Jeune journaliste, Jacques Duquesne a commencé sa carrière en couvrant la guerre d’Algérie pour le quotidien La Croix. Épreuve difficile, car sa perception des événements ne correspondait pas à la sensibilité de la majorité de ses lecteurs. Épreuve formatrice, car cela l’a conduit à affronter les questions morales et politiques essentielles posées par le métier de journaliste en temps de guerre. Mais cette épreuve a été comme reléguée par lui tout au long de sa vie active. Comme beaucoup des acteurs et témoins de ce conflit, il a cherché à en libérer sa mémoire pour ne pas en rester envahi et continuer à travailler et à vivre. À l’indépendance de l’Algérie, il s’était contenté de remiser soigneusement dans des cartons tous ses papiers de cette période : des centaines de lettres de lecteurs indignés par ses articles dénonçant la torture, des notes sur les multiples témoignages d’appelés sur les exactions de l’armée française, des photos et des documents inestimables, comme le courrier expédié par Josette Audin à La Croix sur la disparition de son mari. Tout cela a dormi cinquante ans au fond d’un grenier et Jacques Duquesne s’y est replongé pour composer ce livre.
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En novembre et décembre 1957, Duquesne a effectué son premier grand reportage en Algérie, sillonnant Alger et les régions rurales, recueillant les témoignages d’Algériens victimes de la répression policière et de la torture. Il en a tiré, en janvier 1958, une série de sept articles dans La Croix, intitulée « Souffrances et espoirs de l’Algérie », où il dénonce ouvertement la torture et les exactions des militaires. Ces numéros sont saisis en Algérie et la rédaction croule sous les lettres de lecteurs qui crient au scandale. On l’accuse de salir l’armée, de trahir la France, de céder à la propagande des communistes… Seule une petite minorité de lecteurs l’approuve, dont certains l’invitent à donner des conférences, parfois troublées par des contradicteurs agressifs. Le livre n’hésite pas à reproduire intégralement quelques lettres, parfois d’une grande violence : « Par respect pour les vrais Français, fermez votre sale gueule, Monsieur ! », lui écrit un capitaine de réserve ; une lectrice le traite de « mauvais Français et mauvais catholique », se réjouit que La Croix ait été interdit en Algérie et regrette qu’il ne l’ait pas été en France ; un prêtre, oui, un prêtre, lui lance : « Si les paras vous coupent les c… et vous brûlent les pieds, ils feront un heureux en la personne de votre abonné ».
3Mais Duquesne persiste et rapporte de nouveaux témoignages que, cinquante ans plus tard, il publie aussi dans ce livre. Par exemple, la lettre au président de la République d’un appelé qui, après avoir vu durant quatorze mois comment se déroulait cette guerre, décide lors d’une permission de refuser de repartir en Algérie. Ou celle d’un capitaine d’active basé à Arris, dans les Aurès, que son épouse a transmise à l’Élysée, dénonçant les responsabilités du haut commandement dans la conduite de cette guerre, qui a valu à son auteur trente jours d’arrêts de rigueur suivi de son renvoi sans solde.
4L’un des témoignages les plus importants que publie ce livre est celui de Huguette Akkache, constitué de 42 pages dactylographiées envoyées en février 1959 à La Croix et qui racontent en termes simples et précis le mois et demi de détention qu’elle a subi dans l’été 1957, durant la bataille d’Alger, à l’école Serrouy, près de la Casbah, transformée par les parachutistes en « centre d’interrogatoire », puis à Ben Aknoun, dans la banlieue de la capitale, dans un ancien camp ayant servi aux troupes américaines. Ce témoignage exceptionnel, qui est un document de la même force que La Question d’Henri Alleg, a été écrit après son retour en France, en 1958, et envoyé à la soi-disant Commission de sauvegarde des droits et libertés fondamentales qui servait à berner l’opinion, ainsi qu’à différentes personnalités (le général De Gaulle, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Maurice Clavel) et à des journaux (Témoignage Chrétien, Hubert Beuve-Méry au Monde, le R. P. Wenger à La Croix). Si La Croix ne l’a pas publié, Témoignage Chrétien en a reproduit des extraits dans un supplément intitulé « Témoignages et documents », et Le Monde a fait de même en décembre 1959, sous le titre « Le Centre de tri ». Mais il ne sera publié, dans une version quasi intégrale, relue et légèrement remise en forme par l’auteur, qu’en 2004, sous le titre d’Un été en enfer. Barbarie à la française. Alger 1957, par les éditions Exils à Paris, signé du pseudonyme de H. G. Esméralda. Mais, dans cette édition, les noms des tortionnaires n’apparaissent qu’en abréviations et c’est l’un des grands mérites du livre de Jacques Duquesne que de les publier intégralement pour la première fois ainsi que de rétablir certains passages (essentiellement relatifs aux violences sexuelles) absents de l’édition anonyme de 2004.
