Une trentaine de ressortissants se battent depuis des mois pour que la France rapatrie leurs parents, âgés et souvent malades, de l’enclave palestinienne en guerre. Réunis en collectif, ils dénoncent une attente interminable, rythmée par les réponses sibyllines et parfois contradictoires des autorités françaises.
Mohammed* ne sait plus quoi dire à ses parents âgés, coincés à Rafah, grande ville du sud de la bande de Gaza, sous la menace d’une vaste opération militaire israélienne contre le Hamas. « Ils espéraient passer le Ramadan en France, puis l’Aïd, mais je n’ai même plus d’explication à leur donner, se lamente ce Franco-Palestinien de 44 ans. On est parfois obligés de mentir à nos parents quand ils nous demandent où en est leur évacuation. »
Comme une trentaine de Français d’origine palestinienne, ce fonctionnaire se bat depuis des mois pour faire rapatrier de Gaza son père A., âgé de 74 ans, diabétique, qui commence à perdre la vue et sa mère K., 70 ans, qui souffre d’une hernie discale l’empêchant de rester bien longtemps debout. Tous deux vivent à Rafah où Mohammed a grandi, avant de partir à 22 ans en France, où il a été depuis naturalisé. A. et K., eux, n’ont pas la nationalité française, mais sont éligibles à l’évacuation en qualité d’ascendants d’un citoyen français.
« Mais ça bloque depuis des semaines sans qu’on sache pourquoi, résume-t-il. Le 8 avril, dix-sept personnes ont pu être évacuées par la France, mais le consulat m’a dit que l’autorisation de sortie n’avait pas été accordée à mes parents, sans raison, ni explication. » À ce jour, plus de 260 personnes ont pu être rapatriées par la France depuis le 7 octobre.
Depuis janvier, ce fonctionnaire centralise les demandes similaires de Franco-Palestiniens répartis dans toute la France. Courriers, appels, lettres d’avocats, ces familles essaient par tous les moyens de faire avancer leur dossier auprès du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay et de la cellule de crise du consulat de France à Jérusalem, où quatre ou cinq personnes travaillent aux évacuations en relation avec celui du Caire.
Pendant plusieurs semaines, les autorités françaises ont fait valoir auprès de ces familles « la complexité et la lenteur des opérations d’évacuation qui nécessitent l’accord de toutes les parties concernées », comme cela est dit dans la réponse adressée à Mohammed le 4 mars.
« Humiliés » et « désespérés de ne pas pouvoir sauver leurs parents »
Me Sarah Sameur, avocate au barreau de Paris, déplore que ses clients « ne reçoivent pas de réponses claires et précises » à leurs demandes. Elle représente Mohammed et huit autres Franco-Palestiniens « humiliés » et « désespérés de ne pas pouvoir sauver leurs parents de ce cauchemar humanitaire incessant à Gaza ». « On parle de personnes âgées de 70 à 90 ans qui souffrent de maladies chroniques et sont très vulnérables », souligne l’avocate.
Dans un courrier officiel adressé le 12 avril aux autorités diplomatiques françaises, elle énumère les réponses tardives « imprécises, voire ambiguës, pire, contradictoires ». La cellule de crise du consulat de France à Jérusalem évoque tantôt le fait « ne pas avoir reçu de réponse des autorités israéliennes concernant les autorisations de sortie », tantôt « le refus » de ces mêmes autorités.
Le consulat affirme aussi ne pas avoir été « en mesure d’organiser le passage de parents du nord de la bande de Gaza parle poste de Rafah en dépit de leur autorisation à quitter » ce territoire, ou que « les critères définis par les autorités françaises ne permettent pas l’évacuation de parents âgés, accompagnés d’un membre de la famille. »
La question des accompagnants est cruciale pour plusieurs familles, dont les parents ne peuvent se déplacer seuls en cas d’évacuation par Rafah vers l’Égypte puis vers la France. Ils réclament dès lors la présence d’un tiers, souvent un autre enfant resté à Gaza, pour les assister dans ce qui s’annonce « comme le voyage d’une vie », explique Me Sameur.
