’intérieur n’a pas accepté de répondre à nos questions. Quant au Quai d’Orsay, il précise que « depuis le 1er novembre, 168 personnes ont été évacuées de la bande de Gaza » et déclare : « Nous nous réjouissons de la sortie le 28 décembre des quatre fils de notre collègue décédé [Ahmed Abu Shamla]. »
En revanche,le ministère des affaires étrangères a refusé d’expliquer les raisons pour lesquelles ceux-ci n’avaient pas été évacués avec l’ensemble de leur famille, obligeant leur père à rester auprès d’eux à Gaza.
Concernant les autres situations problématiques, là encore, le Quai d’Orsay n’a pas voulu répondre.
« Il y a bien sûr des échanges avec le ministère de l’intérieur sur les demandes faites de rapatriement, assure une source à la Place Beauvau. Mais aucune précision ne sera donnée sur ce sujet et c’est le quai d’Orsay qui gère ces évacuations. »
Un ancien fonctionnaire du Quai d’Orsay explique, auprès de Mediapart, que « plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Il peut y avoir des suspicions à l’égard de certains Palestiniens proches du Hamas et il faut prendre en compte l’intervention des autorités israéliennes. Mais le Quai d’Orsay ne peut pas se décharger en sous-entendant que les autorisations dépendent uniquement des autorités israéliennes ».
Outre une « certaine désorganisation » au sein du ministère, ce spécialiste du Proche et Moyen-Orient y voit surtout « un caractère politique ». « Ça en dit long sur le regard que l’on porte sur les Palestiniens. » Il y a « une certaine réticence ou une certaine mauvaise volonté », ironise-t-il, avant d’ajouter : « Est-il nécessaire de rappeler que la loi sur l’immigration vient d’être votée en France ? »
À ce jour, selon le Quai d’Orsay, encore une « cinquantaine de personnes » éligibles à une évacuation sont encore bloquées dans la bande de Gaza. Un chiffre en deçà des demandes qui sont faites auprès du collectif des avocats, selon lequel encore « une quinzaine » de familles sont encore en attente, soit un peu moins de cent personnes, précise l’avocate Amel Delimi, membre du collectif.
Ce n’est pas la première fois que la France faillit au devoir de protection de celles et ceux qui ont travaillé pour elle. En 2012, lorsque les militaires français s’étaient retirés d’Afghanistan, la France avait abandonné à leur sort les interprètes afghans qui avaient travaillé pour l’armée. Comme Mediapart l’avait raconté, la France avait alors fait preuve d’une mauvaise volonté
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Autour du sionisme, il y a cette zone grise de ceux qui soutiennent Israël mais se défendent avec vigueur d'être sionistes. Ce sont les crypto-sionistes.
Le crypto-sioniste n'est pas sioniste. Il n'est pas non plus antisioniste. Mais il n'existerait pas sans l'existence du sionisme. L'un ne va pas sans l'autre. Le crypto-sioniste est indéfinissable. On ne peut le saisir qu'à travers sa description, ses comportements.
Le crypto- sioniste n'est pas, par définition, juif. Mais il peut l'être. Le crypto-sioniste est un être rationnel. Il ne recourt pas à un droit de propriété biblique, messianique, religieux sur la terre. S'il parle de la shoah, c'est pour souligner la nécessité d'un État pour protéger les juifs, d'un refuge national. Il est toujours laïc mais il est bien plus indulgent envers l'extrémisme religieux juif qu'envers l'islamisme. Que l'État d'Israël soit un état juif ne le gêne pas. Mais que l'État palestinien soit un État islamiste l'incommoderait au plus haut point, et même déclenche son indignation laïque.
Le crypto-sioniste et l'islamisme
Le thème récurrent du crypto- sioniste est le danger de l'islamisme. Il cherche à englober la question palestinienne dans un conflit contre l'islamisme mondial. II fait le pont entre le 11 septembre, le Bataclan, le 7 octobre récent, bref entre ce qui se passe en Palestine et la lutte globale contre le «terrorisme islamiste» Il dissout la question palestinienne dans un grand complot islamiste, une guerre de civilisation.
