Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Après un premier documentaire dédié à sa famille paternelle venue d’Algérie, la réalisatrice Lina Soualem remonte dans son deuxième film l’arbre généalogique de sa famille maternelle. Elle pose sa caméra entre Paris et la Galilée. Un fil est tiré, et toute l’histoire coloniale de la Palestine se déroule.
Une photo des archives familiales de Lina Soualem, montrant son arrière-grand-mère Oum Ali, sa mère Hiam Abbas et elle-même bébé.
Collection Lina Soualem
Oum Ali, Neemat, Hiam et Lina. Comment raconter l’histoire d’une lignée de femmes dont on est issue, et dont la vie a sans cesse été rythmée par la grande Histoire ? C’est à la résolution de cette équation que s’est attelée, dans son dernier documentaire Bye bye Tibériade qui sort ce mercredi 21 février 2024, la réalisatrice Lina Soualem, née à Paris d’une mère palestinienne de l’intérieur.
Puisqu’il est question de cinéma, l’équation se traduit d’abord par l’image. Du début à la fin, c’est un habile tissage qui nous est donné à voir. Il est composé de scènes intimes — de joie et de deuil — filmées par la réalisatrice, ainsi que d’archives familiales : des images de vacances tournées par le père de Lina Soualem au début des années 1990, des bobines de super huit immortalisant un mariage au village, des portraits familiaux en noir et blanc qu’on colle au mur. Mais il y a aussi des archives historiques : celles de la Palestine mandataire, de la Nakba, de Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestiniens en Syrie, rasé en 2018 par l’armée de Bachar Al-Assad… Si ces documents servent d’images d’illustration, ils se mêlent aisément au récit très personnel d’une famille palestinienne originaire de Tibériade, et qui en sera chassée en 1948. Dans la grammaire de cette écriture, où la dialectique entre l’intime et l’Histoire est sans cesse à l’œuvre, la réalisatrice s’est accompagnée du regard d’une autre femme : la cinéaste Nadine Naous, avec qui elle a la Palestine comme héritage commun.
Bye Bye Tibériade - Bande annonce - YouTube
PARTIR, C’EST CÉDER UN PEU ?
Est-il important de souligner que dans cette lignée de femmes dont il est question, la mère de la réalisatrice n’est autre que l’actrice Hiam Abbas ? Peu importe en réalité, tant il n’est ici question ni de performance, ni de composition. Dans ce dialogue avec l’Histoire, la géographie prend toute sa place, et Abbas n’a de cesse de le rappeler, d’ancrer le village de Deir Hanna, qui a été le point de chute de ses grands-parents après la Nakba dans la carte régionale. Elle pointe dans les différentes directions « la mer » (le lac de Tibériade), le Liban, la Syrie, la Jordanie… Toutes ces terres qui lui ont été pendant longtemps interdites, cet environnement arabe naturel dont les Palestiniens de 1948 ont été coupés au lendemain de la création de l’État d’Israël, qui a dessiné pour eux une nouvelle frontière, jadis poreuse.
Changer de lieu dans cette région du monde, franchir une frontière, ne peut être qu’un acte politique. Hiam « est née à une époque où il était interdit de prononcer le mot de "Palestine" », c’est-à-dire durant la période (1948 – 1965) où les Palestiniens d’Israël étaient placés sous régime militaire. Elle étouffe dans ce village de Galilée qui ne peut contenir tous ses rêves : devenir actrice, faire son propre chemin, aimer et vivre avec qui bon lui semble, sans être soumise au diktat des conventions sociales. Mais dans ces poches où la présence palestinienne persiste en plein cœur d’Israël, et où les mariages se terminent sur des chants patriotiques, partir revêt un autre sens. Si l’existence des Palestiniens de 1948 est en soi une forme de résistance, et un rappel quotidien du nettoyage ethnique sur lequel s’est construit l’État d’Israël, quitter ces lieux ne serait-il pas en quelque sorte céder un peu ? Renoncer à cette terre ancestrale, à « un lieu menacé de disparaître à tout moment » ? Autour de la maison familiale à Deir Hanna, tout rappelle le rapport colonial avec les Israéliens : une base militaire de l’armée, un village – « une colonie », dit l’actrice – récemment construit sur des terres confisquées, en haut de la colline qui surplombe Deir Hanna, comme c’est souvent le cas des villes israéliennes jouxtant les cités palestiniennes à l’intérieur d’Israël.
Pourtant, c’est bien en partant que la mère de la réalisatrice peut enfin se connecter avec le reste du monde arabe, qu’elle peut retrouver sa tante à Yarmouk, ce bout de Palestine en Syrie, et fouler de ses pieds toutes ces villes — si proches mais jusque-là hors de portée — dont elle égrainait les noms comme on le ferait avec des contrées lointaines.
L’INTIMITÉ DE FEMMES PROPULSÉES DANS L’HISTOIRE
Parce que la géographie comme l’histoire passent par les liens de sang, c’est la naissance de sa fille Lina qui pousse Hiam à renouer avec les siens et à revenir au village. S’ouvre alors un autre rapport dialectique, cette fois à la mémoire : transmettre ou se taire. La tension passe par la langue, le français qui domine à Paris, l’arabe palestinien qui reprend ses droits en Galilée. Et ici et là, l’arabe littéraire qui s’invite dans les textes, tout aussi constitutif de l’identité palestinienne et de la mémoire familiale : « Qu’est-ce que j’aurais aimé que tu le connaisses ! », s’exclame la mère à l’adresse de sa fille.
« Ma mère m’a transmis un bout de langue », répond Lina Soualem, déterminée à explorer ce passé familial jonché de silences. Elle est tantôt réceptacle de confidences, simple observatrice, tantôt démiurge qui, faisant jouer à sa mère et à sa tante les scènes du passé, transforme son film en une mise en abîme cathartique. Mais dans cette histoire de femmes, il est aussi question de leurs victoires : la grand-mère Neemat, si fière de sa carrière d’institutrice, bien que la guerre de 1948 ait mis fin à ses études ; la mère, Hiam, devenue une actrice internationalement reconnue. Et dans l’intimité de ces femmes, dont la vie a été rythmée par les séparations, persiste encore la chaleur de leurs confidences, des rapports si précieux entre grands-mères et petites-filles, le souvenir brûlant de leurs retrouvailles, la complicité qui perdure entre sœurs, malgré les distances. Des femmes propulsées, malgré elles, en plein cœur de l’Histoire, mais qui ont su y prendre leur part.
