Archives D'Algérie
Archives D'Algérie
S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures.
A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël.
L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN.
Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur».
Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
https://www.lequotidien-oran.com/?news=5326032
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Rédigé le 01/02/2024 à 09:53 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 15/10/2023 à 13:40 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
« Au cœur des accords d’Évian » (1/4). Comment ont été reçus les accords du 18 mars 1962 ? Quelles ont été leurs conséquences immédiates ? À l’occasion du 60ème anniversaire de leur signature, l’historien Benjamin Stora revient sur ce tournant pour l’Algérie et la France.
De g. à dr. : Mohamed Seddik Benyahia, Krim Belkacem, Saad Dahleb, le général de Gaulle, Louis Joxe et Benjamin Stora © Montage JA : AFP; Keystone-Gamma via Getty (X2); Lochon/Gamma via Getty; DR
C’était il y a 60 ans, le 18 mars 1962. La signature des accords d’Évian entre les représentants de la République française et ceux du FLN et du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) mettait fin sinon aux hostilités – l’OAS est toujours active et il y aura encore des victimes algériennes et européennes du conflit jusqu’en juillet –, du moins aux combats entre les indépendantistes et l’armée française. Un cessez-le-feu doit en effet intervenir dès le lendemain, le 19 mars. Et un processus permettant aux Algériens de bénéficier sous peu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est enclenché. La guerre d’Algérie sera bientôt finie, le FLN ayant atteint ses objectifs.
Mais comment cet événement a-t-il été vécu par les différentes parties au conflit ? Et quelles en ont été les conséquences à court et à long terme, directes ou indirectes ? Les accords ont-ils d’ailleurs été respectés ? Répondre à ces questions, même plus d’un demi-siècle après Evian, ne va pas toujours de soi. Co-auteur avec Georges-Marc Benamou de l’ambitieuse série documentaire C’était la guerre d’Algérie (5 épisodes diffusés sur France 2 les 14 et 15 mars), Benjamin Stora, le plus connu des spécialistes de la guerre d’Algérie, n’hésite pas à bousculer les idées reçues. Entretien.
Jeune Afrique : Si les Algériens étaient dans la rue en décembre 1960 pour soutenir le FLN, ils n’ont guère fêté les accords d’Evian. Pourquoi cette retenue ?
Benjamin Stora : Au moment de la signature des accords, la population algérienne est encore méfiante. Les assassinats ciblés, les attentats de l’OAS, les tirs de mortier sur les quartiers musulmans – qui sont le quotidien depuis des mois, et encore plus depuis le début de la conférence d’Evian le 7 mars – ne cessent pas. Les gens sont donc confinés chez eux, ils ont peur de sortir ou de manifester quelque sentiment que ce soit.
Ont-ils peur que ce ne soit pas encore la fin de la guerre ?
Ils n’attendent rien de précis puisque la date du referendum n’est pas encore fixée ! En fait, ils ont appris qu’un accord politique a été signé entre les représentants du GPRA et l’État français, c’est tout. Les combattants de l’intérieur, les maquisards n’étaient tout simplement guère au courant de ce qui se passait.
La nouvelle ne sera communiquée aux maquisards que deux ou trois jours après, à partir de Tunis ou du Caire
Youcef Khatib, dit « le colonel Hassan », qui sera le premier maquisard à entrer dans Alger le 5 juillet suivant après avoir tenu tête à l’armée française dans la willaya 4, autour de la capitale, pendant toute la durée de la guerre, expliquera lors d’une interview qu’il avait alors surtout le sentiment d’avoir été abandonné. Privé de toute aide venue de l’extérieur depuis la construction des barrages électrifiés, sans contact suivi avec l’armée des frontières et avec la direction du FLN, c’est entendant à la radio d’un poste de garde français qu’un accord a été signé qu’il apprend qu’un cessez-le-feu a été décidé. La nouvelle ne sera communiquée aux maquisards à partir de Tunis ou du Caire que deux ou trois jours après.
En fait, seuls ceux qui sont dans l’armée des frontières, donc hors du territoire algérien, peuvent se réjouir en apprenant la conclusion de l’accord franco-algérien. Eux seuls, en Tunisie, au Maroc ou au Caire, pensent alors qu’il s’agit d’une victoire, en tout cas d’une victoire politique, pour le FLN et l’ALN.
Accords d'Evian © L’arrivée de la délégation algérienne composée de Taïeb Boulahrouf, Saâd Dahlab, Mohamed Seddik Benyahia, Krim Belkacem, Benmostefa Benaouda, Redha Malek, Lakhdar Bentobal, M’Hamed Yazid et Seghir Mostefaï pour la négociation des accords d’Evian, le 16 mars 1962
Et pourtant, Evian, cela signifie qu’on ne va plus risquer des tirs ou avoir à monter des opérations militaires !
Sans doute, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans l’accord et on ne connaît ni les échéances ni les modalités des étapes à venir. Donc les combattants comme la population restent sur leurs gardes. D’autant qu’on a déjà entendu parler de beaucoup de négociations avant, sans que cela aboutisse, à Melun, aux Rousses, etc. C’est une nouvelle importante mais sans plus sur l’instant.
Et même à l’extérieur, on reste dans l’expectative car des bruits circulent évoquant des dissensions entre les dirigeants. On n’apprendra que plus tard que Boumediene n’était pas favorable au texte signé, mais on entend déjà dire que les accords ne font pas l’unanimité. C’est d’ailleurs pour cela que pendant longtemps, cette date du 18 mars ne sera pas commémorée en Algérie.
La population européenne d’Algérie ne réalise pas tout de suite que c’est fini, que l’indépendance est inéluctable
Et côté français ? Comment les militaires, les pieds noirs et la population de métropole réagissent-ils en apprenant la signature des accords ?
Les seuls qui accueillent tout de suite et sans arrière-pensée l’événement avec joie et le fêtent, ce sont évidemment les appelés, les 400 000 soldats du contingent, qui saluent la fin des combats et le retour prochain dans leurs familles. Pour l’OAS, la lutte pour l’Algérie française continue. Elle ne se reconnaît pas dans les accords d’Evian, elle les dénonce, et elle poursuit ce qu’elle appelle « les actions armées », autrement dit les attentats, avec notamment nombre de plasticages les 18, 19 et 20 mars dans les villes.
Du côté de la population européenne d’Algérie, on est stupéfait, on rejette bien sûr les accords, mais on ne réalise pas tout de suite que c’est fini, que l’indépendance est cette fois inéluctable. Les gens sont confinés, vu la violence qui règne, et ils le restent. Ce n’est que quelques jours plus tard, le 26 mars, après la fusillade de la rue d’Isly (Ben M’Hidi aujourd’hui) qui voit les soldats de l’armée française tirer sur la foule des pieds-noirs manifestant à l’appel de l’OAS pour briser un blocus de Bab-el-Oued, que tout change.
Certes, depuis des années, depuis que de Gaulle avait parlé d’autodétermination ou depuis l’échec de la révolte des barricades, certains avaient quitté l’Algérie pour la métropole. Mais là, c’est le signal de l’exode. Même si, au début, l’OAS interdit et donc freine le départ des Européens, allant jusqu’à en assassiner quelques uns. Les départs deviendront réellement massifs à la mi-juin, notamment quand les principaux dirigeants de l’OAS s’enfuiront en Espagne.
En métropole, les familles des appelés sont soulagées, bien sûr, et la population se réjouit de la paix, mais sans plus. D’autant qu’il y a eu beaucoup d’attentats de l’OAS les semaines précédentes, et qu’on craignait il n’y a pas encore si longtemps une guerre civile. On considère plus que jamais de Gaulle comme un personnage central, il solidifie grâce à Évian le soutien d’un électorat populaire. La gauche reste muette et semble anesthésiée politiquement.
Ben Bella et Boumediene sont tous deux sur la même ligne : on a trop cédé à la France
Boumediene était plus que réservé sur les accords d’Evian, mais il n’était pas le seul. Ahmed Ben Bella aussi…
Lui aussi, en effet, n’y était pas favorable. C’est d’ailleurs à ce moment-là que va se sceller véritablement l’accord entre Ben Bella et Boumediene, qui conduira pendant l’été 1962 à la prise du pouvoir par le premier avec l’appui décisif du second. Ils sont tous deux sur la même ligne : on a trop cédé à la France. Car ils sont au courant des dispositions secrètes des accords concernant la poursuite des essais nucléaires, l’extraction du pétrole et du gaz réservé prioritairement aux compagnies françaises, les questions militaires et en particulier le maintien pour plusieurs années de la base navale de Mers-el-Kébir.
Ils disent donc que les politiques du GPRA ont accepté un mauvais compromis. Ceux-ci, à commencer par Belkacem Krim, qui a conduit les négociations pour les Algériens, considèrent avoir signé un texte décisif puisqu’il va permettre d’organiser un referendum et d’obtenir l’indépendance sans rien céder d’essentiel.
Est-ce à ce moment que se sont cristallisées les oppositions qui conduiront aux combats fratricides de l’été 1962 ?
Non, il y a déjà eu avant une série d’autres événements, en particulier la réunion des colonels de l’ALN en 1959, qui constitue sans doute le début d’une crise ouverte entre le GPRA et l’armée. Si la crise éclate au grand jour en 1962, ce n’est pas avec Evian, mais lors du congrès du FLN de Tripoli, en Libye, fin mai. Cette fois, la fracture entre deux camps aspirant au pouvoir devient totale, frontale.
Rapatriés d'Algérie en 1962 © Keystone/Gamma/Rapho via Getty
Les accords d’Évian, dit-on souvent, n’ont guère été respectés par la partie algérienne…
Parce que tout s’est accéléré d’une manière extraordinaire entre mars et juillet 1962. Personne n’aurait pu prévoir le départ d’Algérie de 500 à 600 000 personnes. Cet exode gigantesque, non anticipé, ni par les Français ni par les Algériens, a tout bouleversé. Tout ce qui était prévu vole en éclat. En particulier la protection des biens des pieds-noirs évoquée dans les accords. On libère subitement des appartements, des terrains, de l’espace public. Les Algériens s’aperçoivent que les logements, les boutiques, les commerces sont abandonnés, donc ils les occupent.
On a laissé le champ libre à de terribles représailles et à des atrocités contre les harkis
Du côté de l’armée des frontières, on constate à partir du mois d’avril le chaos qui s’installe. Et donc, en violation des accords d’Evian, les djounoud se mêlent aux réfugiés civils et rentrent en masse en Algérie. La force mixte algéro-française qui devait maintenir l’ordre ne peut guère agir. Quant à la machine administrative de l’État, elle est complètement désorganisée par le départ massif des pieds-noirs. Les écoles, les hôpitaux, les impôts, etc, plus rien ne fonctionne normalement.
Les harkis, pour beaucoup, ont compris vite la situation. Ils n’ont pas rejoint la force chargée de maintenir l’ordre et, souvent, sont allés se cacher. Ceux qui n’ont pas pu gagner la métropole ne seront pas protégés, comme prévu par les accords. Les autorités françaises étaient peu désireuses de voir ces hommes qui étaient considérés comme des combattants armés traverser la Méditerranée. Les responsables algériens n’ont jamais incité à la vengeance, encore moins aux massacres, mais ils se sont désintéressés de la question des harkis : pas un mot les concernant à Tripoli par exemple, ni dans la charte rédigée pour le congrès ni dans les interventions. Ce qui a laissé le champ libre à de terribles représailles et à des atrocités, notamment dans les campagnes, dès les mois de mai et juin.
Ainsi, les accords d’Évian n’ont été respectés qu’en ce qui concernait les rapports entre les deux États. L’essentiel pour la France comme pour l’Algérie ?
En effet, hormis ce qui a trait aux questions militaires et économiques, surtout au Sahara – le pétrole, les essais nucléaires –, on se désintéresse vite des accords d’Évian et de leur suite des deux côtés. Pour de Gaulle et pour la France, le rideau est tiré. Et pour les Algériens, l’essentiel est la lutte pour le pouvoir. Voilà pourquoi les 18 et 19 mars ne resteront un symbole que pour les soldats français, les appelés.
Le départ vers la France de très nombreux Algériens qui n’étaient pas des harkis est presque un sujet tabou
Parmi les conséquences d’Evian, y en a-t-il certaines que l’on a sous-estimées ?
Le départ vers la France de très nombreux Algériens qui n’étaient pas des harkis est presque un sujet tabou. C’était une conséquence indirecte des accords d’Évian puisqu’ils prévoyaient une possibilité de circulation entre les deux pays, ce qui restera le cas jusqu’en 1968. Il est difficile d’en parler car cela pourrait faire penser que beaucoup d’Algériens n’étaient pas favorables à l’indépendance et l’ont démontré en décidant de suivre la France dans son repli.
Sans doute ceux qui sont partis étaient pour beaucoup des Algériens qui ont suivi l’administration pour laquelle ils travaillaient. Mais les chiffres sont importants. On sait qu’on est passé de 1962 à 1974 de 350 000 Algériens en France à plus d’un million, ce qui donne une idée de l’importance du phénomène. Les Algériens disent que celui-ci a été provoqué par l’OAS qui avait tout détruit et empêché l’appareil d’Etat de fonctionner. Sans doute pour partie. Mais seulement pour partie.
Retrouvez tous les épisodes de notre série :
Au cœur des accords d’Évian, soixante ans après
Guerre d’Algérie – Benjamin Stora : « Après les accords d’Évian, tout le monde est resté sur ses gardes » (1/4)
Algérie : reportage dans les rangs de l’Armée de libération nationale, en 1962 (2/4)
Accords d’Évian : « Monsieur Depardon, vous êtes un ami de l’Algérie » (3/4)
https://www.jeuneafrique.com/1326029/culture/guerre-dalgerie-benjamin-stora-apres-les-accords-devian-tout-le-monde-est-reste-sur-ses-gardes/
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Rédigé le 15/10/2023 à 10:49 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Née le 9 février 1938 à Bologhine (anciennement Saint-Eugène), quartier situé sur les hauteurs d’Alger, Djamila Boupacha est une militante du Front de libération nationale. Tout juste âgée de 22 ans, elle est arrêtée le 10 février 1960 en compagnie de son père, de son frère, de sa sœur Nafissa et de son beau-père, et accusée de tentative d’attentat pour avoir posé une bombe, désamorcée à temps par les démineurs de l’armée, à la Brasserie des Facultés, à Alger, le 27 septembre 1959.
Emprisonnée clandestinement, elle sera pendant plus d’un mois violée et torturée par des parachutistes de l’armée française. Le récit qu’en fera Simone de Beauvoir dans Le Monde en juin 1960 est particulièrement glaçant : « Électrodes fixées sur le bout des seins, sur les jambes, le sexe, le visage, l’aine, coups de poing, brûlures de cigarettes, elle est ensuite suspendue par un bâton au-dessus d’une baignoire dans laquelle elle est immergée à plusieurs reprises. »
Son frère réussit toutefois à prévenir l’avocate Gisèle Halimi, qui décide de prendre son cas en charge dès mars 1960. La première rencontre entre l’avocate et la jeune militante a lieu dans la prison de Barberousse, le 17 mai 1960. Djamila décrit à son avocate comment les militaires l’ont violée en lui introduisant dans le vagin le manche d’une brosse à dents, puis le goulot d’une bouteille de bière : « On m’administre le supplice de la bouteille. C’est la plus atroce des souffrances. Après m’avoir attachée dans une position spéciale, on m’enfonça dans le ventre le goulot d’une bouteille. Je hurlai et perdis connaissance pendant, je crois, deux jours », dira Djamila.