Il le dit, il n'est pas anti palestinien, il est anti islamiste. Il peut se prononcer, à certains moments, pour un Etat palestinien mais il n'acceptera jamais un État islamiste palestinien. Le crypto sioniste ne mène pas la lutte contre le peuple palestinien mais contre Hamas. Vous me direz que cela revient en pratique au même puisque les palestiniens soutiennent aujourd'hui Hamas. Mais il le nie.
Le crypto- sioniste est donc devenu, à posteriori, un admirateur du Fatah martyrisé par Hamas. Il ne tarit pas d'éloges pour «la tendance laïque de l'OLP» qu'il qualifiait naguère de «dangereux terroriste».
Le crypto- sioniste est plutôt de gauche mais il peut être de «droite» et même d'extrême droite, ces notions étant tout à fait relatives et évoluant suivant le lieu et le temps. Bref, on en trouve dans toutes les familles politiques occidentales. Mais il est dans tous les cas occidentaliste et aussi atlantiste. C'est le corpus idéologique du crypto-sioniste, l'idée maitresse, chez lui: qu'Israël est un» bastion avancé de l'occident».
Étant avant tout occidentaliste, et dans la mesure où l'Occident a dominé ou influencé à des degrés divers tous les pays du monde, le crypto-sioniste, peut se manifester à travers toute appartenance culturelle ou religieuse, chrétienne ou autre. On peut donc, tout aussi bien le retrouver, parfois, dans les élites occidentalistes des pays arabo-musulmans. Celles-ci partagent certains traits du crypto- sioniste européen, notamment l'hostilité épidermique à tout islamisme. On reconnait le crypto-sioniste, dans les pays arabo-musulmans, à ce qu'il se distingue notamment par une réserve et un silence prudents sur le génocide de Gaza, et à la sympathie qu'il trouve dans des milieux occidentaux pro-israéliens influents ainsi qu' en Israël. L'Occident et les États arabes affiliés savent récompenser et entretenir ces élites par des prix et une notoriété factice. C'est l'histoire du Faust de Goethe qui ne cesse de se répéter à travers les âges.
Le crypto-sioniste est plutôt un intellectuel. Il a un haut niveau culturel, son idéologie demande l'élaboration d'un argumentaire culturellement assez compliqué. Elle nécessite de manier le paradoxe comme par exemple qu'Israël libère les palestiniens du Hamas en les bombardant, que «c'est Hamas qui est responsable du carnage de Gaza et de tout ce qui se passe» etc.
Le crypto-sioniste se réclame, avant tout, d'un humanisme. Il se réclame souvent de traditions de gauche, Ainsi, il a par exemple ses références dans les «kibboutz socialistes». Il verse des larmes de tendresse sur ces kibboutz ,autour de Gaza , qui ont été, pourtant, les premières cibles des habitants de Gaza. Pourtant, les ouvriers palestiniens de Gaza venaient y travailler, ils y étaient soignés ces palestiniens, «si ingrats», soupire le crypto-sioniste de gauche, déçu par tant d'ingratitude.. Mais le même ne supportera pas que ces palestiniens qu'il aime tant lui rappellent que les Kibboutz sont sur leurs terres.
Le palestinien errant depuis des décennies de Palestine, à la Jordanie, et de la Jordanie à Beyrouth, et de Beyrouth à Tunis, et puis dans le monde entier, a remplacé le mythe du juif errant. Mais cela n'attire aucune compassion chez le crypto-sioniste. Il est d'ailleurs contre le retour de la diaspora palestinienne pour des raisons «objectives», car cela renverserait, dit-il, l'équilibre démographique.
Le crypto-sioniste est un démocrate
Preuve que le crypto-sioniste est plein de bons sentiments envers les palestiniens, il est contre l'extrême droite israélienne contre laquelle il n'a pas de mots assez durs. Le crypto-sioniste est toujours un démocrate.
