Une semaine après le naufrage qui a fait au moins 78 morts au large du Péloponnèse, des données satellites et des vidéos expertisées par la BBC suggèrent que le bateau a bien dérivé pendant plusieurs heures avant le drame.
Que s’est-il vraiment passé ? Le naufrage au large de la Grèce d’un bateau de migrants mercredi 14 juin, qui a coûté la vie à 78 personnes et fait plusieurs centaines de disparus, continue de soulever de nombreuses questions sur les responsabilités des autorités.
• Le chalutier était-il à la dérive ?
Une semaine après le drame, les autorités grecques campent sur leurs positions : le chalutier, qui comptait au moins 700 exilés à bord, n’était pas en danger imminent dans les heures précédant le naufrage.
Pourtant, d’après une enquête de la BBC parue ce lundi 19 juin, ces dizaines de mille nautiques parcourus par le chalutier ne signifient pas qu’il naviguait de plein gré, insiste la BBC. Mais plutôt qu’il se déplaçait à peine, « ce que l’on peut attendre d’un navire en détresse secoué par le vent et les vagues dans la partie la plus profonde de la mer Méditerranée », explique la BBC. Selon le média, les garde-côtes auraient donc dû procéder au sauvetage.
Grâce aux coordonnées GPS des autres bâtiments présents dans la zone méditerranéenne, le média britannique est arrivé à la conclusion que le bateau ne bougeait plus entre 18 heures et 21 heures. Leur enquête s’appuie notamment sur la localisation de deux navires, présents dans la zone, qui sont venus en aide au chalutier. Selon la BBC, le « Lucky Sailor », s’est approché le premier de l’embarcation à 18 heures, sur ordre des gardes-côtes, pour fournir aux passagers de l’eau et de vivre. Trois heures plus tard, un second bateau, le « Faithfull Warrior », s’est lui aussi rapproché du navire pour un ravitaillement… aux mêmes coordonnées GPS.
A 22h40 GMT, le chalutier notifie une panne du moteur. Le patrouilleur à proximité « a immédiatement tenté d’approcher le chalutier pour déterminer le problème », ont indiqué les garde-côtes.
Vingt-quatre minutes plus tard, le patron du patrouilleur a annoncé par radio que le bateau avait chaviré. Il a coulé en 15 minutes.
La BBC assure avoir récupéré une vidéo, tournée depuis le second chalutier pendant le ravitaillement. Ces images ont été vérifiées et « le navire – qui ne bouge pas – correspond à la forme du navire de migrants en détresse. Les conditions météorologiques correspondent à celles signalées à l’époque ».
• Les passagers ont-ils réclamé de l’aide ?
Selon les garde-côtes grecs, « il n’y a pas eu de demande d’aide » des personnes à bord du bateau de pêche, qui aurait continué à avancer de manière constante. « Les migrants criaient : “Pas d’aide, on va en Italie” », expliquait déjà vendredi 16 juin le porte-parole des garde-côtes grecs, Nikos Alexiou. Selon lui, les gardes-côtes avaient essayé de lancer une corde vers le bateau pour évaluer le danger, mais celle-ci a été détachée par les passagers du chalutier.
Une version mise à mal par le témoignage de Nawal Soufi, une assistante sociale bénévole pour la ligne d’urgence Alarm Phone, un numéro d’alerte pour les migrants perdus en mer. Dès le mardi matin, elle reçoit un appel SOS et s’inquiète de la déshydratation des passagers, rapporte « le Parisien ». Elle transmet alors la position GPS du bateau aux autorités.
« Les gens à bord risquent de boire l’eau de la mer, l’eau (potable) s’est épuisée au quatrième jour de navigation » et « le conducteur du bateau les avait abandonnés en haute mer », s’alarme-t-elle sur son compte Facebook.
Régulièrement, elle est rappelée par des passagers, qui l’informent dans l’après-midi que sept personnes se sont évanouies, puis qu’il y aurait six morts et deux personnes dans un état critique.
« Tout au long de l’après-midi et jusqu’à 23 heures, je n’ai rien fait d’autre que rassurer les gens qui appelaient, leur expliquant que les autorités compétentes avaient la position du bateau et que les secours arriveraient sûrement », témoigne-t-elle sur son compte Facebook.
Selon elle, l’arrivée d’un des deux bateaux censés venir en aide au chalutier avec des vivres a compliqué la situation. « Ils craignaient que les cordes ne retournent le bateau, et que l’envoi de bouteilles ne cause une émeute, et donc un naufrage du bateau », croit-elle savoir. Une version corroborée par le frère d’un des passagers, qui explique à l’AFP : « Un bateau commercial a donné de l’eau et de la nourriture et tout le monde s’est précipité, le bateau a été déstabilisé à ce moment. »
Les cordes ont-elles été rompues à ce moment-là ? Est-ce que ce moment de confusion a été interprété par les gardes-côtes comme un refus de sauvetage ? Pour la bénévole, les migrants « ont toujours demandé à être sauvés ».
• Les autorités grecques remorquaient-elles le bateau quand il a chaviré ?
Selon un responsable de l’ONU qui s’est entretenu avec des rescapés, le bateau aurait chaviré alors qu’il était remorqué par les autorités grecques. « Les survivants nous disent que le bateau a chaviré alors qu’il faisait l’objet d’une manœuvre où il était tiré par les garde-côtes helléniques. Ils nous disent qu’il était tiré non pas vers les côtes grecques, mais en dehors de la zone de secours en mer grecque » , a rapporté Vincent Cochetel, de HCR Méditerranée occidentale et centrale, à Franceinfo.
A la télévision grecque, des rescapés ont évoqué auprès de l’ex-Premier ministre Alexis Tsipras un déroulé des faits similaire. « Les garde-côtes grecs ont demandé aux migrants de les suivre, mais ils n’ont pas pu », a dit un interprète au responsable politique. « Les autorités ont alors jeté une corde, mais parce qu’ils ne savaient pas comment tirer cette corde, le navire a commencé à se balancer à droite et à gauche, a-t-il raconté. Le bateau des garde-côtes allait trop vite, et le navire des migrants penchait déjà sur la gauche. C’est comme ça qu’il a coulé. »
Un remorquage qui n’a pas été évoqué par les autorités grecques, qui se sont bornées à évoquer la corde lancée et détachée par les migrants. Elles ont expliqué, trois jours après le drame, avoir « utilisé une corde pour se stabiliser, pour s’approcher, pour voir si [les passagers] voulaient de l’aide », a déclaré le porte-parole des garde-côtes grecs, Nikos Alexiou, à la télévision grecque ERT. « Mais il n’y avait pas eu de tentative d’amarrage du bateau », a-t-il tenu à préciser.
Pour les experts, les garde-côtes grecs auraient de toute manière dû intervenir. Vincent Cochetel, envoyé spécial du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) pour la Méditerranée centrale et occidentale, indique auprès d’Euronews que « c’est aux autorités grecques qu’il incombait de procéder ou, au moins, de coordonner une opération de sauvetage, en utilisant soit leurs propres navires de sauvetage, soit en faisant appel à tout autre bateau sur zone, y compris à des navires marchands ».
« Selon le droit maritime international, les autorités grecques auraient dû coordonner plus tôt cette opération de sauvetage, dès lors que Frontex avait repéré ce bateau en détresse », a-t-il poursuivi.
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https://www.nouvelobs.com/monde/20230620.OBS74735/naufrage-en-grece-ces-temoignages-et-donnees-satellites-qui-mettent-a-mal-la-version-des-gardes-cotes.html
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