L’affaire n’aura un retentissement médiatique international qu’en juin 1960, avec la création d’un Comité pour Djamila Boupacha. Un comité présidé par la romancière et philosophe Simone de Beauvoir et composé de membres prestigieux, dont l’écrivain et philosophe Jean-Paul Sartre, le poète Louis Aragon, l’écrivain martiniquais Aimé Césaire ou encore l’anthropologue Germaine Tillion.
De crainte qu’elle ne soit tuée dans sa cellule, son comité de soutien fait pression et obtient son transfert par avion militaire en métropole. Elle est placée en détention à la prison de Fresnes le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau. Elle comparaît à Caen en juin 1961 dans le cadre de l’instruction de sa plainte – déposée par Gisèle Halimi – à l’encontre de ses tortionnaires. Au cours de cette audience, elle va identifier courageusement ses bourreaux. « La torture a toujours existé jusqu’à la fin de la guerre », a dit un jour Djamila Boupacha lors d’un entretien accordé à France Inter.
Djamila Boupacha est amnistiée en application des accords d’Évian et libérée le 21 avril 1962. Réfugiée chez Gisèle Halimi, elle est séquestrée puis transférée à Alger par la Fédération de France du FLN, qui dénonce « l’opération publicitaire tentée à des fins personnelles » par l’avocate Gisèle Halimi.
Devenue une icône de la lutte de libération nationale, Djamila Boupacha va progressivement s’effacer de la scène publique, jusqu’au 15 février 2022, lorsque le président Abdelmadjid Tebboune la nomme sénatrice. Proposition qu’elle décline pour rester une simple citoyenne parmi les siens. Djamila Boupacha est aussi connue pour avoir été immortalisée par Pablo Picasso, qui réalisa un portrait d’elle au fusain pour la sauver de la guillotine en mars 1962.
Anti-franquiste convaincu, Picasso s’était intéressé très tôt à la révolution algérienne et tenta de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme à travers une quinzaine de toiles et de lithographies. Cette série s’achève avec le fameux portrait au fusain de Djamila qui paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, publié chez Gallimard.
En juillet 2008, le portrait de Boupacha a été exposé au MaMa, le Musée public national d’art moderne et contemporain d’Alger, à l’occasion d’une grande exposition intitulée « Les peintres internationaux et la révolution algérienne ». Son acheminement de Marseille à Alger s’était fait sous haute sécurité. La valeur du portrait de Djamila réalisé par Pablo Picasso est aujourd’hui estimée à 400 millions de dollars.
Djamila Boupacha dessinée par Picasso illustrant le livre publiée par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi en 1962 sur la militante FLN. L’artiste peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso, a réalisé un dessin la veille du cessez-le-feu (mars 1962), pour sauver de la guillotine Djamila Boupacha. Anti-franquiste, l’artiste s’est intéressé à la révolution algérienne dès son déclenchement en 1954, et tenta de montrer et de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme, à travers une quinzaine de toiles et de lithographies. Cette série s’achève avec l’œuvre (un portrait) sur Djamila Boupacha, dont le dessin réalisé au fusain, paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi
Rédigé le 15/10/2023 à 08:55 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le nouvel essai de Dorothée-Myriam Kellou, « Nancy-Kabylie », revient sur les déplacements de population organisés par l’armée française dans les années 1950, au mépris des conditions de vie de la population.
Femmes réfugiées avec leurs enfants dans le camp de regroupement de Novi, en décembre 1959. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
Ils sont les morts anonymes de la guerre d’Algérie. Quand on demande la cause de leur décès, on obtient souvent la même réponse : la misère. Que cache ce mot ?
La note sur les centres de regroupement écrite, selon la version officielle, par six hauts fonctionnaires, en a dévoilé les contours dès 1959. Remise le 17 février à Paul Delouvrier pour que le délégué général du gouvernement en Algérie la transmette au général de Gaulle, elle fuite dans la presse en avril de la même année, d’abord dans France Observateur puis dans Le Monde. Malgré le scandale de l’époque, qui a résonné jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale et à l’Assemblée générale de l’ONU, les enseignements de ce rapport ont été enterrés trop vite, comme les cadavres. Dont ceux de nombreux enfants.
Une note anonyme signée Michel Rocard
L’auteur de la note anonyme était en fait seul et son nom est aujourd’hui bien connu : Michel Rocard, ancien Premier ministre français décédé en 2016. À l’époque, il est un jeune homme de 29 ans et il a déjà rédigé, dans l’ombre, Le Drame algérien, présenté en 1957 par Henri Frenay, héros de la Résistance lors de la Seconde guerre mondiale, lors d’un congrès de la SFIO. S’il a pris résolument parti pour l’indépendance de la colonie, Michel Rocard explique une des raisons de cette prise de position : « J’étais furieux de partir en Algérie. » L’énarque avait échappé une première fois à la mission administrative à laquelle sa promotion était assignée, car il était père de deux enfants. Mais ce critère ayant été relevé à trois, le voilà sur le départ pour Alger en septembre 1958.
Sur place, au hasard d’une rencontre, un camarade l’informe que l’armée est en train de déplacer des centaines de milliers de personnes de leurs villages sans leur assurer de moyens de subsistance. Le fonctionnaire, qui commence à peine sa carrière, a tout à perdre et pourtant, il compromet son avenir pour mener une enquête de terrain qui va durer trois mois : « Il ne s’agissait que d’en appeler au chef de l’État et de dénoncer des choses effroyables après en avoir établi la véracité et l’ampleur. »
Regroupements à visée militaire
Il ne le sait pas au moment où il rédige son rapport, mais les premiers regroupements ont commencé en 1955, d’abord dans les Aurès par le général Parlange, officier des Affaires indigènes. Le but est alors militaire. Les mechtas, villages isolés difficilement accessibles à l’armée française, sont des caches idéales pour les moudjahidins algériens qui bénéficient d’une meilleure connaissance du terrain. Ils sont donc détruits et, en 1956, des zones interdites sont établies « où le séjour des personnes est règlementé ou interdit. »
Concrètement, les forces de l’ordre peuvent y ouvrir le feu sans sommation. En 1956 et 1957, la pratique du regroupement se systématise et en 1957, elle vise aussi au ralliement des populations, avec parfois la diffusion de messages de propagande par haut-parleur. Le 1er janvier 1959, on compte 936 camps et en juin 1959, le seuil du million de personnes regroupées est dépassé. Ça n’en restera pas là : le plan de Constantine, ou plan de développement économique et social en Algérie de 1958, prévoit d’attribuer 250 000 hectares de terres agricoles à des cultivateurs musulmans, en application de la politique des mille villages menée par Delouvrier, et censée moderniser le pays. Sa nomination en tant que délégué général du gouvernement marque le passage de relais du pouvoir civil au pouvoir militaire en Algérie, et par conséquent dans les regroupements.
Enfants dans un camp de regroupement © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
Sous-nutrition et taux de mortalité vertigineux
Mais ce que constate Michel Rocard sur le terrain est loin d’être aussi idyllique. Dans un village du massif de l’Ouarsenis, il voit un enfant dans les bras d’un officier : « Il en est mort un (de 2 ans) au moment précis du passage de l’enquêteur : l’officier SAS (section administrative spécialisée) argua que c’était le troisième en quatre jours. » Il ajoute : « Une loi empirique a été constatée : lorsqu’un regroupement atteint 1 000 personnes, il y meurt à peu près un enfant tous les deux jours. » Outre les problèmes de logement, la sous-nutrition décime les rangs. La plupart des regroupements sont situés loin des terres cultivées devenues zones interdites. Les paysans sont ainsi coupés de leurs moyens de subsistance – troupeaux, volaille, récoltes – surtout qu’il ne connaissent pas leur nouvel environnement, les points d’eau, les zones où l’on trouve du gibier, les secteurs où pousse la végétation. Ils sont réduits à l’assistance mais les rations distribuées sont insuffisantes, en particulier pour les populations vulnérables. D’où un taux de mortalité vertigineux.
3,5 millions de déplacés
Au total, 3,5 millions de personnes auront été déplacées de force, soit 40 % de la population algérienne. « Rien dans la guerre d’Algérie, n’est aussi important que le problème des regroupements. Rien aussi n’a été plus tardivement et plus mal connu de l’opinion française. » Le constat de Pierre Vidal-Naquet au nom du comité Maurice Audin est encore vrai plus de 60 ans après la publication de La Raison d’État. Si de nombreux et remarquables travaux universitaires existent, les regroupements restent peu présents dans la mémoire collective.
La journaliste et réalisatrice franco-algérienne Dorothée-Myriam Kellou comble ce vide avec son remarquable livre Nancy-Kabylie. Elle avait déjà réalisé un documentaire, À Mansourah, tu nous as séparés (2019), où elle a suivi les traces de son père dans son village natal, ainsi qu’un podcast sur France Culture, L’Algérie des camps, où elle a dressé le lien entre les camps d’hier et l’Algérie d’aujourd’hui.
Barbelés
L’expérience singulière de sa famille montre la réalité des camps au quotidien. Elle explique : « Au milieu de la guerre, un premier regroupement de villages des montagnes alentour – El-Hamra, Ouled Abbas, Tighlit – a eu lieu (…) Mon père et les siens ont cohabité avec des familles étrangères pendant plusieurs mois, au nom d’une décision arbitraire d’un comité de villageois désignés par le FLN. » Fin 1959, une deuxième vague de regroupements voit l’armée installer des barbelés, une pratique courante pour empêcher aux paysans de retourner sur leurs terres. Ainsi, si Michel Rocard écrit « centre » au lieu de « camp », il s’agit d’un euphémisme administratif, probablement utilisé pour éviter de réveiller le traumatisme tout proche de la Seconde guerre mondiale.
Femme et enfants dans un camp de regroupement Femme et enfants dans le camp de regroupement de Novi, Algérie, le 24 décembre 1959. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
Influence du FLN
L’influence du FLN à l’intérieur des camps montre l’inorganisation qui a prévalu lors de leur installation, ce que confirme Dorothée-Myriam Kellou dans Nancy-Kabylie : « L’armée française a chassé les populations des zones déclarées interdites et les a conduites en camion jusqu’à Mansourah. Ensuite, toutes ces personnes déplacées ont dû “se démerder”. Le FLN déjà structuré dans Mansourah, a organisé le regroupement pour que la résistance puisse se poursuivre malgré l’arrivée des nouveaux arrivants. » Le professeur en psychologie Michel Cornaton a aussi relevé que « la concentration des gens a facilité les collectes de fonds et la diffusion de mots d’ordre importants. »
Après ce désastre humanitaire, doublé d’un fiasco stratégique, une politique de dégroupement a été envisagée à la fin de la guerre d’Algérie. Mais il était trop tard. Les habitats détruits et le cheptel décimé dans les villages d’origine, le retour devenait impossible – à quelques exceptions près : près de 2 millions d’Algériens se trouvaient dans les camps de regroupements à la fin de la guerre. Reliés par des pistes au réseau routier, ils ont survécu à l’indépendance devenant des villages socialistes. Dorothée-Myriam Kellou relève que « le GIA a beaucoup recruté dans les anciens quartiers de regroupement » lors de la guerre civile des années 1990.
« La France nous a tués », se lamente Baïa, sa cousine, seule parmi les siens à être revenue dans son village d’origine. Son oncle, lui, a vendu ses terres, ce qui est vu comme une trahison par l’irréductible kabyle. Les querelles de cadastre secouent des familles à propos de ces terres inoccupées, quand elles ne sont pas confisquées. Dans Le Déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Abdelmalek Sayad et Pierre Bourdieu affirment : «De tous les bouleversements que la société rurale a subis entre 1955 et 1962, ceux qui ont été déterminés par les regroupements de populations sont sans doute les plus profonds et les plus chargés de conséquences à long terme.» Il est grand temps qu’ils soient connus de tous.
Nancy-Kabylie, de Dorothée-Myriam Kellou, Grasset, 216 pages, 19 euros
SOURCE : La guerre d’Algérie, dernier tabou : les camps de regroupement - Jeune Afrique
Par micheldandelot1 dans Accueil le 15 Octobre 2023 à 10:12
http://www.micheldandelot1.com/la-guerre-d-algerie-dernier-tabou-les-camps-de-regroupement-a214892947
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Rédigé le 15/10/2023 à 08:37 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
La quinzaine de membres, amis et sympathisants de l'association réunis autour de deux des fondateurs : le président (chemisette blanche) Jacques Pradel, et en tee-shirt gris Jacki Malléa. L'Indépendant - V.P
Fondée en novembre 2008, l'Association nationale des Pieds-noirs progressistes et leurs amis organisent du 13 au 15 octobre à son assemblée générale à Perpignan. Conférences-débats vont émailler ces deux journées axées autour "de la nécessité d'émanciper le présent du passé colonial".
Les locaux syndicaux de la CGT à Perpignan accueillaient ce vendredi 13 octobre en matinée les divers représentants régionaux de l'Association nationale des Pieds-noirs progressistes et leurs amis. Des Perpignanais bien sûr, mais également des membres venus de Toulouse, Marseille, Montpellier, Grenoble, Paris...
Présidée par l'un des fondateurs de l'association, Jacques Pradel, natif de Tiaret dans l'Orani), co-présidée par Jacki Malléa, né lui à Guelma, une réunion de présentation a rassemblé une quinzaine d'anciens et de sympathisants. Elle a permis aux organisateurs de rappeler leur Charte des valeurs et objectifs. "Nous sommes tous issus d'horizons différents, mais nous partageons tous, je crois, la même analyse du système colonial imposé par la France au peuple algérien", soulignait Jacques Pradel. "Nous avons aussi en commun un engagement fort pour un avenir d'estime et d'amitié entre Français et Algériens, et de coopération entre les deux états".
Jacki Malléa insistait sur "la nécessité d'émanciper le présent du passé colonial" et de "lutter contre la glorification de ce passé par ce que nous appelons les "nostalgériques", ces nostalgiques de l'Algérie française". "Nous nous devons de dénoncer les manœuvres de toutes natures des nostalgiques du passé, figés sur des positions rétrogrades et revanchardes. Notre rôle est de transmettre aux nouvelles générations de nos deux pays des initiatives bienveillantes allant dans le sens de la réconciliation et de la solidarité", concluaient les membres de l'association.
Ce samedi 14 octobre : conférences-débats au Centre culturel à Cabestany au 1 chemin de Saint-Gaudérique. Renseignement au 0683980503 (Jacki Malléa).
colonial des Nostalgériques" - lindependant.fr
Pour une Histoire Franco-Algérienne
Authentique : Une Coalition Française Contre l’Alliance des « Pieds-Noirs » et le Parti de Le Pen
Article écrit par Algérie-Focus qui est un journal électronique algérien.
France – De nombreuses personnes en Algérie ont l’impression que tous les « pieds-noirs » partagent une idéologie commune, qu’ils sont soit partisans de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), soit membres de cette organisation, soit nostalgiques de « l'Algérie française ».
Cependant, des activistes français s’efforcent de changer cette perception en rappelant que tous les Français d’Algérie ne partagent pas cette idéologie et qu’il y a des individus parmi eux qui ont soutenu la guerre d’indépendance algérienne. Cet article mettra en lumière les actions de ces activistes et les enjeux qui se dessinent.