Il s'évertue à voir en Israël une droite et une gauche. Il dénonce l'extrême droite, le gouvernement de Netanyahu comme seul responsable de la situation. Cela lui permet du coup de dépeindre Israël comme un État «normal» et de cacher ses problèmes structurels en tant qu'État en fait colonialiste, ce qui y rend impossible toute démocratie, sauf celle au bénéfice de la population coloniale. Un tour de passe-passe. Dans le discours crypto-sioniste, il ne s'agit donc, au fond, que d'attendre simplement que la gauche et la démocratie triomphent en Israël pour que le conflit israelo palestinien soit réglé. Cela fait 75 ans.
Mais dès que l'affaire devient sérieuse, dès qu'Israël entre en situation de crise, comme ce fut le cas le 7 Octobre et en bien d'autres occasions, lorsqu'on en arrive au concret, au crucial, au passage à l'acte, c'est l'union sacrée, le crypto sioniste fait front avec la droite et l'extrême droite israéliennes, car Israël, clame-t-il, a «le droit de se défendre». Il n'est plus question alors pour lui pour lui que des Israéliens et de l'existence d'Israël. On s'aperçoit alors que le crypto sionisme n'est que le visage soft du sionisme. Il en est le versant gauche. Tout son rôle est de faire accepter, par sa présence, l'autre versant, celui de la droite et l'extreme droite, et convaincre qu'il le contrebalance. Dès lors son existence apparait, comme la justification de la droite sioniste, voire comme son alibi. Le sionisme ne devient plus alors qu'une opinion, un courant, une tendance, dans «un État de droit, où se fait le débat démocratique, dans la seule démocratie de la région».
L'idéologie victimaire
La posture victimaire est le point de rencontre entre le sioniste et le crypto- sioniste. Le crypto-sioniste est très sensible à l' argument du sionisme du juif éternellement persécuté. Le crypto-sioniste ne fonde pas l'existence de l'État d'Israël sur le récit biblique, sur des mythes, mais sur le récit de la shoah, sur les persécutions dont ont été victimes les juifs. Le sionisme a largement utilisé cette idée d'un État juif, protecteur des juifs, victimes de tous temps de discriminations. C'est donc un point très fort de rencontre, de convergence, notamment dans les périodes de crise où cet esprit victimaire s'exacerbe, comme cela a été le cas le 7 Octobre, où il a été exploité intensément dans la propagande sioniste et crypto- sioniste.
Les choses en effet ne sont pas simples. Cette idéologie victimaire est restée très vivante chez les juifs malgré la création de l'État israélien. Son armée est la plus forte de la région et en principe ce danger n'existe pas . Cela n'empêche pas les sionistes de crier à la volonté d'effacer Israël. La propagande décrit de nouveaux pogroms fantastiques et bat le rassemblement autour d'un point de sensibilité extrême, une sorte de blessure historique jamais fermée car entretenue. L'inversion est totale car s'il y a victimes et danger existentiel pour un peuple, c'est bien du côté du peuple palestinien.
Cela n'empêche pas à cette idéologie victimaire, non seulement d'exister, mais de justifier les pires massacres des palestiniens, dans une pathologie évidente de délire paranoïaque collectif, où le paranoïaque, comme c'est connu, passe à la violence parce qu'il se sent menacé, et qu'il vit dans un sentiment permanent de persécution.
Le crypto- sioniste croira dur comme fer à la version officielle israélienne sur les évènements du 7 Octobre, bien qu'elle soit de plus en plus mise en doute. C'est d'ailleurs un indice aussi pour le reconnaitre. On croit à ce qu'on veut croire.
Le crypto- sioniste, bien dans son rôle, ajoutera à ce récit, des détails de psychologie de masse «la sidération qu'aurait ressentie Israël». Il y puisera des excuses, voire une légitimation, aux bombardements et au carnage qui va suivre. Il dira bien sûr quelques généralités sur les victimes palestiniennes, mais il ne désavouera jamais les tueries massives à Gaza, oubliant que c'est la population de Gaza qu'Israël élimine, et pas le Hamas comme il feint de le croire. «Il faut bien d'abord éradiquer le Hamas», l'éliminer, ou alors comment faire pour que le 7 Octobre ne recommence pas», dira le crypto- sioniste l'air désolé, sans même songer une seconde à l'habit de paix et d'une solution politique qu'il revêt les autres jours de l'année.
