Le Canada vit un manque criant de main-d'œuvre et ses dirigeants comptent bien y remédier. En effet, pour combler cet important déficit, le gouvernement de Justin Trudeau a décidé d'accueillir près de 1,5 million d'étrangers d'ici l'année 2025. C'est le ministre de l'Immigration qui a fait cette annonce, mardi 1er novembre, lors d'une conférence de presse.
« Le Canada a besoin de plus de monde », a effectivement déclaré Sean Fraser, le ministre de l'Immigration du pays de l'érable qui a atteint un taux de chômage bas ces derniers mois. Le taux s'est établi à 5,2 % en septembre, selon des informations rapportées par le quotidien français Le Figaro, qui précise que plus de 900.000 postes sont actuellement à pourvoir dans de nombreux secteurs.
Dans le but de pourvoir ces postes et trouver une solution au problème du manque de main-d'œuvre, les autorités canadiennes prévoient d'accueillir pour une résidence permanente 465 000 personnes en 2023. Pour l'année suivante, le Pays de l'érable accueillera 20 000 de plus, soit 485 000 étrangers. Enfin, 500 000 étrangers auront la résidence permanente au Canada en 2025, selon les chiffres avancés par le ministre canadien de l'Immigration, Sean Fraser.
Le Canada veut encourager l'accueil de plus de migrants économiques
Dans ce sillage, le gouvernement fédéral canadien entend amender ses programmes de sélection pour encourager les migrants économiques, sur la base des besoins constatés sur le terrain. Comme par exemple orienter les arrivées de migrants vers les secteurs en crise de main-d'œuvre, à l'instar des soins de santé, des emplois spécialisés, du secteur manufacturier ainsi que les STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques).
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En fait, les autorités canadiennes visent à réduire le nombre de réfugiés à accueillir sur leur territoire. Comment ? En se fixant l'objectif d'accueillir plus de 60 % des admissions totales en migrants économiques. Mais aussi, en réunissant plus rapidement les familles dont certains membres sont à l'étranger. C'est, semble-t-il, le meilleur moyen pour le Canada d'améliorer la qualité de sa politique d'immigration.
Il importe de rappeler que le Canada, qui compte près de 39 millions d'habitants, enregistre une grande proportion d'immigrants. Le Pays de l'érable compte, en effet, un citoyen sur quatre né à l'étranger. Il y a même une certaine concurrence entre les provinces en matière d'accueil, certaines provinces comme l'Ontario revendiquant plus d'émigration et des prérogatives similaires à celles du Québec.
Les habitants de la ville côtière de Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie, se rassemblent dans le centre-ville le 18 octobre 2022 pour une manifestation lors d'une grève générale (Photo, AFP).
De 4 000 à 5 000 manifestants se sont rassemblés sur l'avenue principale de Zarzis
Huit corps, dont plusieurs de Tunisiens, ont été retrouvés le 10 octobre par des pêcheurs
ZARZIS, Tunisie: Des milliers de personnes ont manifesté mardi à Zarzis, ville du sud-est de la Tunisie, paralysée par une grève générale pour réclamer l'intensification des recherches des corps de migrants tunisiens disparus en mer il y a un mois, selon un correspondant de l'AFP.
Les fonctionnaires et commerçants de cette ville côtière d'environ 75.000 habitants ont observé une grève générale à l'appel du puissant syndicat UGTT, demandant une enquête sur ce naufrage et sur les procédures de recherche et d'inhumation des dépouilles retrouvées.
De 4.000 à 5.000 manifestants parmi lesquels les familles de 12 migrants portés disparus se sont rassemblés sur l'avenue principale de Zarzis, selon des médias locaux et un militant associatif ayant participé à la manifestation.
Certains brandissaient des photos des disparus et des banderoles dénonçant un "crime d'Etat", appelant à dévoiler "la vérité".
"Aujourd'hui nous voulons connaître la vérité. C'est un crime d'Etat perpétré contre les habitants de Zarzis", indique à l'AFP Ezzedine Msalem, le militant associatif.
Une embarcation de fortune partie de Zarzis avec à son bord 18 migrants tunisiens, cherchant à rejoindre les côtes européennes, a disparu dans la nuit du 20 au 21 septembre. Par la suite, huit corps, dont plusieurs de Tunisiens, ont été retrouvés le 10 octobre par des pêcheurs.
Les autorités locales ont inhumé par erreur quatre migrants tunisiens dans un cimetière privé, "Le Jardin d'Afrique", réservé habituellement aux corps des migrants subsahariens repêchés dans la région, ce qui a provoqué la colère des familles.
Après leurs protestations, le président Kais Saied a ordonné lundi au ministère de la Justice d'ouvrir une enquête "afin que les Tunisiens connaissent toute la vérité et que les responsables de ces drames affrontent les conséquences de leur négligence".
Du printemps à l'automne, en raison de la météo favorable, le rythme des départs de migrants depuis la Tunisie et la Libye voisine vers l'Italie s'accélère, se soldant parfois par des noyades.
Face à la pression migratoire, les autorités tunisiennes peinent à intercepter ou à secourir les migrants en raison, disent-elles, d'un manque de moyens.
La Ligue tunisienne des droits de l'homme a dénoncé "l'incapacité des autorités à mobiliser les moyens nécessaires pour mener les opérations de sauvetage et de recherche avec célérité".
La Tunisie traverse une grave crise politico-économique et compte désormais quatre millions de pauvres, sur une population de près de 12 millions d'habitants.
Plus de 22.500 migrants – des Tunisiens, des Subsahariens et d'autres nationalités – ont été interceptés au large des côtes tunisiennes depuis le début de l'année, selon des données officielles.
Ces derniers jours, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de plus de 1 300 passeurs, Tunisiens et étrangers. (Photo, AFP)
L'ensemble de la famille -le père, la mère, la fillette de 3 ans et son frère de 7 ans- avait prévu d'embarquer depuis la ville côtière de Sayada (est de la Tunisie) pour rejoindre illégalement les côtes italiennes
Au cours de l'opération, «le père a remis sa fille au passeur sur l'embarcation pour aider son épouse et son fils restés loin derrière. Entretemps, la bateau avait pris le départ pour Lampedusa», en Sicile
TUNIS: Sans ses parents, une fillette tunisienne de trois ans a rejoint les côtes italiennes à bord d'une embarcation de fortune transportant des migrants, ont indiqué les autorités à Tunis qui ont placé son père et sa mère en garde à vue.
L'ensemble de la famille -le père, la mère, la fillette de 3 ans et son frère de 7 ans- avait prévu d'embarquer depuis la ville côtière de Sayada (est de la Tunisie) pour rejoindre illégalement les côtes italiennes.
Sauf qu'au cours de l'opération, « le père a remis sa fille au passeur sur l'embarcation pour aider son épouse et son fils restés loin derrière. Entretemps, la bateau avait pris le départ pour Lampedusa », en Sicile, a indiqué un responsable du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), organisation qui suit les questions migratoires.
Les parents de la fillette, des vendeurs ambulants, ont déboursé près de 24 000 dinars (environ 7 500 d'euros) pour tenter la traversée.
« Le parquet a ouvert une enquête et les parents de l'enfant ont été placés en garde à vue pour des soupçons d'affiliation à une bande organisée en vue de franchir illégalement les frontières maritimes », a indiqué le porte-parole de la garde nationale tunisienne Houcem Eddine Jebabli à la presse locale.
Ces derniers jours, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de plus de 1 300 passeurs, Tunisiens et étrangers.
Plus de 2 600 mineurs tunisiens, dont plus des deux tiers n'étaient pas accompagnés de leurs parents, sont parvenus à atteindre les côtes italiennes entre janvier et août 2022 sur un total de plus de 13 000 migrants tunisiens, selon le FTDES.
Les autorités tunisiennes qui ont annoncé récemment plus de 22 500 interceptions de migrants au large du pays, disent manquer de moyens face à une forte pression migratoire.
La Tunisie, située à certains points de son littoral à seulement 130 km de l'archipel italien de Sicile, traverse une grave crise politico-économique avec désormais quatre millions de pauvres sur près de 12 millions d'habitants.
Elle est aussi le point de départ chaque année de milliers de Sub-sahariens ou ressortissants d'autres pays pauvres ou en guerre, pour beaucoup déjà refoulés une première fois vers la Tunisie après leur départ clandestin depuis la Libye voisine.
«Marx était l'homme le plus haï et le plus calomnié de son temps. Les gouvernements absolutistes ou républicains l'ont déporté. Bourgeois, conservateurs ou démocrates se sont unis contre lui », déclaration d'Engels lors des funérailles de Marx.
En cette période d'entrer de l'Europe dans la guerre, escortée de son habituel lot d'exilés et de la criminalisation de l'activité politique révolutionnaire, il n'est pas inutile de rappeler que la vie de Karl Marx a été marquée par l'exil forcé, le bannissement, l'emprisonnement, la misère.
Jamais, autant que Marx, dirigeant politique n'a été combattu, vilipendé, calomnié, discrédité de son vivant. Les premières années de sa vie de militant révolutionnaire sont émaillées de persécutions, d'expulsions, d'interdictions, de condamnations, de détention. D'abord, en butte aux persécutions en Allemagne, Karl Marx se réfugie à Paris. À peine installé dans la capitale française, il fait l'objet d'un ordre d'expulsion sur la requête du pouvoir prussien. Ensuite, il trouve exil en Belgique. Revenu en Allemagne, aussitôt il est à nouveau banni. Il part se réfugier à Paris en 1848. Il participe aux journées révolutionnaires de Juin. Il est arrêté et interné dans le Morbihan. Il parvient à s'échapper, puis traverse la Manche pour s'exiler définitivement à Londres.
Ainsi, Marx a été traqué, pourchassé dans toute l'Europe. Il finit par s'exiler en Angleterre, seul pays dépourvu de législation pour délit d'opinion. Cependant, l'Angleterre, si elle lui accorde le droit d'exil, elle lui refuse tout droit de travail.
Comme l'a écrit le militant et historien socialiste Franz Mehring : «Malheur au génie indépendant et incorruptible qui s'oppose fièrement à la société bourgeoise, qui sait lire dans le fonctionnement de ses rouages internes les signes avant-coureurs de sa fin prochaine et qui forge les armes qui lui donneront le coup de grâce. A un tel génie, la société bourgeoise réserve des supplices et des tortures qui peuvent paraître moins barbares que ne l'étaient le chevalet de l'Antiquité et le bûcher du Moyen Age, mais qui au fond n'en sont que plus cruels.»
Condamné à vivre dans la pauvreté, Marx, pour pouvoir travailler à son œuvre et à l'organisation du mouvement ouvrier, n'a dû sa survie qu'au soutien financier de son ami dévoué Engels. Contrairement aux calomnies répandues sur Marx, celui-ci n'a jamais refusé de travailler pour mieux se consacrer librement à la rédaction de ses écrits. En vérité, c'est par la volonté de la bourgeoisie de l'affamer qu'il est s'est retrouvé sans emploi. En effet, par son statut d'exilé comme par sa stature de « dangereux » révolutionnaire, Marx ne pouvait pas décrocher un emploi à la hauteur de ses compétences universitaires (Marx était titulaire d'un doctorat en philosophie et avait une compétence reconnue dans le journalisme).