On n'en peut plus de savoir tous ces enfants sous les gravats, en train d'agoniser emmurés vivants, et puis les survivants aux petits os brisés, aux chairs brûlées, au ventre vide, au coeur calciné. Et L'INDIFFÉRENCE, ici, en France !!! Je parle, encore et encore, aux gens dans la rue, quand on me demande "Ça va ?" je réponds : "Non. J'ai mal à la Palestine. " Les regards fuyants... les réponses immondes : "Baaah... les torts sont partagés..." Les TORTS ???? Quel tort ont ces petits — sauf si être né dans un GHETTO est un "tort" ? Et puis, parfois, rarement, je tombe sur une personne aussi horrifiée que moi. Très, très rarement.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 21 Février 2024 à 08:00
Porté en écharpe, en foulard, en châle, et pour les âmes révolutionnaires romantiques, recouvrant le visage, façon fedayin, il est de toutes les manifestations sur la Palestine. Le keffieh palestinien est devenu depuis des décennies le symbole de l’identité – et donc de la résistance – palestinienne. Il a été popularisé par des icônes comme Leila Khaled, militante du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et première femme à avoir participé à un détournement d’avion en 1969, ou encore par le leader palestinien Yasser Arafat qui en a fait son couvre-chef permanent et, à l’instar du béret d’Ernesto « Che » Guevara, le complément de son uniforme militaire.
UN OUTIL DE LA GRANDE RÉVOLTE
On retrouve plusieurs déclinaisons du keffieh dans les pays voisins, comme la version jordanienne en rouge et blanc, aux motifs toutefois différents, appelée « hatta », adoptée aussi par les membres du FPLP. On le croise également en Syrie, ainsi que de l’autre côté de la frontière, dans le centre et le sud de l’Irak, ou encore en Arabie saoudite, rouge aussi, sous le nom de « chemagh », mot dérivé d’« ach makh », littéralement « couvre-tête » en sumérien.
Traditionnellement, le keffieh est, en Palestine, la coiffe des paysans. Il est maintenu par un agal, un cerceau noir qui entoure la tête. Son motif représenterait les filets des pêcheurs, mais la thèse n’a pas été scientifiquement confirmée.
En 1936 éclate en Palestine mandataire la Grande révolte arabe, à la fois contre le mandat britannique et contre le rôle des Anglais dans l’encouragement de la colonisation sioniste en vue de la création d’un foyer national juif. Les paysans palestiniens portent la contestation jusque dans les villes. Parmi eux, les combattants qui mènent des opérations armées contre le pouvoir mandataire se cachent le visage avec leur keffieh. Or, les Palestiniens des villes portent à l’époque le tarbouche ottoman, une coiffe rouge verticale qu’on retrouve jusqu’au Maghreb. De fait, les paysans coiffés de keffiehs étaient des suspects facilement identifiables par l’empire colonial. Pour permettre aux combattants palestiniens de se fondre dans la masse, les leaders de la révolte publient un communiqué le 27 août 1938 demandant à tous les hommes palestiniens sans distinction d’adopter le keffieh. Un slogan surgit dans les manifestations : « Cinq sous le prix du keffieh, Et au traître, le tarbouche sied » (« El koufiyeh b’khamsé ‘rouch, Wel khayen yelbass tarbouch »). C’est la naissance d’un symbole à la fois national et de classe.
LA SIGNATURE DES FEDAYIN
Après la guerre de juin 1967 et l’interdiction du drapeau palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – qui ne sera officiellement levée qu’avec les Accords d’Oslo -, le keffieh devient une bannière alternative pour les Palestiniens des territoires occupés.
lendemain de la défaite de 1967, notamment ceux du Fatah, et qui reprendront la désignation de fedayin, contribuent à populariser ce tissu dont ils se couvrent la tête et le visage. L’icône du guérillero palestinien, fusil à la main et keffieh protégeant son anonymat est née. En 1969, Yasser Arafat, devenu une figure du chef militaire grâce à la bataille de Karameh, prend la tête de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et consacre le keffieh comme l’accessoire du résistant palestinien. Celui-ci est notamment très présent aux côtés du drapeau palestinien, cousu à la main, durant la première intifada, en 1987.
DANS LA CULTURE POPULAIRE
Depuis, le keffieh palestinien est devenu un outil pour afficher sa solidarité avec les Palestiniens, comme l’a fait Nelson Mandela ou encore Roger Waters, chanteur des Pink Floyd, connu pour son soutien à la Palestine. Plus généralement, il est devenu un symbole universel de la culture de résistance. On le retrouve également dans la culture populaire, dans la poésie ou les chansons palestiniennes. On citera par exemple le poème de Mahmoud Darwich « Carte d’identité », où il écrit :
Inscris je suis arabe cheveux… noirs yeux… marron signes distinctifs sur la tête un keffieh tenu par une cordelette1
En 2013, le chanteur palestinien originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza, Mohamed Assaf remporte la victoire lors de la deuxième saison de l’émission de télécrochet panarabe Arab Idol avec un classique du folklore palestinien ‘Alli el koufiyeh (« Lève le keffieh »), qui lui a valu un très large succès dans tout le monde arabe.
Un poème inédit de Mahmoud Darwich. Ramallah, janvier 2002
Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps Près des jardins aux ombres brisées, Nous faisons ce que font les prisonniers, Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir.
* * *
Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents Car nous épions l’heure de la victoire : Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage. Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière Dans l’obscurité des caves.
* * *
Ici, nul « moi ». Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.
* * *
Au bord de la mort, il dit : Il ne me reste plus de trace à perdre : Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main. Bientôt je pénètrerai ma vie, Je naîtrai libre, sans parents, Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur...