Quand donc Israël estimera que le Hamas est éliminé et arrêtera cette tuerie de masse? Un objectif aussi imprécis donne évidemment tout loisir à Israël aussi bien de continuer et d'arrêter le massacre quand il le veut. Mais surtout, de masquer le véritable objectif, celui d'éliminer, d'une façon ou d'une autre, physiquement ou par l'exil, la population de Gaza, et, pourquoi pas, de proche en proche, tous les palestiniens.
Il n'y a plus alors qu'un seul point de différence entre le sioniste et le crypto-sioniste: le sioniste assume, cyniquement, son projet d'effacer le peuple palestinien de la Palestine, le crypto-sioniste en fait porter la responsabilité aux «extrémistes» palestiniens. Dans les situations de crise aigüe, le crypto- sioniste n'est même plus la version soft du sionisme.
Le juif anti-sioniste versus le crypto-sioniste
Le crypto-sioniste se reconnait aussi à cela qu'il ne parlera jamais, ou rarement, des causes du conflit israélo-palestinien, de ses causes profondes historiques et actuelles, mais préfèrera toujours centrer le débat que la question de la violence. C'est ce qu'il fait en permanence dans sa propagande, comme dernièrement, en faisant commencer la tragédie actuelle au «pogrom du 7 Octobre».
Le crypto-sioniste est l'antithèse du juif antisioniste. Celui-ci se manifeste actuellement de plus en plus dans le monde au fur et à mesure de l'escalade de la violence israélienne. Le juif antisioniste refuse cette propension sioniste de considérer le martyre du peuple palestinien comme une réparation du martyre juif. Il refuse de considérer l'État d'Israël comme une solution à l'identité juive. Il refuse de relier l'existence de la religion juive à un État, et il veut qu'elle soit comme toutes les religions, à vocation universelle.
Enfin, le crypto- sioniste voit l'antisémitisme partout. Il le décèle là où personne ne le voit. Il recherche avec obsession tous les masques derrière lesquels se cache l'antisémite. À ce sujet, voici une perle de l'argumentaire crypto-sioniste. C'était le 20 décembre dernier, sur le plateau de la chaine d'information française LCI, un intellectuel et journaliste français bien connu qui expliquait, dans un raisonnement laborieux que: «dire qu'Israël commet un génocide à Gaza est une affirmation antisémite car elle fait référence sans le dire au fait que les juifs ont été victimes d'un génocide et que donc ils en commettent à leur tour un.». Il faut le faire !
On continuera à parler, le jeudi prochain, des principaux thèmes qui constituent l'argumentaire crypto-sioniste.
Après l’annonce du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou de l’intensification des combats à Gaza, le personnel humanitaire alerte sur la catastrophe dans l’enclave. La coordinatrice des opérations MSF à Gaza et la porte-parole de l’UNRWA témoignent.
LundiLundi 25 décembre, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait sur son compte X une vidéo glaçante. On y voit un médecin de l’organisation se filmer dans l’hôpital Al-Aqsa, situé au centre de la bande de Gaza. Au milieu de la foule de réfugié·es s’agitant dans les couloirs, un enfant, Ahmed, 9 ans, est allongé sur le sol, entouré de personnel médical. Ils lui administrent un sédatif « pour atténuer ses souffrances pendant sa mort »,commente celui qui se filme, gilet pare-balles et casque sur la tête.
Ahmed a été victime de l’impressionnante frappe israélienne à proximité du camp de réfugiés d’Al-Maghazi, où se trouvaient de nombreux civils. Le premier bilan du ministère de la santé palestinien décomptait 70 morts. Deux jours plus tard, l’ONG Médecins sans frontières (MSF), présente dans l’hôpital Al-Aqsa, annonce avoir reçu 209 blessé·es et 131 personnes déjà décédées, « principalement des femmes et des enfants », ajoute Guillemette Thomas, coordinatrice des opérations MSF à Gaza, jointe par Mediapart.