De toute évidence, toute la bourgeoisie européenne s'est liguée contre Marx : hors de question de lui accorder un emploi ou une simple pige dans un journal. Néanmoins, il parvient à se faire «recruter» en qualité de journaliste, mais sous une fausse identité, par New York Daily Tribune avec lequel il collabore une bonne dizaine d'années à partir de 1851. Avec ses 200.000 abonnés, New York Daily Tribune est alors le journal le plus lu et le plus riche des Etats-Unis.
Ainsi, au cours de sa vie d'exilé, Marx n'a jamais pu exercer un travail fixe. Ce qui le conduit à vivre dans une extrême pauvreté. Plusieurs de ses enfants ont subi dans leur chair les cruelles affres de l'infortune de leurs parents : certains sont morts de faim. D'ailleurs, Marx écrit par ironie : «Je ne pense pas qu'on n'ait jamais écrit sur l'argent tout en en manquant à ce point».
Durant toute sa longue vie d'exilé (de 1848 jusqu'à sa mort en 1883), Marx a vécu dans la misère, comme en atteste sa correspondance avec Engels. Certes, ce dernier, installé également en Angleterre, lui apporte un soutien financier régulier, mais il permet à peine à la famille de Marx de survivre. En effet, en dépit de cette aide pécuniaire généreuse, Marx et sa famille vivent dans une extrême misère : « Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d'argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrais encore me les procurer aujourd'hui », écrit-il à Engels le 4 septembre 1852. Au reste, l'un de ses enfants, Edgar, meurt de malnutrition.
De fait, jusqu'à sa mort, Marx mène une vie d'anachorète. À Londres, Marx vit dans un misérable appartement deux pièces, décrit par ses familiers comme un taudis où s'entassent anarchiquement de vieux meubles. Outre l'indigence dans laquelle Marx a été réduit à vivre, il devait également subir tout au long de sa vie d'odieuses calomnies par de nombreux auteurs
Au lendemain de la mort de Marx, le journal «L'univers » se répand, dans un article où la calomnie le dispute au mensonge, en une diatribe ignoble. Le journal écrit le 19 mars 1883 :
« Marx fonda l'Internationale, terrible et vaste plan, dont la réalisation amènerait une dictature des travailleurs et conduirait le monde à la « liquidation sociale ». Marx était juif, comme son compagnon socialiste Lassalle. Aussi avait-il à un haut degré toutes les particularités distinctives de sa race. Il aimait le luxe, le faste et le bien-être matériel, tout en fulminant avec indignation contre le capital et la bourgeoisie. Toujours comme Lassalle, époux d'une Allemande d'origine princière, Marx parvint à épouser une jeune fille noble et riche, sœur du comte de Westphalen, le ministre ultraconservateur prussien de la réaction de 1850. Alors le juif put satisfaire ses goûts. Il s'entoura de tout le luxe que lui permit la fortune de sa femme.
On possédait un bel hôtel à Londres ; on louait en hiver des villas sur la Riviera ; au printemps, on allait jouir du climat délicieux de l'île de Wight ; on s'installait à Ventnor, l'ancienne résidence de l'impératrice d'Autriche ; puis en été on cherchait la fraîcheur dans un chalet d'Interlaken ou de Brunnen. Tout en menant cette large existence, Marx ne cessait de faire ses plus larges efforts pour révolutionner les travailleurs en les excitant à demander la liquidation sociale. Il se garda bien de donner l'exemple de cette liquidation. Sa générosité pour les travailleurs était toute platonique. Le juif Marx a puisé ses principales idées dans les fameuses doctrines de Luther. « Faites ce que vous voudrez, mentez, parjurez-vous, volez, tuez les riches et les princes, croyez seulement que vous avez bien fait. » Ces infâmes paroles, le fondateur de l'Internationale se les était appropriées ; il les avait arrangées selon les besoins du siècle. Les travailleurs trouvent que l'équité exige la liquidation et que chacun est roi en vertu des principes de la souveraineté nationale. »
De nos jours encore, on trouve des calomnies grossières de même acabit contre Marx. Sous la plume de ses détracteurs, on peut lire que Marx aurait engrossé la bonne, profité de tout le monde, exploité ses filles, acculant deux d'entre elles au suicide.
Cependant, à la lecture du rapport de la police prussienne sur l'exil de Marx à Londres, peu suspect de sympathie politique révolutionnaire, on découvre la vérité. Dans ce rapport, il est écrit : « Le chef de ce parti (les communistes) est Karl Marx ; les autres dirigeants les plus proches sont Friedrich Engels, qui vit à Manchester et Freiligrath et Wolff « Lupus » à Londres, Heine à Paris, Weydemeyer et Cluss aux États-Unis ; Burgers et Daniels sont à Cologne (Köln) et Weerth, à Hambourg. Mais l'esprit actif et créatif, l'âme véritable du parti est Marx ; Je tiens donc à vous parler de sa personnalité... il porte la barbe ; ses yeux sont grands, fougueux et pénétrant, il a quelque chose de sinistre, de démoniaque. Cependant, il montre, à première vue, le regard d'un homme de génie et d'énergie. Sa supériorité intellectuelle exerce une influence irrésistible sur ceux qui l'entourent. Sa femme, la sœur du ministre prussien de Westphalen, est une femme cultivée et agréable, qui, pour l'amour de son mari, s'est adapté à une vie de gitane et maintenant se sent parfaitement bien dans leur environnement, dans cette misère. Il a deux filles et un garçon, tous très mignon et les mêmes yeux intelligents du père...
En tant qu'époux et père Marx, malgré son caractère agité et violent, est le plus tendre et le plus doux des hommes qui soit du monde. Marx vit dans un des pires quartiers de Londres et par conséquent l'un des moins onéreux. Son domicile est constitué de deux pièces, celle face à la rue et le Hall et l'autre qui est à l'arrière et sert de chambre pour dormir. Dans toute la maison il n'y a pas un seul meuble propre et en bon état. Tout est en ruine, ébréché, usé, revêtu d'une couche de poussière de l'épaisseur d'un doigt ; partout règne le plus grand désordre. Au milieu de la pièce trône une relique, une grande table, recouverte d'une couche de cire qui n'a jamais été poncée. Ici s'entassent manuscrits, livres et journaux de Marx, jouets pour enfants, pièces pour l'usage des femmes, tasses de thé aux bords fissurés, sales, des cuillères, des couteaux, des fourchettes, des chandeliers, des encriers, des pipes de porcelaine hollandaise, de la cendre de tabac : tout entassé, empilé sur cette unique table. Quand on entre dans la maison de Marx, le charbon et la fumée de tabac est tellement dense que dans un premier temps vous devez aller à tâtons comme dans une caverne ; puis progressivement la vue s'habitue à la fumée et commence à apercevoir quelque chose, comme dans un brouillard. Tout est sale et couverte de poussière, s'asseoir est vraiment une entreprise dangereuse. Ici, une chaise qui tient seulement trois jambes, au-delà les enfants jouent sur une autre chaise, En train de cuisiner par hasard ensemble.
Naturellement toute la collation est offerte au visiteur, mais les enfants traînent au milieu des déchets de cuisine, et vous sentez que vous risquez de détruire vos pantalons en les posant sur ladite chaise. Mais tout cela ne cause pas à Marx et à son épouse la moindre gêne. L'hôte est le plus sympathique du monde ; Pipe, tabac et tout ce qui peut être trouvée dans la maison est offert avec la plus grande cordialité. Une conversation intelligente et agréable permet de surmonter les lacunes domestiques, rendre tolérable ce qui dans un premier contact était juste désagréable. Puis, enfin au bout du compte vous trouvez l'atmosphère intéressante et originale. »
De toute évidence, du vivant de Marx, la bourgeoisie a tout fait pour l'empêcher d'agir en le diabolisant, en le persécutant de son arsenal policier. Après sa mort, elle a tout fait pour dénaturer son combat pour la destruction du capitalisme et l'avènement du communisme.
Aujourd'hui, plus d'un siècle après sa disparition, Marx continue de susciter autant de diffamations, de déformations de sa pensée. Certes, de nombreux universitaires reconnaissent l'apport de Marx à l'économie, à la philosophie et à la sociologie. Mais pour mieux insister sur la caducité de la pensée de Marx. Ou encore pour mieux souligner les erreurs politiques de la pensée de Marx. Par cette entreprise de dévitalisation de la pensée de Marx, cette élite universitaire vise à rendre moins mordante sa théorie, à émousser le tranchant révolutionnaire et militant du marxisme. Parmi les arguments avancés par ses mandarins de l'université, pour falsifier et déconsidérer l'œuvre révolutionnaire de Marx, figure cette sentencieuse assertion considérant Marx comme un simple «penseur du XIXe siècle». Entendant par là que son œuvre ne permet pas de comprendre l'évolution ultérieure des XXe et XXIe siècles. (Il est vrai que l'œuvre de Bernard Henry Levy ou d'Alain Finkielkraut permet mieux de comprendre le monde capitaliste contemporain).
Le projet d'émancipation révolutionnaire n'aurait aujourd'hui, selon certains auteurs, aucune validité, ni nécessité historique. D'ailleurs, toujours selon ces théologiens modernes du capital, la classe ouvrière n'existerait plus. Et son projet politique ne pourrait déboucher que sur le cauchemar totalitaire stalinien.
Selon ces plumitifs du capital, hormis ses apports en matière philosophique et sociologique, tout l'aspect politique révolutionnaire de l'œuvre de Marx serait finalement à jeter aux poubelles de l'histoire. D'aucuns, comme Jacques Attali, conseiller de la bourgeoisie, s'ingénient de récupérer Marx en réduisant le combat de Marx en défenseur de la démocratie, du libéralisme. Ce conseiller des princes ose affirmer que Marx serait un des «père fondateur de la démocratie moderne». Toujours selon ces thuriféraires du capitalisme, l'œuvre de Marx permet surtout de comprendre et d'améliorer le capitalisme. Certains de ces apologistes du capital ne tarissent pas d'éloges sur le génial ouvrage «économique» de Marx, Le Capital. Marx est un «économiste de génie», clament-il : il est le premier penseur à avoir pressenti les crises du capitalisme, prédit la mondialisation, l'accroissement des inégalités, etc.
Au fond, d'après cette analyse tendancieuse panégyrique, il s'agirait de comprendre Marx, non comme le militant révolutionnaire qu'il était, mais comme un penseur dont l'œuvre permettrait d'améliorer le capitalisme.
Par ailleurs, parmi les plus célèbres apologistes de Marx figurent au premier plan depuis un siècle ses prétendus héritiers : depuis les staliniens jusqu'aux trotskistes en passant par les nombreuses chapelles gauchistes. En réalité, tous ces thuriféraires de Marx n'ont cessé de défigurer, dénaturer, souiller le révolutionnaire Marx, notamment par sa métamorphisation en icône quasi-religieuse, sa canonisation au moyen d'érection de statues. Par leur assimilation mensongère des pays staliniens au communisme.
De manière générale, contrairement aux mensonges colportés par ces serviteurs du capital, Marx n'a jamais été ni un économiste, ni philosophe, ni un sociologue. Marx est d'abord un révolutionnaire, c'est-à-dire un combattant. Son travail théorique est incompréhensible sans ce point de départ. Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde. Mais seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Depuis sa participation au groupe des jeunes hégéliens à Berlin en 1842 jusqu'à ces derniers engagements de la fin de sa vie, Marx a été un combattant pour le communisme.