* * *
Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison, Pas de temps pour le temps. Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu : Nous oublions la douleur.
* * *
Rien ici n’a d’écho homérique. Les mythes frappent à nos portes, au besoin. Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général Fouille à la recherche d’un Etat endormi Sous les ruines d’une Troie à venir.
* * *
Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez, Buvez avec nous le café arabe Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons Sortez de nos matins, Nous serons rassurés d’être Des hommes comme vous !
* * *
Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel Etait réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]
* * *
Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer Des soldats pissent — sous la garde d’un char - Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans Une rue vaste telle une église après la messe dominicale...
* * *
[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.
* * *
Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches Epluchées par l’orange et la femme pleine de promesses.
* * *
Le siège est attente Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.
* * *
Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie S’il n’y avait les visites des arcs en ciel.
* * *
Nous avons des frères derrière cette étendue. Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et pleurent. Puis ils se disent en secret : « Ah ! si ce siège était déclaré... » Ils ne terminent pas leur phrase : « Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. »
* * *
Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour. Et dix blessés. Et vingt maisons. Et cinquante oliviers... S’y ajoute la faille structurelle qui Atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.
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Une femme a dit au nuage : comme mon bien-aimé Car mes vêtements sont trempés de son sang.
* * *
Si tu n’es pluie, mon amour Sois arbre Rassasié de fertilité, sois arbre Si tu n’es arbre mon amour Sois pierre Saturée d’humidité, sois pierre Si tu n’es pierre mon amour Sois lune Dans le songe de l’aimée, sois lune [Ainsi parla une femme à son fils lors de son enterrement]
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Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés De guetter la lumière dans notre sel Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ?
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Un peu de cet infini absolu bleu Suffirait A alléger le fardeau de ce temps-ci Et à nettoyer la fange de ce lieu
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A l’âme de descendre de sa monture Et de marcher sur ses pieds de soie A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis De longue date, qui se partagent le pain ancien Et le verre de vin antique Que nous traversions ensemble cette route Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes : Moi, au-delà de la nature, quant à elle, Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.
* * *
Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux Qui meublent leurs nids dans les creux des statues, Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse.
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Sur mes décombres pousse verte l’ombre, Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre Il rêve comme moi, comme l’ange Que la vie est ici... non là-bas.
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Dans l’état de siège, le temps devient espace Pétrifié dans son éternité Dans l’état de siège, l’espace devient temps Qui a manqué son hier et son lendemain.
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Ce martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires Toutes les paroles que tu m’as offertes Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho.
* * *
Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie Sur terre, parmi les pins et les figuiers, Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé Avec l’ultime chose qui m’appartienne : le sang dans le corps de l’azur.
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Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous Crois-moi père quand il observe ma photo en pleurant Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils et m’as-tu précédé. Moi d’abord, moi le premier !
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Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes. J’ai posé une gazelle sur mon lit, Et un croissant lunaire sur mon doigt, Pour apaiser ma peine.
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Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit pas, en toute liberté !!
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Résister signifie : s’assurer de la santé Du cœur et des testicules, et de ton mal tenace : Le mal de l’espoir.
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Et dans ce qui reste de l’aube, je marche vers mon extérieur Et dans ce qui reste de la nuit, j’entends le bruit des pas en mon intention.
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Salut à qui partage avec moi l’attention à L’ivresse de la lumière, la lumière du papillon, dans La noirceur de ce tunnel.
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Salut à qui partage avec moi mon verre Dans l’épaisseur d’une nuit débordant les deux places : Salut à mon spectre.
* * *
Pour moi mes amis apprêtent toujours une fête D’adieu, une sépulture apaisante à l’ombre de chênes Une épitaphe en marbre du temps Et toujours je les devance lors des funérailles : Qui est mort...qui ?
* * *
L’écriture, un chiot qui mord le néant L’écriture blesse sans trace de sang.
* * *
Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur A l’autre telle une gazelle L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste
* * *
Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus Révèlent que ce matin est puissant splendide, Et que nous sommes les invités de l’éternité.
Mahmoud Darwich
(Traduit de l’arabe (Palestine) par Saloua Ben Abda et Hassan Chami.)
Le médecin anesthésiste-réanimateur Raphaël Pitti raconte « le désastre humanitaire » dont il a été témoin lors d’une récente mission médicale dans la bande de Gaza. Il décrit des conditions de vie très difficiles avec une population entassée qui peine à recevoir des soins adéquats et appelle à un cessez-le-feu immédiat.
Il était plus facile il y a quelques décennies de critiquer en France la politique de Tel-Aviv qu’aujourd’hui. Les analyses de Raymond Aron, chroniqueur à L’Express et au Figaro, incisives et dénuées de tout sentimentalisme vis-à-vis de sa judaïté, tranchent avec le tropisme pro-israélien actuel des médias dominants.
Portrait daté du 17 juin 1983 du philosophe français Raymond Aron avant un débat à Draguignan. Raph GATTI/AFP
Raph GATTI/AFP
Raymond Aron est à la mode. Le penseur libéral, l’universitaire doublé d’un éditorialiste influent par ses éditoriaux dans Le Figaro puis dans L’Express, des années 1950 à 1980, a été convoqué à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition par des médias de droite à la recherche des références intellectuelles qui leur manquent dans la production actuelle : « un maître pour comprendre les défis d’aujourd’hui », « un horizon intellectuel », « un libéral atypique ».
Curieusement, les prises de position les plus incisives de son œuvre journalistique, à savoir celles consacrées à Israël et à la Palestine, sont absentes des injonctions à « relire Raymond Aron ». Elles n’en restent pas moins d’une actualité brûlante.
On comprend cette gêne si on les relit, effectivement. Certaines de ces idées, exprimées dans une presse de droite par un homme de droite d’origine juive, le feraient classer en 2024 comme « antisioniste » (voire pire) par des médias et des « philosophes » de plateaux télé qui se contentent de paraphraser le narratif israélien.