5L’un des noms les plus souvent cités est celui d’un jeune lieutenant décrit comme dirigeant les interrogatoires, ordonnant aux bourreaux de poursuivre ou de stopper les tortures, et actionnant parfois lui-même la magnéto tout en lançant de violentes diatribes anticommunistes, le lieutenant Schmidt (sic). Or, on sait que le lieutenant Maurice Schmitt commandait en 1957, lors de la bataille d'Alger, une compagnie de parachutistes au 3e RPC du colonel Bigeard, qu’il deviendra par la suite général, et même, de 1987 à 1991, chef d’état-major des armées françaises. Lors du débat qui avait suivi la diffusion sur France 3, le 6 mars 2002, du documentaire de Patrick Rotman, L’Ennemi intime, il n’a pas supporté les témoignages sur la torture de deux acteurs de la guerre d’Algérie (Louisette Ighilariz et Henri Pouillot), qu’il a accusés de mensonge, ce qui lui a valu une condamnation à leur verser des dommages et intérêts. Ce long récit de Huguette Akkache, publié pour la première fois par Jacques Duquesne avec les noms propres entiers des tortionnaires tels qu’elle-même ou d’autres suppliciés les ont entendus prononcer (d’où quelques erreurs orthographiques probables), contient à leur sujet des informations précieuses et inédites. En dehors de celui de ce lieutenant, cité à treize reprises, elle nomme l’inspecteur Lévy de la DST, et d’autres parachutistes du 3e RPC : le lieutenant Fleutiot, le capitaine Chabane, le soldat Chevallier, le lieutenant Sirvant (sic) et le capitaine Petot. Lorsqu’après avoir envoyé ce texte à la soi-disant Commission de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, elle avait été reçue par elle et avait exprimé son exigence de voir les tortionnaires condamnés. On sait qu’il n’en a rien été et que, récemment, lorsque les cendres de Marcel Bigeard ont été dispersées au Mémorial des morts d’Indochine à Fréjus le 20 novembre 2012, en présence de l’ancien président de la République Valery Giscard d’Estaing, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian s’est abstenu de la moindre allusion critique au rôle de ce commandant du 3e RPC lors de la bataille d’Alger. Pourtant, ce récit montre que, quand au début de septembre 1957, les bérets rouges du régiment de parachutistes coloniaux du colonel Bigeard partirent en opération dans le Sud, et le camp de Ben Aknoun passa aux mains des bérets verts d’un détachement parachutiste de la Légion étrangère commandé par un sergent français d’origine allemande, ancien légionnaire, entouré d’Italiens, d’Allemands, de Hollandais, seul le sergent étant français. Une amélioration très nette est alors intervenue dans le respect d’un certain nombre de règles humanitaires élémentaires pour les personnes détenues. Ce qui fait dire à Huguette Akkache que la langue française lui devint alors insupportable : « Les Allemands acquirent la sympathie du camp entier… J’en ressentis une gêne profonde, n’ayant pas oublié leur passé… J’eus mal encore pour la France, que j’avais autrefois aimée, et que je ne pouvais plus défendre à cause d’elle-même. »
6Ne serait-ce que pour ce témoignage exceptionnel, ce livre mérite d’être lu. Pourquoi n’a-t-il pas été davantage publié à l’époque ? L’auteur avait épousé en janvier 1954 un membre du bureau politique du PCA, interdit en septembre 1955 (Ahmed Akkache, lui-même arrêté en février 1957 et dont elle divorcera avant son évasion au début de 1962), et elle était la sœur de militants communistes algériens, juifs, fortement engagés au sein du FLN, les frères Timsit. En 1959, Huguette Akkache-Timsit a certainement communiqué également son récit au PCF et à l’Humanité. Or, la seule référence à son sort dans ce journal est, semble-t-il, le 16 août 1957, à la suite d’un article censuré consacré au sort d’Henri Alleg, alors interné au camp de Lodi, la mention brève de son arrestation : « Nous apprenons d’Alger que, le 6 août, Henriette Timsit (sic) a été enlevée par des parachutistes. Depuis, on est sans nouvelles d’elle » (voir L’Humanité censuré, 1954-1962, un quotidien dans la guerre d’Algérie, coordonné par Rosa Moussaoui et Alain Ruscio, p. 126). Mais de ce récit qu’elle a diffusé en février 1959, après sa venue en France, et qui était si important pour faire connaître les pratiques de l’armée française en Algérie, seuls Témoignage chrétien et Le Monde en ont, semble-t-il, publié des extraits. On touche là à l’histoire complexe du positionnement du parti communiste français durant la guerre d’Algérie, dont beaucoup de zones d’ombre restent à éclaircir.
https://journals.openedition.org/chrhc/3303
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Gilles Manceron
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Benjamin Stora est à Constantine depuis mercredi. D. R.
En France, tout le monde en parle. En Algérie, c’est le blackout total. Benjamin Stora et une équipe d’historiens français ont débarqué à Constantine, mercredi dernier, pour y rencontrer leurs homologues algériens chargés de «réécrire» l’histoire commune. Pourquoi ce silence côté algérien ? Les autorités veulent-elles éviter que les travaux de cette commission mémorielle mise en place par Tebboune et Macron soient chahutés ou parasités dans ce contexte marqué par une divergence totale entre Alger et Paris sur la situation au Proche-Orient et sur bon nombre d’autres dossiers ?
«La commission mixte d’historiens algériens et français sur la période coloniale et de la Guerre d’indépendance a tenu mercredi, à Constantine, dans l’est algérien, sa première réunion en présentiel, après une première rencontre par visioconférence en avril dernier», indiquent les journaux français, qui ont été nombreux à répercuter cette information, contrairement aux médias nationaux qui semblent n’y avoir accordé aucune importance. C’est que la volonté affichée par les présidents algérien et français de mettre en place cette instance académique pour réécrire l’histoire et, espèrent-ils, solder symboliquement le lourd contentieux qui divise, à ce jour, l’Algérie et la France, près de soixante ans après l’Indépendance, se heurte à une farouche opposition de part et d’autre de la Méditerranée.
En Algérie, les déclarations d’Emmanuel Macon, qui réitère sans cesse sa position consistant en un refus catégorique de présenter des excuses et de faire acte de repentance à l’égard de l’ancienne colonie, annihile de fait le rapport de Benjamin Stora sur la question. En France, c’est surtout dans les milieux harkis et pieds-noirs que les réactions les plus virulentes ont suivi la diffusion du rapport de près de 150 pages, contenant 25 propositions émises par celui qu’on qualifie d’«historien de la réconciliation». «Après la remise du rapport commandé à Benjamin Stora sur la colonisation et la Guerre d’indépendance de l’Algérie, la Présidence française n’envisagerait que quelques actes symboliques. Ce n’est certes pas une telle déclaration qui va rendre plus sereines les relations économiques, culturelles et de bon voisinage entre les deux pays», écrivait un représentant de cette communauté, connu pour son animosité viscérale envers les Algériens.
Dans son mémoire remis au président français, en janvier 2021, Benjamin Stora préconise l’institution d’un «Traité mémoire et vérité» entre l’Algérie et la France. L’historien natif de Constantine appelle à «regarder et lire toute l’histoire pour refuser la mémoire hémiplégique», en suggérant qu’«un rapprochement entre la France et l’Algérie passe par une connaissance plus grande de ce que fut l’entreprise coloniale».
Benjamin Stora se dit convaincu que «par la multiplication des gestes politiques et symboliques, on pourra s’éloigner d’une mémoire devenue enfermement dans un passé, où se rejouent en permanence les conflits d’autrefois». «A l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contrefeux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées», préconise-t-il.
«Soixante ans après, observe l’auteur de L’arrivée, l’histoire est encore un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au terme d’un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d’oublis». «C’est un exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la Guerre d’Algérie car, longtemps après avoir été figée dans les eaux glacées de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles», annote-t-il.
De son côté, Le Monde soulignait, dans un long article consacré à ce sujet polémique, intitulé «France-Algérie : l’espoir prudent d’un apaisement des mémoires», le quotidien de gauche reconnaissait, lui aussi, que «l’affaire est un champ de mines» et que Macron «avance par petits pas et menus gestes» car «il le sait pertinemment». Le journal français rappelait que le successeur de François Hollande «confère au défi mémoriel de la Guerre d’Algérie […] à peu près le même statut que la shoah pour Chirac en 1995, selon ses propres mots, prononcés en janvier au retour d’un voyage à Jérusalem».
«Jusqu’où les deux capitales pourront-elles aller ? Une entente est-elle possible sur toutes [les] plaies mal cicatrisées, source de crispations mémorielles récurrentes ?» s’interrogeait Le Monde.
