S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Déchiré entre l’Algérie et la France, l’écrivain Jean-Pierre Millecam, né en 1927, est mort dans l’oubli le plus total le 29 décembre dernier.
Comment ai-je découvert Jean-Pierre Millecam ? Ce fut en 1998 ou 1999 par le détour d’un recueil de textes de 16 écrivains d’Algérie, Pieds-noirs et Arabes, rassemblés par Leila Sebbar, Une enfance algérienne. Je connaissais tous les auteurs, sauf un, Jean-Pierre Millecam. D’où sortait-il ? Chez les Pieds-Noirs, Camus, Pélégri, Robles, Vircondelet, Roy, et d’autres, tous m’étaient pourtant connus. Mais je n’avais jamais entendu parler de ce Millecam. Après la lecture du texte sur son enfance, je me précipitai vers la bibliothèque de Montreuil où j’habitais, et j’y trouvais deux gros romans Et je vis un cheval pâle et La quête sauvage que je lus d’une traite, emporté par le souffle et le style, par la dimension épique, par cette aspiration à la fraternité sublimée inscrite dans la réalité de cette Algérie de la guerre mais qui dépassait notablement ce cadre historique, où se conjuguaient attraction et répulsion pour l’Autre, où sang et sexe se mélangeaient, dans un espace littéraire dont les dieux auraient été Homère et Faulkner.
Ecrivain pied-noir pour l’indépendance…
Bouleversé, je n’arrivai pas à comprendre, ayant vécu à Alger jusqu’en 1993, que son nom n’avait jamais été prononcé dans aucune des rencontres sur la littérature, dans aucune publication universitaire, dans aucun article. Kateb Yacine était mon voisin, nous parlions très souvent, mais jamais le nom de Millecam ne fut évoqué. Pourquoi ce blanc, ce silence ? Je téléphonai à des amis, profs de littérature à la fac d’Alger, dont une Pied-noir, et désormais exilés en France pour fuir la barbarie islamiste. Connaissaient-ils Millecam ? Non ! Non ? Non ! Comment cela avait-il été possible ?
J’obtins son adresse à Nice. Je lui écrivis une lettre enflammée et lui dis mon désir de le rencontrer dès que possible. Il m’invita, chez lui, dans ce salon tapissé de mythologie. Sylvia, son épouse, me remit une liasse d’articles de critiques français dont certains disaient qu’il était nobélisable, et plusieurs de ses autres romans tous publiés chez Gallimard dans les années 70 et 80, tous lus les uns derrière les autres qui me permirent de comprendre que Millecam avait été, parmi les écrivains pieds-noirs, celui qui s’était le plus engagé dans le combat indépendantiste… Cela expliquerait-il qu’en France après la gloire littéraire, lui succéda le silence ? Mais pourquoi donc l’Algérie l’avait-elle aussi ignoré ?
Rejeté par l’Algérie officielle
L’Algérie officielle qui dans son code de la nationalité de 1963 avait légiféré que seuls les musulmans pouvaient devenir Algériens automatiquement, avait certes dû être gênée par cet intellectuel n’appartenant à aucun parti politique qui juste après l’indépendance revint enseigner à Oran, lui qui pour sa sécurité menacée à Tlemcen en 1956, avait été exfiltré par le FLN vers le Maroc. Mais qui plus tard, en 1968, décida de repartir vers le Maroc, ne pouvant supporter la chape de plomb du totalitarisme de type militaire qu’institua le coup d’Etat de 1965.
De plus, dans cette ville, Oran, le jour même de l’indépendance, le 5 Juillet 1962, s’était commis un massacre organisé par des chefs militaires et politiques, et une foule en transe. Un millier de chrétiens et de juifs périrent, qui eux voulaient rester. Millecam en avait été informé par tous les Oranais qu’il côtoyait (entre autres, comme je l’appris, par mon ex-belle famille), tant ce crime collectif pesait sur leur inconscient… Mais qui mieux que Jean-Pierre Millecam pouvait en témoigner, à sa manière, et de quelle manière, dans Et je vis un cheval pâle.
L’Algérie officielle l’avait donc rejeté. Mais pourquoi l’Algérie intellectuelle n’en avait dit mot ? Gênée comme avec le peintre Denis Martinez dont la première expo fut attaquée (physiquement) par ce grand peintre que fut aussi Mohamed Issiakhem, ou comme avec Jean Sénac qui s’était pourtant lui aussi réclamé de l’indépendance (pour laquelle il avait cru devoir sacrifier l’amitié et le soutien d’Albert Camus), moqué par ses collègues pour son homosexualité, et en 1973 assassiné de 23 coups de poignard, meurtre sans doute politique camouflé en affaires de mœurs ?
Le photographe, résistant et faussaire Adolfo Kaminsky, qui était engagé dans la cause algérienne durant la Guerre de libération nationale algérienne, est décédé, le lundi 9 janvier 2023 à Paris, à l’âge de 97 ans, ont annoncé ses proches.
Photographe de talent, mais aussi un « faussaire de génie » pour la résistance française contre le nazisme, Adolfo Kaminsky était un des soutiens précieux de la cause algérienne et d’autres mouvements de libération dans le monde : antifranquistes en Espagne, anti-Salazar au Portugal, lutte contre les colonels en Grèce, Printemps de Prague. Mais aussi les luttes contre les dictatures en Amérique latine, ANC, Guinée, Angola, déserteurs américains pendant la guerre du Vietnam et même jusqu’à Daniel Cohn-Bendit en mai 1968.
En épousant la cause de l’indépendance algérienne, ce photographe a rejoint les réseaux Jeanson et Curiel qui apportaient une aide logistique au Front de libération nationale (FLN) pendant la Révolution. « Faussaire de Paris », Adolfo Kaminsky fournissait en faux papiers des militants du FLN.
Il est aussi à noter que cet ami de la cause algérienne avait posé ses valises en Algérie durant les années 70, où il a vécu une dizaine d’années avant de se réinstaller en France.
Adolpho Kaminsky était un « humaniste, photographe et résistant français, spécialisé dans la fabrication de faux papiers », a résumé Sarah Kaminsky, qui avait raconté la vie de son père dans le livre Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire.
Couverture du livre de Sarah Kaminsky, fille du photographe et faussaire Adolfo Kaminsky
Qui était l’humaniste et photographe Adolfo Kaminsky ?
Fils d’immigrés russes juifs, né à Buenos Aires en 1925 avant d’aller en France, il se rêvait artiste-peintre. Mais à 17 ans, il s’engage dans la Résistance à Paris, après être sorti du camp d’internement de Drancy. Il offre ses connaissances en chimie et en photogravure, utiles pour la décoloration des encres qui vont servir à fabriquer de faux papiers, dans un laboratoire clandestin, sauvant des milliers de vies. Le début d’une riche carrière de trois décennies, au péril de sa vie et au mépris de sa santé, sous couvert d’une activité de photographe tout ce qui il y a de plus banal dans ses ateliers du Quartier latin ou du quartier du Sentier.
En 1971, il avait mis fin à ses activités de faussaires. Son œuvre de photographe, à l’humanisme rappelant Doisneau, avait fait l’objet d’une exposition, notamment au Musée d’art et d’Histoire du Judaïsme en 2019. Sa vie a fait l’objet d’une pièce de théâtre. Le metteur en scène Jean-Claude Falet lui avait rendu hommage, en 2016, en adaptant le roman de la fille de cet héros de l’ombre.
Dans un long entretien au « Point », le président a estimé que le travail de mémoire et de réconciliation devait se poursuivre entre la France et l’Algérie.
MOHAMMED BADRA / AFP
Le président Emmanuel Macron lors d’une cérémonie pour les vétérans de la guerre en Algérie, à Paris le 18 octobre 2022.
Pas d’excuses. Dans une interview, le président français Emmanuel Macron a estimé qu’il n’avait « pas à demander pardon » à l’Algérie pour la colonisation. Il a par ailleurs dit espérer accueillir son homologue Abdelmajid Tebboune en France en 2023 pour poursuivre le travail de mémoire et de réconciliation entre les deux pays.
« Je n’ai pas à demander pardon. Ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens », explique-t-il dans un long entretien avec l’écrivain algérien Kamel Daoud à l’hebdomadaire français Le Point publié mercredi 11 janvier au soir.
« Le pire serait de conclure : ’On s’excuse et chacun reprend son chemin’, juge-t-il. Là, la fausse réponse est aussi violente que le déni. Parce que, dans ce cas, ce n’est pas la vraie reconnaissance. C’est le solde de tout compte. » Il souligne que « le seul pardon collectif qu’[il a] demandé, c’est aux harkis ».
« Ne pas cacher ce qui a été vécu »
La question des excuses est au cœur de la relation bilatérale et des tensions récurrentes entre les deux pays. En 2020, l’Algérie avait fraîchement accueilli un rapport de l’historien français Benjamin Stora préconisant une série de gestes pour tenter de réconcilier les deux pays, tout en excluant « repentance » et « excuses ».