L'œuvre théorique de Marx est monumentale. Et si Marx a pu développer une originale élaboration théorique, c'est parce qu'il s'est placé d'emblée du point de vue de la nouvelle classe ouvrière enfantée par le capitalisme pour soutenir sa pathologique valorisation. Il a été le premier à théoriser scientifiquement le rôle révolutionnaire de la Classe Ouvrière. À comprendre, par sa place essentielle au sein de la production, sa mission historique de fossoyeur du capitalisme. À saisir que la classe ouvrière n'a rien à défendre dans le capitalisme mais seulement ses chaînes à perdre par sa lutte contre son exploitation.
Marx, en partant de ces postulats, a été le premier révolutionnaire à comprendre que le combat des ouvriers contenait potentiellement la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme, dans laquelle l'humanité se débat depuis l'apparition des classes sociales. Et la libération de la classe ouvrière permettrait l'avènement de l'humanité réunifiée, c'est-à-dire dire la communauté humaine universelle, la société sans classe. Sur le fondement de la mission historique de la classe ouvrière (transformation de classe en soi en classe pour soi), Marx a mis en œuvre sa méthode scientifique, le matérialisme historique, nouvelle arme de combat de la classe ouvrière. Par sa nouvelle méthode dialectique, Marx remet sur ses pieds l'approche philosophique idéaliste de Hegel, pour qui certes toute transformation de la réalité est un processus dialectique, mais par l'Esprit.
C'est en partant du point de vue de la classe ouvrière, que Marx a pu s'atteler à l'étude de l'économie pour lui offrir un outil de compréhension des mécanismes d'exploitation en œuvre dans le système de production capitaliste. C'est en combattant de la classe ouvrière et non en savant neutre que Marx s'est donc engagé dans l'étude des fondements économiques de la société capitaliste pour en faire la critique.
Cette étude lui a permis de découvrir les règles économiques du système capitaliste. De démontrer que le fondement du capitalisme est l'échange marchand. C'est l'échange qui est à la base du rapport salarial, c'est-à-dire du rapport d'exploitation de l'homme par l'homme dans le capitalisme. Et l'achat de la force de travail signifie production de plus-value, et donc exploitation.
Grâce notamment à l'approche matérialiste, Marx a pu dégager l'historicité du mode de production capitaliste. A l'instar des modes de production antérieurs emportés par les convulsions de l'Histoire, le système capitaliste n'est pas aussi éternel. Le capitalisme est confronté à des limites intrinsèques. Il entre historiquement en crise car «à un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale» (Contribution à une Critique de l'économie politique).
En outre, Marx démontre que le capitalisme produit son propre fossoyeur : le prolétariat, qui est à la fois la dernière classe exploitée de l'histoire. Exploité, opprimé, dépossédé de tout, le prolétariat est la classe sociale potentiellement révolutionnaire par la nature associée et solidaire de son travail. Classe qui, en s'unissant au-delà des frontières, est la seule force capable de renverser le capitalisme au niveau mondial pour établir une société sans classes et sans exploitation.
L'élaboration théorique réalisée par Marx demeure un outil d'analyse irremplaçable pour la compréhension de la société bourgeoise du XIXe siècle, mais également des deux siècles suivants. À notre époque de crise systémique du capitalisme, les découvertes théoriques de Marx doivent être à nouveau réappropriées par la classe ouvrière pour mener efficacement son combat contre le capitalisme dans une perspective de sa destruction.
Marx aura partagé le sort du prolétaire moderne. Il a mené une existence misérable, totalement précaire. Il a subi les persécutions, les calomnies, les condamnations, l'internement, l'exil.
A la veille de son cinquantième anniversaire, Marx écrit : « Un demi-siècle sur les épaules et toujours aussi pauvre ! » Dans une autre lettre il écrit : « Je dois poursuivre mon but envers et contre tout et ne pas laisser la société bourgeoise faire de moi une machine à faire de l'argent. » (Lettre de Marx à Weydemeyer le 1er février 1859).
Jusqu'à sa mort, Marx l'immigré, l'exilé de force, est demeuré fidèle à ses convictions.
Accueillis par la Belle Province parce qu’ils sont diplômés et qu’ils parlent français, les immigrés originaires d’Algérie, du Maroc et de Tunisie rencontrent d’importantes difficultés pour échapper au chômage ou pour trouver un emploi correspondant à leurs compétences. Le débat tendu et récurrent autour de la question identitaire et l’attentat contre une mosquée de Québec en janvier ont aggravé leur mal-être.
Longtemps considérés comme la « petite Italie » de Montréal, les alentours de la rue Jean-Talon Est ont récemment été rebaptisés « petit Maghreb » par un regroupement de commerçants. Avec ses deux millions d’habitants, la ville de Montréal, en plus d’être divisée entre francophones (à l’est et au nord) et anglophones (au sud-ouest de l’île), apparaît comme une mosaïque ethnique. Ce quartier concentre une bonne part de la population maghrébine et surtout algérienne au Québec (voir « Montréal, ville-monde »). Situés en bordure du Plateau- Mont-Royal — le quartier cossu des immigrants français —, nombre des segments de la rue Jean-Talon Est arborent les signes caractéristiques de cette présence récente, qui remonte au début des années 1980 (1). Au Canada, où un habitant sur cinq est né à l’étranger, on compte deux cent mille Maghrébins, dont 80 % installés dans la province du Québec et 70 % dans la seule ville de Montréal (2).
Les boucheries sont halal, les agences de voyages proposent des vols bon marché pour l’Afrique du Nord et les boulangeries vendent des pâtisseries et des ustensiles de cuisine « du pays ». Quelques rares tiendas (boutiques) témoignent aussi d’une présence sud-américaine. Dans ce quartier, on célèbre joyeusement les victoires des équipes de football maghrébines, la police intervenant avec bonhomie pour détourner la circulation et éviter les débordements. De nombreux cafés portent le nom d’établissements très connus à Alger, Tunis ou Casablanca. C’est dans l’un d’eux, le 5 Juillet — référence au jour de l’indépendance algérienne en 1962 —, que nous retrouvons plusieurs arrivés de fraîche date. M. Mounir D., un Oranais de 35 ans, manutentionnaire dans un grand magasin, a obtenu son visa d’immigration en 2015. Une petite tasse de café à la main, une cigarette dans l’autre, il raconte sa nouvelle vie, synonyme d’autonomie et d’émancipation : « Ici, je suis bien. Il y a des problèmes, je ne vais pas le nier, mais, frère, avec mon épouse et mes enfants, nous avons notre logement, une voiture, et dans cinq ans maximum nous serons citoyens canadiens ! Il ne faut pas trop écouter les gens qui se plaignent. Ici, on a la paix. »
Les protestations fusent. Ses camarades sont loin d’être d’accord. Pour eux, la réalité est bien plus contrastée. Ils ne cachent ni leur déception ni leur colère à l’égard des autorités québécoises, qui ne feraient pas tout pour leur garantir une meilleure intégration. M. Hassan M., un architecte d’origine tunisienne qui dit travailler dans le bâtiment, sans autre précision, avoue son amertume : « Nous ne sommes pas des réfugiés qui demandons l’aumône. Nous sommes une immigration choisie, puisque le Canada et le Québec ont fait appel à nous et nous ont sélectionnés. Or, après notre installation, c’est le chômage garanti. Ici, c’est tout sauf un eldorado. »
Hantise de devoir dépendre du « bessbass »
Pour enrayer la dénatalité et éviter un déclin démographique face à la majorité anglophone du Canada, le Québec a en effet adopté un régime législatif qui lui permet de sélectionner des « ressortissants étrangers en mesure de participer pleinement, en français, à la société québécoise (3) ». Le Maghreb, à l’instar de l’Afrique de l’Ouest ou d’Haïti, est ainsi vu comme le réservoir francophone d’une immigration perçue très largement comme nécessaire au développement de la province.
Hassan et ses camarades insistent toutefois sur le taux de chômage particulièrement important au sein de la population active d’origine maghrébine : 20 % à 30 % selon les estimations, c’est-à-dire trois à cinq fois plus que la moyenne de la province (6,2 % en janvier 2017). Et ces chiffres ne prennent pas en compte le profond sentiment de déclassement ressenti par de nombreux migrants qui ont la chance de travailler. Une anecdote maintes fois entendue l’illustre : en cas d’urgence médicale à Montréal, mieux vaudrait appeler un taxi, conduit par un médecin maghrébin ou subsaharien qui ne peut exercer faute d’équivalence de diplôme, que faire appel aux services hospitaliers, régulièrement congestionnés... Mounir reconnaît lui-même avoir du mal à accepter sa condition. Titulaire d’un doctorat de lettres et d’un diplôme tunisien d’interprétariat, il n’a pu trouver de poste à la hauteur de ses compétences : « On n’est pas suffisamment mis en garde pendant le processus de sélection. Les services d’immigration insistent à raison sur la dureté de l’hiver, mais ils feraient mieux de dire aux immigrés que le plus difficile pour eux sera de trouver un vrai emploi. » Il faut toutefois relever que les documents gouvernementaux avertissent les futurs résidents étrangers : « Le fait d’avoir été sélectionné en tant que travailleur qualifié ne signifie pas que vous occuperez un emploi dans la profession ou le métier que vous voulez exercer. »
Quel que soit l’interlocuteur, revient la hantise de rejoindre celles et ceux qui doivent se contenter d’attendre la fin du mois et le versement du bessbass. Ce terme arabe signifie « fenouil » et désigne, par dérision, le programme gouvernemental d’aide sociale, appelé communément « bien-être social », ou péjorativement « BS », soit 604 dollars canadiens par adulte (435 euros). Ancien ingénieur dans une compagnie d’électricité en Tunisie, M. Moaz F. nous reçoit dans une petite maison individuelle à quelques centaines de mètres de la grande tour inclinée du stade olympique de Montréal. Il a réussi à trouver un emploi d’ingénieur, mais au terme d’un difficile processus de plusieurs années, au cours duquel il a été obligé de reprendre ses études faute d’obtenir les équivalences nécessaires.