Une interrogation qui demeure d’actualité, d’autant qu’à ce jour, le coprésident algérien de la commission, Abdelmadjid Chikhi, n’a remis aucun rapport au président Tebboune, estimant que le document élaboré par son homologue français était une «affaire franco-française».
La femme algérienne, le soldat inconnu, un nouvel ouvrage sur le rôle majeur de la femme dans la résistance et la lutte contre le colonisateur français.
Un nouvel ouvrage La femme algérienne, le soldat inconnu, publication récente du Centre national de documentation, de presse, d’images et d’information (CNDPI), met en lumière le rôle majeur de la femme algérienne à travers l’histoire, notamment dans la résistance et la lutte contre le colonisateur français.
A travers des images d’archives et des textes, le livre retrace la lutte de la femme algérienne à travers l’histoire, notamment contre le colonisateur français, mettant en exergue son rôle primordial dans la préservation des traditions et coutumes ainsi que de l’identité nationale musulmane.
L’ouvrage évoque principalement le rôle pionnier des femmes algériennes dans la résistance face au colonialisme français durant la guerre de Libération, devenues symbole de la femme libre et fière. Ces moudjahidate, fidaiyate, moussabilat et militantes qui ont fait entendre leur voix au monde entier s’érigeant en modèle pour toutes les femmes du monde.
Le livre s’intéresse également à la participation de la femme combattante aux côtés de l’homme à la lutte contre le colonisateur, son apport et sa contribution à la guerre de Libération nationale, notamment à travers la collecte de fonds et d’informations, l’assistance des malades et des blessés de guerre, la participation à la lutte armée et sa résistance dans les geôles et prisons coloniales face à toutes formes de torture et aux sévices endurés.
Djamila Boupacha, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Djamila Bouaza, Meriem Bouatoura pour ne citer que celles-ci parmi les héroïnes de notre patrie connues pour leur parcours militant exceptionnel en Algérie comme à l’étranger et leur exploit inégalé qui restera gravé en lettre d’or dans la mémoire collective de la nation.
Le livre, qui renferme des biographies express de ces héroïnes, accompagnées de leurs photos et témoignages, revient sur les sacrifices de combattantes étrangères d’origine européenne qui ont voué leur vie à la cause algérienne, à l’image de Jacqueline Guerroudj et Annie Steiner.
Il s’agit, en fait, d’un document historique vivant sur lequel l’on peut se référer dans l’écriture de l’histoire de l’Algérie, d’autant plus que la majorité des femmes combattantes n’avaient pas eu l’occasion de livrer leurs témoignages. Ce livre se veut un hommage à ces femmes et une reconnaissance à leur juste valeur.
L’ouvrage met en lumière ces Algériennes qui ont consacré leur vie à préserver l’identité nationale et à perpétuer les valeurs et les traditions des Algériens, ces Algériennes qui ont su maintenir vivace le sentiment d’appartenance à la patrie et le transmettre aux autres générations.
La femme algérienne, le soldat inconnu, cette publication de 159 pages, a été réalisée à partir d’une collection de documents et de photos en noir et blanc, extraits des archives du Centre national de documentation, de presse, d’images et d’information, à l’occasion du soixantième anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale.
Entre 1958 et 1962, le GPRA et l’UGTA créent des « maisons d’enfants » en Tunisie et au Maroc pour accueillir des enfants algériens réfugiés, souvent orphelins ou séparés de leur famille en raison de la guerre. Dans le mouvement nationaliste algérien, l’initiative vise à la fois à améliorer les conditions de vie des enfants et à former une nouvelle génération, éduquée et responsable, pour la future nation algérienne.
En 1961, quand est publiée une petite brochure sous le titre de Printemps aux frontières, la guerre continue en Algérie, mais des espoirs naissent aux frontières. Ravivant l’expression de « printemps des peuples » et la symbolique de la renaissance, le texte fait la part belle à une réalisation humanitaire et pédagogique en Tunisie et au Maroc : des « maisons d’enfants » — il en existait également en Libye, mais on en sait encore peu de choses faute de documents —, dans lesquelles sont placés des enfants algériens réfugiés, le plus souvent orphelins, dans tous les cas séparés de leur famille. À la veille de l’indépendance, on en compte une dizaine, dans lesquelles plus d’un millier d’enfants a grandi et été éduqué en quelques années.
Si elles ont pour but d’éloigner certains enfants de la misère des conditions matérielles des regroupements de réfugiés, ces maisons sont également dédiées à leur éducation et plus profondément à la construction de petits citoyens pour préparer l’Algérie libre et indépendante, participant de la sortie de guerre. Si l’histoire des réfugiés commence à être mieux documentée1, celle des maisons d’enfants reste largement méconnue. Entreprise de secours et d’éducation, cette expérience fait partie intégrante du projet nationaliste algérien, mené depuis l’hinterland des pays frontaliers. Elle débute en septembre 1958, quand s’ouvre la première d’entre elles, en Tunisie, sous l’égide du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fraîchement constitué et surtout de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), jeune organisation syndicale lancée par le FLN en 1956, et s’achève en 1962 avec le rapatriement des réfugiés, non sans trouver certains prolongements dans l’Algérie indépendante.
Il est temps de restituer le paysage de ces maisons d’enfants, de les inscrire dans une généalogie, et d’en scruter les ressorts pédagogiques et politiques. S’y intéresser engage également à redonner place à ceux et celles qui les ont peuplés pendant quelques années : à la fois les enfants et adolescents eux-mêmes et les adultes qui les ont accompagnés dans cette expérience juvénile. Ces professionnel·les et humanitaires semblent en effet souvent réduit·es au silence par un afflux mémoriel héroïque, écrasé·es par certaines figures ou par la présence d’Européens, donnant l’impression que la majorité des acteurs algériens sont en fait absents de leur propre histoire.
DES ENFANTS DANS UNE « TROUPE DE FANTÔMES »
La guerre en Algérie engendre d’importants déplacements de population qui s’accélèrent à partir de 1956, quand se déploie la politique française répressive de « pacification » et que le Maroc et la Tunisie acquièrent leur indépendance. En décembre 1958, d’après un rapport du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies, le nombre des réfugiés dans les deux pays se serait établi à 180 000 ; à la fin de la guerre, on estimera que la population de réfugiés algériens s’élève globalement à 300 000. Ces chiffres et le retentissement du bombardement de Sakhiet Sidi Youssef contribueront à faire sortir le HCR de la gestion de populations jusque-là exclusivement européennes et à réajuster le statut international des réfugiés. Le phénomène est en effet si massif qu’il soulève un élan de soutien humanitaire international et que l’agence onusienne ouvre la voie aux organisations humanitaires, notamment au Croissant rouge algérien, fondé en 1957.