« Le travail de mémoire et d’histoire n’est pas un solde de tout compte », poursuit Emmanuel Macron. « C’est, bien au contraire, soutenir que dedans il y a de l’inqualifiable, de l’incompris, de l’indécidable peut-être, de l’impardonnable », souligne-t-il, défendant la création d’une commission d’historiens « car il faut quand même des faits, de l’objectivité sur ce passé ».
« Pour moi, il est très important de ne pas cacher ce qui a été, ce qui a été vécu. Il y a nécessité d’accéder à une nouvelle étape et de concilier ces récits divergents avec l’histoire contemporaine, immédiate. Je me dois de rappeler encore que, du côté français, la guerre d’Algérie est devenue la matrice de tous les ressentiments postcoloniaux à l’égard de la France », a aussi reconnu le président.
Pour lui, c’est parce que la guerre d’Algérie fait encore figure de « traumatisme » que « parler de l’Algérie est nécessaire ». « [Ce travail] est vital pour la France, pour la relation bilatérale, pour la relation avec le continent africain. (...) L’avenir, c’est revisiter autrement ce passé en commun. Ce fut l’un de mes messages durant mon dernier voyage en Algérie, en août 2022 », poursuit-il.
Le président algérien en France en 2023 ?
« J’espère d’ailleurs que le président Tebboune pourra venir en 2023 en France », relève également Emmanuel Macron, afin de poursuivre « un travail d’amitié (..) inédit » après la visite que lui-même a effectuée en Algérie en août 2022.
Interrogé sur la possibilité d’une cérémonie de recueillement du président algérien sur les sépultures des membres de la suite d’Abdelkader, héros de la résistance à la colonisation française, enterrés à Amboise, il a estimé que ce serait « un très beau et très fort moment » et qu’il le « souhaitait ».
« Je crois que cela fera sens dans l’histoire du peuple algérien. Pour le peuple français, ce sera l’occasion de comprendre des réalités souvent cachées », dit-il encore. AbdelKader (1808-1883) a été détenu à Amboise avec plusieurs membres de sa famille de 1848 à 1852.
Emmanuel Macron appelle par ailleurs à « l’apaisement » des tensions entre l’Algérie et le Maroc, les deux puissances rivales dans la région. Il dit ne pas croire à une guerre entre ces voisins, tout en relevant « la spéculation chez les uns, le fantasme chez les autres et même la volonté de guerre chez certains ».
L’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021, accusant Rabat d’« actes hostiles ». Une décision « complètement injustifiée », selon Rabat.
Femmes de lutte et d'écriture. Textes sur la guerre d'Algérie. Essai de Mildred Mortimer. Casbah Editions, Alger 2022, 262 pays, 950 dinars
Le livre se concentre sur la lute des femmes algériennes pour s'approprier l'histoire de la guerre dAlgérie, en tant qu'actrices prenant part au mouvement de libération du pays, en tant qu'historiennes, relatant leurs expériences dans des écrits autobiographiques ou dans des fictions.
Ce n'est pas tout, car l'étude prend en compte une autre décennie, celle de la décennie noire (années 90). Une période agitée ayant conduit certaines écrivaines à faire le parallèle entre leurs voix dissidentes dans l'Algérie contemporaine et leurs rôles de militantes durant la guerre de libération. Des écrivaines qui recherchèrent l'inspiration et le courage auprès de la génération qui les avait précédées.
L'auteure de l'étude n'a entendu parler de la guerre d'indépendance algérienne qu'en 1961 alors qu'elle se trouvait en France pour études. En 1964, elle se rend en Algérie pour continuer ses études de 2ème cycle à l'Université d'Alger. Les traces des violents affrontements étaient encore visibles... et la mémoire individuelle et collective des combats encore fraîche, certaines parlant de ce qu'elles avaient vécu, d'autres choisissant de se taire.
Durant son séjour, elle a découvert l'œuvre d'écrivaines racontant leurs expériences de la guerre dans des autobiographies ou des fictions dont elle présente et analyse finement les œuvres: Danielle Djamila Amrane-Minne, Assia Djebar, Yamina Mechakra, Maïssa Bey, Leila Sebbar, Zohra Drif, Louisette Ighilahriz, Evelyne Safir Lavalette... Elle découvre aussi des héroïnes jusqu'ici «ignorées» comme Zoulikha Oudaï, Samia Lakhdari, Jacqueline Guerrroudj, Nassima Hablal...
En conclusion, pour briser les silences, pour une re-lecture plus exacte de l'histoire du combat des femmes durant la guerre... et après, une arme... l'écriture, de la littérature de résistance. Un combat qu'il faut poursuivre.
L'Auteure : Professeur émérite de littérature francophone (Université du Colorado/Usa), auteure de nombreux ouvrages critiques. Traductrice de deux romans de Leila Sebbar. A publié de nombreux articles sur la littérature francophone de l'Afrique sub-saharienne, des Antilles et du Maghreb.
Table des matières : Remerciements/ Introduction/Chapitre 1er : Ecrire les femmes dans l'Histoire/ Chapitre 2 : C'est elle qui raconte la guerre/ Chapitre 3 : Cartographie du trauma/ Chapitre 4 : Mémoires blessées/ Chapitre 5 : Traumatisme collectif, mémoire collective/ Chapitre 6 : Littérature de témoignage/ Chapitre 7 : Le souvenir de Zoulikha dans le film et de la fiction d'Assia Djebar/ Conclusion : Elles ont brisé le silence.../ Bibliographie
Extraits : «Quand elles brisent le silence, les Algériennes non seulement reviennent sur les approches de l'histoire de leur pays, mais détruisent aussi le stéréotype de la «femme orientale» (p15), «Pour chacune d'entre elles , apporter son témoignage est, comme le soulignent les spécialistes qui traitent des traumatismes, un acte essentiel dans le processus de cicatrisation aussi bien pour l'individu que pour le groupe» (p 25), «En 1954, en Algérie, il n'y avait seulement que six femmes (Algériennes) médecins, vingt-cinq professeures dans le secondaire et aucune femme dans l'enseignement supérieur. A l'Université d'Alger, cette année-là, il y avait environ cinquante cinq étudiantes» (p38), «Les différents récits écrits ou oraux attestent que les femmes devaient non seulement faire preuve de courage face à des situations pénibles, mais aussi faire montre d'un comportement moral exemplaire» (p101), «Les historiens Jim House et Neil MacMaster arrivent à la conclusion qu'elle fut probablement le plus grand massacre «en temps de paix» en Europe de l'Ouest puisqu'à l'époque , la France ne reconnaissait pas le conflit algérien comme une guerre» (p 152), «La guerre d'indépendance algérienne n'a jamais été une entreprise exclusivement masculine. Les femmes se sont engagées dans la lutte anticoloniale dès le début de la colonisation, en y apportant leur contribution militaire et politique, mais aussi littéraire» (p177), «Il est triste de constater que dans de nombreux pays africains (...)les femmes ont compris qu'il était plus facile de lutter contre un ennemi extérieur que de démanteler un système patriarcal au sein de son propre pays «(p249).
Avis : Un ouvrage qui est une belle réalisation architecturale qui fait entendre la voix de femmes (extraordinaires) qui parlent de leur lutte commune et jamais d'actions individuelles.
Citations : «La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l'histoire , une représentation du passé» (Pierre Nora cité, p 27), «Les mémoires ont toujours une dimension subjective (...).L'historien ne peut ni les dédaigner ni s'y soumettre» (Mohamed Harbi et Benjamin Stora, cités, p 27), «L'épreuve psychologique et physique est terrible, mais l'incarcération renforce le sentiment d'appartenance et de solidarité entre les prisonnières » (p 50) , «Si les histoires de guerre ne peuvent pas être écrites sans reposer sur une expérience vécue authentique, la littérature de témoignage, une fois qu'elle a été archivée -et peut-être reléguée sur l'étagère poussiéreuse d'une bibliothèque où personne n'ira la chercher- continue de vivre à travers le roman qu'elle inspire» (p104), «Les éléments poétiques peuvent renforcer ou atténuer la dure réalité de la vie dans le traumascape, tout en révélant tantôt la joie de l'individu, tantôt son chagrin, voire son profond trouble mental» (p105), «Un témoignage reste toujours un récit subjectif qui vient compléter une analyse historique sans la remplacer pour autant» (Amrane-Minne citée, p 164), «Un état d'amnésie entoure de nombreux événements de la guerre d'indépendance algérienne et il a été néfaste aussi bien pour la France que pour l'Algérie» (Benjamin Stora cité, p 213), «Quand les morts ne peuvent pas parler, l'écrivain s'octroie une certaine liberté romanesque «(p 229),
Les femmes combattantes dans la guerre de libération nationale (1954-1962). Ces héroïnes restées dans l'ombre. Essai de Djoudi Attoumi, Editions Rym Attoumi, El Flaye-Sidi Aïch (Bejaïa), 2014, 850 dinars, 350 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel.)