Son épouse Ines, ingénieure elle aussi, travaille à mi-temps dans une association d’alphabétisation pour des immigrés non francophones. Tout en reconnaissant la « tranquillité d’esprit » dont elle jouit loin de la Tunisie et de ses incertitudes politiques, elle dénonce le discours officiel à propos des difficultés d’emploi des Maghrébins. « Quelle que soit la couleur du gouvernement de la province, le problème est minimisé. Le corporatisme de certains ordres professionnels empêche l’accès à des professions réglementées, comme médecin, avocat ou infirmière. Il n’est pas remis en question, et le sujet de la discrimination à l’embauche reste tabou. Dans le même temps, on dit aux gens de créer leur entreprise. C’est un vrai choc culturel, parce que ces personnes viennent de pays où le salariat est la voie normale et où l’on attend de l’État la solution. D’où la frustration qu’elles expriment. De guerre lasse, certains créent de petites entreprises dont la cible est d’abord la clientèle maghrébine. Voilà comment on favorise le communautarisme. »
Bien mieux considérés qu’en Europe
Les statistiques montrant que les Maghrébins sont la communauté la plus touchée par le chômage ne semblent guère émouvoir les autorités, même si des voix s’élèvent pour réclamer un effort plus soutenu afin de leur faciliter l’accès à la fonction publique. Nous avons pu recueillir des dizaines de témoignages comme ceux d’Ines ou de Hassan, avec les mêmes critiques et les mêmes arguments. Ancien journaliste en Algérie, M. Kamel Dziri résume ainsi son parcours par le millier de curriculum vitae envoyés ou distribués en faisant du porte-à-porte, et qui n’ont débouché que sur quelques entretiens infructueux. Alors qu’on le considère comme « surqualifié », il a dû se satisfaire d’un emploi de magasinier dans une chaîne d’équipements électroniques. Doctorant à l’université d’Ottawa, dans l’Ontario voisin, M. Adib Bencherif a quant à lui connu une surprenante déconvenue lors de sa recherche d’emploi au Québec : « Un recruteur m’a fait comprendre que ma bonne maîtrise de la langue et de la culture françaises était un handicap. Selon lui, je risquais de complexer mes collègues québécois… »
De fait, la complexité des relations triangulaires entre le Québec, la France et les pays du Maghreb façonne le quotidien des immigrés d’origine nord-africaine. Professeur titulaire à HEC Montréal, Taïeb Hafsi vit au Canada depuis plus de trois décennies. Observateur attentif de l’évolution des communautés maghrébines, il dresse un constat apaisé, mais non dénué de critiques : « Dans l’ensemble, les Maghrébins sont heureux d’être au Québec et ils y sont bien mieux accueillis qu’en Europe. Il y a un vrai attachement à cette terre d’adoption, et les critiques que l’on entend à propos de la difficulté d’accès à l’emploi s’expliquent aussi par une impatience et une volonté d’intégration très importantes. » Pour ce spécialiste du management mondialement reconnu, les problèmes naissent néanmoins quand, dans un pays de tradition multiculturelle, le Québec importe des problématiques qui lui sont étrangères, en reproduisant par exemple le débat français à propos de la laïcité et de la place de l’islam dans l’espace public.
Avant la tuerie du Centre culturel islamique de la ville de Québec, qui a fait six morts le 29 janvier dernier, deux événements majeurs avaient créé le malaise au sein de la communauté maghrébine. Le premier concernait la tenue, en 2007 et 2008, de débats publics à propos des « accommodements raisonnables » imposés depuis 1985 par la Cour suprême du Canada. Ces exceptions à certaines règles en apparence égalitaires visent à éviter une discrimination envers les handicapés ou envers des minorités, essentiellement confessionnelles. Ces accommodements encadrés par les tribunaux autorisent par exemple des congés les jours de fête religieuse, le port à l’école du couteau traditionnel par les enfants sikhs, celui du hidjab par les musulmanes ou de la kippa par les juifs. Au terme de ces auditions et de son enquête, la commission Bouchard-Taylor avait conclu que ces accommodements ne posaient pas de problèmes « sur le terrain », mais elle avait mis au jour une crainte croissante des Québécois à l’égard de l’immigration.
Le second événement, plus récent, est la proposition d’une « charte des valeurs québécoises » évoquée par le Parti québécois (PQ) lors de la campagne pour les élections provinciales de septembre 2012. Le projet, présenté en 2013, entendait encadrer la pratique des « accommodements raisonnables » en réaffirmant les valeurs de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes. La charte interdisait notamment à tout le personnel de l’État, de l’éducation ou de la santé de porter des « signes religieux facilement visibles et ayant un caractère démonstratif ». Après avoir mobilisé opposants puis partisans, et divisé le camp souverainiste, elle fut abandonnée à la suite de la victoire du Parti libéral en avril 2014 (4). Durant ces deux moments d’agitation, nombre de migrants se sont sentis stigmatisés et reprochent au PQ d’avoir joué avec le feu en créant un climat général d’intolérance.
Jeune Français descendant de grands-parents algériens installé dans la banlieue de Montréal, M. Salim Nadjer insiste sur la sensation de déjà-vécu qu’il éprouve depuis quelques années. « Les débats ont parfois été caricaturaux. N’importe qui a pu s’emparer du micro pour dire n’importe quoi. J’ai eu l’impression que la France et ses problèmes m’avaient suivi à Montréal, et je me dis qu’il faut peut-être que j’aille m’installer au Canada anglophone pour être tranquille. » De son côté, M. Abdelhamid Benhmade, doctorant marocain à l’université d’Ottawa, estime que les polémiques liées à la charte des valeurs ont eu quelques conséquences positives. « De nombreux Québécois ont abandonné leur attitude d’évitement et ont dit des choses qu’ils n’osaient pas formuler. C’est un point de départ pour résorber les incompréhensions. » Une opinion que partage l’universitaire montréalaise Rachida Azdouz. Pour cette personnalité très engagée contre les discriminations, « le débat sur la laïcité est nécessaire, mais il faut garder en tête la montée de l’intolérance. Il y a sûrement des ajustements à faire, mais certains en profitent pour remettre en question la présence des Maghrébins sur le sol québécois ».
La Belle Province n’est pas restée à l’abri des tumultes du Proche-Orient et de l’Europe. Le 28 mars 2015, le groupe d’extrême droite Pegida Québec, s’inspirant du mouvement allemand du même nom, a tenté d’organiser une marche « contre l’islamisation du Québec » dans le « petit Maghreb », avant d’y renoncer à la demande de la police et face à une contre-manifestation importante. En décembre 2016, comme s’ils pressentaient le drame à venir, de nombreux internautes maghrébins résidant à Québec et à Montréal s’alarmaient que plusieurs groupes militants appellent sur des réseaux sociaux à « nettoyer le Québec de toute présence musulmane ». L’un d’eux, la Meute, fondé à l’automne 2015 par deux anciens militaires, compterait plus de 43 000 membres sur sa page Facebook. Il entend défendre l’identité du Québec, « foyer et nombril de la civilisation européenne dans toutes les Amériques (5) ».
Plus ouverts, plus indulgents qu’en France
La tuerie du 29 janvier, commise par un étudiant d’extrême droite, mais aussi les polémiques liées à la charte des valeurs ont semé le doute au sein du PQ. L’un de ses responsables, partie prenante de la campagne électorale de 2014, a bien voulu s’exprimer sur la question, en demandant à ne pas être cité nommément : « Il y a une nécessité de poser des limites au multiculturalisme tel qu’il existe dans le reste du Canada. Si, à Calgary, une policière voilée ne pose pas de problème, ce n’est pas le cas au Québec. Il ne s’agit pas de dire non à l’islam, mais de fixer des règles sur le vivre-ensemble. Ce débat n’est pas clos, même si notre parti risque de se couper d’une partie de l’électorat de confession musulmane. » Un avis que partage le politiste Christian Dufour : « Le Québec n’est certes pas la France, car nous sommes plus ouverts et plus indulgents vis-à-vis de la diversité culturelle. Mais ce n’est pas non plus la Colombie-Britannique, l’Alberta ou l’Ontario. C’est aux courants nationalistes et autonomistes québécois de définir une plate-forme acceptable par tous, loin des surenchères identitaires. » De son côté, le parti progressiste Québec solidaire a décidé en novembre 2015 de se tenir à distance du débat identitaire. Vigilant à l’égard du prosélytisme, il ne s’oppose pas pour autant au port de signes religieux par les représentants de l’État. Avec un « projet collectif d’indépendance et de défense des droits de la personne et des minorités », ce parti entend attirer à lui les souverainistes québécois que le débat sur la charte des valeurs a rebutés.
Pour autant, nombre de résidents maghrébins se sont ouvertement prononcés en faveur de cette dernière. « Je ne suis pas venu m’installer au Québec pour vivre les mêmes pressions religieuses que celles que j’ai subies en Algérie », nous déclare à ce sujet M. Fouad Nedromi, un logisticien d’origine algérienne. Pour lui, des voix comme celle de Mme Djemila Benhabib, candidate du PQ en 2012 et 2014, ont raison de se faire entendre pour dénoncer le danger de l’intégrisme et du repli communautariste. Attaquée pour ses positions en faveur d’une laïcité intransigeante, cette auteure et militante très active a publié sur sa page Facebook, le 4 février 2017, un texte dénonçant l’opportunisme de la classe politique québécoise après l’attentat de Québec. « Je me serais attendue à ce que ces rencontres [des représentants politiques] avec les religieux musulmans soient aussi une occasion pour nos politiciens de leur expliquer le sens de la démocratie. La nécessaire distanciation entre le politique et le religieux pour protéger les religions, précisément. Le profond respect des femmes. Notre attachement à la liberté d’expression. Notre rejet viscéral de la violence. Mais non, c’était trop leur demander. L’occasion était trop belle pour eux de comptabiliser des votes ! » Cette intervention a suscité la polémique. Et fait dire à de nombreux Québéco-Maghrébins que ce ne sont pas simplement les débats franco-français sur l’intégration qui les poursuivent, mais aussi les affrontements entre laïques et islamistes qui divisent leurs sociétés d’origine.
(1) De 2005 à 2014, le Québec a enregistré près de 500 000 nouveaux immigrants, dont 39 971 d’Algérie, 38 183 de France, 36 222 de Chine, 36 018 du Maroc, 27 742 d’Haïti et 10 707 de Tunisie. Source : ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion, Montréal.
(2) Statistiques Canada.
(3) Article 111 de la loi sur l’immigration au Québec.
(4) Lire Jean-François Nadeau, « Le Parti québécois sanctionné pour ses errements politiques », Le Monde diplomatique, mai 2014.
Ce que mes parents essayaient de faire, c'est de créer un lien entre leur passé à eux et notre futur à nous (*)
Aux premiers jours de juillet, des milliers de voitures, le porte-bagage chargé à bloc, affluent sur les autoroutes de France. Direction : le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie.
Pour les parents, ce retour aux sources est une nécessité, un devoir familial même car c'est le seul moyen de transmettre l'amour du pays à leurs enfants nés en France.
Pour les enfants, ils attendent de cette immersion sur la terre de leurs ancêtres des clés pour mieux comprendre leur identité. Entre pays fantasmé et réalité, cette confrontation avec le bled est le temps de la vérité.
Qui sont-ils ces émigrés ?
Selon une analyse réalisée par l'Institut national français des études démographiques (Ined), l'Algérie figurerait parmi les 15 pays qui fournissent le plus de migrants au monde. Pour l'Aida (Association internationale de la diaspora algérienne) basée à Londres, les Algériens ou personnes d'origine algérienne vivant à l'étranger en 2018 seraient au nombre de 7 millions d'individus, voire plus !
Un ancien secrétaire d'Etat en charge de la communauté nationale à l'étranger avait répondu par cet artifice : «Il y a ceux qui résident à l'étranger de manière régulière et qui sont immatriculés dans nos consulats, ceux qui résident de manière régulière et qui préfèrent ne pas se rapprocher de nos services et sont donc non immatriculés, et ceux, enfin, qui y vivent de manière irrégulière ou clandestine ».
En France, ils seraient 5 millions ! En Amérique du Nord, ils se situeraient entre 120 000 et 140 000 (110 000 au Canada et 30 000 aux USA). Dans les pays arabes, ils seraient quelques milliers et en Afrique quelques centaines.
De ce qui précède, il y a lieu de bien définir les concepts
Jusque-là, on a parlé de migration algérienne car en France, dès 1947, les Algériens deviennent, officiellement du moins, des citoyens appelés par l'administration des «Français musulmans d'Algérie (FMA)». Ils ne sont pas alors considérés comme des migrants étrangers mais comme des migrants régionaux, un petit peu comme les Bretons et les Corses, même s'ils sont, dans les faits, traités durement, guerre d'Algérie oblige.