C’est une véritable réflexion qui se déclenche le 27 novembre 1967, à la suite de la célèbre conférence de presse du général de Gaulle dénonçant, après la victoire éclair d’Israël et l’occupation des territoires palestiniens : « les Juifs (…) qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Chaque mot de cette déclaration « aberrante » choque Raymond Aron. En accusant « les Juifs » éternels et non l’État d’Israël, de Gaulle réhabilite, écrit-il, un antisémitisme bien français : « Ce style, ces adjectifs, nous les connaissons tous, ils appartiennent à Drumont, à Maurras, non pas à Hitler et aux siens ».
INTERROGATIONS SUR LE CONCEPT DE « PEUPLE JUIF »
Mais Aron, en vrai philosophe, ne saurait s’arrêter là : « Et maintenant, puisqu’il faut discuter, discutons », écrit-il dans Le Figaro. Il se lance alors dans une étude socio-historique, adossée à une auto-analyse inquiète qui n’a pas vieilli. Quel rapport entre ses origines et l’État d’Israël ? L’obligent-elles à un soutien inconditionnel ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’être juif ? Ces questions parfois sans réponse définitive, on les trouve dans un ouvrage qui rassemble ses articles du Figaro1 puis, plus tard, dans ses Mémoires2 publiées l’année de sa mort, en 1983, et enfin dans un livre paru récemment qui comporte, lui, tous ses éditoriaux de L’Express3. Les citations de cet article sont extraites de ces trois livres.
Et d’abord, qu’est-ce que ce « peuple » juif comme le dit le président de la République, commence par se demander Raymond Aron. Il n’existe pas comme l’entend le sens commun, répond-il, puisque « ceux qu’on appelle les Juifs ne sont pas biologiquement, pour la plupart, les descendants des tribus sémites » de la Bible. « Je ne pense pas que l’on puisse affirmer l’existence objective du "peuple juif" comme celle du peuple français. Le peuple juif existe par et pour ceux qui veulent qu’il soit, les uns pour des raisons métahistoriques, les autres pour des raisons politiques ». Sur un plan plus personnel, Aron se rapproche, sans y adhérer complètement, de la fameuse théorie de son camarade de l’École normale supérieure, Jean-Paul Sartre, qui estimait qu’on n’était juif que dans le regard des autres. L’identité n’est pas une chose en soi, estime-t-il, avec un brin de provocation :
Sociologue, je ne refuse évidemment pas les distinctions inscrites par des siècles d’histoire dans la conscience des hommes et des groupes. Je me sens moins éloigné d’un Français antisémite que d’un Juif marocain qui ne parle pas d’autre langue que l’arabe…
Mais c’est pour ajouter aussitôt : « Du jour où un souverain décrète que les Juifs dispersés forment un peuple "sûr de lui et dominateur", je n’ai pas le choix ». Cette identité en creux ne l’oblige surtout pas à soutenir une politique. Aron dénonce « les tenants de l’Algérie française ou les nostalgiques de l’expédition de Suez qui poursuivent leur guerre contre les Arabes par Israël interposé ». Il se dit également gêné par les manifestations pro-israéliennes qui ont eu lieu en France en juin 1967 : « Je n’aimais ni les bandes de jeunes qui remontaient les Champs-Élysées en criant : "Israël vaincra", ni les foules devant l’ambassade d’Israël ». Dans ses Mémoires, il va plus loin en réaffirmant son opposition à une double allégeance :
Les Juifs d’aujourd’hui ne sauraient éluder leur problème : se définir eux-mêmes Israéliens ou Français ; Juifs et Français, oui. Français et Israéliens, non – ce qui ne leur interdit pas, pour Israël, une dilection particulière.
Cette « dilection », il la ressent émotionnellement. Lui qui en 1948 considérait la création de l’État d’Israël comme un « épisode du retrait britannique » qui « n’avait pas éveillé en lui la moindre émotion », lui qui n’a « jamais été sioniste, d’abord et avant tout parce que je ne m’éprouve pas juif », se sentirait « blessé jusqu’au fond de l’âme » par la destruction d’Israël. Il confesse toutefois : « En ce sens, un Juif n’atteindra jamais à la parfaite objectivité quand il s’agit d’Israël ». Sur le fond, il continue de s’interroger. Son introspection ne le prive pas d’une critique sévère de la politique israélienne, puisqu’Aron ne se sent aucune affinité avec les gouvernements israéliens : « Je ne consens pas plus aujourd’hui qu’hier à soutenir inconditionnellement la politique de quelques hommes ».
LE REFUS D’UN SOUTIEN « INCONDITIONNEL »
Cette politique va jusqu’à le révulser. Il raconte comment il s’emporte, au cours d’un séminaire, contre un participant qui clame : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Le digne professeur explose : « Contre mon habitude, je fis de la morale avec passion, avec colère. Cette formule… un Juif devrait avoir honte de la prendre à son compte ». Mais en général, le philosophe-journaliste reste attaché à une analyse froide des réalités du moment. Raymond Aron n’oublie pas qu’Israël est aussi un pion dans la géopolitique de la guerre froide : « S’il existe un "camp impérialiste" [face à l’URSS], comment nier qu’Israël en fasse partie ? » Puis : « Dans le poker de la diplomatie mondiale, comment le nier ? Israël, bon gré mal gré, est une carte américaine ».
Il pousse loin le principe de la « déontologie » intellectuelle. S’il juge qu’en 1967, Israël a été obligé d’attaquer, il peut être bon, pour le bien de la paix régionale, qu’il perde quelques batailles : « Je jugeai normale l’attaque syro-égyptienne de 1973 », écrit-il, ajoutant même : « Je me réjouis des succès remportés par les Égyptiens au cours des premiers jours », car ils permettraient au président Anour El-Sadate de faire la paix.
Mais Aron reste tout de même sceptique devant l’accord de 1978 entre Menahem Begin et Sadate à Camp David, simple « procédure » qu’il « soutient sans illusion » car il lui manque le principal : elle ne tient pas compte du problème « des colonies implantées en Cisjordanie ». En 1967 (rejoignant, cette fois, les prémonitions du général de Gaulle, dans la même conférence), il décrit l’alternative à laquelle Israël fait face : « Ou bien évacuer les territoires conquis… ou bien devenir ce que leurs ennemis depuis des années les accusent d’être, les derniers colonisateurs, la dernière vague de l’impérialisme occidental ». L’impasse est totale, selon lui : « Les deux termes semblent presque également inacceptables » pour Tel-Aviv.