La guerre de libération nationale est Une. Mais son histoire est multiple et diverse. C'est, peut-être, ce qui fait sa légende et son Histoire encore incomplètement étudiée. Beaucoup reste à faire. Il est vrai que, par le passé, tout particulièrement durant les premières décennies, l'absence d'une liberté d'études et d'expression, tant au niveau de la recherche universitaire qu'au niveau des médias (tous publics, l'édition du livre y compris), n'avait pas permis une écriture totale des faits et gestes des héros, toutes les histoires de la lutte des hommes et des femmes... et des enfants. Grande faille d'ailleurs ! Bien de grands et immenses acteurs de la guerre, peut-être parce qu'ils occupaient, après l'Indépendance, des postes de responsabilité politique, peut-être voulaient-ils oublier on ne sait quoi, peut-être... sont partis (décès) sans laisser de mémoires. D'où cette désagréable impression d'une «histoire à répétition» que les nouvelles générations n'arrivent pas à assimiler. D'où l'avance prise par les thèses colonialistes développées outre-Méditerranée ; l'affaire «Furon-Bengana» n'étant qu'un énième accident de parcours.
Heureusement qu'il y a, depuis 1990 tout particulièrement, une libération de la mémoire de l'«ancien» moudjahid. C'est le cas de Djoudi Attoumi (et de bien d'autres dont les ouvrages ont été présentés dans cette chronique) qui, cette fois-ci, s'est penché sur la participation de la femme, des femmes, de toutes les femmes à la guerre d'indépendance. D'Algérie et d'ailleurs. Des combattantes, des «guetteuses» assurant des gardes, des agents de liaison, des médecins, des infirmières, des «espionnes» (au sens noble du terme), des porteuses d'armes, d'argent, d'informations et d'aliments, des soutiens actifs (dont beaucoup d'Européennes de tendance libérale d'Algérie et de France). Des noms, des prénoms, des pseudos... connus ou non, retenus par les stèles commémoratives ou seulement par les mémoires collectives locales ou nationales : de la Kahena et Fadhma N'Soumer à Chaib Dzair, Drif Zohra, Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza , Aïcha Haddad, Ourida Meddad, Brarti Zahoua, les sœurs Bedj, Na Aldjia et Djamila Minne Amrane en passant par Malika Gaid, Meriem Bouattoura, Sakina Ziza, Leïla Bouchaoui, Amamouche Tassadit, Rosa Melouk, Safia (la mère de Brahim Ben Brahim), Abouadoukh Zohra, Louiza Attouche, Drifa Attif, Raymonde Peschard, Fatima Bedar, Nouara Azzoug, Hassina Cheurfa, Zahia Kherfallah, Meriem Abdelaziz, Louisa Talmats, Aït Amrane Yamina, les sœurs Ighil Ahriz, Debouz Fatima, Fatma Bachi, ... et d'autres , et d'autres dans toute l'Algérie... et en France, pays de l'occupant. Des milliers, des centaines de milliers. Brutalisées, violentées, exposées, traînées par les chars, emprisonnées, humiliées sur les places publiques, souvent violées (collectivement), toujours torturées, parfois brûlées vives... mais jamais découragées.
L'Auteur : Licencié en droit et diplômé de l'Ecole nationale de la Santé publique de Rennes (France), l'auteur, Djoudi Attoumi (né en 1938 dans les Aït Oughlis) a rejoint les maquis au lendemain du congrès de la Soummam en 1956 pour être affecté au PC de la wilaya III auprès du Colonel Amirouche. Par la suite, plusieurs postes de responsabilité. Démobilisé (sur sa demande) en août 1962, il exerça au niveau de plusieurs postes de responsabilité dans l'Administration locale, entre autres. Auteur de plusieurs ouvrages consacrés pour la plupart à la guerre de libération nationale.
Extrait: «La torture qui est sujet d'actualité a été pratiquée d'une façon systématique pendant la guerre d'Algérie par l'armée française... La pratique de la torture est quelque chose de courant à tous les niveaux de l'armée française» (p 167).
Avis : Très riche, trop riche en informations... avec une présentation (mise en page et impression) rendant difficile la lecture.
Citation : «Qu'elles soient dans les maquis, dans leurs villages, dans les centres de regroupements, dans les zones interdites ou dans les centres urbains, elles (les femmes algériennes) étaient à la hauteur de leurs responsabilités et de l'amour qu'elles portent pour leur patrie» (p 9).
Une somme d’articles relatant le vécu de la guerre.
« Les feux sont éteints, certes. Et cependant même s’il n’y a plus de braises sur la dalle noircie de la cheminée dans laquelle ont brulé nos existences, il y restera toujours des cendres » C’est par cette phrase que Philippe Labro conclut sa préface, preuve de l’importance qu’a pu avoir la guerre d’Algérie durant sa vie. En effet dès les premières pages de cette somme monumentale, on sent l’impact qu’a pu avoir ce conflit pour ceux qui l’ont vécu et ses nombreuses conséquences sur la France et l’Algérie naissante, perçu par l’auteur comme étant « un tournant du 20ème siècle ».
Cet ouvrage est composé d’article de la revue Historia datant de septembre 1971 à avril 1974, des numéros qui se sont très bien vendus malgré la prétendue amnésie collective de l’époque. Yves Courrière est derrière cette initiative de raconter la guerre comme elle a été, fort de son vécu. En effet, il a été journaliste, puis capitaine dans l’armée et même enquêteur civil sur les conditions de vie des Algériens. Il en est arrivé à une conclusion : la détestation de la guerre. Le principal intérêt de cet ouvrage est, selon son principal auteur Tramor Quemeneur, d’apporter une vision journalistique du conflit. En effet, la majorité des contributions sont dans cette veine et proviennent de journalistes français (la grande majorité) ou algériens (une dizaine) et donnent beaucoup de place aux témoignages, nous permettant d’être au plus près des événements. Ceux-ci permettent de voir la guerre sous un autre jour malgré les approximations et erreurs sur certains faits, liées à l’avancée de la recherche depuis les années 1970.
L’Algérie de 1830 à 1954
Avant de rentrer dans le vif du sujet, toute la première partie du livre est consacrée à l’Algérie avant la guerre. De la conquête par la France en passant par l’émergence du mouvement nationaliste, l’Algérie pré-guerre est abordée en fonction de choix bien précis : Le 8 mai 1945, moment de l’impossible réconciliation entre les peuples ou encore l’émergence du mouvement nationaliste à travers Messali Hadj et les Historiques du FLN. Ceux-ci font d’ailleurs l’objet d’une biographie détaillée mais souvent dépassée et plus d’actualité. On apprend également les causes profondes des revendications indépendantistes comme l’impossible intégration politiques des Musulmans au sein de la colonie (révolte de 1870, échec du projet Blum Violette). C’est une vision très lucide de cette colonie qui nous est offerte ; difficile à gouverner depuis Paris et rejet de tout projet d’intégration des Musulmans de la part des colons qui voient la France comme un pays lointain et font preuve d’un attachement démesuré à cette terre. Cette première partie aborde également le début de l’insurrection avec les actions armées menées lors de la Toussaint Rouge.
Les différentes phases de la guerre d’Algérie
La suite de l’ouvrage s’organise par découpage en année, traduisant les grandes orientations du conflit. Il s’agit alors de décrire la guerre en à raison d’un chapitre par année (sauf pour les deux derniers chapitres). Chaque début de chapitre est illustré par les unes des numéros d’Historia de l’année correspondante et une introduction rappelant les principaux événements de la guerre d’Algérie.
L’année 1955 : Etats d’urgence
Cette année se focalise sur les causes profondes de la guerre (misères, sous administration de certaines régions) et sur certaines figures emblématiques du FLN comme Amirouche ou Abane Ramdane, le politique du FLN, comment il est devenu la figure pensante du mouvement indépendantiste et a su lui donner une autre dimension. Face à l’insurrection, l’état français va mettre en place l’état d’urgence notamment dans le Constantinois et les Aurès. On apprend à travers un témoignage que les colons de cette région, conscients de ce qui est en train de se jouer, ont très tôt appelé le gouvernement à agir au plus vite contre les révoltés. L’année 1955 est ainsi analysée comme étant l’année de l’entrée dans une guerre véritable
L’année 1956 : La guerre totale
Durant cette année, on assiste à un élargissement du conflit qui va s’étendre à toutes des dimensions de la vie en Algérie et même en métropole. Cette année débute par un article sur la vie de Camus et son engagement durant la guerre notamment la trêve civile qu’il a proposée et qui lui a valu les foudres des colons. Vient ensuite le voyage de Guy Mollet à Alger et de son accueil qui va être décisif dans la réaction française et la poursuite du conflit. C’est durant cette année que l’enjeu pétrolier va commencer à peser : la découverte de gisements de pétrole puis de gaz vont être un élément déterminant de la stratégie française, qui va longtemps s’ingénier à séparer le Sahara du reste des revendications du FLN. Cette guerre devient également totale par l’engagement de certains français avec le FLN, des réseaux opèrent cette année mais vont être rapidement démantelés. On apprend à travers des témoignages le quotidien des Moudjahid et le sens qu’ils donnaient à leur combat : l’importance de la foi musulmane pour rallier les masses et d’une règle stricte qui s’applique à tous.