Les tableaux de la situation recensent une population composée de vieillards, de femmes et surtout d’enfants, le plus souvent jeunes. Dans la masse des réfugiés aux frontières, le sort des enfants constitue un problème en soi. Ils vivent et grandissent au cœur de cette « troupe de fantômes » ainsi que les désigne une brochure de 1961 du Croissant rouge algérien, en haillons, logeant dans des gourbis ou abris de fortune, parfois dans la terre même, ou s’entassant dans des camps. La photographie joue un grand rôle pour interpeller l’opinion publique internationale, particulièrement sous l’objectif de Mohamed Kouaci, alternant gros plans et portraits de groupes d’enfants pour mettre en relief leur sort et leur nombre. Le Croissant rouge prend en charge les soins et plus largement le travail auprès des réfugiés tandis que les organisations humanitaires internationales sont cantonnées au-delà des frontières.
Enfants des frontières, Tunisie (non daté)
Archives SCI (61 101.2)
Peu ou prou, des soins s’organisent, de même que des pratiques scolaires se mettent en place dans les camps, sous la forme de cours de fortune, tandis que certains enfants sont envoyés dans des écoles au Maroc et en Tunisie. C’est dans le but d’éloigner certains enfants des zones de réfugiés et de mettre en place éducation et réadaptation dans un milieu jugé plus sain pour assurer leur développement normal qu’est conçu le projet de maisons d’enfants. La prise en charge vise les enfants livrés à eux-mêmes, notamment ceux arrivés sans famille aux frontières, considérés parfois comme oisifs et menaçants parce qu’ils errent en bandes dans les camps, éveillés dans un univers de violence qui aurait mis fin à leurs jeux d’enfants. Les maisons d’enfants font désormais partie du programme social et éducatif mis en place dans le cadre de la lutte pour l’indépendance algérienne, portées plus concrètement par l’UGTA.
S’ÉLOIGNER DE LA GUERRE
La première maison d’enfants est ouverte en Tunisie, en septembre 1958, dans la ville côtière de La Marsa, près de Tunis, dans une maison mise à disposition par un résident algérien. Il s’agit de la villa Ramsès, vaste bâtisse avec un étage, entourée d’un jardin. En mars 1959, une seconde maison ouvre en Tunisie, toujours à La Marsa, dans une villa de bord de mer, la villa Sourour, destinée à une centaine de jeunes garçons âgés de 5 à 12 ans. Peu de temps après, une troisième est ouverte, dans un secteur proche, mais cette fois un peu hors de La Marsa et au milieu des champs. Ce sera la maison d’enfants Yasmina, destinée également à des garçons âgés de 8 à 14 ans. Elle est sans doute la plus connue des maisons d’enfants, parce qu’elle a fait l’objet d’un récit aux allures de poème pédagogique par celui qui l’a dirigée, l’éducateur algérien Abderrahmane Naceur2.
Au Maroc, la première maison est ouverte en janvier 1959 dans un immeuble de la médina de Casablanca, pour une soixantaine de garçons de 6 à 10 ans, avant qu’une seconde ouvre ses portes à la fin du même mois, la maison d’enfants Souk-El-Jemaa, à Khémisset, dans la campagne, à vingt kilomètres de Rabat, dans une ancienne villa caïdale désaffectée qui avait servi de prison au FLN, pour un peu moins d’une centaine de garçons de 9 à 14 ans.
Garçons de la maison d’enfants de Khémisset lors de la récréation, 1961.
Archives Jacques Gauneau
Ce premier contingent est placé sous la tutelle de l’UGTA, qui obtient le concours de diverses organisations : Union marocaine du travail (UMT), Comités d’aide aux enfants réfugiés algériens, organisations humanitaires plus aguerries qui trouvent dans le secours aux enfants un espace d’intervention dépolitisé, y compris en dérogeant à leur cœur d’activités, telles Oxfam, le Service civil international (SCI), le Rädda Barnen, l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO). Ces maisons sont toutes faites d’un seul tenant, d’où leur appellation, et toujours doivent être reconfigurées et réparées, souvent avec l’aide de volontaires internationaux pour y bâtir un réfectoire, installer des baraques pour la classe, aménager des dortoirs… Mais ces contingences matérielles, les conditions précaires de l’installation et plus largement le manque de subsides sont transformés en outils pédagogiques, forgeant un esprit communautaire. À partir de 1960, d’autres maisons sont même ouvertes, à Douar-Chott et Sidi-Bou-Saïd en Tunisie, ainsi qu’à Rabat et Ifrane au Maroc. Celles qui abritent des enfants d’âge scolaire passent alors sous le contrôle du Croissant rouge algérien. L’une des grandes nouveautés à ce moment-là est l’ouverture de maisons pour filles, d’abord au Maroc, à Aïn-es-Sebaa, quartier périphérique de Casablanca où la maison d’enfants Dar Djamila accueille très rapidement près de 80 fillettes de 6 à 12 ans, recueillies dans la zone de réfugiés à la frontière. Une maison du même type est ouverte à peu près à la même période en Tunisie, à Sidi-Bou-Saïd, sur une colline près de La Marsa.
Si la recherche de maisons est parfois compliquée, leur topographie garantit l’éloignement des frontières et contraste avec la situation vécue au sein des camps de réfugiés. Les enfants peuvent s’ébattre, jouer en plein air, parfois atteindre la mer et la plage, renforçant l’idée que cet espace éducatif est également pensé pour offrir un autre cadre de vie : sain, éloigné de la guerre ainsi que de la promiscuité des camps. Dans les récits d’enfants, à la fois des témoignages et des dessins qui constituent des sources majeures pour saisir la perception sensible de ces moments, s’exprime ainsi la force de la vie collective, la liberté des activités de plein air et des jeux de groupe, le quotidien d’une vie ritualisée loin du front. La « cantine » est ainsi un lieu souvent évoqué, parce qu’« on y mange bien ». L’instruction et la classe sont également des temps importants pour garçons et filles, d’autant que beaucoup sont considérés comme analphabètes quand ils arrivent.
Ces enfants semblent exprimer un sentiment de privilège au regard de ceux qui sont restés dans les camps de réfugiés. Leur placement s’est fait du reste au prix d’un dilemme humanitaire, puisque des milliers d’enfants restent cantonnés aux zones des frontières. Ils sont en fait souvent sélectionnés, notamment par les services sociaux mis en place par le GPRA, quand ils ne sont pas simplement emmenés par les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) elle-même, qui fait office de convoyeuse et de protectrice, récupérés par exemple parce qu’ils étaient exploités aux frontières comme bergers ou domestiques. Le plus souvent, ils sont placés selon des critères tenant à leur « abandon moral », à leur situation familiale, à savoir l’absence de proches à leurs côtés. Certains sont néanmoins envoyés par leur propre famille, pour les protéger, parce que leur père est engagé dans les rangs de l’ALN.