Ce pessimisme foncier s’exprime dans ses articles écrits pour L’Express dans les dernières années de sa vie. En 1982, il salue la portée « symbolique » et la « diplomatie précise » de François Mitterrand, qui demande devant le parlement israélien un État pour les Palestiniens, en échange de leur reconnaissance d’Israël. Tout en restant lucide : « Mitterrand ne convaincra pas Begin, Reagan non plus ». Selon lui, écrit-il toujours en 1982, Israël n’acceptera jamais de reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme seul représentant des Palestiniens. Dix ans plus tard, les accords d’Oslo connaîtront finalement l’échec que l’on sait, et Israël facilitera la montée du Hamas, dans le but d’affaiblir l’OLP.
L’invasion du Liban par Israël en 1982, le départ de Yasser Arafat et de ses combattants protégés par l’armée française donnent encore l’occasion à Raymond Aron de jouer les prophètes : même si l’OLP devient « exclusivement civile (…), d’autres groupements reprendront l’arme du terrorisme (…). L’idée d’un État palestinien ne disparaîtra pas, quel que soit le sort de l’OLP ».
Israël ne peut rejeter sa responsabilité dans les massacres de Palestiniens (…). Pendant les trente-trois heures de la tuerie, des officiers de Tsahal ne pouvaient ignorer ce qui se passait dans les camps.
Et les prédictions d’Aron, en décembre de la même année, résonnent singulièrement aujourd’hui. À l’époque, le terme d’apartheid est encore réservé à l’Afrique du Sud. Le philosophe évoque un autre mot et une autre époque :
D’ici à la fin du siècle, il y aura autant d’Arabes que de Juifs à l’intérieur des frontières militaires du pays. Les Juifs porteront les armes, non les Arabes. Les cités grecques connaissaient cette dualité des citoyens et des métèques. Faut-il croire au succès de la reconstitution d’une cité de ce type au XXe siècle ?
Oui, il faut relire Raymond Aron.
PIERRE PRIER
Journaliste. Son premier contact avec le Proche-Orient date de 198
En accusant sans preuves une partie du personnel de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) d’avoir participé à l’opération du 7 octobre, le gouvernement israélien tente de marginaliser la question des réfugiés palestiniens et de remettre en question le droit au retour. C’est également une manière de faire oublier que le pays s’est créé sur la base d’un nettoyage ethnique.
Des soldats israéliens devant un compound évacué de l’UNRWA dans la ville de Gaza, le 8 février 2024.
JACKGUEZ/AFP
Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a été on ne peut plus clair lorsqu’il a déclaré, lors de sa rencontre avec une délégation d’ambassadeurs à l’Organisation des Nations unies (ONU), le 31 janvier 2024, que la mission de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) devait prendre fin, car elle ne fait selon lui que « maintenir vivante la question des réfugiés palestiniens, et il est temps que l’ONU et la communauté internationale comprennent que cela doit cesser ». Plusieurs pays occidentaux, avec en tête les États-Unis, se sont alors empressés de prendre des mesures pour aider Nétanyahou à atteindre son objectif ultime : abolir l’UNRWA ou plutôt le principe juridique à l’origine de son existence.
Outre la tentative de semer le doute sur l’intégrité des rapports de l’UNRWA et des organisations apparentées – au lendemain de l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) du 26 janvier, qui reposait en grande partie sur ses rapports -, la déclaration de Nétanyahou révèle le véritable objectif stratégique de la violente campagne israélienne contre l’organisation, durant laquelle Israël a accusé 12 de ses employés d’avoir participé aux attaques du 7 octobre, ou d’avoir exprimé leur joie à la suite de l’événement. Rappelons que ces accusations concernent seulement douze individus sur plus des treize mille travailleurs que compte l’organisation.
L’INSTITUTIONNALISATION D’UN DROIT
Le Premier ministre israélien réitère ainsi une position israélienne bien ancrée sur la question des réfugiés et du droit au retour, qu’Israël perçoit comme une menace tant au niveau historique que géographique. Le simple fait de rappeler la question des réfugiés de 1948 saperait ainsi les fondements sur lesquels l’État d’Israël a été créé. Quant au droit au retour des réfugiés, quelles que soient les solutions précédemment proposées le concernant dans le cadre des Accords d’Oslo, il aurait certainement un impact géographique et démographique qui changerait toutes les équations sur le terrain.
En effaçant la question des réfugiés palestiniens, les Israéliens veulent perpétuer le mensonge « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Et en essayant d’abolir l’UNRWA, les Israéliens tentent de faire oublier au monde entier comment leur État a été créé, soit à travers un processus de nettoyage ethnique et le déplacement de 750 000 Palestiniens, même s’ils cherchent à l’oublier eux-mêmes.
On peut citer ici une étude publiée en 1994 par le Centre d’études stratégiques de l’Université de Tel-Aviv, réalisée par Shlomo Gazit qui a été entre 1974 et 1978 chef du renseignement militaire après voir travaillé comme coordinateur des activités dans les territoires occupés. Cette recherche, qui faisait partie d’un ensemble de documents établis en prévision de possibles négociations fixées par Oslo sur une solution permanente, était consacrée exclusivement au « problème des réfugiés palestiniens ».
La question des réfugiés figurait officiellement parmi les questions liées à une solution permanente, censée être discutée à partir de mai 1996 selon l’agenda décidé à Oslo, négociations que les tergiversations israéliennes sont parvenues à empêcher pendant plus de cinq décennies, à savoir depuis 1948.