1957 : la bataille d’Alger
On revient dans cette partie à une approche plus militaire du conflit avec la bataille d’Alger se centrant sur les motivations des poseurs de bombe et la réaction des parachutistes français, complété par un témoignage poignant sur la perception d’un attentat du FLN par un proche d’une victime. S’en suit un déchaînement de violence dans cette ville, entre offensive du FLN et représailles de l’armée française, avec l’usage de la torture. Une méthode d’interrogatoire qui suscite des réactions notamment chez les chrétiens et de nombreuses personnalités. Un article revient sur le rôle qu’ont pu avoir les Algériennes durant la guerre : agent de liaison ou infirmière pour la plupart, combattantes pour quelques-unes, un rôle qui était alors très différent du leur dans la société.
Année 1958 : D’une République à l’autre
Pour cette année, sont détaillées les circonstances qui ont amené à la chute du régime et au retour du général De Gaulle : L’implication de la Tunisie et la stratégie du FLN afin de fragiliser la IVe République. Pour la France politique internationale et nationale sont alors étroitement liées. Viennent ensuite les événements de mai 1958 et le retour de De Gaulle, des récits qui donnent beaucoup d’importance au vécu des manifestations et à la manière dont elles se sont déroulées ; une montée en tension progressive avec la prise du gouvernement général et la constitution du comité de Salut Public. Les manifestants acclament De Gaulle et voient en lui celui qui va maintenir la France en Algérie. De retour au pouvoir, les voyages qu’il mène à travers la colonie et les réactions qu’il suscite, souvent unanimes, illustrent tout l’espoir des pieds noirs.
1959 : L’Algérie gaullienne
De Gaulle met alors en place sa politique et tente de composer tant bien que mal face aux rebelles du FLN et aux ultras de l’Algérie française. Il fait face à un nouvel acteur, le GPRA, dont l’objectif est de donner une véritable représentativité à la lutte et plus de crédibilité à l’international. Mais la réponse de De Gaulle est également militaire, la bleuïte et le plan Challe déciment le rang de certains maquis de l’ALN, tout en ayant conscience que la réussite militaire ne pouvait à elle seule apporter une solution, le véritable enjeu étant politique. On a également droit à un témoignage d’un prisonnier de l’ALN et des longues marches afin d’échapper aux ratissages permanents de l’armée française. Ce sont aussi les conditions de vie misérables des villages de regroupement qui sont abordées, camps portant atteinte à l’organisation et à la vivabilité de la société algérienne.
Année 1960 : Barricades et insoumissions
C’est en 1960 que l’on prend conscience dans les plus hautes sphères de l’Etat que l’indépendance est inéluctable, ce qui pousse les ultras de l’Algérie française à la mise en place des barricades à Alger. Les témoignages sur cette semaine sont révélateurs de la détermination des émeutiers : De Gaulle souhaite au plus vite y mettre fin. Le plan de Constantine, initié quelques années plus tôt, est loin d’avoir tenu toutes ses promesses et la solution économique tant vantée par les réformateurs n’est alors qu’un mirage lointain. Durant cette année, on assiste aux procès du réseau Jeanson avec une opposition entre raison d’état et valeurs humanistes et chrétiennes des membres du réseau qui n’hésitent pas à plaider coupable de ce qu’on leur reproche.
1961 : Négocier malgré la subversion
Face à la politique gaullienne, les ultras de l’Algérie française s’organisent, c’est Madrid qui va servir de base arrière aux fondateurs de l’OAS et permette de lancer ce mouvement. Puis le putsch des généraux et les tentatives des meneurs afin de rallier un maximum d’officier à leur cause à travers toute l’Algérie. On apprend que les attentistes sont à ce moment-là les plus nombreux, curieux de savoir quel camp va l’emporter. Les transistors et le discours du général ont été l’arme les plus efficaces contre les conjurés et l’armée va rester fidèle à De Gaulle. Débutés en 1961, les accords d’Evian ont été l’occasion d’âpres négociations portant sur la nécessité d’un cessez le feu mais également du statut du Sahara, plusieurs mois ne suffisant pas à trancher ces questions. Ensuite le 17 octobre 1961, un des premiers articles à relater les faits depuis la fin du conflit revient sur cette tragédie sanglante. Face à l’OAS, le MPC mène la lutte et souhaite organiser une coopération afin de maintenir la présence des Français en Algérie.
1962 : La marche vers l’indépendance
On commence par un aspect méconnu du maintien de l’ordre à Alger : la lutte contre les inscriptions faites par l’OAS et les morts que cela a pu provoquer, la terreur y règne et la violence devient banale. Cette terreur, dont le principal responsable est l’OAS, va susciter l’indignation des français et des manifestations dont celle du métro Charonne. Un article revient sur la logique à l’œuvre lors des accords d’Evian qui vont rapidement être remis en cause par des évènements dramatiques comme celui de la rue d’Isly : on en saisit toute l’ampleur et on comprend que c’est le résultat d’une méprise des forces de l’ordre et d’une mauvaise appréciation de l’OAS. Enfin c’est l’indépendance qui se prépare avec les luttes intestines au sein du FLN qui seront lourdes de conséquence par l’avenir de l’Algérie. Cela n’entache en rien la ferveur populaire autour du vote de l’autodétermination avec une écrasante majorité du oui pour l’indépendance.
1962 : L’indépendance et après ?
Un article revient sur le sort des harkis, que l’on désarme progressivement, certains espèrent la clémence du FLN en le rejoignant sur le tard. Les plus chanceux bénéficient du soutien de leurs officiers et peuvent rejoindre la France. Des témoignages nous font prendre conscience de la tragédie de l’exode, de ceux qui préfèrent tout détruire avant de partir, de ceux qui n’ont pu prendre que quelques valises pour un pays dans lequel ils n’ont jamais mis les pieds. Leur objectif est néanmoins clair : survivre et permettre à leurs enfants d’être en sécurité. Ces pieds noirs, une fois arrivée en France, vont faire face aux difficultés d’intégration, mais certains vont incroyablement bien réussir. L’autre catégorie de population qui a du mal à s’intégrer est la communauté algérienne, entre impératif économique et rejet, ils jouent un rôle d’équilibriste et vivent dans une situation souvent précaire. Au-delà des tensions liées à la fin de la guerre, la mise en place d’une coopération entre les deux pays ne tient pas toutes ces promesses, ainsi le nombre d’enseignants français en Algérie ne fait que décroître à partir de 1963.
Pour de nombreuses critiques, Jean-Luc Godard est un cinéaste engagé, mais jamais son engagement pour la Palestine n'a été cité de son vivant. De la rhétorique de gauche enflammée à la solidarité inébranlable avec la Palestine, en passant par un départ constant et implacable des conventions cinématographiques - y compris les siennes - le réalisateur Jean-Luc Godard n'était pas connu pour le compromis. Godard, décédé en septembre dernier, a commencé son projet cinématographique en expérimentant des techniques - et à travers ce processus, il a développé une affinité pour le socialisme, l'anti-impérialisme, les classes ouvrières et la Palestine. C'est à travers les films qu'il a tournés avec ce collectif qu'il a pu diriger sa caméra vers, et ainsi découvrir, les classes populaires. L'un des premiers films de Godard, Le Petit Soldat, est un beau pastiche des genres gangster et espion, avec une indéniable influence du néoréalisme italien et une sensation documentaire brute.
Le film de 1963 se concentre sur la guerre de libération, mais mis à part une cinématographie habile, il regorge de représentations racistes. Les Français ne sont dénoncés que dans la mesure où ils succombent à la résistance des Algériens, qui ont enlevé et torturé le protagoniste, mais n'ont pas compris sa dignité humaine. Godard a soutenu qu'il cherchait à présenter non pas les réalités de la guerre, mais ses propres questions morales et politiques. Il est révélateur qu'il ait choisi de présenter ces questions à travers un assassin de droite avec des arrière-pensées (et un coeur d'or) qui aime la France non par nationalisme, mais pour ses poètes; qui aime les États-Unis parce qu'il aime les voitures américaines; Et qui déteste les Arabes parce qu'il déteste le désert. Vers la fin du film, le rebondissement (soi-disant choquant) est que les Français, comme les Arabes, torturent leurs victimes, alors que l'amoureuse du protagoniste, Veronica, s'avère être une espionne qui est capturée et torturée à mort par les Français. Pourtant, comparée à la description méticuleuse de la torture du protagoniste par les Arabes, la torture et la mort de Veronica sont relayées par quelques lignes narratives et aucune représentation visuelle.
Le référent de la sauvagerie en temps de guerre reste donc arabe, même si les Français y participent. Néanmoins, enfouis au plus profond du film, se trouvent les germes d'une attitude plus militante, incarnée par Veronica, qui travaille pour le Front de Libération nationale et déclare que contrairement aux Français, les Algériens ont des idéaux. Toutefois, cette notion est étouffée par le vomi verbal du protagoniste, qui impose ses vues réactionnaires à Veronica et au public via de longs monologues. Les films de Godard sont en grande partie auto-déconstructifs, comme le montrent les représentations de la relation entre la caméra et son objet. Le symbolisme de l'assassin étant un photographe est à ne pas manquer. Il soumet Veronica au regard prédateur de la caméra, ainsi qu'à des questions et demandes intrusives qu'elle refuse pour la plupart.