Une Lutte Contre la Nostalgie
de « l'Algérie Française »
Pour beaucoup d’Algériens, le passé colonial français en Algérie est une période douloureuse marquée par la guerre d’indépendance et les actions de l’OAS, une organisation terroriste qui s’est opposée à l’indépendance. Cependant, certains groupes et associations en France cherchent à contrer la menace croissante des thèses d’extrême droite qui glorifient la colonisation française et sont promues par des cercles proches de l’extrême droite. Ces cercles sont attachés au rêve d’une « Algérie française ».
Parmi les acteurs engagés dans cette lutte, on trouve des intellectuels et des associations, notamment l’Association des Progressistes des « Pieds-Noirs » et de leurs Amis. Ces acteurs sont particulièrement actifs dans les bastions des partisans de « l’Algérie française » dans le sud-ouest de la France, en particulier à Perpignan, où le parti de Marine Le Pen est au pouvoir. Le parti s’efforce de réhabiliter les anciens terroristes de l’OAS, responsables de la mort de nombreux Algériens et même de Français qui ne suivaient pas leur plan de « terre brûlée » après le 19 mars 1962.
Assemblée Générale de l’Association
des Progressistes des « Pieds-Noirs »
et de leurs Amis
Le 13 octobre 2023, l’Association des Progressistes des « Pieds-Noirs » et de leurs Amis a tenu son assemblée générale à Perpignan. Cet événement a réuni des historiens tels qu’Alain Ruscio et Éric Savarès, et a attiré l’attention sur les efforts pour contrer la montée de l’extrême droite en France, en particulier dans les régions liées à « l’Algérie française ». Les intervenants ont mis en avant l’importance de rétablir la vérité historique et de promouvoir l’amitié entre les peuples des deux rives de la Méditerranée.
Les « Pieds-Noirs » Qui Rejettent la Nostalgie de « l’Algérie Française »
Au cœur de cette lutte se trouvent des « pieds-noirs » qui rejettent la nostalgie de « l’Algérie française » et évitent de glorifier le colonialisme. Ces individus s’efforcent de promouvoir l’amitié entre les peuples des deux côtés de la Méditerranée, de soutenir les immigrés algériens, les binationaux franco-algériens et les Français d’origine algérienne, et de lutter contre le racisme sous toutes ses formes, y compris l’islamophobie déguisée.
L’auteur de l’article, Jacques Bradel, a évoqué la pression exercée par certains « pieds-noirs » pour susciter la nostalgie de « l'Algérie française », tout en défendant leurs intérêts matériels. Ces intérêts incluaient des compensations pour les biens qu’ils avaient laissés derrière eux lorsqu’ils ont quitté l’Algérie en 1962.
La Lutte Pour une Histoire Franco-Algérienne Authentique
Ce contexte a perduré jusqu’à l’amnistie des dirigeants de l’OAS en 1964, 1966 et 1968. Après cela, des associations privées ont été créées par les anciens dirigeants de l’OAS, contribuant à la glorification de l’Algérie française. Cependant, l’extrémisme de certaines de ces associations, comme l’ADIMAD-OAS, a été remis en question, surtout après l’assassinat de l’un de ses membres, Jacques Rosso, en 1993, lorsqu’il a abandonné son idéologie.
Face à la montée de groupes proches de l’extrême droite et de la glorification de la colonisation en Algérie, un mouvement opposé s’est formé. Il prône la nécessité de « révéler la vérité sur l’histoire de la France en Algérie, 132 ans de colonisation et de guerre ». Ces acteurs militent pour sensibiliser le grand public à la lutte contre le fascisme et s’efforcent de promouvoir une « histoire franco-algérienne authentique ». Selon eux, ces questions sont « essentielles dans la lutte contre l’extrême droite en France aujourd’hui ».
La lutte pour une histoire franco-algérienne authentique est une réponse aux tentatives de glorification de la colonisation et de l’extrême droite en France. Les « pieds-noirs » et leurs alliés cherchent à rappeler que tous les Français d’Algérie ne partagent pas la même idéologie et que des individus parmi eux ont soutenu la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Cette lutte pour la vérité historique et contre le racisme sous toutes ses formes est plus pertinente que jamais.
SOURCE : Pour une Histoire Franco-Algérienne Authentique : Une Coalition Française Contre l'Alliance des "Pieds-Noirs" et le Parti de Le Pen - Algérie Focus (algerie-focus.com)
Par micheldandelot1 dans Accueil le 14 Octobre 2023 à 07:49
http://www.micheldandelot1.com/perpignan-nous-luttons-contre-la-glorification-du-passe-colonial-des-n-a214889249
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Rédigé le 14/10/2023 à 11:33 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers de travailleurs algériens ont manifesté à Paris pour réclamer des droits, notamment l’indépendance de l’Algérie. En réponse, une répression violente s'était abattue sur les manifestants. 40 ans après la première marche pour l’égalité contre le racisme, les acteurs souhaitent se remobiliser pour lutter contre le racisme et les violences policières. Un rassemblement sera organisé mardi 17 octobre à 17h30 sur le pont Battant à Besançon. Des fleurs seront jetées dans le Doubs afin de rendre hommage à la mémoire des victimes.
Pour rappel, Maurice Papon, préfet de police de Paris qui conduisait les opérations, a été condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité, pour des actes commis entre 1942 et 1944. Grâce à l’action de citoyens, historiens, écrivains et associations, l'histoire n'a pas été oubliée. Selon les associations et les syndicats, "rendre hommage aux victimes de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, c’est refuser toutes les violences d’Etat utilisées pour réprimer les manifestations".
Car si ce massacre a longuement été étouffé, cet hommage exige aujourd'hui la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 comme crime d’Etat. "C’est exiger de l’Etat français la reconnaissance officiellement de sa responsabilité dans les massacres liés à la colonisation. C’est réclamer l’ouverture des archives de la guerre d’Algérie et de la colonisation aux chercheurs français et étrangers, sans restrictions, ni exclusives. C’est refuser tous les discours xénophobes, racistes et colonialistes".
Publié le 12 octobre à 12h01 par Eva Bourgin
https://www.macommune.info/algeriens-tues-a-paris-en-1961-un-hommage-mardi-17-octobre-a-besancon/
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Rédigé le 13/10/2023 à 20:23 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
La Fondation Jean-Jaurès a reçu, pour une Cité des livres publique en partenariat avec Slate, l’historien Benjamin Stora, autour de ses deux derniers ouvrages. Il a débattu avec l’animatrice Ariane Bonzon et le public présent des difficultés à raconter l’histoire de la guerre d’Algérie.
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Rédigé le 13/10/2023 à 20:05 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Durant 130 ans, la France va tenter de faire de l'Algérie, une « région française » en assimilant des territoires, en développant le pays ou en accueillant une population d'exilés (qui deviendront les pieds noirs), sans jamais assimiler les populations « indigènes ».
Nombreux seront les rendez-vous manqués et les promesses non-tenues de la République. Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit Benjamin STORA, historien, co-auteur du documentaire et Pascal BLANCHARD, historien, spécialiste du fait colonial LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time.
Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
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Rédigé le 13/10/2023 à 19:40 dans colonisation, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Livres
La crise du Fln de l'été 1962. Indépendance nationale et enjeux de pouvoir(s). Essai de Amar Mohand-Amer, Editions Frantz Fanon, Alger 2023, 382 pages, 2.000 dinars
Un ouvrage qui reprend et reconfigure une thèse soutenue il y a dix ans et dont le contenu n'est nullement dépassé de nos jours. Un ouvrage qui démontre, faits à l'appui, qu'en matière de détention et d'exercice du pouvoir politique, rien n'est jamais «joué d'avance» et rien n'est durable.
Un ouvrage qui analyse un moment de l'Histoire du pays ; un moment en apparence assez court, mais qui se trouve parsemé de très nombreux et difficiles événements où les revirements, les combats fratricides et les protagonistes sont légion. Enfin, un ouvrage qui nous permet de découvrir un «historien qui connaît son métier». Ni un théoricien de l'histoire, ni un philosophe, ou un romancier de l'histoire mais un chercheur méticuleux et précis... De l'histoire comme on l'aime car elle restitue les événements, petits et grands, dans leur contexte... et pris dans la tourmente des passions humaines, non pas inventées mais ancrées dans le réel, avec ses retournements, sessions, ses trahisons, ses assassinats, ses purges, ses conflits entre «frères», ses morts inutiles n'ayant rien à voir avec la guerre de libération... mais plutôt avec une guerre (ou des «guerres») de succession.
On a donc:
Un (court) chapitre préliminaire qui traite de la situation politique du Fln entre le 1er novembre 1954 et le 18 mars 1962 ; chapitre qui permet d'appréhender la dynamique générale et la portée des crises antérieures sur celle de l'été 1962. Une première partie qui analyse l'évolution des rapports politiques au sein du Fln ; du cessez-le-feu du 19 mars 1962 au Cnra de Tripoli de mai/juin 1962. Une place particulière est donnée à Ahmed Ben Bella et aux Wilayas.
Une deuxième partie aborde l'implosion du Fln historique... Un Fln divisé face à l'Aln avec des risques réels d'une guerre civile et d'une «congolisation» du pays.
La troisième partie traite du dénouement politique et militaire de la crise... la violence armée mettant un terme à la crise... et voyant le Groupe de Tlemcen et son leader Ben Bella vainqueurs du conflit... Et, Mohamed Boudiaf créant, le 20 septembre 1962, le premier parti d'opposition, le Prs... alors que l'Ugta est «ostracisée».
L'Auteur : Docteur en Histoire (Paris 7), chercheur en socio-anthropologie de l'Histoire et de la Mémoire, directeur-adjoint du comité de rédaction de la revue Insaniyat (Crasc d'Oran). Travaille sur les processus de transition, les trajectoires individuelles et de groupes, la violence en temps de guerre, les questions mémorielles et les récits historiques alternatifs.
Table des matières : Préface (Omar Carlier) / Introduction/Première partie : Les enjeux conflictuels de pouvoir (s) au Fln (3 chapitres) / Deuxième partie : L'implosion du Fln historique (3 chapitres)/ Troisième partie : Le dénouement politique et militaire de la crise (3 chapitres)/ Conclusion/ Postface (Mohammed Harbi) / Liste des documents annexes/Bibliographie générale/ Chronologie indicative de la crise/ Correspondance des noms des villes/Correspondance des rues d'Alger/Glossaire/ Index
Extraits : «La constitution de l'Emg marque un tournant dans l'histoire du Fln et de l'Aln. Pour la première fois depuis le 1er novembre 1954, l'Aln est dotée d'un commandement militaire national avec des prérogatives biens définies» (pp 35-36), «En nommant le colonel Boumediene à ce poste stratégique (direction de l'Etat-major (unifié) de l'Aln), les «triumvirs» choisissent le moins «maquisard» des chefs de l'Aln, mais le plus efficace et le plus organisé (p37), «Entre janvier et juillet 1961, la Fédération de France du Fln achemine trois cent trois cadres dont un ingénieur, six médecins et cent sept étudiants» (pp 111-112), «En un an (1962), le bilan de la politique de la «terre brûlée» mis en application par l'Oas s'élève, selon Harbi, à 2 000 morts et 5 000 blessés (p 146), «Ironie ou ruse de l'histoire, cette situation («la situation politique jugée précaire du Gpra», fin juin 1962) favorise l'intrusion dans le jeu politique de l'émir Saïd El Djazaïri, petit-fils de l'émir Abdelkader. Après avoir officiellement revendiqué le trône de l'Algérie, il reconnaît finalement l'autorité du Gpra» (Le Monde, 7 juillet 1962, cité p 176), «Vingt deux jours après l'Indépendance, la guerre fratricide au sein du Fln a fait voler en éclats les dernières digues «morales» entre les frères, devenus ennemis» (p 207), «Pour la rédaction du journal (El Moudjahid -historique, éditorial du 13 juillet 1962 ), la crise nest pas idéologique, mais l'expression violente de la guerre des chefs» (p 268).
Avis : Pour bien comprendre l'évolution politique du pays de l'Indépendance... à nos jours... ou presque. Un ouvrage qui détricote une «crise» avec force détails ; une crise certes passagère mais aux retombées profondes sur le poids, l'exercice et les dérives du «pouvoir».
Citations : «Agitateur» en 1956, il (Ahmed Ben Bella) est, à sa sortie de prison, devenu un «homme d'Etat» (Jean Daniel, L'Express, 15 mars 1962, cité p 69), «Le Fln est plus un agglomérat de dirigeants que l'expression d'un parti doté de mécanismes démocratiques de prise de pouvoir «(p83), «D'outre-tombe, Abane Ramdane devient un protagoniste de la crise du Fln de l'été 1962 » (pp 85-86), «Rabah Bitat révèle déjà un tempérament d'homme-tampon» (180), «C'est l'ébauche d'un système dans lequel la revanche sociale sert d'aiguillon et de masque à la formation d'une nouvelle classe sociale» (Mohamed Harbi, in «L'Algérie et son destin», cité p 297), «Les historiens doivent savoir qu'ils sont aussi des citoyens. Ils doivent aider à l'élaboration d'un récit national qui exprime la diversité politique, sociale et religieuse de toutes les composantes de l'ensemble algérien» (Mohamed Harbi, postface, p 299).
Algérie 1962. Une histoire populaire. Essai de Malika Rahal, Editions Barzakh, Alger 2022, 493 pages, 1500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com.histoire/bibliotheque d'almanach)
Yves Courrière avait, le premier, récolté les «confidences». Ce qui donne, au final, des œuvres historiques assez riches en informations (et donc, en analyses, même si, souvent, nous ne sommes pas d'accord avec elles). Il en est ainsi du dernier ouvrage de Malika Rahal qui s'est concentré sur la seule année 1962, aux journées liées au «cessez-le-feu», aux mois annonçant l'Indépendance du pays, au 5 juillet... et ce qui a immédiatement suivi... tout particulièrement au niveau des populations, celle des villes, celle des campagnes, les réfugiés et leurs retours, le départ précipité des «pieds-noirs»...
1962 a été, donc, à la fois la fin d'une guerre et la difficile transition vers la paix et la reconstruction d'un pays moralement et physiquement détruit. Une guerre -seulement celle étalée sur les 7 années et demie qui a fait, selon les chiffres avancés par les uns et les autres, entre un million et demi et 600 000 victimes algériennes (pour 26 614 soldats de l'armée française tués et un millier de prisonniers ou de disparus... et 2788 civils européens victimes de l'Oas). Une guerre qui a fait plus de 320 000 réfugiés dans les pays voisins (Maroc et Tunisie surtout, les zones frontalières ayant été minées et transformées en «zones interdites»). Une guerre qui a «déplacé «(dans des camps de concentration dits de «regroupement» plus de 3 520 000 personnes auxquelles il fallait ajouter les 1 175 000 «recasés» ou «resserrés» (sic !) ayant peuplé les bidonvilles de villes ou villages ou des habitations de fortune autour d'un «camp». Une guerre, avec sa victoire finale laquelle mal acceptée par une large majorité de la population pied-noir a vu la «migration» vers la France (ou ailleurs) de plus de 650 000 personnes (dont 110 000 juifs sur les 120 000 qui vivaient, en 1962, en Algérie) . Une guerre qui... (...)
L'Auteure : Née en 1974, agrégée d'histoire, spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie, chargée de recherche au Cnrs (France).