En préparation de ce qui pourrait être (mais n’a jamais été) les négociations d’Oslo sur une solution permanente, Shlomo Gazit prévient le futur négociateur israélien que la première étape devrait inclure « l’abolition de l’UNRWA » et le transfert de la responsabilité des camps aux pays hôtes. Il s’agissait là d’abolir le « statut légal/officiel » des réfugiés qui permet aux Palestiniens d’acquérir le « droit au retour », conformément à la résolution n°194 de l’Assemblée générale des Nations Unies (11 décembre 1948), stipulant dans son onzième article que l’Assemblée générale
Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables.
Or, d’un point de vue purement juridique, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU est toujours valable et la communauté internationale n’a pris aucune décision ultérieure pour l’annuler ou la modifier.
Même si personne dans les gouvernements arabes ne se soucie de cette question ou fasse les efforts nécessaires pour activer (ou du moins rappeler) les résolutions internationales, le fait est que Nétanyahou, comme ses prédécesseurs, n’a pas oublié que l’UNRWA, de par son statut juridique, est l’agence qui consolide le statut juridique des réfugiés en accordant la carte de réfugié, et en établissant les camps de réfugiés comme des unités échappant à la responsabilité des États hôtes, et distincts de leur environnement naturel, avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne.
UNE POSITION HISTORIQUE
Tout comme son prédécesseur Naftali Bennett, qui a tenu des propos similaires lors d’une interview sur CNN le 2 février 2024, Nétanyahou ne fait ici que reprendre d’anciennes positions israéliennes. L’on se souvient d’une première proposition américaine en 1949, stipulant qu’Israël autorise le retour d’un tiers du nombre total de réfugiés palestiniens, « à condition que le gouvernement américain prenne en charge les dépenses liées à la réinstallation du reste des réfugiés dans les pays arabes voisins ». Cependant, David Ben Gourion, fondateur de l’État d’Israël et son premier Premier ministre d’alors, avait rapidement rejeté la proposition américaine, avant même que les pays arabes concernés ne se soient prononcés.
Il n’y a donc rien de surprenant dans la position israélienne qui se perpétue de Ben Gourion à Nétanyahou, dans la mesure où la reconnaissance par Israël du droit des réfugiés impliquerait une reconnaissance de sa responsabilité dans l’émergence du problème et ce qui en découle légalement, c’est-à-dire le droit au retour. Rien de surprenant non plus dans la position du leader israélien à l’égard de l’UNRWA, qui est l’incarnation juridique du problème des réfugiés.
Au moment de la création de l’UNRWA, on pensait que cette agence serait « temporaire », en vertu des deux résolutions de l’Assemblée générale la créant (résolution 212 en novembre 1948 et résolution 302 en décembre 1949). Son travail, voire son existence même, devait prendre fin lorsque les réfugiés palestiniens dont elle s’occupait retourneraient dans leurs maisons et sur leurs terres saisies par les milices sionistes en 1948. Au lieu de cela, leur nombre a augmenté à mesure que l’État d’Israël s’est emparé de davantage de territoire pendant la guerre de 1967. Puis Nétanyahou est venu tenter de mettre fin à ce problème de réfugiés, non pas en leur permettant de rentrer dans leurs foyers, comme cela semblerait être la solution naturelle face à un tel problème, mais en éliminant l’organisation internationale qui « rappelle leur existence ».
En conclusion, la campagne israélienne contre l’UNRWA a plusieurs objectifs, dont deux principaux. Elle a tout d’abord un objectif immédiat qui, comme le soutient l’éminent professeur d’histoire anglo-israélien Avi Shlaim, est lié à la décision de la CIJ. En prévision des prochaines délibérations de celle-ci, la campagne israélienne entend déformer l’image de l’UNRWA, intimider ses responsables et les pousser à garder le silence sur les violations israéliennes qui n’ont pas cessé, en plus de saper la crédibilité de ses rapports et déclarations sur lesquels le tribunal s’est appuyé dans sa décision initiale. Très probablement, comme le font habituellement les avocats du mensonge lorsqu’ils manquent de preuves, ce sera la principale carte présentée par la défense israélienne à la reprise de l’audience (au moins pour des raisons de propagande). Le deuxième objectif de la campagne israélienne est stratégique, avec un impact plus profond. Il s’agit d’une tentative nouvelle et ancienne d’effacer totalement la question des réfugiés qui, du point de vue du droit international, est toujours d’actualité et n’a pas encore été éliminée.
Bien que Nétanyahou veuille faire oublier la question des réfugiés, avec toutes ses dimensions juridiques et humanitaires, sa position sur l’UNRWA et sa déclaration claire à ce sujet révèlent qu’à l’instar d’autres porteurs de l’étendard du sionisme comme idée et stratégie, il n’a pas oublié ce qui est dit dans les statuts de l’agence des Nations unies sur la définition du réfugié ; il peut être attribué à toute personne
qui a eu sa résidence normale en Palestine pendant deux ans au moins avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d’existence, et a trouvé refuge, en 1948, dans l’un des pays où l’UNRWA assure ses secours
Selon les registres de l’UNRWA, le nombre de réfugiés palestiniens dépasse les six millions. Ce chiffre serait donc une menace démographique pour le sionisme ? L’idée, la stratégie (et l’État) d’Israël seraient-ils au-dessus de toute tentative de porter cette question là où le droit international pourrait être applicable — et efficace ?
AYMAN AL-SAYYAD
Journaliste et ancien conseiller du président de la République égyptien (2012).
Invité d'honneur de la 2e édition du Festival du livre africain de Marrakech, Edgar Morin philosophe français, à dénoncé le silence des Etats face à ce que subit le peuple palestinien. Il a eu des mots puissants contre Israel, Lui qui a été un résistant juif de la Seconde Guerre mondiale en ayant combattu en tant que lieutenant dans les forces de la France Libre de De Gaulle.
Si beaucoup de Gazaouis se sont transformés en journalistes reporters d’image pour documenter le massacre en cours, les vidéos ne manquent pas du côté des militaires israéliens, qui eux filment leurs exactions, brandissent leurs forfaits, avec la complicité de leur hiérarchie.