D'un point de vue juridique, l'émigration algérienne débute officiellement en France le 5 juillet 1962. Entre 1962 et 1982, la population algérienne dans ce pays passe de 350 000 à plus de 800 000 personnes. Cette population qui ne cesse de croître, se décuple en générations voyageant, étudiant, commerçant et s'établissant dans les cinq continents !
Les mouvements migratoires de nos compatriotes ont commencé au début du siècle : le plus gros des troupes se trouvent en France où la première phase de migration algérienne a débuté en 1905. La main-d'œuvre qui la compose travaille essentiellement dans les raffineries et huileries de Marseille, ou comme dockers sur les navires.
Des centaines d'Algériens sont, ainsi, embauchés dans les mines et les usines du Nord et du Pas-de-Calais, les industries de Clermont-Ferrand et Paris. Dès 1912, on parle d'un véritable mouvement migratoire de 4000 à 5000 Algériens qui s'accélère dès 1913, grâce à la suppression du permis de voyage qui était alors requis pour les Algériens en France.
La seconde vague migratoire est composée globalement de 80 000 travailleurs et 175 000 soldats venus d'Algérie dans le cadre de la Première Guerre mondiale. Ceux qui ne sont pas sur le front, sont employés dans la production d'armement, le génie, l'aéronautique, les transports et les mines.
La troisième vague débute en 1920 avec une composante kabyle qui reste importante, avec la migration des habitants du Nord-Ouest oranais qui commencent à gagner du terrain.
La quatrième vague débute avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, après 1945 où les Algériens occupent des emplois dans les domaines de reconstruction de la France et de la relance économique, dans les mines, la sidérurgie, l'industrie et le bâtiment.
La cinquième vague commence avec la guerre de Libération nationale (1954-1962). Le GPRA est formé, le FLN prend le contrôle de l'émigration qui participe au combat libérateur et à l'effort de guerre.
Emigrés, mal-aimés, là-bas ?
Un sondage réalisé en France par Ifop/Atlantic révèle que 26% des Français seulement ont une bonne image des Algériens contre 71% des Marocains et 53% des Tunisiens :
1. Existe-t-il un lien entre le déficit d'image dont souffre l'Algérien en France et la façon dont sont intégrés les émigrés et leurs enfants ?
2. Sont-ils moins intégrés que les autres maghrébins ?
3. Sont-ils moins défendus au plan des droits ?
Que dire alors de ceux qui ne possèdent ni titre de séjour ni permis de travail, ces sans-papiers qui vivent dans la clandestinité la plus totale échappant même au recensement le plus approximatif ; un ancien ambassadeur français les a situés autour de 350 000, chiffre qu'il faut prendre sous toutes réserves, bien entendu, dans ce qu'il cache comme manipulation politicienne, notamment à l'orée des présidentielles françaises à venir !
C'est vrai qu'il est difficile de compter des gens dans la clandestinité mais ce qui est aussi vrai c'est que ces personnes sont décidées «à faire leur trou là-bas envers et contre tous» et tout ce qu'on a mis en place alors, comme ministère délégué (qui entre temps a été supprimé), représentation politique à l'APN, ouverture de nouvelles dessertes aériennes et maritimes, ne leur feront pas changer d'avis, eux qui n'ont foi qu'en leur destinée.
Incompris ici ?
Notre émigration n'est organisée ni socialement ni culturellement et aujourd'hui, on en arrive même à regretter «l'Amicale des Algériens en Europe », organisation sous l'égide du FLN certes, mais qui arrivait tout de même à encadrer, peu ou prou, cette population de l'étranger.
L'émigration algérienne en France a payé un lourd tribut et a conquis ses lettres de noblesse pendant la révolution. Les aînés regroupés dans la Fédération de France ont contribué financièrement et plus encore à faire progresser la lutte de libération : Mourepiane et les manifestations du 17 octobre 1961 en sont les marqueurs.
Aujourd'hui, elle continue à être marquée par ses divisions historiques, politiques et même ethniques. Elle est préoccupée par son existence quotidienne car l'émigré, le beur et, paradoxalement, «le Franco-Algérien » est avant tout une condition sociale dont il est difficile d'en sortir.
Il n'en demeure pas moins que ces Algériens-là sont visibles et font étalage de leur amour du pays à chaque occasion et à chaque match de l'équipe nationale de football où ils déploient l'emblème national, une manière comme une autre de manifester leur présence et de se rappeler au bon souvenir de leurs gouvernants.
Peut-on, pour autant, parler de diaspora ?
Oui, à voir et à entendre certaines personnalités publiques françaises d'origine algérienne qui n'ont de cesse d'affirmer leur appartenance à l'Algérie ; on peut citer dans le désordre Isabelle Adjani, Leïla Bekhti, Shéryfa Luna, Smaïn, Rachid Taha, Rachid Bouchareb, Rachid Arhab, Zinedine Zidane, Brahim Asloun et beaucoup d'autres qui appartiennent au monde de la culture et du sport. Ou encore Fadéla Amara, Leila Aichi, Kader Arif, Azouz Begag, Nora Berra, Malika Benarab-Attou, Yamina Benguigui, Malek Boutih, Samia Ghali, Bariza Khiari, Tokia Saïfi, Karim Zeribi qui appartiennent au monde de la politique.
On peut même ajouter à cette liste qui n'est pas exhaustive, Rachida Dati dont la mère serait d'origine algérienne.
Tout ceci pour dire que le potentiel humain existe mais que les mécanismes institutionnels, de ceux qui font actionner les lobbys font défaut comme par exemple le fameux «Conseil consultatif de l'immigration » souvent annoncé mais tant de fois différé puis remisé dans les tiroirs de nos instances gouvernementales !
La manne des émigrés et si on en parlait ?
Selon la Banque mondiale, les transferts d'argent des travailleurs émigrés vers les pays en voie de développement devraient augmenter de plus de 6% cette année. L'Inde et la Chine sont les premiers bénéficiaires de ces fonds avec 70 milliards de dollars par chaque pays. En 2012, ces fonds ont atteint le seuil de 406 milliards de dollars, soit une hausse de 6,5% par rapport à 2011. Ces flux devraient encore progresser de près de 8% en 2013, puis de 10% en 2014. Pour certains pays africains, les transferts des immigrés représentent près de 10% du PIB. Le Nigeria est en tête avec 21 milliards de dollars en 2012, suivi du Soudan, du Kenya, du Sénégal et de l'Afrique du Sud. En Afrique du Nord, le Maroc se taille la part du lion avec plus de 6 milliards de dollars. Les travailleurs émigrés n'hésitent pas à augmenter les sommes envoyées en cas de situation difficile dans leur pays d'origine.
Emigrés, où sont passées justement leurs devises ?
Interpellé au sujet de l'apport des émigrés établis à l'étranger à l'économie du pays, Belkacem Sahli, l'ancien ministre délégué chargé de la Communauté nationale à l'étranger d'alors, avait estimé que « leur contribution est insignifiante, les sommes transitant par le canal bancaire ne se hissent pas au niveau souhaité, et comparativement aux seuls voisins maghrébins, nous sommes les derniers ».
Les émigrés maghrébins ont transféré dans leur pays quelque 3 milliards et 15 millions d'euros. Le compte a été donné par la Banque européenne d'investissement qui vient de révéler que les Algériens devancent, en la matière, les Marocains avec 2 milliards et 13 millions d'euros et les Tunisiens avec 84 millions d'euros.
La banque ne dit, cependant pas, où va cet argent une fois au bled. Selon certains témoignages recueillis auprès des émigrés, cette manne ne sert en aucun cas le développement économique. Les devises sont échangées « au black ». Même les retraités s'y résignent et en profitent, tout comme les barons de l'informel !
Avec la dépréciation de la monnaie nationale qui s'est traduite par un gouffre entre le taux de change officiel et la cotation du marché parallèle de la devise, les transferts se sont littéralement asséchés, ne représentant que 1,7 milliard de dollars en 2019
Chez nous, la captation des fonds de notre communauté à l'étranger avait compté parmi les pistes ouvertes par le gouvernement lors de la conférence des chefs de missions diplomatiques et de chefs de postes consulaires algériens, qui s'était tenue dernièrement avec notamment l'ouverture de représentations d'institutions bancaires algériennes à l'étranger, ne peuvent pas constituer la panacée pour rétablir les liens de confiance perdus avec notre diaspora.
L'absence de mécanismes incitatifs pour mobiliser les fonds de l'émigration par des formules d'accès au logement, au foncier, une politique de prix raisonnable des billets, devenus inabordables, et pour les investisseurs, par l'octroi d'avantages comparatifs qui les amèneraient à placer leur argent en Algérie et pas ailleurs ont contribué à élargir la fracture.*
Pas plus que la représentation de notre communauté dans les institutions nationales, au sein de l'Exécutif et au Parlement, n'a permis de rendre la voix et les revendications de notre diaspora audibles.
C'est l'ensemble de la politique de l'émigration qu'il faudra se résoudre à repenser ! *
Quid du retour définitif des émigrés au pays ?
Ce phénomène de retour répandu chez les retraités s'est étendu ces dernières années chez les plus jeunes diplômés et expérimentés qui ont accumulé un petit capital, qui songent à retourner au pays.
Apparemment et à les entendre, ils n'éprouvent aucun regret à quitter la France et l'Europe où sévissent, selon eux, le racisme, la discrimination dans l'emploi et le logement.
Un quota de logements doit être réservé à cette catégorie d'émigrés, désireux de participer au développement du pays ; cette formule imaginée par Abdelmadjid Tebboune l'époque où il était ministre de l'Habitat, si elle devait être retenue par le gouvernement, donnerait la possibilité au bénéficiaire immigré de s'acquitter de l'achat de son appartement en devises.
Conclusion
Bon an mal an, les émigrés viennent au bled passer les vacances ; ils repartent avec le sentiment que le pays est prospère grâce à son pétrole qui est aussi le leur, qu'il regorge de tout et qu'il peut, somme toute, se passer de leur maigre pécule, fût-il libellé en devises.
Et dans l'absolu, « si l'Algérie d'aujourd'hui est en crise, le rappelait justement un émigré, cela n'est pas de notre fait car beaucoup d'entre nous laissent tout de même une part de leurs économies dans les caisses des compagnies aériennes, des agences de voyages, des commerçants et participent, ainsi, à l'économie du pays » !
(*)Linda Amirat (Auteure-réalisatrice du documentaire « Bons baisers du bled »)
Chaque année, des dizaines de milliers de Français d’origine algérienne se rendent dans le pays de leurs aïeux pour passer les congés d’été. Préparer un projet de retour, conserver des liens avec sa famille, profiter de stations balnéaires peu onéreuses… : ces « vacances au bled » prennent des formes et des significations différentes selon les époques et le profil des voyageurs.