Extraits : (...) «Le cessez-le-feu et l'indépendance ont un effet de révélation par la sortie de la clandestinité et de la guerre, de passage de l'invisible au visible et de découverte de soi, notamment lorsque les proches se retrouvent» (p137) (...) «La brèche entre les uns et les autres, les accapareurs (note : 1962, des biens «abandonnés» par les pieds-noirs) et les pondérés, ne cessera de croître au fil des années, au point d'être régulièrement convoquée pour expliquer les injustices du présent» (p283)(...)
Avis : Un livre qui se lit d'un seul trait (bien que surchargé de détails... tous aussi intéressants les uns que les autres)... Un roman de (re-)découvertes -pour les sexa et plus- de moments extraordinaires de notre Histoire.(...)
Citations : (...) «Avant d'être un temps de la violence, 1962 est en effet le temps de l'effervescence» (55), «Dans le temps fluide de la fin de la guerre, il est encore possible de se faire passer pour ce que l'on n'a pas été ou de faire disparaître son passé en se réinventant» (p138), «(Indépendance/Juillet 62). Les festivités sont l'aboutissement victorieux de l'effervescence festive et émeutière qui s'est développée dans la dernière séquence de la guerre, depuis les manifestations de décembre 1960 (...). La fièvre libère les corps, le plus souvent dans des transgressions festives» (236),(...). Que 1962 soit un temps des possibles narratifs fait aussi de ce moment le berceau de mythologies durables, en même temps que le point focal d'une obsession du vrai et du faux, de la falsification, de l'oubli et de la commémoration» (p 410).
PS : Lire aussi «Algérie 1962». Insaniyat. Revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales (ouvrage collectif du Crasc), n° 65-66, juillet-décembre 2014 (Vol. XVIII, 3 -4), Oran 2015, 500 dinars. 433 pages (351 en français et 82 en arabe)
La revue ne fait que reprendre des communications présentées par des chercheurs en sciences sociales et humaines, notamment des historiens, dans le cadre du cycle «Les Conférences du Crasc» (manifestations scientifiques nationales et internationales, mises en place à l'occasion du Cinquantenaire de l'indépendance nationale, en 2012)(...)
Sadek Benkada établit le lien entre des événements vécus pendant la Guerre de libération nationale et plus particulièrement les six derniers mois, et des faits que connut l'Algérie durant la décennie noire (se référer, entre autres au roman «Oran», de Assia Djebar présenté récemment in Médiatic)
Amar Mohand-Amer revient sur un des épisodes les plus sensibles de l'année 1962... et sur la maladie infantile de la Révolution : le wilayisme (...)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 12 octobre 2023
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5324405
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Rédigé le 12/10/2023 à 11:40 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
1Créé le 19 mars 1962 et supprimé le 29 juin suivant, le Tribunal de l’ordre public ( TOP ), installé en deux chambres en Algérie, à Tlemcen et Tizi-Ouzou, devait réprimer tous les « faits susceptibles de porter atteinte au rétablissement de la paix publique, à la concorde entre les communautés, au libre exercice de l’autodétermination ou à l’autorité des pouvoirs publics [1][1]Article 1er du décret no 62-307 du 19 mars 1962, créant le… ». À ce titre, il jugea des centaines de membres de l’Organisation Armée Secrète ( OAS ) [2][2]Pour une histoire du tribunal : Sylvie THÉNAULT, « La justice…. Son existence couvre en effet ce no man’s land chronologique qu’a constitué la période transitoire entre la cessation des hostilités franco-algériennes et le référendum devant conduire à l’indépendance, pendant laquelle l’Organisation a joué son va-tout : c’était le moment ou jamais de torpiller le processus de sortie de guerre négocié par les deux belligérants et inscrit dans les accords d’Évian. Dans un pays confié à un exécutif provisoire prévu par ces accords mais entièrement à créer, les activistes de l’Algérie française cherchèrent à relancer la guerre pour faire capoter le cessez-le-feu, pour empêcher l’organisation et la tenue du scrutin programmé. Il s’agissait, par la violence, de « forcer l’histoire [3][3]Michel WIEVIORKA, Sociétés et terrorisme, Paris, Fayard, 1988,… ». Les forces de l’ordre, quadrillant l’agglomération algéroise, multiplièrent alors les arrestations : en flagrant délit; sur renseignement, qu’il s’agisse d’une dénonciation ou d’une information obtenue par les canaux traditionnels du travail policier; aux barrages, dont le nombre atteignait les 250 en période d’alerte [4][4]D’après l’ancien préfet de police d’Alger, Vitalis CROS, Le…; ou encore lors des « opérations Croisière », ces opérations de fouilles et perquisitions d’un secteur clos, entièrement passé au peigne fin [5][5]À leur sujet : V. CROS, Le temps de la violence..., op. cit.,…. La chambre de Tizi-Ouzou, la plus active, était alimentée par cette intense activité répressive dans la future capitale algérienne [6][6]Les dossiers du TOP sont conservés aux Archives nationales,….
2À moins d’un heureux hasard ou d’un renseignement rapidement obtenu, notamment par des documents récupérés sur les individus appréhendés ou découverts lors de perquisitions, les cadres de l’OAS échappaient à un tel dispositif. Le quadrillage urbain ramenait essentiellement des exécutants dans les mailles des filets policiers. Tous furent gardés à vue à l’école de police d’Hussein Dey, à Alger, où était installé un détachement de police judiciaire envoyé de métropole, la « mission C », « composée uniquement de fonctionnaires de France, en mission de trois mois, isolée du contexte [7][7]V. CROS, Le temps de la violence..., op. cit., p. 63. ». Au tribunal, la procédure suivie était pratiquement celle du flagrant délit. Les dossiers sont minces : procès-verbal, rapport ou note faisant état des circonstances de l’arrestation, procès-verbal d’audition par la police, procès-verbal d’interrogatoire par le juge d’instruction, décision de renvoi devant le tribunal pour jugement, en constituent les pièces maîtresses. S’y ajoutent des notes manuscrites d’audience ainsi que, parfois, des notices de renseignements de police sur les individus arrêtés et des documents saisis. La légèreté des investigations explique la maigreur des dossiers et incite à la prudence. Ce n’est qu’après une sélection très rigoureuse qu’un échantillon a pu être constitué [8][8]Sur les 124 affaires jugées à Tizi-Ouzou, 71 seulement ont été…. Les procèsverbaux, toutefois, retranscrivant les paroles de ces exécutants, sont d’une grande richesse. À l’incitation des policiers, puis sur interrogation du magistrat instructeur qui cherchait à comprendre pourquoi et comment ils en étaient arrivés à commettre les actes qui leur étaient reprochés, ils ont livré des récits centrés sur eux-mêmes, sur leur vécu, sur leur passé, explicitant les conditions concrètes de leur entrée dans l’OAS et de leur basculement dans l’action au profit d’une organisation terroriste.
3Ainsi ces acteurs éclairent-ils eux-mêmes leurs trajectoires, dans un contexte historiographique où l’OAS est surtout connue par les témoignages de ses anciens cadres ou dirigeants, donnant lieu à des récits journalistiques très factuels dont celui de Rémi Kauffer est tout à fait significatif [9][9]Rémi KAUFFER, OAS, histoire de la guerre franco-française,…. Le récent « voyage au cœur de l’OAS », proposé par Olivier Dard, innove en se fondant sur les papiers gardés par Jean-Jacques Susini, ex-chef de la branche « action politique et propagande » à Alger, qui négocia les accords du 17 juin 1962 appelant à la cessation de toute activité de l’Organisation, avant de s’exiler en Espagne [10][10]Olivier DARD, Voyage au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005.. Cette documentation nouvelle, interne à l’OAS, et dont le contenu n’a pas été lissé par la reconstruction, consciente ou inconsciente, qu’opèrent les témoins dans leurs récits, met en valeur les tensions entre les dirigeants, leurs rivalités, ainsi que leur conscience aiguë des faiblesses de leur mouvement, contrariant voire condamnant leur action. Mais, du fait de sa source, ce livre met aussi en œuvre une approche événementielle de l’histoire de l’OAS, appréhendée au sommet et non à sa base.
4Qui étaient donc ces acteurs de la violence entre le cessez-le-feu et l’indépendance ? Des hommes, des femmes ? Jeunes ou moins jeunes ? Des civils, des militaires ? Des novices en politique, des militants de longue date ? L’histoire sociale de l’OAS, au sens premier d’une sociologie de ses membres, s’entend aussi par une histoire de la relation de l’Organisation avec la société d’où elle a émergé et où elle se ressourçait. La police tentait en effet de connaître comment ceux qu’elle interrogeait avaient été enrôlés : par qui ? où ? à quelle date ? Or, la question de savoir comment l’OAS recrutait met en jeu non seulement les modalités concrètes de l’entrée dans l’Organisation, mais aussi les conditions sociales qui rendaient possibles l’engagement en son sein : comment la configuration de cette fin de guerre violente, bouleversant la société dont tous les secteurs d’activité, qu’ils soient économique, administratif ou scolaire, étaient désorganisés, les a-t-elle rendus disponibles pour l’action ?
5Les agents de la violence de ce printemps 1962 sont des anonymes. En dehors de ce moment où leur arrestation et leur traduction devant le tribunal ont mis à nu leurs vécus, leurs biographies restent impénétrables. Non seulement ils étaient, dans leur quasi-totalité, inconnus des services de police au moment de leur arrestation, mais la loi d’amnistie du 23 décembre 1964 est venue, a posteriori, jeter un voile sur cet épisode de leur vie [11][11]Stéphane GACON, L’amnistie : de la Commune à la guerre…. Seuls quatre d’entre eux sont passés à la postérité : Pierre Sultana, Jean-Marc Rouanet, Vincent Mulet et Pierre-Dominique Giacomoni.
6Le premier, étudiant en droit à Alger, âgé de 24 ans en 1962, est présenté par R. Kauffer comme le « secrétaire » de Pierre Lagaillarde à Madrid [12][12]R. KAUFFER, OAS, histoire de la guerre..., op. cit., p. 169.. Expulsé d’Algérie vers la France en raison de son activisme, le 1er septembre 1960, il aurait aidé P. Lagaillarde à passer en Espagne, où il le rejoignit en avril 1961. Il revint illégalement en Algérie en février 1962 et fut arrêté lors de la déconfiture du maquis de l’Ouarsenis, où il s’était enrôlé [13][13]D’après le procès-verbal de son audition par la police, le 2…. À la différence des militaires envers lesquels le Tribunal de l’ordre public n’était pas compétent, en effet, les civils arrêtés dans cette affaire lui furent remis. P. Sultana fut condamné à deux ans de prison.
7Engagé à Jeune Nation, une organisation bien implantée au sein des milieux estudiantins algérois auquel il appartenait, J.-M. Rouanet était aussi âgé de 24 ans, en 1962 [14][14]Dossier no 77,5W 216. Sur l’influence de Jeune Nation à Alger :…. D’après la décision de renvoi, il faisait partie de l’OAS depuis novembre 1961 et avait été chargé d’organiser distributions de tracts et campagnes d’inscriptions sur les murs parmi les étudiants. Il serait passé à l’action violente au début de l’année 1962, en recrutant des hommes pour commettre des attentats. Puis il participa lui-même à plusieurs plasticages, ainsi qu’à l’attaque de gendarmes mobiles stationnés près du tunnel des Facultés. Inculpé de « complot », de « destruction par substances explosives », de « détention de substances explosives », d’« infraction à la législation sur les armes » et de « vol », J.-M. Rouanet écopa de dix ans de réclusion. Il resta détenu trois ans [15][15]Alexander HARRISON a recueilli le témoignage de Jean-Marc….
8V. Mulet, quant à lui, est présenté par Alexander Harrison comme l’un des principaux tueurs d’Alger [16][16]Ibid., p. 88.. Mécanicien de profession, alors âgé de 39 ans, il fut arrêté le 3 juin 1962. En dépit de mauvais traitements attestés par un certificat médical, qui nota une surdité totale de l’oreille gauche provoquée par un traumatisme, des plaies contusives du dos et des reins ainsi qu’un hématome douloureux, V. Mulet nia avec constance être « Vincent le Chauve », connu des policiers par des documents de l’OAS en leur possession. Il fut relaxé [17][17]Dossier no 109,5W 219.. Il n’est pas sûr, cependant, que les sévices qu’il subit ont motivé la clémence du tribunal, sachant que, par ailleurs, son identification comme « Vincent Le Chauve » ne pouvait être prouvée. Les certificats médicaux délivrés dans trois autres affaires, en effet, montrent que ces pièces n’influèrent pas sur les verdicts prononcés : les victimes de mauvais traitements écopèrent de peines équivalentes à celles d’autres accusés pour des faits semblables, les juges fondant leur appréciation sur l’ensemble des informations à leur disposition dans le dossier [18][18]Les trois autres dossiers comprenant un certificat médical…. Cette logique est attestée par le fait qu’ils n’hésitèrent pas à condamner à mort un homme qui eut les côtes fracturées par les policiers [19][19]Dossier no 37,5W 213. L’usage de la torture sur des activistes…. Accusé de plusieurs attentats aveugles contre des Algériens, il avait été arrêté en possession d’un pistolet automatique à bord d’une voiture dont le conducteur avait pris la fuite.
9P.-D. Giacomoni, enfin, est un cas particulier car il a rendu public son passé dans un récit très romancé [20][20]Pierre-Dominique GIACOMONI, J’ai tué pour rien. Un commando…. Â gé de 20 ans en 1962, il déclara à la police être entré dans un commando Delta au début du mois de mars. Il aurait d’abord participé, comme guetteur, chauffeur ou tireur, à quatre assassinats aveugles d’Algériens, commis arme au poing, avant de passer à une série de cinq mitraillages en voiture, visant également des Algériens au hasard. Retenant contre lui notamment l’« atteinte à la sûreté de l’État » et le « port d’arme de guerre », le tribunal lui infligea une peine de réclusion criminelle à perpétuité, qui fut, comme celle de J.-M. Rouanet, écourtée par l’amnistie [21][21]Dossier no 78,5W 217..
10« Anonymes » doit s’entendre au masculin. La chambre de Tizi-Ouzou ne jugea que cinq femmes, relaxées ou condamnées avec sursis. Ces peines ne reflètent pas toujours leur place dans les groupes avec lesquels elles furent arrêtées, car elles y occupaient parfois des fonctions équivalentes à celles de leurs complices masculins, sanctionnés, eux, par des peines plus lourdes. Il en est ainsi d’une étudiante de 20 ans, partie au maquis, où elle avait été désignée pour s’occuper d’émissions de radio pirates. Elle y avait même rencontré le colonel Gardes et porté les armes, ce qui constituait un facteur aggravant. C’est le regard porté par les magistrats sur son engagement qui lui valut un verdict clément. La jeune femme fut ainsi amenée à préciser, devant le magistrat instructeur, qu’elle « éprouv[ait] certains sentiments affectifs à l’égard de C. [lui aussi parti au maquis], et que ces sentiments n’ont pas été étrangers à [s]a décision [22][22]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 17 avril 1962,… ». Les circonstances familiales, conjugales ou affectives des hommes, en revanche, ne faisaient pas l’objet d’une attention particulière. Elles n’apparaissent que de façon incidente dans les procès-verbaux, sans être reliées à leur engagement.