Alors que pour les spécialistes de l’opinion, la situation en France ne tient qu’à un fil et ne manque qu’une étincelle pour embraser le pays en raison d’un marasme social à tordre le coup, Xavier Driencourt, ex-Ambassadeur de France à Alger entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020, lui va jusqu’à voir la chute de l’Algérie qui entrainerait celle de la France.
Une sorte de projection psychologique qui fait qu’une personne chagrinée pour une raison ou autre se cherche un coupable à un problème de façon pas assez mûre. Dans une contribution parue avant-hier, au journal français le « Figaro », le diplomate fait fi de toute bonne conduite diplomatique et s’érige en analyste en reprenant le discours et le lexique de l’extrême droite. Avec sa fougue acérée, il remet, dans ce qui s’apparente beaucoup plus à une diatribe contre l’Algérie, qu’à une analyse en bonne et due forme, en cause tout ce qui a été fait durant ces trois dernières années, allant jusqu’à comparer l’Algérie d’aujourd’hui à celle de l’ancien système sous l’oligarchie. « L’Algérie nouvelle, selon la formule en vogue à Alger, est en train de s’effondrer sous nos yeux et qu’elle entraine la France dans sa chute. L’Algérie va mal, beaucoup plus mal que les observateurs ou les rares journalistes autorisés le pensent et elle verra inéluctablement en 2024 une nouvelle crise » écrit-t-il dans son texte. Il faut être ainsi frappé de cécité pour ne pas se rendre compte du chemin parcouru par l’Algérie depuis le mouvement populaire pacifique de 2019 ayant précipité la chute des oligarques, serviteurs de pays étrangers. Une Algérie qui se projette désormais dans l’avenir par une stratégie, une vision et une démarche qui semblent embarrasser voire effrayer, cet ex-diplomate en Afrique, qui va à contre sens, de la démarche d’apaisement affichée par son président Emmanuel Macron et le président Abdelmadjid Tebboune. De Paris, qui est le théâtre de colère sociale et de manifestations contre la cherté de la vie ect.., le diplomate n’a de regards que vers Alger, alors que le pays connait une vie économique en pleine croissance de l’avis même des institutions internationales, un front social apaisé, et une institution militaire davantage professionnelle et assurant ses missions constitutionnelles.. L’ex-ambassadeur dans ses attaques contre l’Algérie, ses institutions et son peuple se place dans le camp de l’extrême droite, usant de son lexique, estimant que son pays, la France a cédé sur nombre de points notamment sur «la mémoire et les visas», citant même « l’immigration », sujets favoris, des nostalgiques de « l’Algérie Française » et des lobbies français, torpillant toute relation d’égal à égal entre la France et l’Algérie. « Mais pourquoi diable, se précipiter à Alger.. » a-t-il écrit, à l’adresse des responsables d’institutions françaises, des propos qui en disent long sur la haine que porte le diplomate français pour l’Algérie, pourtant du temps où il devait quitter son poste à Alger, il a eu à verser, lors d’une réception, de « chaudes larmes », lui qui ne cessait de répéter qu’il est « l’ami de l’Algérie » , alors qu’il ne l’était point, non pas depuis, hier, mais pour bon nombre d’Algériennes et Algériens, bien avant… Mais que faut-t-il, attendre de cet ex-diplomate qui ne quitte jamais le confort de son bureau pour aller découvrir, un pays et son peuple? Car c’est sur les réseaux sociaux et des écrits de facebokeurs des plus désœuvrés qu’Il se contente de se forger une opinion voire affirmer des vérités et même jusqu’à dégager une lecture prospective sur l’Algérie, alors que celle-ci a ses exigences. Il est bien loin de ses autres collègues ambassadeurs, accrédités ici ou ailleurs, dont nombreux sont les diplomates étrangers en Algérie, qui vont à la rencontre d’un pays et son peuple, à travers des déplacements, pour tisser des liens avec la population, pour ne citer que comme la diplomate américaine, Elizabeth Moore Aubin, ou encore l’ambassadrice des Pays Bas, Janna Van Der Veldi, qui, a fait le voyage, mars 2021, Alger-Oran par train, dans une ambiance agréable et des conditions confortables, postant ses photos et remerciant, dans un message, le personnel de la Société nationale publique SNTF. S’il est ainsi loin de ses « homologues » diplomates, c’est parce qu’il est le porte-voix, d’une France, celle des nostalgiques de « l’Algérie française », qui soixante-ans, depuis l’indépendance du pays, en 1962, après une Guerre de libération armée, ils ne se sont jamais remis de la défaite de la France coloniale, en Algérie. Le refoulé revient au galop, chez Xavier Driencourt et ses semblables, notamment quand l’ex-colonie française revient en force depuis ces dernières années. Brahim Oubellil
À quoi joue l’ex-diplomate français Xavier Driencourt : Une contribution de « l’ami » de l’Algérie avec un ton de l’extrême droite
Driencourt et Le Figaro, nostalgiques
d’un temps révolu à jamais
À quoi joue l’ex-diplomate français Xavier Driencourt : Une contribution de « l’ami » de l’Algérie avec un ton de l’extrême droite
Encore une violente diatribe sur l’Algérie. Chassez le naturel, il revient au galop ! Encore une fois, des nostalgiques de l’Algérie française ne trouvent apparemment pas de quoi occuper leurs longues journées de retraités que de s’attaquer à notre pays.
Alors que pour les spécialistes de l’opinion, la situation en France ne tient qu’à un fil et ne manque qu’une étincelle pour embraser le pays en raison d’un marasme social à tordre le coup, Xavier Driencourt, ex-Ambassadeur de France à Alger entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020, lui va jusqu’à voir la chute de l’Algérie qui entrainerait celle de la France.
Une sorte de projection psychologique qui fait qu’une personne chagrinée pour une raison ou autre se cherche un coupable à un problème de façon pas assez mûre. Dans une contribution parue avant-hier, au journal français le « Figaro », le diplomate fait fi de toute bonne conduite diplomatique et s’érige en analyste en reprenant le discours et le lexique de l’extrême droite. Avec sa fougue acérée, il remet, dans ce qui s’apparente beaucoup plus à une diatribe contre l’Algérie, qu’à une analyse en bonne et due forme, en cause tout ce qui a été fait durant ces trois dernières années, allant jusqu’à comparer l’Algérie d’aujourd’hui à celle de l’ancien système sous l’oligarchie. « L’Algérie nouvelle, selon la formule en vogue à Alger, est en train de s’effondrer sous nos yeux et qu’elle entraine la France dans sa chute. L’Algérie va mal, beaucoup plus mal que les observateurs ou les rares journalistes autorisés le pensent et elle verra inéluctablement en 2024 une nouvelle crise » écrit-t-il dans son texte. Il faut être ainsi frappé de cécité pour ne pas se rendre compte du chemin parcouru par l’Algérie depuis le mouvement populaire pacifique de 2019 ayant précipité la chute des oligarques, serviteurs de pays étrangers. Une Algérie qui se projette désormais dans l’avenir par une stratégie, une vision et une démarche qui semblent embarrasser voire effrayer, cet ex-diplomate en Afrique, qui va à contre sens, de la démarche d’apaisement affichée par son président Emmanuel Macron et le président Abdelmadjid Tebboune. De Paris, qui est le théâtre de colère sociale et de manifestations contre la cherté de la vie ect.., le diplomate n’a de regards que vers Alger, alors que le pays connait une vie économique en pleine croissance de l’avis même des institutions internationales, un front social apaisé, et une institution militaire davantage professionnelle et assurant ses missions constitutionnelles.. L’ex-ambassadeur dans ses attaques contre l’Algérie, ses institutions et son peuple se place dans le camp de l’extrême droite, usant de son lexique, estimant que son pays, la France a cédé sur nombre de points notamment sur «la mémoire et les visas», citant même « l’immigration », sujets favoris, des nostalgiques de « l’Algérie Française » et des lobbies français, torpillant toute relation d’égal à égal entre la France et l’Algérie. « Mais pourquoi diable, se précipiter à Alger.. » a-t-il écrit, à l’adresse des responsables d’institutions françaises, des propos qui en disent long sur la haine que porte le diplomate français pour l’Algérie, pourtant du temps où il devait quitter son poste à Alger, il a eu à verser, lors d’une réception, de « chaudes larmes », lui qui ne cessait de répéter qu’il est « l’ami de l’Algérie » , alors qu’il ne l’était point, non pas depuis, hier, mais pour bon nombre d’Algériennes et Algériens, bien avant… Mais que faut-t-il, attendre de cet ex-diplomate qui ne quitte jamais le confort de son bureau pour aller découvrir, un pays et son peuple? Car c’est sur les réseaux sociaux et des écrits de facebokeurs des plus désœuvrés qu’Il se contente de se forger une opinion voire affirmer des vérités et même jusqu’à dégager une lecture prospective sur l’Algérie, alors que celle-ci a ses exigences. Il est bien loin de ses autres collègues ambassadeurs, accrédités ici ou ailleurs, dont nombreux sont les diplomates étrangers en Algérie, qui vont à la rencontre d’un pays et son peuple, à travers des déplacements, pour tisser des liens avec la population, pour ne citer que comme la diplomate américaine, Elizabeth Moore Aubin, ou encore l’ambassadrice des Pays Bas, Janna Van Der Veldi, qui, a fait le voyage, mars 2021, Alger-Oran par train, dans une ambiance agréable et des conditions confortables, postant ses photos et remerciant, dans un message, le personnel de la Société nationale publique SNTF. S’il est ainsi loin de ses « homologues » diplomates, c’est parce qu’il est le porte-voix, d’une France, celle des nostalgiques de « l’Algérie française », qui soixante-ans, depuis l’indépendance du pays, en 1962, après une Guerre de libération armée, ils ne se sont jamais remis de la défaite de la France coloniale, en Algérie. Le refoulé revient au galop, chez Xavier Driencourt et ses semblables, notamment quand l’ex-colonie française revient en force depuis ces dernières années.