DESSINER L’ALGÉRIE DE DEMAIN
Le premier travail est d’opérer une déprise de la guerre et de la violence : rompre avec le militarisme et l’encasernement, ne pas ressembler à un orphelinat ni à une maison de correction, d’autant que les sinistres souvenirs de la répressive maison de redressement de Birkadem ou de la Cité départementale de l’enfance, orphelinat algérois hors d’âge, sont encore vifs. Les premiers moniteurs chargés de l’encadrement, parfois d’anciens de l’armée française dont certains avaient fait la guerre d’Indochine, sont progressivement remplacés. En 1958, Abderrahmane Naceur est appelé pour prendre la direction de la maison d’enfants de la villa Ramsès. À 24 ans, cet Algérois de la Casbah a derrière lui tout un parcours éducatif, d’abord chez les scouts, puis à la Cité départementale de l’enfance et enfin à l’école d’éducateurs spécialisés d’Épinay-sur-Seine, où il a obtenu son diplôme avant de rejoindre la Tunisie en 1957. Mustapha Hemmam, qui sera directeur de la maison d’enfants de Douar-Chott, a connu une trajectoire similaire. Issu des milieux populaires d’Alger, il est passé par les Francs et Franches Camarades3, puis par ce réseau est recruté comme moniteur à l’aérium de la Croix-Rouge française à Chréa, avant de partir se former à l’école d’Épinay-sur-Seine. D’une manière générale, les moniteurs d’encadrement sont recrutés parmi les réfugiés algériens et reçoivent une formation pédagogique de deux semaines dans les centres de formation du Maroc et de Tunisie, tandis que le corps des instituteurs et institutrices est composé d’Algériens et d’Européens, aidés de jardinières d’enfants venues de France, de Belgique et de Suisse.
Face aux jeunes, dont beaucoup s’imaginent au départ apprendre à faire la guerre alors que d’autres s’avèrent traumatisés par l’expérience de la violence et de l’exil, toute une éducation par la confiance et la responsabilisation s’élabore, non sans difficulté. La classe se tient la journée, à l’exception du jeudi et du dimanche, en arabe et en français. Très rapidement, les méthodes « actives » y tiennent une place majeure, pour les garçons comme pour les filles, selon la méthode Freinet. Les jeunes font de la peinture sur verre, travaillent le plâtre, fabriquent un théâtre de marionnettes, jardinent, pratiquent le sport… Une imprimerie fait son arrivée et les jeunes fabriquent leur propre journal ; à la maison d’enfants Yasmina à La Marsa, ce sera L’enfant algérien, à celle de Douar Chott ce sera Premiers pas, Entre-nous puis L’Olivaie. La production de dessins, mise en évidence dans des productions militantes4, de même que celle de journaux scolaires, atteste que le dessin est une pratique largement employée dans les maisons d’enfants, au Maroc comme en Tunisie. Elle sert notamment à l’expurgation des souvenirs de guerre, avant que les enfants et adolescents ne s’ouvrent à d’autres horizons.
Responsable de maison tenant sa réunion hebdomadaire avec les chefs de groupe, maison d’enfants Aïssat Idir (non daté)
Archives Jacques Gauneau
À Khémisset comme à la maison Yasmin
a, le devenir de l’Algérie se joue également sur le plan éducatif, par un apprentissage en actes de la démocratie. À l’instar de ce que l’on a pu observer à la fin de la seconde guerre mondiale5, des « républiques d’enfants » sont instituées au sein de ces maisons. À Yasmina, elle serait même née de la volonté des jeunes eux-mêmes, d’un désir ordre plus juste, d’une organisation plus stable et d’une autorégulation jouant sur la responsabilité, l’un d’entre eux l’exprimant ainsi : « Voilà, explique Sangala. On veut une république, c’est-à-dire, on veut diriger la Maison. Il y aura des chefs qui commanderont. Et le travail marchera bien. »6 Des ministères sont constitués : habillement, information, ravitaillement, hygiène et travail, une rotation des tâches en responsabilité est instituée, de même que des assemblées, également un tribunal tenu par les enfants eux-mêmes pour juger des camarades, notamment les vols de cigarettes et jets de mégots, car l’Algérie nouvelle doit être saine et morale.
Premiers pas, journal des élèves de CP de la maison de Douar-Chott, mai 1961.
Archives Jacques Gauneau
Ce dessin de mai 1961 rend compte du départ des ministres algériens pour la première conférence d’Évian. L’objectif d’un État en gestation, vers la construction d’hommes nouveaux et productifs, se voit aussi dans les ateliers de mécanique et d’agriculture de la maison d’Aïssat Idir à la Marsa, comme dans ceux de la maison de Khémisset, qui traduisent la fierté de la mise au travail des jeunes et l’idéal de modernité devant structurer l’Algérie à venir. Au fil de l’année 1960, certaines maisons sont également rebaptisées de noms de héros et martyrs : Djamila Bouhired, dans deux maisons d’enfants, en Tunisie et en Libye ; Ben M’Hidi, assassiné à Alger en 1957, en passant par Aïssat Idir, fondateur de l’UGTA, mort en 1959… Le 1er novembre est commémoré et la maison Yasmina aura les honneurs de la visite de Ferhat Abbas et des membres du GPRA à cette occasion. De nouvelles solidarités internationales sont tissées à l’heure de la Guerre froide et de la décolonisation, dont les enfants eux-mêmes sont les acteurs, qui partent ainsi en colonies de vacances en Allemagne de l’Est ou en Tchécoslovaquie.
Mais alors que la fin de la guerre approche et que la frontière est mouvante, de nombreux combattants se trouvant repliés, il semble bien difficile de soustraire complètement les adolescents à la guerre. Beaucoup ne rêvent que d’approcher les combattants de l’ALN. Et puis, des maisons sont plus proches du front, quand Abderrahmane Naceur se voit contraint de mener ses plus grands à Thala, pour fonder La Source, dont l’effectif est également constitué de garçons du bataillon de cadets de Ghardimaou.
En 1962, les maisons sont fermées, les enfants ramenés à la frontière, rapatriés en Algérie. L’enfance devient une cause nationale et de nouvelles maisons sont édifiées sur son sol, destinées aux orphelins de combattants.
Illustration : Maison d’enfants de Sidi-Bou-Saïd, 1960-1961. Archives du Service civil international (SCI).
Chef d’état-major du général Massu à Alger, le colonel Argoud, théoricien de la guerre dite psychologique et de l’usage de la torture puis dirigeant de l’OAS, pensait que les peuples colonisés ne méritaient pas la justice et ses normes « civilisées ». Son fils magistrat Jean-Marie, grand défenseur des idées de son père, vient d’être récusé par la Cour nationale du droit d’asile.