Le jour de la frappe, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, en visite à Gaza, annonçait « intensifier » les frappes. À l’heure actuelle, d’intenses combats au sol ont lieu dans le nord, ainsi qu’au centre de l’enclave, où les lignes de front se rapprochent dangereusement des hôpitaux, comme à Khan Younès, où les combats ont lieu à 600 mètres de l’entrée du centre de santé. Dans le sud, de nombreuses frappes ont eu lieu ces derniers jours, en vue de « préparer le terrain » pour une prochaine opération terrestre, selon l’armée israélienne.
Accès aux soins quasi impossible
« Les blessés qui arrivent aux urgences sont soignés par terre dans des mares de sang. » Guillemette Thomas tient à préciser qu’actuellement, il y a 10 soignants pour 500 patients dans les 9 hôpitaux encore ouverts de Gaza. « Lors d’afflux de blessés graves, comme après le bombardement d’Al-Maghazi, il est impossible de prendre en charge tout le monde », continue-t-elle.
Une grande partie des soignants de MSF sont partis se réfugier à Rafah, avec le million d’autres déplacés palestiniens. « Ceux qui restent ne dorment plus depuis deux mois et demi et doivent s’absenter régulièrement pour chercher de la nourriture et de l’eau pour leur famille, ça peut prendre une journée entière », explique encore la soignante.
Démembrements, brûlures étendues, mutilations, éclats d’obus dans tout le corps et plus récemment, blessures par balle : les patient·es qui arrivent dans les hôpitaux nécessiteraient cinq ou six médecins pour une opération « dans des conditions matérielles et stériles favorables », continue la coordinatrice. Impossible donc, de soigner tous les blessés quand ils arrivent par dizaines après un bombardement. En somme, un blessé grave à Gaza aujourd’hui n’a « quasi plus aucune chance de survivre », admet-elle.
Les équipes de MSF sont présentes dans sept structures de soin dans le centre et le sud de l’enclave. Toutes font état d’une situation chaotique dans les hôpitaux, où se massent des milliers de réfugié·es qui rendent difficile l’identification des blessé·es parmi la foule et où la promiscuité et le manque d’eau potable entraînent beaucoup d’infections.
Guillemette Thomas tient à préciser que les bilans du ministère de la santé palestinien (qui décomptent près de 21 000 personnes tuées depuis le 7 octobre) ne prennent pas en compte toutes les personnes qui peuplaient les hôpitaux avant le 7 octobre : « Aujourd’hui, on a des personnes qui meurent anonymement de maladies normalement curables comme le diabète parce qu’ils ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux, affirme-t-elle. Ceux-là passent sous les radars et nous n’avons aucune statistique. »
Dans le nord de la bande de Gaza, plus aucun centre de santé n’est fonctionnel. Le terrain, lieu des combats terrestres les plus acharnés, a été déserté par toutes les ONG et aucune aide humanitaire ne peut y pénétrer.
Les secours entravés
Début novembre, Khan Younès, une ville du sud de l’enclave qui comptait beaucoup de déplacé·es en provenance du nord, est devenu l’épicentre des bombardements. Pour Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), « l’armée israélienne a tout fait pour masser les personnes dans le sud en bombardant des zones considérées comme sûres comme Khan Younès et plus récemment Deir el-Balah ».
Le 26 décembre, le New York Times publiait une enquête vidéo démontrant que près de 200 bombes lourdes ont été lancées par Israël dans des zones déclarées « sûres » pour les civils, dont la majorité dans la commune de Khan Younès.
En plus des bombardements, les ONG font face à une difficulté majeure, utilisée par l’armée israélienne : le «black-out », autrement dit, les coupures généralisées de réseau, très fréquentes. Hier matin sur X, le Croissant-Rouge palestinien annonçait avoir perdu tout contact avec ses équipes médicales sur le terrain, dont le siège à Khan Younès avait par ailleurs été touché par des tirs d’artillerie, endommageant leur autre système de communication.