Printemps 2022, en région parisienne : Warda et ses sœurs discutent d’un prochain séjour en Algérie. Nées en France dans les années 1960-1970 de parents qui ont immigré dans les années 1950-1960, elles ne sont pas des habituées des « vacances au bled ». Leurs passages dans le pays natal de leurs parents se comptent sur les doigts de la main, même si, via WhatsApp, elles entretiennent des liens complices avec leurs cousines sur place. C’est pour rendre hommage à leur mère, décédée un an auparavant d’une infection liée au Covid-19, qu’elles envisagent aujourd’hui de traverser la Méditerranée. Après soixante années de vie en France, où sont nés ses six enfants et onze petits-enfants, Fatima repose au côté de son mari, mort quelques années plus tôt, dans le cimetière du village d’où tous deux étaient originaires. La crise sanitaire n’a pas permis à Warda et ses sœurs d’accompagner la dépouille de leur mère et d’honorer sa sépulture, avec leurs proches d’Algérie. D’où l’idée de partir cet été. Ou bien à l’automne…
Car, après deux ans de crise sanitaire et de fermeture des frontières, partir en Algérie n’est pas chose facile. Alors que le pays s’ouvre à nouveau, la désorganisation des transports aériens et maritimes engendrée par la pandémie, associée à une gestion depuis longtemps critiquée des entreprises publiques de transport (en particulier d’Air Algérie), fait obstacle à la forte demande pour cette destination. Sur les téléphones portables des Français originaires d’Algérie ou des Algériens de France circulent des vidéos d’interminables files d’attente et de mouvements de panique devant des agences de voyages à Paris et à Marseille.
Dans les années 2010, la police algérienne aux frontières a comptabilisé autour de 700 000 entrées annuelles d’« Algériens résidents à l’étranger », la plupart venant de France — des émigrés mais aussi des descendants d’émigrés qui bénéficient de la nationalité algérienne par « droit du sang », et peuvent voyager avec un passeport algérien. Les enquêtes statistiques nationales évaluent à environ un million de personnes la population d’origine algérienne en France — 400 000 immigrés et 600 000 descendants d’immigrés. Sans que ces données soient superposables, elles offrent un aperçu de l’importance quantitative des vacances au bled. La crise sanitaire a donné un sévère coup d’arrêt à ces voyages : en 2020, seuls 80 000 Algériens résidents à l’étranger ont pu se rendre en Algérie, en 2021 moins de 60 000. En cet été 2022, ils sont nombreux à vouloir rattraper le temps perdu…
Ruée sur les billets
Qui sont ces vacanciers qui se désespèrent de trouver des billets à des prix exorbitants (le prix d’un aller-retour en ce mois de juillet se situe autour de 800 euros, quand les années précédentes il tournait plutôt autour de 400 euros) pour passer leur été en Algérie, une destination pourtant très peu touristique, contrairement au Maroc et à la Tunisie ? On y retrouve toute la diversité de la population d’ascendance algérienne en France, reflet de décennies de circulations entre deux pays étroitement liés par l’histoire de la colonisation et de l’immigration : des enfants d’immigrés ayant toujours vécu en France, aujourd’hui adultes et eux-mêmes parents ; des étudiants algériens partis y faire une thèse ou des médecins « faisant fonction d’interne » dans les hôpitaux français ; des chibanis, ces hommes immigrés âgés qui, pour certains, ont fait toute leur vie en France, loin de leur épouse et de leurs enfants, restés au pays ; des couples formés d’une Française d’origine algérienne et d’un Algérien, qui ont investi dans une résidence secondaire là-bas, pour maintenir le lien avec la famille ; des « jeunes de France », enfants ou petits-enfants d’immigrés algériens, qui ont leurs habitudes en Algérie et ont hâte de retrouver les virées entre copains sur les plages payantes du littoral, mais aussi les repas en famille chez leur grand-mère. Cette ruée sur les billets pour l’Algérie indique que les vacances au bled ne sont pas une pratique révolue, objet de nostalgie, mais qu’elles prennent aujourd’hui d’autres contours et d’autres significations que par le passé (1).
Les vacances au bled sont un miroir grossissant de l’histoire de l’immigration algérienne en France, mais aussi de l’histoire de l’Algérie comme nouvel État indépendant depuis 1962. Si l’émigration algérienne est ancienne, conséquence de la colonisation française depuis 1830, c’est dans les années 1950-1960 que l’économie hexagonale mobilise massivement ceux qui constituent cette main-d’œuvre au statut juridique particulier jusqu’en 1962, pas vraiment étrangers, longtemps sujets français sans être pleinement citoyens. Trois périodes se succèdent dans l’histoire de l’immigration postindépendance. Le sociologue algérien Abdelmalek Sayad a mis en lumière la « double absence (2) » des émigrés-immigrés algériens des années 1970, absents physiquement de leur pays de naissance, et absents symboliquement au sein d’une société française qui pense leur présence comme provisoire. L’« illusion du provisoire » du séjour en France des immigrés est partagée tant par les États français et algérien que par les immigrés eux-mêmes. Mais ce mythe du retour va évoluer dans le temps, en même temps que se transforment les vacances au bled.
À quoi ressemblaient-elles pour la génération d’enfants d’immigrés ayant grandi dans les années 1970 ? Cette période est celle du virage de la politique française d’immigration en réponse à la montée du chômage, avec la fermeture des frontières à l’immigration de travail et les politiques d’« aide au retour ». L’État algérien, de son côté, présente l’émigration comme une conséquence néfaste de la colonisation et encourage ses ressortissants émigrés à revenir en Algérie. Enfin, l’installation encore récente en France des épouses et des enfants amène les familles immigrées à rêver à un retour prochain.
Née en Algérie en 1958, Khalida arrive en France avec sa mère et ses frères et sœurs dix ans plus tard. Son père, manœuvre, y vit déjà depuis une quinzaine d’années. Dans son enfance, les séjours en Algérie sont rares : sa mère s’y rend parfois pour voir ses parents, mais Khalida reste en France garder ses frères et sœurs. Au-delà du coût élevé du voyage pour une famille avec six enfants vivant sur le salaire d’un père ouvrier, c’est aussi le sentiment du provisoire de leur présence en France qui empêche les parents de Khalida d’envisager ces séjours comme des vacances : ce serait une manière de reconnaître leur ancrage durable dans un autre pays, une forme de trahison. Ces voyages sont uniquement consacrés aux retrouvailles familiales : « Il y avait rien d’extraordinaire, avec les parents on sortait pas, il y avait pas de plage, il y avait pas de resto, donc c’était famille, famille, famille ! », se souvient Nassima, la cadette de Khalida. L’idée du retour hante le quotidien de la famille et pèse sur les choix scolaires. « Mes parents avaient dans leur tête qu’on allait retourner en Algérie, parce qu’ils choisissaient les études par rapport à ce qui marchait le mieux là-bas », explique Nassima. Elle est inscrite en certificat d’aptitude professionnelle (CAP) coiffure, Khalida en brevet d’études professionnelles (BEP) secrétariat : au-delà des ambitions des parents, le système scolaire français reste très segmenté et oriente les enfants d’ouvriers immigrés dans les filières professionnelles.
La rareté des vacances en Algérie n’empêche pas Khalida de se projeter vers une vie là-bas. À la fin des années 1970, l’État algérien courtise les jeunes « émigrés » diplômés pour travailler dans les entreprises publiques. Le pays promeut un modèle de développement socialiste qui séduit certains de ces jeunes ayant grandi avec les projets de retour de leurs parents. Vers 20 ans, Khalida part vivre en Algérie, où elle devient secrétaire dans une entreprise d’État, se marie et a ses premiers enfants. Mais, à la fin des années 1980, la situation économique et politique se dégrade et Khalida se réinstalle en France. En définitive, pour les acteurs de ce premier âge des vacances au bled, les projets de retour semblent d’autant plus concrets que les séjours sont rares et espacés.
Les enfants d’immigrés nés dans les années 1970 voient l’amélioration des conditions matérielles de leur vie en France : ils grandissent dans des quartiers d’habitations à loyer modéré (HLM) encore mixtes socialement, après la résorption des grands bidonvilles des années 1960-1970. Le temps de séjour en France des parents s’allonge et ils assument davantage de partir régulièrement en vacances en Algérie, sans toutefois abandonner le projet de retour. L’État algérien a mis en place des aides financières au voyage, imposant à Air Algérie des tarifs préférentiels pour les émigrés et leur famille. Sur place, les conditions d’existence contrastent avec la vie en France : les souvenirs d’enfance sont marqués par l’écart entre la société de consommation à laquelle participent les classes populaires en France et la société algérienne, encore en partie rurale, où l’accès aux biens est restreint. Les séjours balnéaires restent encore rares pendant les vacances algériennes, mais ils ponctuent les récits comme des moments exceptionnels qui ont marqué les souvenirs d’enfance.
Ces « jeunes d’origine immigrée » deviennent plus visibles dans la société française : ils sont progressivement érigés, dans les médias et les discours politiques, comme une catégorie « à problèmes », associée à la délinquance des « cités ». Paradoxalement, ils sont d’autant plus désignés comme un groupe à part qu’ils se fondent dans la société française : ils vivent dans des quartiers d’habitat social relativement mixtes, se font une place dans les filières d’études générales dans un contexte de démocratisation scolaire, accèdent à des emplois qualifiés de professions intermédiaires et de cadres supérieurs, revendiquent par des manifestations leur place dans la société française. Ce constat d’une installation durable en France est partagé par l’État algérien, qui commence à reconnaître la sédentarisation des familles émigrées, en particulier des enfants nés en France. L’année 1983 est à la fois celle de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, et celle d’un accord entre les États algérien et français permettant aux jeunes hommes binationaux de n’effectuer leur service militaire que dans l’un des deux pays.
Né en France en 1968, Jamel est le sixième enfant de sa fratrie, le deuxième à naître sur le sol français. Son père est ouvrier dans le bâtiment en France depuis 1958, mais ce n’est qu’en 1966 que la famille s’installe en région lyonnaise. Dans les premières années, elle ne part pas en Algérie, car un projet de construction là-bas accapare les maigres économies faites sur le salaire du père. À 14 ans, Jamel part en colonie de vacances en Algérie, organisée par l’Amicale des Algériens en Europe, une association qui sert de relais en France à l’État algérien. Ces colonies ont l’ambition d’aider « les jeunes émigrés à connaître leur propre culture », selon les articles parus dans le journal de l’Amicale, et représentent une survivance de l’idéologie étatique du retour au début des années 1980. Les sœurs aînées de Jamel, nées en Algérie, repartent y vivre après avoir obtenu un diplôme du secondaire en France, concrétisant le rêve de retour des parents. L’une devient secrétaire dans une entreprise publique, les autres enseignantes.
Les vacances au bled sont plus fréquentes dans les années 1980 : à l’adolescence, Jamel y part tous les ans. Les cadets de la fratrie ont toujours vécu en France et commencent à y bénéficier de la démocratisation scolaire. Premier bachelier de sa famille, Jamel part faire ses études supérieures en Algérie. Il s’y heurte à un décalage linguistique, avec l’arabisation des cursus universitaires, et à un décalage dans les modes de vie. Il ne reconnaît pas l’Algérie de ses vacances : « Je pensais que ça allait être beaucoup plus simple de s’acclimater à la vie là-bas. Parce que nous, on connaissait l’Algérie par les vacances, on connaissait l’Algérie au mois d’août. Mais on connaissait pas l’Algérie au mois de janvier, février, septembre. C’était totalement différent ! » Si les aînés se sont approprié le rêve de retour de leurs parents, dans un contexte politique et économique encore favorable à la fin des années 1970, pour les cadets nés en France comme Jamel, la situation est bien différente. Paradoxalement, ce deuxième âge des vacances au bled, l’époque où elles deviennent plus régulières, est aussi une période charnière où le retour définitif apparaît de plus en plus improbable.
Pour celles et ceux nés dans les années 1980, l’idée du retour n’est plus qu’une histoire que l’on raconte dans les réunions familiales, un souvenir transmis par les aînés. Elle est battue en brèche par la crise économique et politique qui aboutit à la guerre civile algérienne des années 1990 et par l’enracinement des familles en France, parfois matérialisé par l’accès à la propriété. Mais cet enracinement ne signe pas la fin des vacances en Algérie : le mythe du retour cède peu à peu la place à la pratique des allers-retours.