11À l’identique de cette répartition par sexe, ces agents de la violence se caractérisent par une forte homogénéité : ils étaient natifs d’Algérie pour près des trois quarts d’entre eux, issus des classes moyennes urbaines et d’une grande jeunesse. Les âges les plus représentés dans les dossiers sont 19,20,22 et 18 ans : 18 individus ont 19 ans, 17 ont 20 ans, 14 ont 22 ans et 13 ont 18 ans. Dans une fourchette allant de 16 à 68 ans, près de la moitié des effectifs ont moins de 26 ans, le quart entre 26 et 35 ans, le quart restant s’étiolant au fur et à mesure que les âges s’élèvent. Socialement, l’OAS est à l’image du vivier des Français d’Algérie dans lequel elle recrutait : outre les étudiants et lycéens, nombreux du fait même de la jeunesse des acteurs, les employés, les mécaniciens, les électriciens, les chauffeurs et les comptables sont les catégories les plus importantes [23][23]Sur la composition sociale des Français d’Algérie : Daniel…. Le secteur primaire, lui, est pratiquement absent : quelques agriculteurs, deux négociants en bestiaux et fourrages, un journalier, tout au plus.
12Cantonnés à l’échelon d’exécution, ces hommes étaient incapables de livrer des informations exploitables pour la connaissance et le démantèlement de l’OAS. Leur ignorance fut sciemment organisée par des pratiques de cloisonnement et de clandestinité, au premier rang desquelles l’usage de pseudonymes brouillant les pistes. André S., par exemple, âgé de 20 ans, arrêté le 26 mai en flagrant délit de plasticage d’une école à Alger, expliquait aux policiers le confrontant aux déclarations de son complice, qui l’avait désigné par le surnom de « Cabotte » : « Nous nous connaissons très mal entre nous et c’est ce qui explique la multiplicité des surnoms et des erreurs. C’est ainsi que celui que j’ai désigné par Cabotte s’identifie à Jean-Yves. J’ignorais que Cabotte (ou petit Cabotte) ait été appliqué à ma personne [24][24]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 1er juin 1962, dossier… ».
13Ces hommes agissaient pour l’OAS et en son nom, mais leur rattachement à la structure d’ensemble de l’Organisation reposait sur des liens ténus, par le contact avec un ou deux hommes seulement, sans accès possible à la hiérarchie. Comme le nota alors l’avocat général lui-même, dans une affaire de maquis, « chacun n’a vu que son cas personnel et aucun ne paraît capable de décrire avec précision l’ensemble du mécanisme de contact et d’acheminement des effectifs engagés [25][25]Dossier no 1,5W 210. ». Ce sont des individus organisés en petits groupes, actionnés par un responsable ayant l’exclusivité des relations avec les échelons supérieurs, que les dossiers du TOP font apparaître : 58 affaires, sur un total de 71, impliquent moins de cinq personnes et trois affaires seulement en impliquent plus de dix [26][26]Comptent cinq accusés ou plus les dossiers no 1,5W 210; 14,5W…. Ces multiples petits groupes, mobiles, propageaient une violence dont le nomadisme était un facteur aggravant : elle pouvait surgir de façon imprévisible dans la ville, suivant leurs déplacements.
14Cette organisation, outre qu’elle résulte de la parcellisation des tâches et du cloisonnement interdisant toute reconstitution de l’ensemble lorsque les hommes se faisaient prendre, est aussi liée à un déficit chronique de structuration de l’OAS, conférant une large autonomie à ses cadres subalternes qui, en contact direct avec les exécutants, les recrutaient, les réunissaient à quelques-uns – quand ils ne leur demandaient pas de constituer leur groupe eux-mêmes – et orientaient leur action [27][27]O. DARD, Voyage au cœur de l’OAS, op. cit., p. 89.. À cette donnée structurelle s’ajoute, dans la période comprise entre le cessezlefeu et l’indépendance, la déconfiture de l’Organisation sur le sol algérien [28][28]Pour une périodisation de l’histoire de l’OAS : O. DARD, Voyage…. Le découpage d’Alger en six secteurs confiés, en général, à des capitaines ou des lieutenants déserteurs ne résista pas au-delà du mois de mars et les commandos Delta acquirent une totale liberté après l’arrestation de leur chef, Roger Degueldre, le 7 avril. Le nombre même de commandos reste incertain : il y en aurait eu 20 à 30, comptant 6 à 12 hommes chacun [29][29]Sur les commandos Delta, voir l’ouvrage bien informé mais…. Dans un tel contexte, des affirmations paraissant fantaisistes à première vue gagnent en crédibilité, sans qu’il soit toujours possible de départager les mensonges destinés à mettre les policiers en échec et une sincérité renvoyant à la réalité de la situation de l’OAS dans ce dernier trimestre de son existence algérienne. Un membre de commando Delta déclarait ainsi : « Je travaillais pour l’OAS mais j’ignore à quel Delta j’appartenais. Personne ne me l’avait dit et je n’ai pas cherché à le connaître [30][30]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 19 mai 1962, dossier no…. »
15Tous les inculpés, cependant, ne reconnaissaient pas leurs responsabilités et certains cherchaient à les atténuer pour ménager au mieux leurs intérêts face aux policiers et aux juges. Une quinzaine d’entre eux, ainsi, évoquent leur peur ou des menaces proférées, explicitement ou à mots couverts, par ceux qui les avaient contactés. D’autres font référence à la réception d’un ordre, auquel ils se seraient sentis obligés de répondre. De telles allégations, toutefois, ne sont pas obligatoirement mensongères. Conformément aux instructions venues de ses dirigeants en février 1962 [31][31]Sur la décision de mobiliser la population : O. DARD, Voyage au…, l’OAS émit des ordres de mobilisation et elle placarda des affiches la décrétant : un inculpé raconte qu’il fut abordé, à la terrasse d’un café, par un homme lui demandant s’il les avait vues et ce qu’il comptait faire pour y répondre [32][32]Dossier no 13,5W 211.. Elle usa bien, aussi, de la violence contre les récalcitrants : un homme, finalement relaxé, se défendit de toute appartenance à l’OAS en arguant que ses magasins avaient été plastiqués en représailles de son refus de verser de l’argent [33][33]Dossier no 75,5W 216.. Elle joua, enfin, de l’intimidation envers des hommes présentant un profil intéressant ou occupant des postes nécessaires à la réalisation de ses projets. C’est le cas, par exemple, dans l’un des rares dossiers qui ne concernent pas l’agglomération algéroise, d’un employé du service des impôts de Constantine. Celui-ci dit avoir reçu dans son bureau la visite d’un inconnu lui demandant des précisions sur le fonctionnement de son service, pour organiser un plasticage. Il aurait répondu par crainte de représailles et, pris dans l’engrenage, alla jusqu’à faciliter l’intrusion du commando sur place [34][34]Dossier no 103,5W 218..
16Des inculpés, d’ailleurs, étaient en mesure de justifier leurs craintes. Un homme chez qui du matériel militaire avait été trouvé produisit une lettre portant le cachet de l’OAS, l’avertissant que « deux hommes » viendraient « prochainement » lui rendre visite et qu’il devrait se « conformer à leurs instructions » : « Ne prenez pas cette lettre comme une menace mais simplement comme un avertissement. Vous n’aurez d’ailleurs rien à faire, sinon ouvrir votre cave où nous établirons une cache à nos risques. Mais nous comptons sur votre discrétion... sachant que vous avez une fille [35][35]Lettre versée au dossier no 97,5W 218. ! » L’engagement de certains hommes, même, a été forcé par la compromission. C’est ainsi qu’un militaire déserteur raconte qu’un jour, il jeta une grenade de la voiture où il se trouvait, dans l’unique but de « mouiller » l’homme qui conduisait à ses côtés, dont il avait « sondé » les « sentiments » et dont il pensait « qu’il pourrait nous être utile [36][36]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 12 juin 1962,… ». Ce dernier, un jeune instituteur de 22 ans, également arrêté et interrogé, en garda un souvenir traumatisant : « J’ai été tellement surpris que j’ai fait une embardée et que j’ai failli heurter un poteau. Je me suis écrié : ‘tu n’es pas fou; qu’est-ce qui te prend ?’. Il m’a répondu : ‘taistoi et continue. Si tu n’es pas content, je t’en flanque une dans ta voiture et je te fais sauter avec’. J’ai donc continué par peur [37][37]Ibid. ».
17Les hommes accusés d’un acte unique et qui invoquent une pression ou des menaces peuvent-ils être considérés comme appartenant à l’OAS ? Pour le tribunal, la question est sans objet. Ces hommes n’échappent pas à l’accusation de « complot », caractérisant un lien avec l’organisation terroriste. Les sentences varient en fonction de la gravité des faits reprochés et de la crédibilité des objections qu’ils ont formulées : l’employé des impôts à Constantine, qui fit entrer les plastiqueurs sur les lieux, écopa de 4 ans de prison, l’homme qui produisit la lettre de menaces bénéficia du sursis. S’ils ont dit vrai, ces hommes se situent dans un cercle extérieur à celui des petits groupes constitués. Ils sont à la lisière d’une OAS qui apparaît ici comme se composant, non seulement de petites formations disséminées, mais aussi d’hommes pris dans son orbite et captés à son profit, le temps de la réalisation d’une action. Qu’ils l’aient fait malgré eux ou en connaissance de cause change néanmoins l’appréciation de la situation de l’OAS dans la société des Français d’Algérie : quand ils n’ont pas été menacés, les hommes qui l’ont aidée ponctuellement révèlent la complicité dont elle bénéficiait dans une société qui ne manqua pas de lui manifester son soutien, notamment par sa participation massive aux « journées » organisées à l’automne 1961, dont l’emblématique « journée des casseroles [38][38]A.-M. DURANTON-CRABOL, Le temps de l’OAS, op. cit., p. 82. ». Cette complicité, d’ailleurs, se retrouve dans les récits d’attentats commis en pleine rue. Les tueurs ne craignaient pas les éventuels témoins et s’assuraient seulement de l’absence des forces de l’ordre à proximité de leur forfait : « comme il n’y avait ni patrouille ni militaire dans le secteur, explique l’un d’eux racontant un meurtre commis par son complice, il a brusquement sorti son 9 mm et tiré sur les deux Arabes plusieurs coups de feu que je n’ai pas comptés [...] Il n’y avait alors dans la rue que quelques rares passants ». Puis, après un second attentat : « Là encore, nous sommes partis, D.C. et moi, ensemble, sans avoir besoin de courir car il n’y avait pas beaucoup de monde [39][39]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 28 avril 1962, dossier…. »
18Cette organisation des acteurs de la violence en petits groupes actifs et agents ponctuellement captés dans un cercle extérieur met en évidence l’existence d’une zone grise entre membres et non membres de l’Organisation, brouillant la limite entre ceux qui y appartenaient et ceux qui n’en faisaient pas partie. Ils ont tous en commun, néanmoins, le fait d’avoir agi pour l’OAS et d’en avoir été, à des degrés divers et sous des formes différentes, les agents.
19Dans leur immense majorité, les hommes déférés au TOP sont entrés en contact avec l’OAS peu de temps avant leur arrestation. Concrètement, les agents de l’Organisation ne s’appuyèrent pas seulement sur des liens sociaux préexistants. Les recrutements, en effet, ont exploité les relations amicales, surtout chez les jeunes, les relations nouées au travail ou encore dans l’armée, mais, dans plus de la moitié des cas, c’est par un inconnu que ces acteurs du printemps 1962 ont été amenés à agir pour l’OAS. Les membres de la famille, eux, étaient maintenus à l’écart d’un engagement aussi risqué : quelques hommes seulement ont été sollicités de la sorte. Les très rares réactions de proches mentionnées font état de très fortes réticences, tel un homme de 51 ans, finalement relaxé, qui explique la présence d’armes à son domicile en accusant son fils de 19 ans, à qui il avait pourtant interdit de rejoindre l’Organisation [40][40]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 30 avril 1962,…. Les autorités notèrent aussi que l’incorporation dans l’armée rencontrait l’assentiment des parents, qui y voyaient une façon de mettre leurs fils à l’abri [41][41]Yann SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain : politique…. C’est entre frères, plutôt, comme chez les Rouanet – le frère de Jean-Marc fut inquiété mais le tribunal renonça à le poursuivre faute de charges suffisantes [42][42]Dossier no 77,5W 216. – ou, dans un cas, entre un beau-père et son gendre, qu’est acceptée la complicité dans l’action [43][43]Le beau-père et son gendre sont mis en cause dans le dossier no….
20Le contact avec l’OAS a été établi, dans l’immense majorité des cas, dans des lieux publics – dancing, bowling, etc. – et plus particulièrement dans des cafés, devenus lieux de rencontre et d’échange dans le contexte de l’effervescence politique née de la guerre. « Alger est une ville curieuse » témoignait ainsi P. Lagaillarde dès 1961, car « très grande, très peuplée, très étendue, très diverse dans ses quartiers. » « Mais, poursuivait-il, il y a quelques endroits, quelques lieux publics, des cafés, essentiellement, où les gens, sans se concerter au préalable, ont pris l’habitude, depuis que les événements sont ce qu’ils sont, de venir aux nouvelles et de se rencontrer dans les périodes de crise [44][44]Pierre LAGAILLARDE, On a triché avec l’honneur : texte intégral…. » De son poste de préfet de police, Vitalis Cros repéra aussi « les rencontres dans les débits de boissons » comme un des « remèdes les plus courants contre l’angoisse » qui étreignait alors les Français d’Algérie [45][45]V. CROS, Le temps de la violence..., op. cit., p. 129.. Un témoin cité dans une affaire, enfin, récusait tout contact avec l’OAS en ces termes : « Je ne fréquente aucun café et de ce fait, ne connais aucun militant activiste [46][46]Procès-verbal d’audition par la gendarmerie, 10 avril 1962,…. »
21Les récits détaillés permettent de déceler des stratégies de part et d’autre. « Il y a trois mois environ que l’idée m’est venue de faire partie de l’OAS, témoigne par exemple un jeune homme de 19 ans en juin. Je ne savais pas à qui m’adresser lorsqu’un jour, au café L’Akrokaria aux ‘Pins maritimes’, j’ai entendu parler un prénommé Charles qui m’a paru être de l’OAS [47][47]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 6 juin 1962, dossier no…. » Or, non seulement des hommes ayant envie de s’engager traînaient dans les cafés à la recherche d’un contact, mais aussi, à l’inverse, des agents de l’OAS venaient y identifier des hommes susceptibles d’être enrôlés. Les repérages s’y effectuaient dans les deux sens. Les patrons des bars eux-mêmes pouvaient jouer un rôle actif, tel Athanase Georgeopoulos, propriétaire du Whisky à gogo, à Oran [48][48]O. DARD, Voyage au cœur de l’OAS, op. cit., p. 77.. Un homme qui colla des affiches et distribua des tracts, de même, prenait ses ordres auprès du patron de la brasserie d’Isly, à Alger [49][49]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 19 mai 1962, dossier no…. Les contacts dans les cafés, enfin, dépassaient les seuls recrutements, comme le relata un membre de commando Delta agissant dans le quartier du Champ de manœuvre : « Les moments et les lieux de réunions, sans être fixes de façon absolue, se situent généralement de 11 heures à 12 heures et de 18 h 30 à 20 heures au café situé en face du 11e groupe de HLM, qui doit être le café du commerce, rue Sidi-Carnot, et parfois aussi le café Voltaire, rue de Lyon [50][50]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 28 avril 1962, dossier…. » Quarante-cinq cafés furent d’ailleurs fermés à compter de la mi-mai, au premier jour du procès du général Salan [51][51]R. KAUFFER, OAS, histoire de la guerre..., op. cit..