Même conséquence chez MSF, pour qui les coupures de réseau empêchent d’aller chercher les blessé·es, qui ne peuvent plus appeler d’ambulance. « Une arme de guerre comme une autre », dénonce Tamara Alrifai, qui insiste sur le fait que ces black-out rendent « très difficile » la réponse humanitaire, y compris dans les distributions de produits de première nécessité.
Une aide humanitaire prochaine ?
Vendredi dernier, et après une semaine de négociations, le Conseil de sécurité des Nations unies votait une résolution appelant à l’acheminement « à grande échelle » de camions d’aide humanitaire dans la bande de Gaza qui, à l’heure actuelle, sont coincés devant les points de passage égyptiens.
L’UNRWA indique à Mediapart vouloir recevoir « au moins 500 camions par jour », soit le niveau d’avant-guerre, par ailleurs déjà sous blocus. « C’est le nombre minimum qui pourrait nous permettre d’aider tous les déplacés »,continue Tamara Alrifai.
En déplacement à Rafah la semaine dernière, la diplomate a constaté les conséquences du million de déplacés qui se massent près du poste-frontière égyptien. « Aujourd’hui, mes collègues de l’UNRWA ne peuvent plus distinguer les personnes qui sont dans nos abris, comme au début de la guerre, de celles qui ne le sont pas. »
Aujourd’hui, 400 000 Gazaoui·es sont réfugié·es dans les rues autour des abris de Rafah et le personnel humanitaire ne parvient plus à faire parvenir les produits à l’intérieur.
Guillemette Thomas, elle, estime que cette opération est un coup d’épée dans l’eau : « Même si l’aide arrive en quantité suffisante, tant qu’il n’y a pas de cessez-le-feu, il sera impossible de l’acheminer à ceux qui en ont besoin. » Un appel que l’UNRWA et une dizaine d’ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International ont réitéré le 18 décembre lors d’une conférence de presse à Paris. Pour elles, l’arrêt des combats est indispensable pour que l’aide humanitaire accède à l’entièreté de la bande de Gaza, notamment dans le nord.
Faut-il dormir avec la chanson d'espoir de John Lennon, ou dessiner en se réveillant sur un olivier centenaire un poème de résistance de Mahmoud Darwich ?
Le monde pète les plombs et la grisaille semble l'emporter sur le bleu de l'horizon.
Quelle récompense sinon la malédiction éternelle pour un bidasse lâche qui tue un enfant ?
Qui viole une maman ? Qui coupe l'oxygène à un malade dans un hôpital presque en ruines à cause d'une décharge de bombes et de missiles ?
Qui danse sur les cadavres de civils innocents comme s'il est sur un terrain de foot ?
Où est la raison ? Où sont jetées les clauses de la Convention de Genève ?
Où est l'ONU ?
Où sont les droits-de-l'hommistes aux doubles standards ?
Où est l'humanité tout court ?
Même le Secrétaire général de l'ONU himself n'y peut rien...
On est au bout du gouffre et il ne reste que nos yeux pour voir ces atrocités tourner en boucle !
Mon Dieu, la folie n'a, paraît-il, qu'un nom : guerre et un seul prénom : génocide. L'être humain, métamorphosé en monstre, devient frénétique dans son envie d'aller plus haut, en s'efforçant d'exterminer ses semblables, au nom de je ne sais quelle idéologie mortifère !
L'idéologie du carnage, des tueries en masse, de la négation de l'autre, de l'obsession de son effacement existentiel ! Nous avions à peine le temps d'oublier les Holocaustes des Nazis que voilà la planète de nouveau réveillée assiste, impuissante, à son avatar à Ghaza !
C'est décidément la continuité d'un cauchemar qui semble aujourd'hui entré dans sa phase la plus cruelle, avec l'hypocrisie des grands médias déterminés à cacher le soleil avec un tamis !
Le monde va-t-il si mal ? Oui, c'est le cas de le dire, alors que notre humanité a battu les records de toutes les vilenies !
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