JÉRÉMY RUBENSTEIN
Le colonel Antoine Argoud en 1983
Jean-Claude Delmas/AFP
Fait rare, un magistrat de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a été récusé en octobre 2023 par ses pairs. Ceux-ci ont estimé que ses « prises de position […] sont de nature à créer un doute sérieux sur son impartialité en tant que juge de l’asile ». Cette procédure faisait suite à des demandes de plusieurs avocats contre le juge. La décision du tribunal en leur faveur est tombée quelques jours après que les sites d’information Les Jours puis Médiapart rendent compte des griefs des avocats contre le magistrat et ses affichages à « connotation islamophobe, homophobe, anti-immigration et pro-Algérie française ». Le juge en question s’appelle Jean-Marie Argoud.
Ce nom ouvre une porte spatio-temporelle, tant il résonne avec la guerre d’Algérie, les crimes de l’armée française et de l’OAS. En effet, Antoine Argoud (1914-2004) était un célèbre colonel puis un haut dirigeant de l’organisation d’extrême droite surtout connu pour ses méthodes particulièrement répugnantes, comprenant des exécutions sommaires et l’exposition de cadavres sur la place publique. Le juge Jean-Marie Argoud est le fils du colonel.
Il n’est ici, bien sûr, pas question de faire porter les crimes du père sur les épaules du fils. Ce n’est pas la filiation biologique, mais intellectuelle qui est en cause. En l’occurrence, la conception qu’avait Antoine Argoud de la justice, largement exposée dans son ouvrage principal1, et le fait que son fils — se réclamant de la pensée de son père — soit magistrat ne peut qu’interroger.
LE COLONEL ARGOUD, SPÉCIALISTE DE LA GUERRE PSYCHOLOGIQUE
Antoine Argoud fut un théoricien de la guerre psychologique. Dès 1948, il donne des conférences sur la question à l’École supérieure de guerre (ESG). En poste en Algérie à partir de 1956, le colonel n’aura de cesse d’appliquer ou de tester les méthodes théorisées auparavant, dans son secteur puis en tant que chef d’état-major du général Massu (1908-2002) à Alger. Celles-ci sont souvent assez déroutantes, dans la mesure où elles peuvent mener à des actions apparemment très pacifistes ou, tout au contraire, d’une violence extrême. Le but étant de rallier les populations civiles par la séduction ou la terreur.
Côté « séduction », le colonel Argoud inspira une expérience originale durant la guerre d’Algérie : les « commandos noirs »2. Ces unités nomades avaient la particularité d’être dirigées par un officier souvent non armé et étaient composées d’hommes proposant des services bénévoles à la population locale. L’expérience eut lieu dans le secteur dirigé par le général Jacques Pâris de Bollardière (1907-1986), célèbre pour avoir refusé l’emploi de la torture. Elle fut l’objet d’un rapport dithyrambique du directeur de la Sûreté nationale, faisant état de la presque disparition des violences adverses. Les commandos noirs furent aussi mis à l’honneur au défilé militaire du 11 novembre 1956. Pourtant, quelques mois plus tard, alors que s’abat la terrible répression sur la ville d’Alger, le général de Bollardière est mis aux fers et les commandos noirs sont un lointain souvenir recouvert par les cris des milliers de suppliciés par les parachutistes.
Pour sa part, loin de revendiquer un quelconque rôle dans la conception des pacifistes commandos noirs, Argoud dénigre l’expérience car, écrit-il,
espérer que les musulmans […] vont accepter de dialoguer avec les représentants de l’Armée du salut, lorsqu’ils voient rentrer au village des terroristes graciés par la justice légale […] c’est à la fois poignant et grotesque.
En somme, les « musulmans » ne comprennent que la force. Si bien que pour les tenir, plutôt que la séduction, Argoud opte pour la terreur.
LA TORTURE, « ACTE DE JUSTICE » SELON ARGOUD
Ainsi fustige-t-il le rejet de la torture par de Bollardière dont la « conscience serait peut-être en repos » mais au prix « de milliers de victimes [qui] paieraient de leur vie son utopie ». Il convoque là une béquille morale habituelle des tortionnaires : il faudrait faire le « sale boulot » afin d’éviter des « morts d’innocents ». Dans ce renversement des valeurs, refuser l’acte ignoble devient immoral. Et si Argoud prétend ne vouloir « en aucune manière faire l’apologie de la torture », il explique la ligne suivante qu’elle « peut devenir un acte de justice, dans la mesure où elle frappe des coupables ». Des coupables dont la culpabilité aura été « prouvée » par… la torture. Il s’agit du raisonnement circulaire classique de tous les apologistes de la torture. Elle ne frapperait pas les « innocents », à la différence des bombardements auxquels Argoud ne se prive pas de la comparer. Comme si culpabilité et innocence pouvaient se décréter avant que la justice se prononce et comme si la salle de torture était un champ de bataille opposant deux combattants — argument fallacieux largement développé par le colonel Roger Trinquier3.
Ainsi se dessine une partie de la conception de la justice selon Argoud. Elle apparaît comme un fil rouge, dont il dit qu’elle est un « problème capital », son « souci numéro un » et « la clef de voûte de la pacification ».
Pourtant, loin de penser l’objet de la justice dans son extrême complexité, Antoine Argoud la conçoit sous le seul prisme de la sanction exemplaire, dont l’objectif est d’obtenir des effets psychologiques sur la population « musulmane » que, par ailleurs, il essentialise et dénigre. Autrement dit, il s’agit de terroriser la population par une instrumentalisation brutale de la « justice ».
LA « JUSTICE », ARME PSYCHOLOGIQUE
Voilà comment Argoud conçoit la « justice » :
Les sanctions sont affaire de justice. La justice constitue l’affaire sociale par excellence. Les musulmans nous jugeront essentiellement sur la manière dont nous la rendrons. Ils ne rallieront notre camp que si elle répond à leur respect, à leur soif d’autorité. Cette justice devra donc être simple, rapide, d’une fermeté exemplaire et publique.
Cette conception se traduisait par des crimes que le colonel explicite ainsi :
Je procédais à des exécutions capitales. Je les faisais publiques, précisément pour obtenir le maximum de rentabilité de la mort d’un homme, contrairement à beaucoup de mes camarades. Si vous voulez, un homme exécuté publiquement chez les Arabes a autant d’efficacité que dix hommes exécutés dans la clandestinité ou derrière les murs d’une prison. Non content de les exécuter publiquement, je laissais leurs cadavres exposés sur la place publique4.
Argoud n’était certainement pas un fou sanguinaire à l’intérieur d’une institution qui serait, elle, restée « saine ». Polytechnicien, il a poursuivi une brillante carrière, devenant l’un des plus jeunes colonels de l’armée française. Et si sa carrière s’est brisée, cela n’a pas été du fait de ses méthodes, mais pour son engagement dans l’organisation des ultras de l’Algérie française, l’Organisation Armée secrète (OAS) responsable d’attentats ayant causé environ 2 000 morts entre 1961 et 19625. Il faut comprendre ses méthodes ultra-violentes ou de surexposition de la violence pour terroriser la population comme une application cohérente de sa théorie de la guerre psychologique. Il les applique d’abord comme officier de l’armée française, puis comme dirigeant d’une organisation subversive qui utilise rationnellement le terrorisme. L’exécution publique et l’exposition des cadavres escomptent un effet psychologique auparavant théorisé.