Le contexte politique à l’égard de l’immigration et des descendants d’immigrés a beaucoup changé, des deux côtés de la Méditerranée. Dans l’Hexagone, l’enjeu n’est plus tant d’encourager le départ des immigrés que de se préoccuper de leur intégration, particulièrement pour les enfants de l’immigration maghrébine présumés de confession musulmane. À partir des années 1980, on s’inquiète de ce qui est perçu comme un décalage culturel entre ces familles et le reste de la société française. La montée progressive du vote Front national atteste un déplacement de la grille de lecture politique de la société : ce n’est plus la lutte des classes qui semble polariser l’électorat, mais l’appréciation de la place des immigrés et de leurs enfants dans la société française. Parallèlement à la diffusion des idées d’extrême droite, un mouvement politique de reconnaissance et de lutte contre les discriminations ethnoraciales s’amplifie dans les années 2000. Dans ce contexte, les séjours en Algérie prennent un autre sens. S’ils n’apparaissent plus comme un prélude à un retour définitif, ils peuvent participer d’un rapport aux origines qui répond à l’expérience des discriminations raciales en France.
Née en 1988, Fayza est la cinquième d’une fratrie de sept enfants, venus au monde entre 1975 et 1997. Elle se sent appartenir à une autre génération que ses sœurs aînées et n’a pas connu la même enfance ni en France ni en Algérie. Ses sœurs ont grandi à l’époque où les vacances algériennes deviennent régulières, et elles restent marquées par l’idée du retour, même si celui-ci est de plus en plus hypothétique. À l’inverse, Fayza grandit au moment où la famille quitte son HLM pour s’installer dans un pavillon, un achat qui, selon sa grande sœur, « scelle le mythe du retour ». Du fait de la guerre civile, ce n’est que vers 12 ans que Fayza commence à partir régulièrement en Algérie. Ses séjours lui offrent une réponse aux assignations ressenties en France, où elle se sent sans cesse renvoyée à « son pays » (« ma tête disait que je venais d’ailleurs »), alors qu’elle le connaît assez peu. Loin des conditions rudimentaires des vacances durant l’enfance de ses sœurs aînées, elle a le souvenir de la confortable maison de ville acquise entre-temps par ses parents sur place, ainsi que des séjours balnéaires pour quelques jours, dans un pays où l’économie de marché et l’offre de loisir se sont développées. Peu de parents repartent vivre en Algérie à la retraite, mais ils ne rompent pas pour autant avec le pays d’origine : ils allongent et multiplient leurs séjours sur l’autre rive de la Méditerranée.
La redécouverte des origines est aussi alimentée par l’évolution du discours de l’État algérien, qui, avec la guerre civile des années 1990, renonce définitivement à promouvoir le retour. Avec l’essor d’une nouvelle émigration, plus qualifiée, l’État ne cherche plus à encourager des réinstallations improbables, mais à maintenir un lien avec ceux qu’il désigne désormais comme « la Communauté nationale à l’étranger », pour les faire participer financièrement au développement du pays. Les premières années de l’ère Bouteflika (1999-2019) coïncident avec un retour à la paix et à une certaine aisance économique. L’augmentation du prix du pétrole remplit les caisses de l’État et lui permet de financer la construction de logements, d’autoroutes, d’universités et d’apaiser les tensions sociales par la redistribution (très partielle) de la rente pétrolière à la population. Cela donne à l’Algérie des années 2000 une image de prospérité qui marque les esprits des vacanciers venus de France (avant le retournement de conjoncture économique et politique qui aboutit aux mobilisations politiques — le Hirak — de la fin des années 2010).
Le lien entre retour au pays et vacances au bled a changé au cours des décennies. Le retour rêvé jusqu’au début des années 1980 laisse la place à un retour de plus en plus mythique, pour finalement se transformer en une succession d’allers-retours, à l’occasion des vacances des descendants d’immigrés ou des séjours plus longs des parents retraités. La disparition de la perspective de réinstallation n’implique pas pour autant la coupure avec le pays de naissance des parents : en 1992, près de 25 % des jeunes nés en France de deux parents nés en Algérie n’y étaient jamais allés ; en 2008, ce n’est le cas que pour 12,5 % d’entre eux, selon des enquêtes de l’Institut national des études démographiques (INED).
Aujourd’hui, les vacances au bled de Khadija, Jamel et Fayza ne se ressemblent pas, car elles reflètent les différences des positions sociales occupées dans la société française et des capitaux disponibles en Algérie.
Une dimension mémorielle et introspective
Khadija économise sur les petits salaires des emplois subalternes qu’elle cumule dans la sécurité et dans une cantine scolaire pour s’offrir un séjour annuel à Mostaganem, dans l’Ouest algérien. Elle aime y revoir ses cousines et amène ses enfants sur les plages de la région. Les faibles revenus accumulés en France lui donnent un statut social plus valorisé en Algérie, où elle a déjà acheté un terrain et commencé à construire une maison, alors qu’elle réside dans un HLM en France, où elle a choisi de faire sa vie et d’élever ses enfants. Mais elle garde un lien étroit avec l’Algérie, par ses relations familiales et parce qu’elle y trouve des occasions pour y être propriétaire et avoir un mode de vie plus confortable.
Jamel est marié avec une femme qui a grandi en Algérie, où elle a une grande partie de sa famille. Le couple a l’habitude de lui rendre visite un été sur deux, quand ils ne partent pas à Sète ou au Cap d’Agde. Les vacances au bled permettent à ses enfants de passer du temps avec leurs grands-parents maternels qu’ils ne voient pas en France. Jamel et son épouse apprécient également la fréquentation des stations balnéaires algéroises, ou du Kiffan Club, grand parc aquatique à l’est d’Alger, pour distraire les enfants. Bac + 4 et fonctionnaire de catégorie B en France, Jamel a épousé une femme diplômée du supérieur en Algérie, aujourd’hui assistante d’éducation en France. Ils ont acheté un appartement en région lyonnaise, si bien que le projet d’achat en Algérie, pour que son épouse ait un pied-à-terre proche de sa famille, reste une perspective lointaine. En plus d’un ancrage résidentiel et professionnel en France au sein des classes moyennes du public, le statut social du couple est proche des classes moyennes supérieures francophones en Algérie, du fait des liens entretenus avec la belle-famille de Jamel, et avec ses sœurs qui y sont enseignantes dans le secondaire.
Fayza, enfin, donne un sens particulier à ses vacances de l’autre côté de la Méditerranée. Poursuivant des études supérieures en France, aspirant à devenir cadre, elle voit ses vacances actuelles en Algérie comme une occasion de s’interroger sur ses « racines ». Elle apprécie de découvrir le pays et de se plonger dans ce qu’elle perçoit comme l’« authenticité » d’un mode de vie campagnard et familial, là où d’autres vacanciers préfèrent la modernité des nouveaux complexes balnéaires. Les descendants d’immigrés qui, comme Fayza, investissent leurs voyages en Algérie d’une dimension mémorielle et introspective cherchent à renouer avec une histoire familiale, même quand les liens concrets sont devenus plus ténus. Alors qu’ils accèdent à des positions sociales plus valorisées en France, Fayza comme d’autres transfuges de classe entendent maintenir une certaine fidélité aux origines, pensées comme indissociablement sociales, familiales et nationales.
En écho à la double absence mise en lumière par Sayad, les vacances au bled sont révélatrices des modalités variées de la double présence des enfants d’immigrés aujourd’hui : une double présence juridique, puisqu’ils sont français par le droit du sol et algériens par le droit du sang ; mais aussi matérielle, quand ils se rendent en Algérie. Elles offrent aux vacanciers la possibilité d’une identification plus positive autour d’une condition commune face aux stigmatisations racistes subies dans la société française. En même temps les séjours algériens mettent aussi en lumière d’autres formes d’assignation. En Algérie, être désigné comme « immigré » par la police aux frontières, les commerçants ou des membres de la famille peut être vécu comme un déni d’appartenance à la communauté nationale. Mais cela peut aussi apparaître comme un signe de distinction, la désignation comme « immigré » conférant le statut social ambivalent de « nouveau riche » — particulièrement dans les espaces de consommation touristique. Dans le complexe balnéaire privé Capritour, situé sur le littoral kabyle à l’est de Bejaïa, deux populations se côtoient. Dans les appartements en location (une semaine dans un F2 coûtait en 2011 environ 450 euros) résident des groupes de jeunes Français d’origine algérienne, qui viennent passer quelques jours hors de la famille et entre jeunes pour s’éclater, bronzer, faire du jet-ski. Ce sont surtout des jeunes de classes populaires françaises dont les goûts en termes de loisirs se distinguent des enfants d’immigrés plus « intellos » qui préfèrent les visites de sites archéologiques ou le temps passé en famille. Dans les villas (dont certaines « VIP ») séjournent des familles algériennes de classes supérieures, dans la mesure où la location d’une semaine revenait à 600 euros quand le salaire mensuel net moyen en Algérie était de 230 euros. Certaines familles sont propriétaires de ces villas de vacances, un investissement qui a pour but de profiter d’un entre-soi élitaire. La cohabitation entre ces deux populations ne va pas de soi, et les discours croisés ne sont pas très amicaux. Les Algériens de classes supérieures ont un discours particulièrement sévère sur les « immigrés » en vacances qu’ils jugent vulgaires et bruyants. Les « immigrés » eux s’étonnent surtout de ces « blédards » qui parlent français : « À Capritour, il y a beaucoup de gens d’Alger qui se font passer pour des immigrés, parce qu’à Alger ils parlent bien français par rapport aux autres villes, ce qui fait qu’ils se font passer pour des immigrés, ils s’habillent comme nous. Je vois pas pourquoi, je vois pas ce qu’on a de plus qu’eux », s’étonne par exemple Soufiane, 18 ans, qui a grandi dans une cité à Vaulx-en-Velin. Derrière ces catégories d’« immigrés » ou de « blédards », ce sont des frontières entre classes sociales qui s’expriment, entre des classes supérieures algériennes qui se sentent mis en danger dans leur respectabilité par ces classes populaires françaises momentanément « surclassées » grâce au différentiel de pouvoir d’achat entre les deux pays.
Repenser l’espace social
Les normes de genre sont également mises en cause. Les femmes descendantes d’immigrés racontent les contraintes qui pèsent sur leurs déplacements lors de leurs séjours sur place : « L’Algérie, j’ai adoré tant qu’on est petits ! On avait des tas de copines, on était tout le temps dehors. Mais une année, ça nous a fait un choc : toutes les copines qu’on avait, on les voyait plus dehors. Et on nous expliquait que maintenant on était grandes et qu’on pouvait pas forcément sortir comme on voulait », se souvient Yasmina, 36 ans. Mais elles vivent ces contraintes différemment selon le type de vacances qu’elles passent : les jeunes filles qui font la fête entre « immigrés » à la plage mettent en place d’autres stratégies (comme fréquenter des complexes payants plutôt que des plages publiques, pour se sentir plus protégées des remarques et regards sexistes) que celles qui valorisent l’immersion dans la famille. Du côté des hommes, ne pas avoir les « bons plans » pour se déplacer, pour trouver une location touristique ou des artisans fiables pour sa maison, dans un pays où une bonne partie de l’activité économique demeure largement informelle, constitue aussi un handicap pour y endosser les rôles masculins légitimes. Amina garde un mauvais souvenir d’un séjour passé avec son mari et ses deux enfants en 2010. Infirmière, elle avait économisé toute l’année, et avait négocié quatre semaines de vacances avec son employeur. Mais sur place, les vacances ne se sont pas passées comme prévu : « J’ai été très déçue par mon mari, je lui avais bien dit : “Attention, on part, mais c’est pas les vacances qu’on a passées il y a trois ans ! J’ai envie qu’on bouge, alors on loue une voiture !” J’ai fait des heures sup pour qu’on puisse payer la location de la voiture. “Renseigne-toi pour les locations”, je lui disais. On était censés louer en bord de mer, c’est pas moi qui vais aller chercher, c’est pas possible en Algérie pour une femme. Il a rien fait. » Habib, son mari, né en France comme elle, n’est pas familier du pays et ne connaît pas les astuces pour trouver un hébergement à la plage ou éviter les embouteillages sur la route du littoral.