Captures d’écran de vidéos montrant des soldats israéliens lors de la guerre en cours Gaza depuis le 7 octobre 2023.
ans toutes les guerres, des militaires exhibent les ennemis tués ou torturés comme autant de preuves de leur supériorité. Chacun se souvient de cette soldate américaine tenant en laisse un prisonnier dans la prison d’Abou Ghraib en Irak. Mais, jusqu’alors ce type d’images était réservé à un cercle restreint et n’arrivait au grand public que grâce à d’autres soldats indignés.
Avec les réseaux sociaux et en raison de la nature même de la guerre d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, les bombardements, les destructions, les humiliations, sont mis en scène par des soldats, et les images partagées avec la population. Il n’y a plus d’hommes, de femmes ou d’enfants, mais des « ennemis » à abattre, des « choses » à faire disparaître. Voici quelques exemples parmi les très nombreuses vidéos publiées sur X (ex-Twitter), Instagram, TikTok etc. adressées au grand public israélien que nous avons pu visionner, vérifier, sélectionner. Et faire commenter.
BRÛLER UN CAMION DE PROVISIONS
Ce qui frappe en tout premier lieu c’est le nombre de photos et de vidéos venant de militaires heureux, hilares même, totalement inconscients de leurs propres crimes, tel un couple de soldats se demandant en mariage dans une école fraîchement bombardée au nord de Gaza. Ou ce militaire qui célèbre ses fiançailles avec ses camarades, comptant à rebours jusqu’à l’explosion d’une bombe dans un immeuble civil juste derrière lui.
Un soldat israélien demande son amie en mariage devant leurs collègues mobilisés sur le front de la guerre à Gaza.
Instagram
On pourrait citer aussi ce militaire s’amusant avec des affaires abandonnées d’enfants gazaouis1, ces soldats forçant un coffre-fort dans une maison, et chantant au milieu des ruines en exhibant le rouleau de la Torah, ou encore cette scène invraisemblable à Jénine, en Cisjordanie, où des guerriers au repos fument la chicha, mangent des chips ou l’équivalent, se sentent à l’aise dans la maison de Palestiniens qui apparaissent les yeux bandés et les mains menottées en arrière-plan – le tout dans une atmosphère décalée qui siérait à un groupe de copains revenant de ballade.
Deux soldats israéliens fument une cigarette pendant la destruction d’un bloc d’habitations civiles à Gaza.
X
On pourrait être surpris de voir ces images si ardemment publiées, tant elles peignent un tableau peu glorieux de l’armée qui aime à se présenter comme « la plus morale du monde ». Mais au final, il s’agit de présenter la participation à l’écrasement d’un peuple et à l’anéantissement de toute forme d’infrastructure dans l’enclave comme un divertissement. La banalité des crimes de guerre !
LES INFLUENCEURS SE RÉINVENTENT
Un deuxième type de publications relève de la mise en scène minutieuse. Ces petits films, de courte durée, scénarisés, soigneusement écrits, montrent par exemple des soldats face caméra préparer des lance-missiles, installer des bombes pour détruire des structures civiles à Gaza sur fond de musique entraînante - mimant des tutoriels et adoptant le langage visuel des vidéos TikTok - et se féliciter de chaque explosion. D’autres s’amusent dans une maison vidée de ses habitants ava
nt d’y mettre le feu, et finissent leur « sketch » par un « restez connectés [pour de prochaines vidéos] ».
Un soldat israélien, tout sourire, prépare ses munitions pour bombarder des habitations et des civils palestiniens à Gaza.
Instagram
Le dernier chic pour les militaires israéliens est de signer avec des messages plus ou moins guerriers un obus. Un geste repris par le président israélien Yitzhak Herzog lui-même, le 25 décembre 2023, lors d’une visite sur le terrain. À la demande, on peut faire dédicacer une frappe de missile à un être cher à son cœur, comme on le ferait d’une chanson à la radio. Ou, comme cette influenceuse, inscrire des messages sur les obus puis accompagner les soldats pendant qu’ils les tirent sur Gaza.
Car ce tableau serait incomplet s’il ne donnait pas à voir le rôle des influenceuses et influenceurs professionnels, dont les comptes sur les réseaux sociaux étaient déjà suivis par des millions de « followers » avant le 7 octobre. Parmi eux, le blogueur-soldat Guy Hochman que l’on peut voir, par exemple, faire un tour dans une maison gazaouie détruite, comme s’il visitait une location sur Airbnb. Sur un ton extrêmement moqueur, il pointe tour à tour le toit en lambeaux, le sol jonché de débris et de sable, les murs tagués de messages anti-palestiniens : « Tout ce séjour est gratuit en utilisant le code ‘FREEPALESTINE’ pour réserver vos vacances », ajoute-il avant d’aller se baigner dans la mer de Gaza. « Ce sable, il est à nous. Cette mer, elle est à nous », martèle-t-il dans une autre vidéo toujours filmée à Gaza où le ton est, là, au premier degré.
On peut également suivre cet influenceur populaire, Shita Hakdosha, qui fait des vidéos en anglais, invitant à « profiter » d’un coucher de soleil et d’une glace devant les bombardements à Khan Younès, en compagnie de soldats en jeep. Si l’on en croit ses publications les plus récentes, il se serait enrôlé dans l’armée de terre déployée dans Gaza.
L’influenceur Shita Hakdosha mange une glace en compagnie de soldats israéliens en regardant les bombardements sur Khan Younès, dans la bande de Gaza.
TikTok
Tout comme la réserviste Natalia Fadeev, créatrice de contenu « confirmée » sur TikTok et Instagram, qui se présente elle aussi dans sa biographie comme « réserviste de l’armée de défense israélienne ». Cette fan de cosplay2 titre toutes ses stories à la une avec le mot « war » (guerre) et les illustre d’un personnage de manga en tenue militaire israélienne. Si elle ne se filme pas en train de commettre des exactions, ses publications visent plutôt à donner une image « sexy » d’Israël, de son armée et de la guerre génocidaire contre Gaza. Sans surprise, la presse conservatrice israélienne glorifie souvent ces soldats et les présente comme des héros de guerre3, notamment en les invitant sur les plateaux télé et en leur donnant la parole.