SOURCE : À quoi joue l’ex-diplomate français Xavier Driencourt : Une contribution de « l’ami » de l’Algérie avec un ton de l’extrême droite | (lecourrier-dalgerie.com)
C’est une date méconnue mais capitale dans le mouvement vers l’indépendance : pour la première fois, un Algérien, Messali Hadj, un des pères fondateurs du nationalisme, va prendre la parole dans un stade plein et installer l’idée d’une souveraineté nationale algérienne. Récit en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BNF.
La « une » de l’édition du 3 août 1936 de « l’Echo d’Alger », évoquant le grand meeting du Congrès musulman algérien et l’assassinat du grand mufti d’Alger. (RETRONEWS/BNF)
C’est une date méconnue mais capitale dans le mouvement vers l’indépendance : pour la première fois, un Algérien, Messali Hadj, un des pères fondateurs du nationalisme, va prendre la parole dans un stade plein et installer l’idée d’une souveraineté nationale algérienne. Récit en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BNF.
L’histoire coloniale en Afrique vue par les journaux français
Régulièrement, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF), « l’Obs » revient sur un épisode de l’histoire coloniale en Afrique à travers les journaux de l’époque.
Alger, un dimanche d’été. La ville vient de sortir d’un mois et demi de grèves à la suite de la victoire électorale du Front populaire. Ce matin du 2 août 1936, dès 7 heures, plus de 15 000 personnes, la plupart d’origine musulmane, du jamais-vu depuis 1830 – date du début de la colonisation française –, se rassemblent au stade municipal de Belcourt, près du Jardin d’Essai, à l’appel du Congrès musulman algérien. Cette coalition inédite entre les réformistes religieux de l’Association des Oulémas musulmans algériens (AOMA), la Fédération des élus musulmans et des militants socialistes et communistes doit rendre compte des négociations à Paris avec le gouvernement de Léon Blum, arrivé au pouvoir en juin et dont le programme porte haut la lutte contre la misère.
Cette politique soulève l’enthousiasme dans les masses populaires et parmi les élites musulmanes. Tous espèrent que se concrétisent leurs rêves d’égalité. Tous espèrent l’assimilation promise par la République et au cœur de la « mission civilisatrice », politique qui en réalité n’a jamais concerné les « indigènes », comme l’expliquait à « l’Obs » l’historienne Sylvie Thenault.
Dans le stade, les journalistes de l’époque notent au milieu du terrain, sous de petits parasols, la présence, entre autres, des cheikhs El-Okbi, Ben Badis et El-Ibrahimi, représentants des Oulémas, de Ferhat Abbas, qui incarne alors la génération montante de leaders algériens, et du docteur Bendjelloul, chef des élus de la région de Constantine et président du Congrès musulman. Les orateurs se succèdent. Ils se félicitent des discussions avec le Front populaire dans lequel ils disent avoir toute confiance pour que leurs revendications aboutissent.
Messali Hadj qui, à la surprise générale, a débarqué le matin même à l’aube, et sans y être invité, est également présent. Chef de l’Etoile nord-africaine (ENA, fondée dix ans plus tôt), militant pour l’indépendance en métropole parmi les immigrés algériens, Messali Hadj est un parfait inconnu pour le plus grand nombre en Algérie. Lorsque son tour de prendre la parole arrive, il dit en arabe, puis en français, « sa joie de revenir sur sa terre natale après le long exil que lui a valu son activité politique à Paris », rapporte « l’Echo d’Alger ».
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« L'Echo d'Alger », du 3 août 1936
Il apporte son soutien aux principales revendications de la Charte adoptée par le Congrès musulman. Mais, rapidement, il va jouer les trouble-fêtes et s’opposer à une représentation des Algériens au Parlement français à Paris que défendait le Congrès musulman, y voyant là le rattachement de l’Algérie à la France. Il exige un Parlement algérien, à Alger, élu sans distinction de race et de religion, au suffrage universel et contrôlé par le seul peuple de l’Algérie. « Ce que veut donc l’orateur, c’est créer une “nation Algérie” », explique, lucide, « l’Echo d’Alger ».
« Cette terre n’est pas à vendre »
L’histoire retiendra de ce moment une scène dont on ne mesure pas encore aujourd’hui l’exactitude des faits. Une scène qui n’est pas mentionnée dans la presse, ni dans la retranscription des discours, ni dans les rapports de police, mais qui sera portée par le courant nationaliste qui la fera entrer dans la légende.
Ce 2 août 1936, Messali Hadj, après avoir ramassé une poignée de terre, aurait levé le bras devant le public, le poing fermé, et proclamé en arabe : « Cette terre n’est pas à vendre. » Il est alors littéralement porté en triomphe (des photos de presse existent de ce moment) et longuement ovationné. L’un des futurs fondateurs du nationalisme algérien a 38 ans et il est le seul à oser demander la souveraineté de l’Algérie. Sans prononcer le mot d’« indépendance », il donne le coup d’envoi de ce que sera le combat indépendantiste. Lorsqu’il monte à la tribune, le militantsait qu’il va déclencher une tempête en affirmant que la confiance en la gauche française ne suffit pas.
Messali Hadj porté en triomphe à l’issue de son discours à Alger, le 3 août 1936. Image diffusée dans « El-Ouma » n° 42, 26 août 1936
« Pour la première fois, la perspective de la souveraineté nationale algérienne est exprimée de façon claire et explicite dans un rassemblement de masse de musulmans d’une ampleur sans précédent, en opposition avec la perspective jusque-là dominante d’une conquête des droits recherchées dans les limites de la cité française », nous explique Christian Phéline, auteur du livre « la Terre, l’étoile, le couteau » (Editions du Croquant, 2021) qui revient sur cette journée particulière. « Cette allocution est d’autant plus forte politiquement qu’elle se situe sur le terrain des droits démocratiques. C’est d’une grande maturité politique », note-t-il.
Ce jour-là fera connaître Messali Hadj dans tout Alger et marquera le début de la construction de son réseau de l’Etoile nord-africaine (qui deviendra le Parti du Peuple algérien en 1937) ouvertement indépendantiste en Algérie face au Parti communiste et aux Oulémas. « La perspective indépendantiste ne s’est pas nouée le 1er novembre 1954 [le Front de Libération nationale, nouvellement créé, déclenche une série d’attentats sur le territoire algérien dans la nuit, la « Toussaint rouge », qui marque le début de la guerre d’Algérie, NDLR]. Elle a derrière elle des décennies de maturation politique », explique Christian Phéline.
Assassinat du grand mufti d’Alger en pleine rue
Au même moment, à l’autre bout de la ville, dans la basse Casbah, au cœur du quartier juif et arabe, le grand mufti d’Alger, Bendali Amor Mahmoud, dit Kahoul, est poignardé en pleine rue alors qu’il sort de la mosquée et rejoint son domicile. « Le meurtrier a rapidement plongé son “boussaadi” [un type de poignard traditionnellement fabriqué dans la ville de Bou Saâda, NDLR] dans le dos du chef religieux, sans que sa victime ait eu le temps de crier », rapporte « le Journal » du 3 août. Un témoin (« une mauresque », précise l’article) croit avoir vu « un indigène musulman ». « Le mufti était un savant et un grand ami de la France. La nouvelle de son assassinat, aussitôt qu’elle a été connue, a causé un vif émoi dans les milieux indigènes », écrit encore « le Journal ».
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« Le Journal », du 3 août 1936
Selon « l’Echo d’Alger » qui affiche à sa « une » les deux événements – le meeting du Congrès musulman et l’assassinat du dignitaire –, ce sont « deux indigènes, vêtus de costumes bleus de chauffe », qui seraient à l’origine du crime. L’un aurait fait diversion en saluant le septuagénaire, pendant que l’autre le poignardait dans la poitrine. Le quotidien indique que le religieux était « commandeur de la Légion d’honneur et rédacteur principal du journal “Mobacher” du gouvernement général ».