À la plage ou dans l’intimité de la maison de famille, dans les relations avec leurs proches ou avec des inconnus, à l’occasion d’un repas de ramadan ou sur un jet-ski, ce sont leurs statuts d’enfants d’ouvriers immigrés, de Franco-Algériens, de femmes et d’hommes issus de l’immigration qui sont réinterrogés. Les vacances au bled invitent à repenser l’espace social par-delà les frontières nationales.
Jennifer Bidet
Maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris Cité. Auteure de Vacances au bled. La double présence des enfants d’immigrés, Raisons d’agir, Paris, 2021.
(1) Cet article repose sur une enquête menée dans le cadre d’un doctorat en sociologie et qui porte sur des femmes et des hommes nés entre 1958 et 1992 de deux immigrés algériens arrivés en France dans les années 1950-1970. Les témoignages ont été rendus anonymes.
(2) Abdelmalek Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de
Partie dimanche de Fouka, l’embarcation de fortune transportait seize personnes, dont des femmes et des enfants. Cinq rescapés ont pu être sauvés par un navire égyptien.
Onze migrants cherchant à joindre l’Europe clandestinement sont morts noyés après le naufrage de leur embarcation au large des côtes de Tipaza, dans l’ouest de l’Algérie, ont rapporté lundi un média et une organisation humanitaire espagnole.
«Onze harragas (surnom arabe donné aux migrants clandestins) qui avaient pris la mer à partir de Fouka (près de Tipaza), sont morts et cinq jeunes, dont deux enfants, secourus», a rapporté la chaîne de télévision privée El-Hayet TV sur sa page Facebook.
Selon le Centre international pour l’identification de migrants disparus (Cipimd), «une embarcation transportant 16 personnes, dont des femmes et des enfants, a fait naufrage dimanche soir», au large de Tipaza. «Elle se dirigeait vers l’archipel des Baléares», a précisé le Cipimd.
Quatorze heures dans l’eau
De nombreux internautes en Algérie ont publié sur les réseaux sociaux des photos des victimes, toutes originaires, selon eux, de la ville de Fouka, dans la préfecture de Tipaza, à 70 km à l’ouest d’Alger. Les 16 migrants tentaient de traverser la Méditerranée pour gagner l’Espagne quand leur embarcation a chaviré dimanche soir. Ils sont restés 14 heures dans l’eau avant d’être récupérés par un navire égyptien qui les a remis aux autorités algériennes, selon des internautes.
Selon un bilan publié par le Ministère de la défense, les garde-côtes ont «déjoué des tentatives d’émigration clandestine et ont secouru 172 personnes à bord d’embarcations artisanales», entre le 4 et le 11 mai. En 2021, 4404 migrants sont morts ou ont disparu lors de leur traversée en mer pour tenter de rejoindre l’Espagne, le pire bilan depuis 2015, selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras qui dresse le bilan de ces drames migratoires grâce aux appels de migrants ou de leurs proches sur ses numéros d’urgence.
Sur fond de controverses face à des renvois illégaux de migrants interceptés en Méditerranée, le directeur de l’agence européenne des frontières a démissionné jeudi dernier, mettant en lumière les failles de l’organisation.
Embarcation pneumatique surchargée de migrants en mer Méditerranée. Photo d'archives AFP
Un départ qui remet les pratiques de Frontex sous le feu des projecteurs. Directeur de l’agence européenne des gardes-frontières et garde-côtes depuis 2015, Fabrice Leggeri a remis jeudi dernier sa démission. Acceptée vendredi par le Conseil d’administration, elle fait suite à une enquête bouclée en février par l’Office européen anti-fraude (Olaf) visant le Français, notamment pour refoulements illégaux de migrants. « Le rapport est très embarrassant sur le plan personnel, ils ont intercepté des e-mails qui peuvent le rendre complice de meurtre, car il couvrait un certain nombre d'incidents de refoulements illégaux dans lesquels Frontex était impliqué », explique Omer Shatz, avocat et directeur juridique de l’organisation front-LEX. D’un point de vue juridique, pour les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe, ces fameux « push-backs » violent notamment le principe de non-refoulement interdisant le renvoi d'une personne menacée vers son persécuteur. « Le risque doit être évalué pour chaque personne individuellement avant de prendre une quelconque décision, rappelle l’avocat. Les refoulements collectifs de migrants sont donc par essence illégaux ».
Rien qu'une façade
Mais pour l'agence, il s'agirait surtout de répondre à ce qui est considéré comme une menace sécuritaire. Chargée d’assurer la protection des frontières extérieures des 27, Frontex se voit attribuer le plus gros budget de toutes les agences de l’Union européenne (UE), soit 5,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Une généreuse allocation qui témoigne d’un rare consensus et de la priorité pour l’UE de bloquer l’arrivée des migrants à ses portes, car pour Omer Shatz, il n’y a en réalité pas de vraie distinction entre l’agence et l’UE. « Frontex n'est qu'une façade (...). Le Conseil d'administration de l’agence, ce sont les vingt-sept et deux sièges pour la Commission », explique l’avocat. C’était déjà dans cette logique sécuritaire que l’UE avait annoncé en 2019 le renforcement de Frontex à la veille des élections européennes. Un programme de formation et d’équipement d’un corps permanent de 10 000 agents à l’horizon 2027, mais surtout un élargissement de son mandat, censé améliorer la coopération avec les agences de surveillance des frontières des pays tiers et mieux prévenir l’immigration illégale. Un moyen en réalité de sous-traiter les services d’interception en mer en partageant les positions des bateaux de migrants aux garde-côtes de pays tiers et d’éviter ainsi toute implication directe dans des refoulements illégaux.
Violations des droits humains
Ces opérations conjointes sont notamment monnaie courante avec la Libye, principal point de départ des migrants africains tentant de se rendre en Europe en traversant la Méditerranée centrale. Une étroite collaboration avec l’UE qui s’est officialisée en 2017 lors de la signature des accords de Malte et qui constitue un fort point de convergence des critiques. L’absence d’autorité politique centrale en Libye a instauré un climat de non-droit et limite largement l’application de normes conformes aux droits humains. Malgré la formation en mars 2021 du Gouvernement d'unité nationale (GNU) sous l’égide de l'ONU, ayant pour but d’unifier l'exécutif libyen, le pays compte aujourd'hui deux Premiers ministres perpétuant les clivages internes : Fathi Bashaga, désigné en mars 2022 par le Parlement et soutenu par le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle depuis 2017 l’est du pays à la tête de la LNA (Armée nationale libyenne), et Abdelhamid Dbeibah, portant l’héritage du GNA (Gouvernement d’union nationale) à l’Ouest, dont le mandat a expiré en décembre dernier mais qui refuse de quitter la tête de l’exécutif avant de nouvelles élections. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en 2021, 32 425 migrants subsahariens ont été ramenés de force en Libye alors qu'ils tentaient de traverser la Méditerranée centrale, presque trois fois plus qu’en 2020. « En finançant, équipant, et coordonnant les opérations de sous-traitance, Frontex a l’obligation de s’assurer qu’il n’y a pas de violations des droits humains liées à celles-ci, ce qui n’est évidemment pas le cas », souligne Omer Shatz. Alors qu’Amnesty International en a signalé au moins 33 en activité depuis 2018, ces centres de détention sont connus pour être des lieux d’horreurs dans lesquels sévissent « tortures, viols et violences sexuelles », mais aussi « extorsions de fonds », « travaux forcés » et « homicides », selon l’organisation. Des violations des droits humains largement documentées par les ONG et conduites de façon systématique, en toute impunité, par des milices, groupes armés ou forces de sécurité libyennes. Preuve en est, la nomination en janvier dernier d’un chef de milice qui serait impliqué dans ces crimes, Mohammed al-Khoja, à la tête de la Direction de lutte contre la migration illégale (DCIM) au sein du ministère libyen de l’Intérieur.
La présence accablante de preuves du caractère illégal de la redirection des migrants vers la Libye agite les défenseurs des droits de l’Homme. De nombreuses procédures judiciaires ont été lancées dans ce sens contre Frontex. La dernière en date, l’ONG allemande Sea-Watch qui a porté plainte mi-avril contre l’agence l’accusant de ne pas divulguer les positions d'embarcations en détresse aux navires de sauvetage européens pour faire appel de préférence aux garde-côtes libyens. Le 31 juillet 2021, non informé de sa proximité immédiate avec un canot de migrants, le navire humanitaire Sea Watch 3 n’a pas pu porter secours à l’embarcation.
Activités criminelles lucratives
Une situation dans laquelle le gouvernement libyen y trouve bien son compte. La coopération avec l’UE reconduit pour l'essentiel le traité d’amitié de 2008 établi entre l’Italie, première destination des migrants en provenance d’Afrique passant par la Libye et l’ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. En d'autres termes, en échange du blocage des migrants africains venus de Libye, l'UE s'engage à reconstruire la force des garde-côtes libyens, détruite suite à l’intervention de l’OTAN dans le pays en 2011. Il s'agit de fournir à un ensemble de milices, « entre 6 et 12 » selon Omer Shatz, salaires, formations, équipements et navires pour mener à bien leurs opérations d’interception en mer. « Les bénéfices de la coopération pour Tripoli se résument plus globalement à une chose : l’argent », souligne-t-il. Une industrie migratoire terrifiante bien ficelée et lucrative. Le modèle économique est simple : « Les personnes détenues sont filmées en étant torturées et/ou violées, puis les vidéos sont transférées via les médias sociaux aux proches des victimes, qui doivent payer 10 000 dollars en échange d’une libération, explique l’avocat, pour qui « l'UE permet en réalité l'existence même de ces camps ».
Face aux critiques répétés, le Parlement européen, en charge de la supervision de l’agence, avait demandé en octobre 2021 le gel de 12 % du budget 2022 de Frontex – soit 90 millions d’euros – jusqu’à amélioration apportée notamment « en matière de contrôle des droits fondamentaux », selon le communiqué de presse officiel. Mais la décision du Conseil d’administration de Frontex du 18 mars dernier d’inclure de nouveaux équipements, armes létales et non létales, pour l’année 2023, questionne sur l’efficacité des mécanismes de contrôle. L’agence n’a d’ailleurs pas donné suite à nos demandes d’entretien sur ce sujet. Pour Omer Shatz, « les organes compétents censés superviser Frontex sont trop faibles, le Parlement est trop faible et face à l'échec de ces mécanismes, Frontex jouit d'une totale impunité».
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