LE RACISME COLONIAL EN SUBSTANCE
Sa conception de la justice s’inscrit par ailleurs dans une tradition raciste du droit colonial. Centrée sur l’exemplarité de la peine et l’immédiateté de son exécution, elle repose sur l’idée que les peuples colonisés ne sont pas en mesure de saisir les subtilités de la justice, sa « lenteur désespérante » et sa « complexité byzantine », selon ses termes. Ces complexités sont, à la rigueur, valables pour les peuples civilisés (la métropole), certainement pas pour les colonisés. Jules Ferry l’expliquait déjà : « Le régime représentatif, la séparation des pouvoirs, la Déclaration des droits de l’homme et les constitutions sont là-bas des formules vides de sens. On y méprise le maître qui se laisse discuter »6. Un siècle plus tard, Argoud n’a guère renouvelé ce discours raciste lorsqu’il écrit : « Ils respectent viscéralement l’autorité, la force. Or la force à l’état pur est la force injuste. S’ils feignent de s’insurger contre l’injustice, c’est que, connaissant notre éthique occidentale, ils espèrent en obtenir réparation ». Les Arabes ne respectent que l’autorité, pas la justice, et s’ils se réclament de cette dernière c’est par pure fourberie.
LE FILS PORTE-ÉTENDARD DU PÈRE
Voir une injonction paternelle dans la seconde carrière de Jean-Marie Argoud 7 relèverait de la psychologie de comptoir. En revanche, il convient de remarquer que les analyses de son père mènent logiquement à considérer la magistrature comme un espace stratégique à occuper. Dans cette perspective, atteindre la CNDA, lieu hautement sensible pour l’extrême droite, peut être considéré comme la conquête d’une forteresse depuis laquelle mener ses combats. Sans surprise, il a été un juge particulièrement rétif à octroyer le droit d’asile, surtout lorsque les demandeurs se trouvaient être des cibles habituelles de l’extrême droite.
Pour finir, le colonel Argoud, si désespéré par les « lenteurs » de la justice et les arguties juridiques « byzantines » en Algérie, se révèlera très pointilleux lorsque la justice s’abattra sur lui. À raison, il n’aura de cesse de dénoncer la procédure peu orthodoxe de son arrestation — il fut séquestré en Allemagne par des agents (des barbouzes) qui le déposèrent à Paris en 1963 où il sera incarcéré. À ce titre, il conviendra d’observer si son fils conteste son limogeage, et si oui, sous quelle argutie judiciaire dont il n’a visiblement pas fait bénéficier les demandeurs d’asile durant son exercice. Sollicité par courrier électronique le 26 octobre, Jean-Marie Argoud n’a à ce jour pas répondu à nos questions.
JÉRÉMY RUBENSTEIN
Journaliste et historien de la contre-insurrection et de la violence politique. Auteur de Terreur et séduction. Une histoire de la doctrine de « guerre révolutionnaire », La Découverte, 2022.
oucement mais sûrement. Quinze mois après sa mise en place, la commission mixte d’historiens, chargée de se pencher, « loin de la politique », sur le dossier mémoriel algéro-français a tenu sa première réunion en « présentiel ».
Très symboliquement sans doute, c’est la ville de Constantine, dans l’Est de l’Algérie, qui a abrité la rencontre mercredi 22 novembre.
En plus d’être la ville d’origine de nombreux rapatriés d’Algérie à l’indépendance, Constantine est aussi la ville natale de Benjamin Stora, l’historien qui dirige le panel désigné côté français et qui compte par ailleurs les historiens Tramor Quemeneur, Jacques Fremeaux, Florence Hudowicz et Jean-Jacques Jordi.
Ces cinq connaisseurs du dossier pour avoir travaillé pendant longtemps sur la période coloniale, ont été nommés par le président Emmanuel Macron en janvier 2023.
Un mois plus tôt, son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune avait choisi de son côté cinq historiens non moins émérites : Mohamed El Korso, Mohamed Lahcen Zighidi, Djamel Yahiaoui, Idir Hachi et Abdelaziz Filali.
La création de la commission mixte a été décidée conjointement par les deux présidents à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie en août 2022, un mois après une audience accordée par Abdelmadjid Tebboune à Benjamin Stora.
L’historien né à Constantine est l’auteur d’un rapport commandé par M. Macron sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Remis en janvier 2021, le rapport contient des propositions d’actions concrètes pour avancer dans cette œuvre de « réconciliation des mémoires ».
C’est ce rapport qui a inspiré la création de la commission mixte. Benjamin Stora avait proposé la création d’une commission « mémoire et vérité » en France chargée d’impulser des actions communes entre les deux pays sur les questions mémorielles, et une autre, composée d’historiens français et algériens avec comme mission de faire la lumière sur les enlèvements d’Oran en juillet 1962.
Emmanuel Mac
Première réunion du panel algéro-français sur la mémoire : la France fait un nouveau geste
ron et Abdelmadjid Tebboune ont affiché une grande volonté d’avancer sur la voie de la réconciliation mémorielle entre l’Algérie et la France. Des pas ont été faits de part et d’autre mais, régulièrement, cette même question de la mémoire est venue brouiller l’entente entre les deux pays. A plusieurs reprises, le président Tebboune a mis en cause l’action de « lobbies » en France qui ne voient pas d’un bon œil le rapprochement entre les deux pays.
En août 2022, les deux chefs d’Etat se sont mis d’accord pour extirper le dossier à la politique et le mettre entre les mains des historiens.
Sa mission est de « regarder l’ensemble de cette période historique, qui est déterminante pour nous, du début de la colonisation à la guerre de libération, sans tabou, avec une volonté de travail libre, historique, d’accès complet à nos archives », avait déclaré Emmanuel Macron au premier jour de sa visite en Algérie le 25 août 2022.
La commission s’est réunie une première fois en avril dernier en visioconférence, mais c’était plus une prise de contact qu’autre chose. La première véritable séance, en présence des dix historiens, a eu lieu mercredi 22 novembre à Constantine. Il s’agit de la première rencontre d’une longue série puisque le panel se réunira désormais tous les deux mois, alternativement en Algérie et en France.
Le rencontre de mercredi a duré toute la journée et les deux parties ont sensiblement avancé sur de nombreux aspects, apprend-on de source proche du dossier.
Les deux parties ont décidé d’intensifier le travail académique, avec des échanges d’universitaires. Dans ce cadre, une quinzaine d’historiens algériens et autant de leurs homologues français se rendront prochainement dans les deux pays respectifs.