Quatre suspects sont arrêtés. Le 4 août, « l’Humanité » évoque des « tueurs à gages ». L’administration coloniale impute l’initiative de ce crime au cheikh El-Okbi. Ce dernier était un rival direct du grand imam d’Alger. Il est une des figures algéroises du mouvement des Oulémas, un courant réformiste algérien, l’Islah, qui émerge à la fin du XXe siècleetqui vise à rompre avec la vision traditionnelle confrérique de l’islam, faite de superstitions et de rituels mystiques tenus pour illicites d’un point de vue doctrinal et arriérés.
Il est le compagnon de route d’Abdelhamid Ben Badis, le président de l’Association des Oulémas musulmans algériens. Influencés par les mouvements du Proche-Orient – en particulier d’Egypte –, les Oulémas proposent un islam plus pur, proche de celui que pratiquaient les premiers disciples de Mahomet, les « pieux ancêtres », opposé au maraboutisme répandu dans les populations rurales, la grande majorité des Algériens.
Bendali Amor Mahmoud, lui, a été imposé par l’administration coloniale à la tête de la plus grande mosquée de rite malékite d’Alger. Il est le représentant d’un certain clergé officiel. Le religieux était en désaccord ouvert avec le Congrès musulman et était à l’origine d’une circulaire interdisant aux représentants des Oulémas de prêcher dans les mosquées officielles. Le pouvoir colonial s’était appuyé sur lui pour maintenir l’ordre en place.
Pour « l’Humanité », ce crime, perpétré le jour même du rassemblement du Congrès musulman, est une « provocation ». « Qu’on cherche les bénéficiaires de l’attentat, et la conviction est renforcée. Les musulmans partisans du progrès n’ont qu’à perdre dans l’affaire, les trublions fascistes n’ont qu’à gagner », lit-on.
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« L’Humanité », du 4 août 1936
Explosion de l’éphémère Congrès musulman
L’allocution de Messali Hadj et l’assassinat de l’imam Bendali vont renverser le cours de l’histoire et empoisonner le climat politique. Le docteur Bendjelloul s’empresse d’exprimer sa colère dans « la Dépêche algérienne » : « Après le discours de Messali, après l’assassinat du mufti Kahoul, les ponts sont rompus ! Tout ce qui n’est pas français sera par nous impitoyablement chassé et pourchassé. » Une prise de position qui le conduira à perdre la présidence du Congrès musulman.
La coalition, qui n’obtiendra pas finalement la concrétisation des promesses du Front populaire, sera affaiblie jusqu’à son éclatement au profit des sympathisants de Messali Hadj, malgré la répression qu’ils subissent. « Messali Hadj est vu comme l’homme providentiel, le successeur de l’émir Abd el-Kader, des dirigeants des insurrections du XIXe siècle et une alternative politique », analyse Christian Phéline
"Messali Hadj en octobre 1948. (- / AFP)
Enfin, l’abandon du « plan Blum-Violette », du nom du président du Conseil et de son ministre d’Etat, qui visait à donner la citoyenneté française et le droit de vote à 20 000 musulmans (une minorité appartenant à l’élite : diplômés du secondaire et du supérieur, militaires décorés, fonctionnaires, ouvriers titulaires de la médaille du travail, élus…), auquel les forces politiques du Congrès avaient lié leur destin, aura raison de lui.
De leur côté, les autorités coloniales en Algérie instrumentalisent les événements. « L’administration algéroise du gouvernement général aura su exploiter avec habileté le meurtre de Kahoul pour faire exploser le Congrès musulman, explique Christian Phéline. Après la rupture fracassante de son président, le docteur Bendjelloul, qui renvoya dos à dos comme “anti-français” tant Messali que les assassins du mufti, le Congrès musulman perdra peu à peu le pouvoir de mobilisation dont il disposait à travers le front algérien à la fois pluraliste et unitaire qu’il avait réussi à former. »
Rendez-vous manqué avec le Front populaire
Quelques semaines plus tôt, l’heure était pourtant à l’unité et à l’effervescence. Le Congrès musulman, formé le 7 juin 1936 au cinéma Majestic (aujourd’hui Atlas) dans le quartier Bab-el-Oued, se voulait le prolongement en Algérie du Front populaire et un outil de négociation avec le nouveau gouvernement de gauche.
Conduite par le docteur Bendjelloul, une délégation est reçue en juillet 1936 à Paris avec tous les honneurs par le président du Conseil, Léon Blum, et le ministre d’Etat, Maurice Viollette. La presse rapporte une rencontre particulièrement chaleureuse. « Le président du Conseil a remercié les délégués de leurs déclarations et a dit sa joie que des Français servent d’autres Français, des démocrates d’autres démocrates », lit-on le 23 juillet dans « l’Œuvre », qui reprend un communiqué de la présidence du Conseil. Face à eux, « les délégués ont exprimé la joie que leur a causé cet accueil particulièrement bienveillant ».
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« L’Œuvre », du 23 juillet 1936
Marcel Régis, député d’Alger (qui votera en 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain), écrit une tribune dans « le Populaire », titrée « Lumières sur l’Algérie », dans laquelle il exprime l’admiration qu’il porte à cette alliance algérienne représentant « l’unanimité de la population algérienne » : « J’ai partagé leur joie, compris leurs espoirs et je veux dire ici au parti tout entier, et aux représentants du Front populaire, la reconnaissance de ces hommes […]. Ils emportent la réconfortante certitude d’avoir été compris, d’avoir été traités comme des hommes libres, indépendants, sur un pied de totale égalité. »
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« Le Populaire », du 29 juillet 1936
L’élu y présente également les principales idées des demandes algériennes listées dans la Charte revendicative : suppression des lois d’exception, intégration dans la société française, citoyenneté à la place de la sujétion, développement de l’instruction pour les enfants, fusion des enseignements européen et « indigène »… Enthousiaste et favorable à ces revendications, il conclut : « L’enfant algérien […] veut des écoles et des maîtres. France, ne les lui refuse plus ! »
A leur retour, dès leur descente du bateau « Ville-d’Alger » les délégués du Congrès musulman sont acclamés. « L’Echo d’Alger », qui s’est entretenu avec Ferhat Abbas, alors conseiller général de Sétif, rapporte les propos du leader nationaliste, qui affiche son optimisme : « Une fois de plus, nous avons pu constater combien on est loin des choses de l’Algérie à Paris. Mais nous avons eu aussi le réconfort de constater, cette fois, la volonté sincère de compréhension du gouvernement à l’égard des musulmans d’Algérie. »
Le visionnage de ce contenu mutimédia est susceptible d'entraîner un dépôt de cookies de la part de l'opérateur de la plate-forme vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de ce contenu. Si vous souhaitez continuer et lire ce contenu, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.
« L’Echo d’Alger », du 30 juillet 1936
Les leaders nationalistes du Congrès musulman avaient-ils réellement cru que l’avènement d’un gouvernement de gauche suffirait à changer la donne de la situation coloniale ? Que celui-ci ferait fi du strict statu quo colonial souhaité et maintenu par l’administration algéroise, les maires européens en premier lieu ? L’attentisme du Front populaire, en tout cas, doucha très rapidement les enthousiasmes. Les « agitateurs », comme Messali Hadj, furent emprisonnés. Le printemps du Front populaire en Algérie a été éphémère, le rendez-vous, si tant est qu’il ait été réellement souhaité, manqué.
Des soldats français en opération de « nettoyage » en Algérie dans la région de l'Aurès procèdent à l'arrestation de « suspects » le 3 novembre 1954, au début de la guerre d'Algérie. AFP
De 1954 à 1962 plus d’un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Avec « Papa qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial » (éditions La Découverte) l’historienne Raphaëlle Branche livre une enquête fouillée sur le silence qui a marqué et entouré la guerre d’Algérie. Alors que Paris et Alger ont récemment initié un dialogue sur la mémoire franco-algérienne, nous vous proposons de lire quelques extraits choisis de cet ouvrage inédit mêlant archives et témoignages récents.
[…]
Nombre de familles françaises sont habitées par les traces de cette guerre qui ne fut officiellement reconnue comme telle qu’en 1999. Ceux qui l’ont faite sont des pères, des maris ou des frères, envoyés de l’autre côté de la Méditerranée quand ils avaient vingt ans. Souvent résumées à des silences ou à de très rares récits, les traces de leur expérience là-bas ont été un des éléments constitutifs de leurs familles, au gré des décennies qui nous séparent de cet événement majeur de l’histoire française contemporaine. Comprendre ce qui s’est joué dans les familles et comment la guerre a été vécue puis racontée et transmise, c’est éclairer d’une manière inédite la place de cette guerre dans la société française.
Pour saisir ce qui a pu se dire dans les familles françaises depuis les années 1950, il faut partir du fait que les familles sont des lieux de relations et d’attachements. Cette dimension est fondamentale pour saisir ce qui est dit comme ce qui est tu en leur sein.
We can help you make informed decisions with our independent journalism.