C’est le cas d’Emma dont la mère souffre d’une insuffisance cardiaque congestive, d’hypertension et d’une cyphose dorso-lombaire, comme le soulignent les courriers et certificats fournis pour appuyer la requête. « Ma mère dépend entièrement des autres pour satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Je demande simplement que mon frère l’accompagne pour prendre soin d’elle », plaide cette Française née à Khan Younès, qui refuse que sa mère ait le choix entre partir seule et risquer de mourir sous les bombardements israéliens.
« Des veto israéliens »
Du côté des autorités françaises, on assure que la «question des accompagnants n’est pas en soi le motif du refus », tout en reconnaissant que « les personnes qui n’ont pu être évacuées ont fait l’objet de veto israéliens ». Selon une source diplomatique, les autorités israéliennes invoquent des motifs « sécuritaires », sans davantage de précisions. « Mais nous nous efforçons de faire les démarches auprès de ces autorités israéliennes, et il nous est arrivé de lever certains veto », assure cet interlocuteur.
Après des mois de guerre, ces ressortissants se demandent surtout pourquoi la France « n’a pas toute la latitude » ou « tout le poids diplomatique » nécessaire face à Israël pour choisir les ressortissants qu’elle souhaite faire évacuer. « D’autant que la Cour internationale de justice a considéré en janvier dans son ordonnance qu’il y avait un risque réel et imminent de génocide à l’encontre des Palestiniens de la bande de Gaza, rappelle Me Sameur. Les autorités françaises ont donc le devoir humain et moral d’agir au plus vite pour sauver les ascendants de ses ressortissants français. »
Dans un courrier adressé le 5 mars à la cellule de crise à Jérusalem, Mohammed s’interroge : « Existe-t-il un obstacle politique ou autre qui empêche l’évacuation de nos parents ? »« Des démarches sont faites à haut niveau, il n’y a pas de peur de s’opposer à Israël », répond la source diplomatique. Mais la question des évacuations de ces personnes n’était pas au menu de la visite du chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné à Jérusalem et à Tel-Aviv, mardi 30 avril.
« Je dis quoi à mes enfants »
Face à l’attente et à l’incertitude, certains ont préféré se tourner vers d’autres pays européens pour faire rapatrier les leurs. Basel a, lui, trouvé une solution du côté de l’Italie. La sœur de ce Franco-Palestinien, étudiante depuis quatre ans à Sienne, a lancé des démarches auprès du consulat d’Italie à Jérusalem pour faire rapatrier leurs parents, âgés de 70 et 81 ans. « Ma sœur n’est même pas citoyenne européenne, elle n’a qu’un visa étudiant, et pourtant l’Italie a été plus efficace que la France, affirme-t-il. Le consulat d’Italie l’a appelée le 19 mars pour lui dire que les noms de mes parents figuraient sur une liste de 50 personnes et qu’ils allaient être évacués. J’étais à la fois soulagé et très en colère. »
Depuis le 21 mars, le couple âgé se trouve en Italie. « Ils refusent de venir en France avec moi, ils n’ont pas confiance dans les autorités françaises », affirme-t-il. Une situation dont sont conscientes les autorités françaises. « Certains ont pu faire le choix de passer par d’autres moyens parce qu’ils estimaient que ça prenait trop de temps », reconnaît notre source.
Mohammed, lui, a adressé un énième courrier le 17 avril au consulat de Jérusalem. « Je dis quoi à mes enfants ? Comment peuvent-ils grandir en France avec dignité et se construire un destin ici si la France ne fait rien pour leurs grands-parents, otages ? lance-t-il, épuisé. Je veux pouvoir me sentir comme un citoyen français à part entière et pas comme un citoyen de seconde zone. »
* Le prénom a été modifié
https://www.la-croix.com/international/le-combat-de-franco-palestiniens-pour-evacuer-leurs-parents-ages-de-gaza-20240502
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