22Les récits du moment de l’entrée dans l’OAS, par ailleurs, font très souvent état d’une proposition de rémunération. L’Organisation fait même figure d’officine d’embauche dans la bouche d’un ancien électricien : « remercié » par sa société à la fin du mois de février, il dit avoir été recruté par « un ancien camarade de travail » qui lui aurait demandé s’il voulait « travailler pour le compte de l’OAS ». « Le salaire convenu était de 25 000 anciens francs par quinzaine », pour distribuer des tracts, précisait-il [52][52]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 13 avril 1962,…. C’est que la conjoncture de cette fin de guerre et la perspective de la fin de l’Algérie française provoquèrent un ralentissement général de l’économie et, progressivement, la cessation des activités. Le départ même des Français, à la fois clients et employeurs, touchait tous les secteurs. « J’ai travaillé comme maître d’hôtel dans un restaurant jusqu’au 15 février 1962, déclarait ainsi un inculpé au juge. Depuis cette date jusqu’au 15 mars, je faisais seulement des extras, le patron ne voulant plus m’employer à plein-temps faute de clientèle [53][53]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 3 mai 1962, dossier…. » Or, non seulement l’inactivité libéra au quotidien des hommes pour l’engagement, mais elle se traduisait, concrètement, par la perte de tout revenu, que l’OAS se proposait de compenser.
23Les sommes touchées se situent en effet dans une fourchette variant de 200 à 500 NF par quinzaine, pour des tâches allant de la distribution de tracts aux attentats, en passant par le vol de voitures [54][54]D. LEFEUVRE, « Les pieds-noirs », art. cit., p. 272. Citant un…. « En tant que membre d’un commando d’action, les célibataires avaient 25 000 AF par quinzaine et les mariés : 45 000 », détailla même un inculpé [55][55]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, le 8 avril 1962,…. Dans un contexte de précarité économique les nécessités financières expliqueraient-elles alors, pour certains, l’entrée dans l’OAS ? L’électricien recruté par son ex-collègue le démentit : « Je suis entré dans l’OAS parce que je suis sans travail et par conviction politique », tint-il à dire au juge. Il plaçait ainsi sur un même plan, d’une part, les circonstances de son engagement – une situation de précarité économique – et d’autre part, les motifs de celui-ci, qui seraient d’ordre politique. Il montre ainsi l’impossibilité de distinguer strictement les engagements découlant de motivations profondes de ceux induits par la conjoncture économique, sociale, politique. Il attire l’attention sur la signification des récits, tels qu’ils ont été consignés dans les procès-verbaux, dans une logique policière et judiciaire de reconstitution de faits : dans quelle mesure ces récits ne valent-ils pas simple description des modalités concrètes de leur engagement, passant sous silence leurs motivations ? Le cadre déformant de la procédure judiciaire contraint celui qui se raconte à adapter son récit pour tenter d’influer sur le cours de la justice. Tous ces hommes, évidemment, disent ou taisent au policier et au juge ce qu’ils pensent devoir l’être.
24Dans un échantillon débarrassé des dossiers au contenu incertain, purgé des déclarations d’évidence mensongères, toutefois, restent des interrogatoires qui sont, la plupart du temps, très riches. Ces hommes parlaient et ils disaient, d’abord, leur attachement à l’Algérie française. Mais, hormis une poignée d’entre eux, ils ne l’exprimaient pas en des termes idéologiques. Ils se décrivaient comme ayant des « sentiments », des « opinions » pro-Algérie française, comme adhérant à cet « idéal », cette « cause ». En est typique cette déclaration d’un jeune homme de 19 ans, auteur, avec ses deux complices, de vols et de maquillages de voitures : « J’ai accepté, C. étant un ami de longue date et de plus, je voulais me rendre utile à la cause ‘Algérie française’ [56][56]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 11 mai 1962, dossier no…. » Les services de police traduisaient cet attachement dans des formules ambiguës qui, tout en notant l’absence d’engagement préalable, au sens d’appartenance à un parti, un syndicat ou une organisation quelconque, pointaient leur adhésion à la défense de leur Algérie : « Ne faisait pas de politique, toutefois ardent partisan de la doctrine ‘Algérie française’. Aurait été à l’origine de manifestations bruyantes (concert de casseroles) », écrivaient-ils au sujet d’un libraire parti au maquis [57][57]Notice de renseignements dans le dossier no 1,5W 210..
25Ces hommes mettaient aussi en avant, pêle-mêle, une hostilité de principe au FLN, leurs traumatismes personnels engendrés par le terrorisme des nationalistes, les menaces proférées par ces derniers, leur sentiment d’isolement au milieu d’une population algérienne majoritaire face à laquelle ils pensaient devoir s’organiser. Le récit de Pierre J., 19 ans, arrêté le 5 mai juste après avoir tué un Algérien au hasard, en offre un condensé : sa famille avait déménagé deux mois plus tôt du quartier « à prédominance musulmane » où elle vivait, à la suite d’un attentat ayant coûté la vie à un chauffeur de taxi de leur connaissance. Un de ses amis, sergent au 2e régiment étranger de parachutistes ( REP ), par ailleurs, avait été tué par « deux soldats musulmans du contingent, le 8 janvier 1962 ». « Tout cela m’a considérablement marqué et à partir de cet instant, une sorte de haine du musulman a pris naissance en moi; en outre, j’avais le désir de venger Manuel », résume-t-il [58][58]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 5 mai 1962, dossier no…. Le procès-verbal d’un métropolitain de 22 ans, ancien parachutiste, fiancé à une Française d’Algérie, cumule également toutes les circonstances à même de conduire les hommes sur le chemin de l’OAS. La retranscription de ses propos en présente un raccourci abrupt : « Tout d’abord, alors que j’allais recevoir un emploi de dessinateur à la société Repal, cet emploi a été attribué à un musulman. D’autre part, ayant servi trois ans dans les paras de 1958 à 1961, et ayant lutté dans le bled durant ces trois années contre le FLN, j’ai difficilement compris et admis le revirement de la situation. Enfin, ma fiancée, fille d’un débitant de boissons d’El Biar, faillit être la victime d’un enlèvement de la part des musulmans. En outre ses parents ont reçu des menaces de la part du FLN. Voilà pourquoi je suis entré à l’OAS [59][59]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 1er juin 1962,…. » Le terrorisme nationaliste, en particulier, est maintes fois mentionné. La jeune femme de 20 ans, que ses « sentiments affectifs » auraient conduite au maquis, « semble avoir été influencée d’abord par la vue des malades et blessés qui étaient les victimes du FLN [60][60]Notice de renseignements de police la concernant, dossier no… » lorsqu’elle aidait son père, médecin, en dehors de ses heures de cours. D’autres inculpés avaient été personnellement touchés et en parlaient d’eux-mêmes pour expliquer leur action.
26« La haine du musulman », évoquée par le jeune tueur, n’apparaît guère dans le cadre formalisé des auditions policières ou judiciaires [61][61]Y. SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain... », op. cit.,…. Elle est sous-entendue dans les propos de l’ancien parachutiste qui vit un « musulman » lui ravir son emploi et jaillit dans le récit d’un déserteur que le tribunal ne poursuivit pas en raison de son incompétence envers les militaires, mais dont il recueillit les déclarations. Ce déserteur déclara avoir reçu une arme avec l’ordre de tuer « un melon » et, une fois l’attentat commis : « On a su, dans le milieu OAS que j’avais ‘descendu’ mon premier Arabe et qu’il s’agissait d’un chef fellagha [62][62]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 26 mai 1962, dossier no…. » La « haine du musulman » se lit aussi en creux comme une condition du passage à l’acte dans le refus que P.-D. Giacomoni dit avoir opposé à son supérieur, le jour où ce dernier lui a demandé de tirer sur des gardes mobiles : « J’ai refusé net, lui précisant que je serai toujours d’accord pour des attentats sur des Arabes mais jamais sur des Français [63][63]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 22 mai 1962, dossier no…. » Il faut cependant un document saisi pour trouver une expression de racisme crue, débarrassée d’autocensure : « On se fait quelques cartons, un véritable régal. Tous les melons du coin commence (sic) à faire leurs valises » se vante un jeune homme dans une lettre écrite à sa fiancée, dont il a gardé une copie sur lui [64][64]Lettre versée au dossier no 114,5W 219.. Même si cet étudiant, par ailleurs secrétaire de l’Association générale des étudiants d’Algérie ( AGEA ), une pépinière d’activistes autrefois présidée par P. Lagaillarde, se défendit en arguant qu’il avait voulu « se faire mousser » auprès d’elle, il n’en exprime pas moins le fantasme de ces hommes happés par l’OAS dans la phase ultime du conflit franco-algérien : semer une terreur telle qu’elle inverserait les rapports de force et ferait fuir les autres.
27C’est que « l’ambiance anxiogène [65][65]Y. SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain... », op. cit.,… » de la guerre avait installé les Français d’Algérie dans une peur attisée par le cessez-le-feu, qui les laissait sans protection face aux enlèvements, pillages et autres avis d’imposition du FLN qui commençaient à pleuvoir en ce printemps 1962 [66][66]Ibid., p. 85 sq.. L’OAS, d’ailleurs, y puisa un argumentaire pour ses émissions clandestines : comme les harkis alors victimes des premiers massacres, les Français d’Algérie étaient promis à un sort funeste le jour où le FLN prendrait possession du pays [67][67]Ibid., p. 87.. Pour eux, les accords d’Évian n’étaient pas promesse de paix et d’un avenir ouvert à tous les possibles une fois les armes déposées. Au contraire, le cessez-le-feu et la perspective du référendum d’autodétermination les mettaient devant un fait qu’ils s’étaient toujours refusé à admettre : leur société était appelée à disparaître. Il est significatif, d’ailleurs, que la répression de la manifestation de la rue d’Isly, le 26 mars 1962, apparaisse à plusieurs reprises comme un événement déclencheur de l’entrée dans l’OAS. Pour la première fois depuis le début de la guerre, qui a vu les Français d’Algérie devenir coutumiers des rassemblements insurrectionnels, les forces de l’ordre ont tiré sur leur cortège et ont tué des manifestants. Ceux qui avaient persisté dans leur refus de prendre acte de la marche vers l’indépendance ne le pouvaient plus désormais. Yann Scioldo-Zürcher repéra ces mêmes étapes dans le journal intime d’un jeune Français d’Algérie : son rejet de la politique métropolitaine et de l’État qui la conduisait fut à son comble après la répression de la manifestation de la rue d’Isly, et il rejoignit l’Organisation avant de se résoudre à partir en France [68][68]Ibid., p. 169-174.. Le passage par l’OAS valait baroud d’honneur.
28Le basculement rapide dans l’action est propre à cette conjoncture postérieure au 19 mars 1962. Le profil de ces acteurs diverge de la première génération des membres de l’OAS qui, lorsqu’ils ne sortaient pas des rangs militaires et lorsqu’ils n’étaient pas trop jeunes, étaient passés par l’activisme voire par le terrorisme pro-Algérie française des années antérieures, leur engagement dans la violence terroriste étant « le point ultime [69][69]O. DARD, Voyage au cœur de l’OAS, op. cit., p. 76. » de leur parcours. Les acteurs du printemps 1962, au contraire, et du fait même de leur âge, étaient des novices dont le passage à l’acte mêla, à des degrés divers suivant les cas, motivations, circonstances et contrainte. Ils sont le produit de ce moment particulier de la fin de la guerre, lorsque l’Organisation devait recruter dans l’urgence pour éviter de disparaître, tandis que les événements poussaient des Français d’Algérie dans ses bras. La captation ponctuelle d’acteurs, d’ailleurs, apparaît dans ce contexte comme une solution adaptée, en permettant à ceux qui le souhaitaient de faire quelque chose, tout en laissant dans le flou la question de l’allégeance à une organisation terroriste. Il était possible d’agir pour l’OAS dans des conditions qui autorisaient, à la fois, de se dédouaner devant les autorités en cas d’arrestation et de satisfaire un désir d’action en faveur de la cause de l’Algérie française. Faciliter l’intrusion d’un commando pour un plasticage en est le meilleur exemple. Quand elle n’usait pas de la contrainte, l’OAS tirait bien profit de son succès auprès des Français d’Algérie et de la conjoncture.
29Tous n’étaient pas prêts à tout faire, cependant. Un jeune homme de 23 ans, chargé de déposer un colis contenant des explosifs devant la maison d’un instituteur connu pour ses positions progressistes, renonça d’abord au passage d’un couple dans la rue : « J’avais de l’appréhension : c’était la première fois que je faisais cela et [...] j’avais peur de blesser le couple [70][70]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 25 mai 1962,… »; il accepta en revanche de receler des explosifs, 34 grenades et 26 bouchons allumeurs ayant été retrouvés à son domicile, et il fut arrêté lors de sa seconde tentative d’attentat. D’autres inculpés rejettent explicitement l’action violente. Un secrétaire de mairie de 38 ans, arrêté dans les environs d’Alger, contacté par l’OAS en octobre 1961 pour la représenter localement, tenta ainsi de convaincre les enquêteurs qu’il joua un rôle modérateur : « La violence me répugne, si je suis resté dans l’organisation, c’était, je le répète, pour tenter de freiner les exaltés [71][71]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 18 avril 1962,… ». Il reconnaît avoir collecté des fonds, prêté son domicile pour des rencontres, renseigné l’OAS sur l’existence de fermes pouvant accueillir des maquisards, en avoir abrité lui-même, mais il se garda de répondre à une demande de localisation, sur un plan du village, du lieu de résidence de trois membres du FLN, « sachant ce que cela voulait dire [72][72]Procès-verbal d’audition à Hussein, Dey, 1er avril 1962,… ».
30À l’image des faits reprochés à ce secrétaire de mairie, la panoplie des actes commis par les hommes déférés au tribunal montre que les besoins de l’OAS étaient suffisamment variés pour offrir un exutoire au désir d’action de ceux qui refusaient d’attenter à la vie d’autrui ou qui s’en sentaient incapables. Les deux principales activités de l’Organisation, attentats et maquis, avaient leur corollaire : hébergement, transmission d’informations, transport d’hommes, de matériel, d’argent, vol et maquillage de voitures, cache d’armes, de ravitaillement, etc. Ce soutien logistique, à l’exclusion de tout autre forme d’action, est à l’origine du tiers des affaires environ – 22 sur 71 – mettant en cause 40 hommes. Sans eux, l’action violente n’aurait pu exister et à ce titre, ils jouèrent bien un rôle dans le terrorisme de l’OAS, même si – et cela pouvait être important à leurs yeux – ils n’ont pas eu à tuer ni à blesser personnellement. Il en est de même pour six autres affaires, mettant en cause 11 hommes, qui, si elles sont très minoritaires, n’en sont pas moins significatives de la stratégie de mobilisation des populations : il s’agit de propagande, surveillance et prise en charge des Français d’Algérie, dans une logique d’« action psychologique », comme le disent certains acteurs eux-mêmes. La distribution de tracts, l’émission de messages radio en font partie. Les activités d’un groupe de trois hommes montrent cependant que cette forme d’action put être plus ambitieuse : affectés à la « discipline intérieure » de l’OAS, ils devaient veiller au respect de ses mots d’ordre, comme l’interdiction des surprises-parties ou encore le départ de jeunes hommes dans des fermes pour remplacer la main-d’œuvre algérienne. Ils contrôlaient également les prix au marché Clauzel et avaient en charge un secteur d’Alger dans lequel ils devaient signaler, par téléphone, les déplacements des forces de l’ordre [73][73]Les trois hommes furent jugés en deux fois, dossiers no 84,5W….
