Dans ce documentaire, diffusé ce soir sur France 5, Nathalie Prevost et Olivier Jobard ont sillonné un pays en pleine décomposition.
Tous les chefs touaregs et arabes des groupes armés du nord du Mali sont là. Ils sont arrivés dans un nuage de poussière soulevé par leur dizaine de pick-up. Au beau milieu de la brousse, à l’ombre d’un grand acacia, assis sur des matelas épais posés sur de grandes nattes colorées, ils discutent de l’ennemi djihadiste commun. Une rencontre historique entre ex-partisans de l’Azawad libre (territoire situé dans le nord-est du Mali dont les Touaregs réclament l’indépendance) et ceux du pouvoir central que tout opposait il n’y a encore pas si longtemps. Mais aujourd’hui, la menace terroriste islamiste les rassemble. Ici, à Talataye, 30 000 habitants, l’armée malienne ne sort presque jamais des casernes : la moitié de la commune est contrôlée par l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). Nous sommes au cœur de la zone dite des « trois frontières », à cheval entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Une région dangereuse, épicentre des violences djihadistes au Sahel, où se concentrait la lutte anti terroriste des militaires français de l’opération Barkhane avant qu’ils ne soient poussés vers la sortie, à l’été 2022, par la junte malienne au pouvoir.
C’est dire l’importance des images captées par la journaliste Nathalie Prevost et le photographe Olivier Jobard (couronné de nombreux prix comme le World Press, Visa d’or, Bayeux, Poyi…) alors que si peu de reporters s’aventurent dans cette zone. Images rares d’un peuple abandonné à la barbarie djihadiste dans un pays en décomposition. Dans cette région, les habitants sont tués, d’autres, enlevés, leurs maisons, brûlées et leur bétail est volé. Des villages entiers sont vidés. Ces chefs touaregs et arabes n’ont plus d’autre choix que de s’unir pour faire reculer l’ennemi commun. On mesure d’autant plus la qualité de ce documentaire et le courage de ses auteurs - sous escorte militaire en permanence - quand on sait que, quelques mois après le tournage, Talataye s’est transformée en champ de bataille entre l’EIGS et le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida), l’autre groupe djihadiste qui sévit au Sahel. La fin de l’opération française a laissé derrière elle un vide dans lequel ces groupes déploient leurs tentacules sur des populations qui ne savent plus à quel saint se vouer.
Les neuf années de l’opération française ont été un « désastre »
Après avoir sillonné le pays à la rencontre des Maliens, de Bamako, la capitale, à Kidal, berceau des rébellions touarègues, en passant par Mopti, ville proche des falaises de Bandiagara, en pays Dogon, les journalistes font un constat sans concession : les neuf années de l’opération française au Mali ont été un « désastre ». La plus longue opération militaire extérieure française depuis la guerre d’Algérie – environ 5 000 soldats déployés au plus fort de la mission, répartis dans tout le Sahel – n’a pas contenu l’expansion des terroristes. Les succès tactiques, notamment contre les têtes de l’hydre djihadiste, n’ont pas pu être transformés à long terme. Le terreau fertile de la misère sociale continue de faire le lit du terrorisme et les violences tuent davantage aujourd’hui qu’hier. L’armée française avait stationné la moitié de ses troupes au Mali. Mais, face à l’impasse et à une menace qui s’étend désormais aux pays du golfe de Guinée, de la Côte d’Ivoire au Bénin, elle s’est réorganisée. Les militaires interrogés dans le documentaire ont eu le sentiment d’« avoir fait le job » en éliminant quelque 3 000 djihadistes et en ayant accompagné l’armée malienne dans sa modernisation. Mais l’un d’eux reconnaît : « On peut ressentir [chez les Maliens, NDLR] une certaine lassitude de nous savoir ici. » C’est cette lassitude mais aussi les craintes et les espoirs des gens ordinaires que ce documentaire donne à voir. A Tombouctou, ville libérée des djihadistes par l’armée française en 2013, si les femmes ont retrouvé leurs bijoux et leurs robes brodées, si les pique-niques au bord du canal ont repris, les check-points rappellent qu’Al-Qaida est toujours un danger et contrôle le désert aux alentours.
Plus qu’aux djihadistes, les populations en veulent à leur gouvernement. « Depuis que la France a mis notre terre dans les mains du Mali, celui-ci n’a jamais rien fait pour l’Azawad, si ce n’est tuer », lance Tinawelane Wallet Mohamed, une habitante de Kidal. Un abandon des pouvoirs publics qui ne s’est pas arrangé avec la junte au pouvoir, issue d’un coup d’Etat en 2020 et qui s’est adjoint les services de la milice russe Wagner. Pis, certains militaires maliens sont accusés de massacres, comme à Moura, dans le centre du pays, où au moins 500 personnes ont été tuées, en grande majorité des Peuls, un groupe dans lequel les djihadistes ont largement recruté. Des exactions qui jettent de l’huile sur le feu et alimentent les recrutements. « On ne peut pas pardonner à l’armée malienne les atrocités que subissent nos parents. J’ai rejoint le djihad pour venger ma famille », dit ainsi ce combattant d’Al-Qaida anonymisé. Cette logique perverse n’en finit pas.
Il faut revenir à Bamako, dans le quartier baptisé « Petit Paris », et voir ces scènes de joie quotidiennes lors des mariages qui brassent les communautés ou lors des concerts, pour reprendre espoir. La chanteuse Hawa Maïga l’assure :
« La musique est la seule chose qu’on a en commun et qui nous unit. On chante dans toutes les langues, peul, bambara, dogon, sonrai… C’est ça, notre force : vivre ensemble. »
Dimanche 28 mai à 21h00 sur France 5. Documentaire de Nathalie Prevost et Olivier Jobard (2023), 70 min. (Disponible en replay sur france.tv).
https://www.nouvelobs.com/teleobs/20230528.OBS73879/mali-la-guerre-perdue-contre-le-terrorisme-autopsie-d-un-massacre.html
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