Photo prise en 1956 pendant la guerre d’Algérie de rappelés n’ayant pas encore revêtu l’uniforme militaire qui attendent à la gare de l'Est à Paris leur départ vers un point d'embarquement.UPI/AFP
Elle est aussi prise dans le temps : on n’est pas père de la même manière en 1960, en 1980 ou, a fortiori, en 2000 ; on n’attend pas la même chose d’un enfant non plus. Parce qu’elles sont des espaces fondamentaux de transmission de valeurs et de récits et qu’elles contribuent à l’identité de chacun de ses membres comme à l’existence du collectif familial, les familles sont un chaînon essentiel pour saisir le poids de l’expérience algérienne en France. L’étude de ces transmissions familiales éclaire aussi les mutations des familles françaises des années 1930 à nos jours. Ce qui est transmis renvoie en effet autant au contenu de la transmission qu’à ses conditions. Non seulement on ne raconte pas tout à ses enfants (ou à sa femme, ses parents, ses frères et sœurs), mais on ne fait pas le même récit selon les périodes de sa vie ou les moments historiques traversés.
Faire l’histoire d’un silence
Pourquoi les anciens appelés ont-ils peu raconté à leurs proches, notamment à leurs enfants ? Pourquoi les familles découvrent-elles tardivement l’importance de cette expérience ? Parfois après le décès des hommes eux-mêmes ? Si les vécus de cette guerre de plus de sept ans sont marqués du sceau de l’extrême diversité, l’impression de silence est ce qui domine.
Quels que soient l’endroit, le moment, le grade en Algérie, quels que soient l’origine sociale, le niveau de diplôme, le métier, les hommes qui ont participé à ce conflit sont décrits comme ayant peu transmis, au moins jusqu’aux années 2000. Dès lors, les explications de cette faible transmission sont sans doute moins à chercher dans le détail des expériences combattantes que dans les conditions ayant ou non permis sa possibilité, dès la guerre puis pendant des décennies. Plutôt que de se pencher exclusivement sur ce qui s’est passé en Algérie, l’analyse doit alors considérer ce qui a formé le premier espace pour dire (ou non) l’expérience : leurs familles. En effet, les silences des hommes ne sont pas solitaires : ce sont des silences familiaux, au sein d’une société française longtemps oublieuse de son passé algérien.
Ces « structures de silence » sont historiques. D’une part, elles renvoient à des contextes sociaux, politiques, culturels qui pénètrent les familles et les conditionnent en partie. Des normes existent, dans la société française, sur ce qu’il est possible, désirable ou pas de dire et d’entendre sur la guerre d’Algérie. Ces normes ont varié dans le temps. D’autre part, les structures de silence renvoient à des situations de communication internes aux familles (il n’est pas toujours possible de parler) qui, elles aussi, sont prises dans le temps. Ainsi, la valeur attribuée à la parole d’un père ou à la question d’un enfant a connu d’importants changements dans la seconde moitié du XXe siècle. Ces changements ont, en retour, influencé les transmissions de l’expérience algérienne dans les familles.
Mémoires d’autres conflits
Si une telle étude n’a jamais été menée, d’autres conflits ont pu donner lieu à ce genre de questionnements. Il faut toutefois les lire avec prudence quand on réfléchit à la guerre d’Algérie tant les contextes sont différents, qu’il s’agisse des conflits, des sociétés ou encore des familles.
Prenons par exemple la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, étudiées soit du côté des familles des victimes juives, soit du côté des soldats allemands ou autrichiens. Dans les deux cas, il a fallu articuler une transmission dans le cadre familial avec un événement historique perçu comme exceptionnel par les sociétés qui l’avaient vécu. Dans les deux cas, les travaux ont montré que dominait une perception familiale de l’expérience comme ayant été une expérience de victimes avec une marge d’action réduite.
La situation est peu comparable avec la France. Non seulement la guerre d’Algérie n’a pas été perçue comme hors normes, mais, pour beaucoup de Français, ce conflit lointain et peu meurtrier n’a pas été appréhendé comme une guerre pendant longtemps. Reste qu’on peut trouver dans ces travaux matière à réflexion, en particulier sur le silence comme modalité de la communication dans les familles. Car il y a bien eu, en Algérie, des expériences dont les anciens appelés ont pu considérer qu’elles ne pouvaient être dites ou qu’elles ne pourraient être entendues.
[…]
Plus pertinente est la comparaison avec la situation rencontrée par les combattants soviétiques en Afghanistan puis à leur retour. Cette guerre perdue mobilisa pendant près de dix ans tous les conscrits pour des opérations aux contours mal définis, qui furent cachées à l’opinion publique nationale. Là-bas, les soldats firent l’expérience de violences spécifiques ignorant les lois de la guerre. L’analyse des récits qu’ils firent à leur retour en Union soviétique révèle l’importance d’une violence sans retenue, justifiée par les impératifs de la guerre de contre-insurrection et devenue incompréhensible et largement inaudible après la défaite. Cela n’empêcha pas ces anciens combattants de lutter pour leur reconnaissance et leurs mères de s’organiser afin de les soutenir, dans un monde qui avait largement disparu puisque l’empire soviétique sombra quelques années plus tard.
Une révision radicale des valeurs
Cette disparition d’un monde dépasse le cadre d’une guerre perdue, voire d’une défaite fondatrice. Les Français ont été du mauvais côté de l’histoire. Non seulement la guerre fut menée au mépris souvent des lois de la guerre, mais son échec signifia la fin d’un projet politique global justifiant la place de la France dans le monde et la vision que les Français avaient d’eux-mêmes.
Après 1962, la société fut exposée à une transvaluation, une révision radicale des valeurs.
Le Général de Gaulle s’adresse le 12 décembre 1960, à la foule venue l’écouter à Akbou en Algérie. Les Nations unies s’apprêtent à adopter la résolution reconnaissant le droit du peuple algérien à l’autodétermination et à l’indépendance.Staff/AFP
L’expérience qu’avaient eue les soldats en Algérie les rattachait à ce monde officiellement disparu. Or nul ne sait ce que sont devenues ces représentations coloniales et impériales dans la France d’après 1962.
Nul ne sait où sont passées les idées de progrès, de modernité et d’émancipation dont la France se voulait porteuse même en faisant la guerre en Algérie.
Nul ne sait ce que sont devenues les justifications de la loi du plus fort et de l’usage de la force appliquée sur des peuples considérés comme inférieurs. Ont-elles disparu aussi rapidement que l’on descend un drapeau de son mât ? Sont-elles, au contraire, revenues en France avec les soldats ? La comparaison avec la guerre soviétique en Afghanistan indique des pistes fécondes sur ces questions reliant expérience de la guerre, conditions familiales et sociales au retour et contexte historique. Mais les travaux existants ne suivent pas ces liens au-delà du retour.
Porter le regard sur plusieurs décennies permet en tout cas de percevoir le poids des configurations familiales sur les récits produits et d’identifier les facteurs de changement, au sein des familles ou dans la société.
Enquêter
Les proches constituent le premier cercle dans lequel se réinscrit le soldat à son retour. Ils attestent qu’il est bien le même ou, au contraire, qu’il a changé. Ces enjeux sont d’ailleurs présents dès la guerre elle-même et les premières narrations faites pendant le conflit. Pour le jeune appelé, parler signifie non seulement rendre publique une expérience ou un ressenti, mais aussi s’exposer aux remarques et aux questions, voire aux désaccords.
Une femme voilée et son enfant passent dans une rue d’Alger sous le regard d’un soldat français pendant la guerre d’Algérie le 12 décembre 1960.AFP
C’est pourquoi l’étude de la transmission doit dépasser les paroles expli
cites. C’est plus largement tout ce qu’on transmet que je tente de saisir en analysant les mots et les gestes, en cherchant à revenir aux choix qui ont été faits (changer de métier, déménager, quitter sa fiancée, avoir des enfants…), en interrogeant leurs liens avec la guerre. Les appelés ont rapporté des photos ainsi que des objets, témoignages discrets d’un vécu qu’on souhaite partager même si c’est à la marge. Ils sont revenus avec des goûts et des dégoûts nouveaux : la musique, les paysages, les couleurs…
Ils ont gardé aussi au fond d’eux-mêmes des maladies ressurgissant à intervalles réguliers, tel le paludisme, ou des cauchemars traversant la nuit, indices pour leurs proches de zones d’ombre travaillant en sourdine.
Objets, sensibilités à fleur de peau ou goûts nouveaux : autant de supports pour raconter et interroger. Autant de supports pour banaliser ou, au contraire, sacraliser : dans les deux cas, figer une relation au passé sans qu’elle soit toujours nettement identifiée par les proches, que ce soit parce qu’« il ne fallait pas en parler » ou parce que « ça avait toujours été là, on ne savait pas pourquoi ».
[…]
En effet, en entrant dans l’intimité de ces familles diverses aussi bien socialement que culturellement, géographiquement ou encore politiquement, on ne plonge pas dans la répétition infinie des petites différences. Des processus récurrents émergent bien. Sans écraser les singularités, ces histoires individuelles appartiennent bien à une expérience collective.
Les commentaires récents