31L’existence de telles activités n’invalide pas la qualification de l’OAS comme une organisation terroriste, dont la violence repose sur un « principe de disjonction entre les victimes de l’attentat (des ‘non-combattants’, des ‘innocents’) et la cible visée (le pouvoir étatique généralement) [74][74]Isabelle SOMMIER, « Du ‘terrorisme’ comme violence totale ? »,… ». Outre les maquis qui, représentant sept dossiers, ont abouti au jugement de 55 hommes, soit le quart des effectifs environ, les attentats sont bien au cœur de l’activité de l’OAS et ils mobilisèrent bien l’essentiel de ses troupes. La moitié des affaires impliquant la moitié des hommes sont des affaires de plasticages, d’assassinats, de violences sur des personnes ou des affaires incluant cette forme d’action parmi d’autres, les commandos pouvant avoir une activité polyvalente. Jean-Pierre M., un jeune déserteur de 20 ans, par exemple, entré dans un commando en février, participa à quatre attentats : deux mitraillages visant un café pour l’un, les habitants d’un secteur où un barrage FLN s’était déployé pour l’autre, et deux assassinats d’Algériens qui auraient appartenu au FLN. Mais il commit aussi un hold-up dans un bureau de poste, vola des denrées alimentaires dans une épicerie et désarma un supplétif algérien pour récupérer un pistolet automatique au profit de l’Organisation [75][75]Voir la décision de renvoi du dossier no 87,5W 217 et son…. Toute cette violence, enfin, était bien aveugle – dans un cas seulement, le commando n’a tiré que sur un barrage FLN [76][76]Dossier no 80,5W 217. – et plusieurs tueurs font état d’ordres qu’ils reçurent en ce sens. L’un d’eux expliqua ainsi aux policiers la distinction entre les « opérations ponctuelles », ciblant des individus désignés à l’avance, et les « mitraillages » touchant « les premiers Arabes qui se présentaient » : donnée au début du mois d’avril, « la consigne était de s’attaquer à la population musulmane en général mais de ne tirer que sur des hommes [77][77]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 28 avril 1962, dossier… ».
32Au-delà des récits, les éléments de biographie recueillis, mis en relation avec les actes commis, dont les attentats et les maquis constituent le noyau dur, dégagent deux profils d’acteurs : les jeunes membres des commandos et les maquisards, chez qui se retrouvent les anciens militaires ainsi que, contrairement à la ligne générale marquant les acteurs de ce printemps 1962, les hommes rompus de longue date au militantisme.
33Même si tous les jeunes ne furent pas des tueurs et même si les commandos comptèrent aussi des membres atteignant une trentaine d’années, les très jeunes hommes ont été les agents de l’accélération de la violence [78][78]Une analogie pourrait-elle être faite avec les recrues du FLN ?…. De fait, le recrutement dans l’urgence qui caractérisa ce printemps 1962 aboutit à un rajeunissement des troupes rimant avec un déferlement des attentats. Un jeune homme de 21 ans, arrêté dans une ferme dans les environs de la future capitale algérienne, en vint même à présenter la tentation de la « ratonnade » comme un danger le guettant – au même titre que le quadrillage policier – s’il était resté dans « l’atmosphère d’Alger » : « Je craignais d’être amené à faire des ratonnades ou d’être pris dans des rafles [79][79]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 12 juin 1962,… ».
34Les jeunes tueurs se présentent parfois eux-mêmes comme des volontaires dont les agents de l’OAS, avec qui ils entrèrent en contact, freinèrent les ardeurs avant de se décider à les exploiter. C’est le cas de Pierre J., âgé de 19 ans, qui souhaitait notamment venger son ami parachutiste tué par deux Algériens du contingent. Il a été arrêté alors qu’il venait de tirer cinq balles de pistolet dans le dos d’un Algérien, à courte distance. Il avait commencé, trois jours avant le cessezlefeu, par coller des affiches avec deux de ses amis qui lui conseillèrent de contacter un homme, émissaire de « Jésus » de Bab-el-Oued, dans un bar où il avait ses habitudes. Mais dans un premier temps, cet émissaire rejeta l’offre, trouvant le garçon trop jeune, et le chargea uniquement de distribuer des tracts. Puis il lui demanda de commettre deux attentats au plastic et de faire le guet lors de l’assassinat d’un Algérien. Il ne lui remit une arme que le 5 mai 1962, en lui disant qu’« il y avait le feu vert, qu’il fallait [qu’il] en descende au moins deux par jour [80][80]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 5 mai 1962, dossier no… ». Pierre J. fut arrêté lors de son premier attentat. Condamné à mort, il bénéficia d’une commutation de peine par décret, le 22 août 1962.
35De même, un jeune commis boucher de 19 ans, condamné à 20 ans de réclusion, a été appréhendé le 10 mai 1962 « à proximité immédiate [81][81]Note du détachement métropolitain de police judiciaire… » d’une tentative de meurtre sur deux Algériens – qui n’ont pas été touchés par les tirs – en possession d’un pistolet automatique encore chargé de trois cartouches. Comme Pierre J., le jeune commis boucher dit qu’il proposa ses services à l’OAS quatre mois plus tôt mais qu’il ne reçut alors que des affiches à coller dans Bab-el-Oued. Son contact à l’OAS ne l’arma que le 10 mai pour, lui dit-il, « faire ses preuves [82][82]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 11 mai 1962, dossier no… ». Il lui demanda de le suivre et, s’arrêtant devant un garage, lui expliqua qu’il allait faire sortir deux Algériens sous un prétexte quelconque : « Tu en feras un, moi un [83][83]Ibid. ». Il fut alors arrêté.
36Yves F., enfin, âgé de 17 ans, lui aussi condamné à vingt ans de réclusion criminelle, s’était échappé d’un centre d’éducation surveillé en janvier 1962. Rencontrant un agent de l’OAS lors d’une surprise-partie organisée dans un bar quelques jours après le cessez-le-feu, il intégra le même commando que Jean-Pierre M., le déserteur auteur de quatre attentats et de trois vols. Yves F. fut armé deux jours après son entrée dans le groupe, avec la mission de protéger Jean-Pierre M. lorsqu’il commit un assassinat, et il participa au mitraillage du « groupe de gourbis [84][84]D’après les termes de la décision de renvoi du dossier no 60,5W… » où vivaient des Algériens suspectés d’avoir formé un barrage au profit du FLN. Il fut arrêté à son domicile, sur dénonciation, le 24 avril 1962.
37L’exploitation de cet ultime vivier que représentait la jeunesse algéroise fut-elle facilitée par la cessation des activités scolaires et universitaires ? Le désœuvrement quotidien paraît propice à un passage sous la coupe de l’OAS ou d’organisations agissant pour son compte, comme l’AGEA dans les milieux estudiantins. Le président de cette association, impliqué dans une affaire jugée par le TOP, précisa qu’il s’était donné pour but d’occuper les étudiants depuis la fermeture des facultés en avril [85][85]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 12 juin 1962, dossier…. Or, c’est l’OAS qui rendit impossible la continuité des cours. Leur arrêt fait suite à une série de plasticages et de destructions, accompagnée de manifestations hostiles des étudiants. Les lycées ne furent pas épargnés : tentatives d’incendies, saccage de mobilier et de matériel, tirs, lancement d’explosifs... [86][86]Y. SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain... », op. cit.,…. Les jeunes étaient « ravis de défier l’autorité scolaire [87][87]Ibid., p. 99. », comme leurs aînés celle de l’État. Les établissements s’offraient alors à l’OAS comme autant de foyers d’agitation, où les jeunes pouvaient facilement se lancer d’eux-mêmes ou être entraînés dans des formes d’action collective susceptibles de tourner à l’émeute. Comme dans tout lieu de sociabilité, aussi, le recrutement pouvait s’y appuyer sur les liens qui y avaient été tissés et qui y étaient entretenus au quotidien pendant les cours, les pauses, les repas, les sorties collectives en soirée... En témoigne le démantèlement d’un groupe de huit plastiqueurs, composé d’élèves et de moniteurs d’un centre d’apprentissage de l’Électricité et Gaz d’Algérie ( EGA ), resté ouvert, à Blida [88][88]Dossier no 76,5W 216.. Un seul élève est à l’origine de la formation du groupe, qu’il a constitué par ses contacts au sein du centre mais aussi en dehors, les externes partageant des chambres en ville. Les déclarations de ces jeunes montrent que, lorsqu’ils résistèrent à des sollicitations directes, ils basculèrent après avoir entendu des conversations sur des plasticages déjà effectués, au cours de réunions dans leurs chambres, le soir. Ils se seraient sentis associés de fait, par compromission, aux actions évoquées devant eux. À l’intérieur du centre, par ailleurs, la présence d’un élève agissant pour l’OAS était un fait notoire et permettait à quiconque souhaitant s’engager de ne plus avoir qu’à entrer en contact avec lui.
38Par conséquent, si elle libéra des jeunes en mal d’occupation pour un engagement radical et violent, la fermeture des établissements priva tout de même l’OAS de la possibilité de les organiser collectivement. Cette fermeture atomisait la jeunesse et l’OAS, pour exploiter ce potentiel, était contrainte de le récupérer ensuite, par les voies traditionnelles du recrutement individuel. La mobilisation des jeunes revêtait donc un enjeu crucial, parfaitement perçu par les autorités de l’époque qui enregistraient cette jeunesse des acteurs de la violence, au fur et à mesure des arrestations. V. Cros, en en rendant compte dans ses mémoires, met alors l’appel sous les drapeaux au rang des mesures susceptibles de tarir le recrutement de l’Organisation [89][89]V. CROS, Le temps de la violence..., op. cit., p. 207 sq., une stratégie qui rappelle celle de la conscription des Algériens dans les années précédentes, afin de les soustraire au FLN [90][90]Sur cette politique de conscription : Stéphanie CHAUVIN, « Des…. Face à l’OAS, dès décembre 1961, les Français d’Algérie de la classe janvier 1962 avaient été incorporés en métropole puis, au printemps, une ordonnance signée le 17 mai plaçait 5 000 jeunes d’Alger et d’Oran sous les drapeaux [91][91]Y. SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain... », op. cit.,….
39Dans quelques cas, toutefois, la perspective de la conscription put avoir l’effet inverse. Un jeune homme de 20 ans, arrêté le 22 mai dans une villa signalée à la police comme servant de refuge à l’OAS, indique qu’il y est entré après la réception de son ordre d’appel sous les drapeaux, pour éviter d’avoir à servir dans « l’armée de De Gaulle [92][92]Procès-verbal d’enquête par la gendarmerie, 27 mai 1962,… ». L’OAS elle-même répliquait en se posant en concurrente. Lorsque « j’ai appris à Jacky que j’étais appelé sous les drapeaux », explique le jeune homme de 20 ans qui se perdait dans les surnoms appliqués aux autres et à lui-même, « celui-ci m’a dit que l’OAS s’opposait à ce départ et que je devais me mettre à sa disposition pour des opérations diverses, de plasticage en particulier [93][93]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 27 mai 1962, dossier no… ». L’envoi d’ordres de mobilisation par l’OAS relève ainsi d’une « rivalité mimétique [94][94]Sur ce point : Isabelle SOMMIER, Le terrorisme, Paris,… » avec l’État, caractéristique des organisations terroristes, et la réponse des destinataires vaut allégeance. « Je n’ai pas obtempéré immédiatement », déclare Claude M., membre d’un commando, âgé de 20 ans, en parlant de la réception de l’ordre de mobilisation de l’Organisation, « j’ai attendu de savoir si des copains rejoignaient les rangs de l’OAS [95][95]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 30 mai 1962, dossier no…. » De leur côté, les autorités, suivant les réactions à l’incorporation dans l’armée, y voyaient un indicateur de la soumission des Français d’Algérie; en juin, elles étaient rassurées [96][96]Y. SCIOLDO-ZÜ RCHER, « Devenir métropolitain... », op. cit.,…. Cette concurrence entre l’organisation terroriste et l’État créait une alternative dont les acteurs pouvaient jouer dans les deux sens. Rejoindre l’OAS pour éviter de servir « l’armée de De Gaulle » ou, au contraire, s’y réfugier pour s’émanciper de l’Organisation, la quitter au moment où elle perdait du terrain. Un inculpé de 18 ans, qui dit être entré dans l’OAS par la contrainte, comme membre d’un groupe chargé de la surveillance des rues, et en particulier la sortie des écoles, dans le but d’empêcher des enlèvements par le FLN, souscrivit un engagement dans la Marine. Il fut appréhendé alors qu’il attendait sa convocation et, celle-ci prouvant sa bonne foi, arriva quelques jours après [97][97]Dossier no 80,5W 217..
40La mobilisation des jeunes prit plus particulièrement le milieu étudiant à la fois comme vecteur et comme terreau. L’ancienneté de l’activisme pro-Algérie française dans les facultés d’Alger fournit en effet à l’OAS des relais pour son implantation dans cette frange politisée de la jeunesse algéroise : J.-M. Rouanet ou le président de l’AGEA, dont l’engagement à l’OAS ne faisait que poursuivre des engagements antérieurs, ont été les agents de la tentative de l’Organisation pour « structurer l’ensemble des étudiants [98][98]Dixit J.-M. Rouanet dans le procès-verbal de son audition, 9… ». À l’instar de J.-M. Rouanet, qui militait à Jeune Nation, le président de l’AGEA était, lui, membre du mouvement « Je suis Français ». Les affaires qui entraînèrent leurs inculpations étaient liées. Alors que J.-M. Rouanet fut arrêté lors d’opérations de police visant précisément le milieu étudiant, le président de l’AGEA fut interpellé, avec le secrétaire général de l’association, après les déclarations de cinq hommes appréhendés à un barrage. Ces derniers, affirmant qu’ils constituaient « un groupe d’amis qui ne s’était pas formé pour les besoins d’une action subversive mais résultait simplement d’affinités mutuelles [99][99]D’après les termes de l’avocat général dans sa décision de… », avouèrent qu’ils avaient volé des voitures pour le compte de l’OAS, à la demande de J.-M. Rouanet. Or, le président de l’AGEA circulait dans une voiture volée par ce groupe. En outre, les cinq jeunes hommes logeaient dans une ferme des environs d’Alger où les enquêteurs tombèrent sur un stock de médicaments, une ronéo, des armes et des munitions. Le président et le secrétaire général de l’AGEA résidaient, eux, dans une autre ferme, où fut aussi découvert tout un arsenal. Son président reconnut que l’AGEA avait tenté d’organiser, pour le compte de l’OAS, la levée et le départ de ces jeunes hommes d’Alger. Les cinq garçons invoquaient leur souhait d’« apporter leur concours aux colons en difficulté pour rentrer leur récolte » et d’« échapper au danger de la vie à Alger [100][100]Décision de renvoi du dossier 114,5W 219. ». Mais la lettre écrite par le secrétaire général de l’AGEA à sa fiancée – celle dans laquelle il se vantait de faire un « carton » sur « les melons du coin » – mentionnant un réseau d’insoumission, et la nature des objets saisis lors des perquisitions orientèrent les enquêteurs vers l’hypothèse de la constitution d’un maquis, sans qu’ils puissent le prouver.