En dehors des cercles médiatiques israéliens, on peut trouver sur les réseaux sociaux des vidéos de personnalités tournées vers un public international, tel que l’influenceur proche de Benyamin Netanyahu, Hananya Naftali, ou le journaliste arabophone Edy Cohen.
LA FIERTÉ DE « RASER UN PAYS ET SA POPULATION »
« Je n’ai pas été surpris que cela émerge du traumatisme du 7 octobre, commente le militant israélien contre l’occupation aujourd’hui installé en Allemagne Nimrod Flaschenberg. Il y a eu un processus rapide de légitimation de l’agressivité et du racisme. C’est ce qui a causé cette atmosphère et a permis aux artistes et aux politiciens de s’exprimer librement dans un langage génocidaire ».
Cette plongée dans la guerre représentée par les guerriers eux-mêmes met à nu ce que le professeur en sociologie politique Yagil Levy nomme la « déshumanisation par mépris » - soit la déshumanisation « passive » par mépris qui s’est installée chez une grande partie de la société israélienne, parallèlement au modèle de déshumanisation « active » vis-à-vis de l’ennemi à éradiquer. Un exemple en est donné par les vidéos qui ont défilé pendant des mois d’Israéliens grimés en Palestiniens, un Minstrel show4 contemporain se moquant cruellement d’un massacre à quelques kilomètres d’eux.
Un Israélien se filme grimé en Palestinien.
TikTok
« Ce qui est troublant, poursuit Nimrod Flaschenberg, c’est qu’ils se filment en train de célébrer le bombardement des universités et des maisons à Gaza. C’est fou le degré de joie et de fierté que ces soldats éprouvent à raser un pays et sa population. Cette déshumanisation est si gangrenée qu’ils ne pensent pas faire quelque chose de mal. » Encore ne voit-on que l’écume, car « l’armée censure et monitore les images qui filtrent du front ». En fait, assure-t-il :
Dans le psychisme israélien, les Gazaouis n’existent pas. Ce qui arrive aux civils à Gaza n’est pas montré. Seul le Hamas existe, et il est responsable des pertes civiles. En Israël, les gens ordinaires qui ne veulent pas que l’occupation continue, ne sont pas conscients des souffrances causées par les bombardements. La conversation se déroule uniquement dans le confort intra-israélien : « Allons-nous ramener les otages ? Allons-nous mettre fin au règne du Hamas ? » Les Gazaouis ne sont nulle part dans l’équation…
Mais ces images largement diffusées posent une autre question, plus franco-française celle-là. Pourquoi n’en entend-on presque jamais parler en France, alors qu’elles sont accessibles à tous en Israël, et que des journalistes vivant dans la bande de Gaza – ou plutôt survivant quand ils ne sont pas tirés comme des lapins par l’armée israélienne – ont très largement documenté des faits semblables ? Pourquoi les journalistes n’utilisent pas ces données qui circulent en toute liberté sur les réseaux sociaux et dans les médias israéliens, alors que le gouvernement israélien leur interdit l’accès à l’enclave sauf s’ils sont « accompagnés » par l’armée et baladés dans les circuits adéquats ?
DES FRANÇAIS SE FILMENT AUSSI À GAZA
Au moins 4 000 Français et Franco-israéliens combattent aux côtés des forces israéliennes, rapportait déjà Europe 1 en octobre 20235. Le député de la France insoumise Thomas Portes a réclamé en décembre 2023 qu’ils soient poursuivis en justice pour participation à des crimes de guerre. Deux combattants français cagoulés, en tenue militaire et portant des obus, lui ont adressé depuis Gaza un message vidéo : « Merci pour votre soutien, joyeux noël khouya [mon frère, en arabe] ».
Au moins deux Français combattant à Gaza figurent dans des vidéos qui pourraient servir de preuve de participation à des crimes de guerre, dont un Franco-israélien de Nice qui a participé à l’enlèvement et à la torture d’ouvriers gazaouis au mois d’octobre. Confronté par plusieurs internautes sur X (ex-Twitter), il a verrouillé ses comptes sur les réseaux sociaux, affirmant qu’il n’a fait que relayer les vidéos d’autres soldats, sans participer lui-même aux actes de torture.
C’est principalement sur ces vidéos et sur les faits documentés par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) que les représentants de l’Afrique du Sud ont appuyé leur plainte à la Cour de justice internationale (CIJ), déposée le 29 décembre 2023, montrant qu’il s’agit « du premier génocide diffusé en direct ».
Malgré les campagnes de signalement dont font l’objet ces vidéos, elles continuent d’être visibles en ligne, alors que les contenus relatant ce qui se passe à Gaza sont régulièrement censurés. L’ONG 7amleh (pour « hamleh », « campagne » en arabe), qui milite pour les droits numériques palestiniens, a interpellé le 7 février 2024 plusieurs plateformes qui hébergent toujours ce type de contenu, dont Meta (Facebook, Instagram et Whatsapp), X (ex-Twitter), Telegram et TikTok. L’organisation signale la prolifération des discours de haine, de déshumanisation et d’incitation à la violence et au génocide contre les Palestiniens. Elle rappelle que l’ordonnance de la CIJ nécessite que les plateformes assument leur responsabilité juridique et morale en matière de respect des droits humains et de prévention de la diffusion de contenus compromettants. Elle rappelle aussi que ces plateformes ont attisé par le passé des discours favorables au génocide en permettant leur diffusion en ligne, notamment en Éthiopie et au Myanmar.
Depuis le 7 octobre, 7amleh compte près de trois millions de contenus haineux ou incitant à la haine des Palestiniens en ligne, contre au moins 4 400 cas de censure côté palestinien, considérés par l’ONG Human Rights Watch comme « systémique ». De son côté, Meta prévoit uniquement de revisiter ses règles en estimant désormais que l’usage des termes « sioniste » et « sionisme » relève du discours haineux à l’encontre de personnes juives ou israéliennes.
> FATMA BEN HAMAD
Journaliste couvrant l’actualité notamment par le prisme des réseaux sociaux, les données en open source et les images amateurs.
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