41Ce projet de maquis d’étudiants se distingue des autres tentatives d’organisation de bandes armées par l’OAS car il s’agissait ici d’enrôler les jeunes à la place de l’État plus que de défier son autorité en prenant les armes. Dans les affaires de cette nature, en revanche, les acteurs présentent un profil très spécifique, s’écartant sensiblement de l’ensemble.
42La toute première affaire instruite et jugée à Tizi-Ouzou concerna 25 hommes et une femme qui s’étaient livrés ou qui avaient été appréhendés après l’échec du maquis de l’Ouarsenis [101][101]Sur les maquis, O. DARD, Voyage au cœur de l’OAS, op. cit.,…. La débandade de ce maquis prit toutefois la forme d’un éparpillement des hommes qui ne tombèrent pas tous ensemble entre les mains des autorités, au point que trois autres affaires en résultèrent aussi par la suite [102][102]Dossiers nos 14 et 15,5W 211 et 17,5W 212.. Deux hommes, par ailleurs, furent arrêtés alors qu’ils attendaient leur départ dans un appartement servant de dépôt d’armes et d’effets militaires, où ils furent découverts lors d’une perquisition menée par la police qui avait été renseignée [103][103]Dossier no 20,5W 212.. Le dernier groupe armé, celui du maquis « Gaston », du nom du capitaine qui en était l’instigateur, ne fut découvert que le 10 mai [104][104]Ibid..
43Cette cinquantaine de maquisards se distingue d’abord par une forte propension à la revendication de leur parti pris devant le magistrat instructeur, alors que seule une petite dizaine d’hommes, sur le total des individus déférés au TOP, y procéda. Certains développèrent une prose idéologique les identifiant comme des militants. P. Sultana, que la notice de renseignements de police qualifiait d’« intellectuel pur [105][105]Notice de renseignements versée au dossier no 1,5W 210. », en est représentatif : « J’ajoute que, profondément catholique, j’estime que plus que l’Algérie française, c’est la chrétienté que nous défendons, en tentant de maintenir une présence occidentale française [106][106]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 16 avril 1962,…. » De même, Claude M., un métropolitain qui s’était engagé dans la Marine de 1954 à 1959, se présenta comme un « anticommuniste depuis de nombreuses années [107][107]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 25 avril 1962,… ». Son licenciement de l’entreprise où il travaillait, à Marseille, l’incita à regagner l’Algérie en février 1962, « pour combattre le communisme » : « Je considère en effet que la guerre d’Algérie a été suscitée par le communisme et qu’il n’y a pas de différence entre le FLN et le parti communiste [108][108]Ibid.. »
44Ainsi, alors que la recherche d’antécédents montre que l’immense majorité des acteurs était novice en politique ou que leur engagement était très récent, la quinzaine d’hommes connus des services de police pour leur activisme avant 1962 et qui avaient déjà été fichés, expulsés, arrêtés, internés ou condamnés, se retrouve essentiellement chez les maquisards, même s’ils n’y furent pas tous. Émerge par exemple un jeune homme de 22 ans, membre du commando Delta 14, celui de « Jésus » de Bab-el-Oued, qu’il connaissait depuis février 1961 [109][109]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 6 juin 1962, dossier no…. Il participa à la tentative de constitution d’un maquis dans l’Oranais, dès cette époque, par Jean Souètre et Marcel Petitjean [110][110]A.-M. DURANTON-CRABOL, Le temps de l’OAS, op. cit., p. 71.. Arrêté, il fut libéré par les putschistes d’avril 1961 et vécut dans la clandestinité tout en s’engageant dans l’OAS dès sa création sur le sol algérien. Est typique des parcours de maquisards, en revanche, celui d’un maître d’hôtel arrêté dans les suites de la débandade de l’Ouarsenis : né en métropole, il vécut en Algérie « depuis [s]on plus jeune âge [111][111]Notes d’audience manuscrites du 18 mai 1962, dossier no 17,5W… » et s’engagea trois ans dans l’armée; fiché comme membre d’un mouvement fasciste en 1955, en contact avec Robert Martel en 1957 et 1958, il s’installa à Alger après son expulsion du département d’Oran, où il vivait, en novembre 1961.
45La logique d’atténuation des responsabilités prit aussi chez les maquisards une forme particulière. Ils niaient en effet leur appartenance à l’OAS, y compris lorsqu’ils reconnaissaient les faits qui leur étaient reprochés. Le juge en vint à exprimer son scepticisme, avec une pointe d’énervement, face à ce leitmotiv qu’il entendit au cours de dix interrogatoires sur vingt-six, dans la première affaire qu’il eut à instruire : « Par qui imaginiez-vous alors qu’un maquis est (sic) pu être créé [112][112]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 16 avril 1962,… ? » Il se heurta à un mur de réponses laconiques, comme celle d’un ancien légionnaire disant avoir été engagé sous la menace d’« ennuis » et à condition de servir comme infirmier : « Vous me faites remarquer qu’on ne voit pas quelle organisation en dehors de l’OAS aurait été susceptible de prendre une telle initiative. Je ne sais pas, il y a tellement d’événements en Algérie qu’il est difficile de s’y retrouver [113][113]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 17 avril 1962,…. » Un seul homme, ancien parachutiste, trouva une explication crédible à sa naïveté : « Ma première idée a été qu’il pouvait s’agir d’une initiative de certains éléments de l’armée [114][114]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 2 avril 1962,…. » Deux autres, enfin, livrèrent une version des faits accréditant l’idée que leur recrutement avait laissé dans le flou l’allégeance du maquis : « Pour moi, l’OAS est un mouvement qui tue et qui commet des attentats, ce que je ne veux pas faire » dit le premier [115][115]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 16 avril 1962,…; le second, lui, aurait compris qu’il s’agissait d’un maquis OAS « quelques heures » seulement avant le départ [116][116]Ibid..
46Ces hésitations témoignent de l’identification du terrorisme à la violence aveugle. Au contraire, en admettant la sincérité de leurs dénégations, ces hommes pensaient trouver dans la constitution d’un maquis un autre moyen de défier l’autorité de l’État, véritable cible de l’OAS. Pour cette raison, se retrouvèrent au maquis les militants les plus anciens et les plus politisés, ceux pour qui la cause de l’Algérie française n’était qu’un moyen de prolonger des combats de plus grande envergure, empruntant aux registres traditionnels de l’extrême droite. Certains maquisards affirmèrent d’ailleurs qu’ils avaient l’intention de soumettre les populations locales à une « action psychologique » et qu’ils perdirent toute illusion en se voyant mal reçus... voire dénoncés aux autorités.
47L’existence d’un passé militaire, enfin, caractérise fondamentalement les maquisards. Au total, une quarantaine d’hommes, soit le cinquième des hommes déférés au TOP, ont eu, dans leur vie, un lien avec l’armée et son action en Algérie, sous diverses formes. Or, 23 d’entre eux se retrouvent parmi les hommes arrêtés dans des affaires de maquis. D’une façon générale, cette proportion d’anciens militaires relativise la qualification des hommes déférés au TOP comme des civils. Certes, le tribunal n’était pas compétent envers les soldats, au sens strict, mais la guerre brouilla la frontière entre civils et militaires. Dans leur majorité, en effet, ces anciens soldats avaient été engagés et avaient servi plusieurs années, en particulier dans la Légion, avant d’être démobilisés. Mais d’autres avaient simplement fait leur service ou ont participé à des organismes et forces auxiliaires, comme les unités territoriales, le dispositif de protection urbaine ou encore les groupes mobiles de sécurité. Leurs engagements pouvaient être anciens : René P., par exemple, né en métropole, caporal-chef de groupe mobile de sécurité au moment de son arrestation, s’était engagé dans l’artillerie coloniale en 1949, avait servi à Madagascar, en Tunisie, en Indochine puis de nouveau en Tunisie avant d’arriver en Algérie et d’être démobilisé en 1955. Après deux années sur place, pendant lesquelles il travailla notamment à la SNCF, il s’était rengagé, sans retourner en métropole [117][117]Dossier no 44,5W 214..
48Son parcours est significatif de la corrélation entre expérience militaire et lieu de naissance extérieur à l’Algérie. La prégnance d’une expérience militaire suffisamment longue et forte pour marquer les biographies est en effet accentuée chez ceux qui virent le jour ailleurs qu’en terre algérienne. Ainsi, dans le total des hommes déférés au TOP, seize hommes naquirent en territoire étranger : cinq au Maroc, trois en Italie, deux en Tunisie, deux en Allemagne, un en Pologne, un en Espagne, un en Indochine et un aux Baléares. Or, parmi eux, quatre étaient d’anciens légionnaires, un avait déserté d’un régiment de tirailleurs et un autre, Français né au Maroc mais vivant en Algérie, sortait de 27 mois de service chez les parachutistes. Deux autres encore étaient des anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale : le premier, né au Maroc, de la classe 41, était employé dans une section administrative spécialisée en 1962; le second, un Allemand qui combattit dans l’Afrikakorps, s’installa en Algérie après sa libération d’un camp de prisonniers de guerre en 1948 et servit dans les unités territoriales de 1957 à 1960 [118][118]Tous deux sont impliqués dans le dossier no 22,5W 212.. Comme eux, en outre, c’est avec l’armée que pratiquement la moitié des métropolitains de naissance foulèrent pour la première fois le sol algérien. Le passé militaire, par conséquent, explique la présence en Algérie des acteurs de ce printemps 1962 qui n’y étaient pas nés. Ce sont l’armée et la guerre qui les y conduisirent.
49L’expérience militaire a-t-elle prédisposé les ex-soldats à la violence terroriste, au sens d’une violence aveugle ? Leur présence, pourtant, n’est pas significative dans les affaires d’attentats, alors qu’ils sont surreprésentés parmi les maquisards : l’expérience militaire à prédisposé ces hommes à l’engagement OAS, non dans les commandos, mais sous sa forme maquisarde. En partant au maquis, les anciens militaires s’impliquaient dans une forme d’action qui leur était familière. Leur passé, surtout, a créé les circonstances de leur engagement en les dotant d’un profil recherché par les agents de l’OAS chargés de recruter des hommes sachant manier les armes et rompus aux rigueurs de la vie quotidienne dans le bled. L’enrôlement d’ex-soldats est logique dans la perspective de la constitution d’un maquis et nombre d’entre eux dirent qu’ils avaient été repérés avant d’être abordés. L’un d’eux, par exemple, fut apostrophé après une conversation dans un café, au cours de laquelle il relatait à un de ses anciens camarades de lycée ses quatre années de service, comme engagé, dans le secteur de Teniet-el-Haad [119][119]Procès-verbal d’interrogatoire par le juge, 28 avril 1962,….
50L’immersion de ces hommes dans l’armée, qui fournit à l’Organisation nombre de ses acteurs, en outre, a multiplié leurs chances d’avoir, dans leurs connaissances, un individu susceptible de leur faire gagner ses rangs. Le milieu militaire joue ici le même rôle que celui des étudiants : à la fois vecteur du recrutement par le biais de ceux qui avaient rejoint précocement l’OAS et vivier pour l’engagement. C’est ainsi qu’un ancien membre des services de renseignements militaires, lui-même recruté par un parachutiste déserteur dès juin 1961, mit ce dernier en contact avec des soldats de sa connaissance, du 1er REP et du 20e groupement d’artillerie parachutiste ( GAP ), qui furent ensuite dissous comme foyers d’activisme [120][120]Ibid.. Un Italien du 1er REP, aussi, fut recruté directement par R. Degueldre, ancien officier de cette même unité [121][121]Procès-verbal d’audition à Hussein Dey, 19 avril 1962, dossier….
51Les conditions de leur démobilisation, enfin, rendirent les anciens militaires disponibles, en les laissant sur place démunis et désœuvrés. Le vécu des deux anciens légionnaires, par exemple, l’un né en métropole, l’autre en Pologne, arrêtés dans l’appartement où ils attendaient leur départ, en témoigne de façon caricaturale. Divorcé de sa femme « musulmane », Michel L., le premier, réformé en 1959 en raison de blessures contractées en Algérie, se décrivit au juge comme vivant seul dans un meublé, sans autre revenu qu’une pension d’invalidité, avant son contact avec l’OAS. Le second, qui fut blessé à Dien Bien Phu et dont le contrat prit fin en Algérie en 1957, occupa plusieurs emplois avant de se retrouver sans ressources et sans domicile. Il vivait sur les quais. Tous deux avaient des casiers judiciaires mentionnant des condamnations de droit commun : défaut de permis de conduire, vol d’essence à son employeur pour le premier; coups et blessures, dégâts et bris de clôture pour le second. Ils furent recrutés par un troisième ancien légionnaire, qui les conduisit dans l’appartement où ils furent découverts [122][122]Dossier no 20,5W 212..
52Jeunes et anciens militaires apparaissent ainsi comme composant l’essentiel des forces humaines de l’OAS en ce printemps 1962. Aux premiers échut l’action violente, aux seconds celle défiant l’autorité de l’État, qui attira aussi les militants d’extrême droite poursuivant un autre but, à travers la défense de l’Algérie française. Cette activité prenant directement l’État pour cible autorise-t-elle à classer l’OAS au rang du « contre-terrorisme », en retenant comme sens possible de cette expression celui qui s’oppose à un terrorisme d’État [123][123]Comme Jean-Paul VALABREGA propose de le faire dans « Terrorisme… ? Si des plasticages visèrent effectivement des bâtiments publics, la prise en compte de l’ensemble des actes commis en ce printemps 1962 l’interdit; il n’existait pas alors, en outre, de « terrorisme d’État ». Rien ne permet non plus de qualifier ainsi l’OAS en suivant l’acception implicite mais courante des historiens de la guerre en Algérie, nommant « contre-terrorisme » celui de l’activisme pro-Algérie française, présenté comme une réplique au terrorisme du FLN [124][124]O. DARD retient l’expression « contre-terrorisme » en ce sens…. Certes, des hommes déférés devant le TOP dirent qu’ils tirèrent sur des Algériens parce qu’ils les accusaient d’être du FLN, et l’OAS chargea certains de ses agents de prévenir les violences nationalistes de cette période. Mais le FLN ne fut pas désigné comme cible de la violence à déployer. Tous les Algériens étaient visés. La « disjonction » [125][125]Pour reprendre le critère retenu par I. SOMMIER, « Du… entre victimes et cible caractérise les actes jugés à Tizi-Ouzou.
53Dans un contexte où il s’agissait de « forcer l’histoire [126][126]M. WIEVIORKA, Sociétés et terrorisme, op. cit., p. 479. », par ailleurs, cette violence est frappante d’irrationalité. Son interprétation comme une « violence instrumentale », assimilable à un « outil dont se dote l’acteur pour parvenir de manière rationnelle à ses fins [127][127]Ibid., p. 474. », à première vue conforme à ce que pouvait être le terrorisme de l’OAS, se heurte ici à l’impossibilité de reconstituer un cheminement expliquant le passage à l’acte des agents de la violence de ce printemps 1962. « L’acteur » pensant rationnellement la violence comme une « violence instrumentale » n’est pas son exécutant. Si aucun parcours-type conduisant individuellement ces hommes vers la violence n’a pu être dégagé, toutefois, qu’en est-il collectivement ? Il faudrait ici prospecter dans la longue durée : la violence et la défiance à l’égard de l’État légitime n’apparurent pas, en effet, chez les Français d’Algérie, au moment de la fin de la guerre, ni avec l’OAS [128][128]Sur les violences envers les Algériens, voir la thèse de….
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Rédigé le 12/10/2023 à 06:44 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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