Les avancées les plus significatives concernent le volet archives, selon notre source. Outre la numérisation et l’ouverture d’un portail permettant l’accès aux archives des premières décennies de la colonisation, il a été convenu de la restitution de deux millions de documents « numérisés » à l’Algérie ainsi que des « rouleaux » de documents de la période ottomane, deux crânes de résistants algériens et des objets ayant appartenu à l’Emir Abdelkader.
C’est la première fois que le groupe de dix scientifiques, coprésidé par Benjamin Stora et Mohamed Lahcen Zighidi, va se rencontrer en Algérie, quinze mois après sa création.
Archive du 19 mars 1962 annonçant le cessez-le-feu en Algérie ouvrant la voie aux accords d’Evian qui mettront fin à la guerre d’Algérie et à la colonisation française. - / AFP
Une commission d’historiens français et algériens mise sur place pour travailler sur la colonisation française et la guerre doit se réunir, mercredi 22 novembre, à Constantine, en Algérie, pour la première fois depuis sa création en août 2022, selon une source proche du dossier.
La mise en place de cette instance de dix membres avait été annoncée à Alger par les présidents français Emmanuel Macron et algérien Abdelmadjid Tebboune. L’idée est d’aborder le sujet « sans tabou, avec une volonté (…) d’accès complet à nos archives », avait alors souligné le dirigeant français. Il s’agit pour les deux pays de « regarder ensemble cette période historique » du début de la colonisation française (1830) jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance (1962).
Politique d’apaisement
La commission s’était réunie une première fois en avril par visioconférence, puis à Paris en juin. Elle rassemble cinq historiens français : Benjamin Stora, également coprésident de la commission ; Florence Hudowitz, conservatrice au MuCEM ; le professeur des universités Jacques Frémeaux ainsi que les historiens et enseignants universitaires Jean-Jacques Jordi et Tramor Quemeneur.
Côté algérien, l’instance est coprésidée par l’historien Mohamed Lahcen Zighidi, rejoint depuis novembre 2022 par les historiens Mohamed El-Korso, Idir Hachi, Abdelaziz Fillali et Djamel Yahiaoui pour faire partie de cette commission.
Sa mise en place s’inscrit dans la politique d’apaisement voulue par Emmanuel Macron durant son premier quinquennat, après les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur le conflit mémoriel entre l’Algérie et la France sur le passé colonial. Mais la relation entre les deux pays reste difficile et empreinte de malentendus et de non-dits.
La relation entre la France et l’Algérie reste difficile et empreinte de malentendus et de non-dits.
A titre d’exemple en ce qui concerne les non-dits en voici un :
La relation entre la France
A titre d’exemple en ce qui concerne les non-dits en voici un :
La petite de Ferruch : le roman d'un magistrat
français évoque les viols pendant la guerre
d'Algérie
Longtemps ignorés ou occultés des histoires de la guerre, les viols sont un sujet tabou dont on parle si peu. Pourtant, pendant la guerre de libération algérienne, des témoignages écrits ou oraux d’anciens acteurs de cet épisode de l'histoire de l'Algérie évoquent ces mauvais traitements. Des viols ignorés par les autorités françaises et peu évoqués par les Algériens.
Ainsi, la question des agressions et tortures sexuelles commises de manière quasi systématique par certains soldats français demeure l’angle mort des recherches historiques dans les deux pays. Cependant, certaines femmes ont osé témoigner des sévices qu'elles ont subis pendant cette guerre où les Français n'ont pas hésité à utiliser tous les moyens pour briser la résistance des Algériens.
Louisette Ighilahriz est l'une de ces femmes qui ont brisé le silence sur cette question. « J’étais allongée nue, toujours nue […] Dès que j’entendais le bruit de leurs bottes, je me mettais à trembler […] Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s’habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement. C’est un peu comme si le corps se mettait à flotter », avait-elle raconté. En témoignant, cette femme courageuse s'attendait à briser la loi du silence sur les viols commis par l'armée française. « Il fallait que je partage un fardeau trop lourd pour moi. En mettant les mots sur mes maux, je pensais trouver un apaisement. Je suis juste un peu amère, car je m’attendais à une libération de la parole, elle ne s’est pas produite », avait-elle affirmé.
Longtemps ignorés ou occultés des histoires de la guerre, les viols sont un sujet tabou dont on parle si peu. Pourtant, pendant la guerre de libération algérienne, des témoignages écrits ou oraux d’anciens acteurs de cet épisode de l'histoire de l'Algérie évoquent ces mauvais traitements. Des viols ignorés par les autorités françaises et peu évoqués par les Algériens.
Ainsi, la question des agressions et tortures sexuelles commises de manière quasi systématique par certains soldats français demeure l’angle mort des recherches historiques dans les deux pays. Cependant, certaines femmes ont osé témoigner des sévices qu'elles ont subis pendant cette guerre où les Français n'ont pas hésité à utiliser tous les moyens pour briser la résistance des Algériens.
Louisette Ighilahriz est l'une de ces femmes qui ont brisé le silence sur cette question. « J’étais allongée nue, toujours nue […] Dès que j’entendais le bruit de leurs bottes, je me mettais à trembler […] Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s’habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement. C’est un peu comme si le corps se mettait à flotter », avait-elle raconté. En témoignant, cette femme courageuse s'attendait à briser la loi du silence sur les viols commis par l'armée française. « Il fallait que je partage un fardeau trop lourd pour moi. En mettant les mots sur mes maux, je pensais trouver un apaisement. Je suis juste un peu amère, car je m’attendais à une libération de la parole, elle ne s’est pas produite », avait-elle affirmé.
Même le rapport de Benjamin Stora ne parle pas de viols
pendant la guerre d'Algérie
Yvon Ollivier, magistrat en poste au tribunal judiciaire de Nantes, est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages. | OUEST FRANCE
63 ans après l'indépendance de l'Algérie, le sujet reste peu évoqué. Certaines Algériennes ont même emporté le lourd secret dans leurs tombes. Le magistrat nantais de 56 ans Yvon Ollivier a évoqué cette question dans son nouveau roman qui porte le titre La Petite de Ferruch. Un ouvrage dans lequel ce magistrat parle des agressions sexuelles commises pendant la guerre d’Algérie et de la maltraitance des enfants. Le roman s'articule sur la quête d'un homme qui cherche à comprendre d’où il vient. Yvon Ollivier explore dans son nouveau roman La Petite de Ferruch, publié aux éditions Complicités, certains mécanismes humains complexes et étonnants.
Il revient dans les colonnes du journal Sud-Ouest sur ce roman, mais surtout sur la question des viols pendant la colonisation française, notamment pendant la Révolution algérienne. « On a du mal à penser le viol par les militaires. C’est arrivé pendant la guerre d’Algérie, évidemment. Mais on n’en parle pas. Aucun mot dans le rapport Stora sur la colonisation », affirme le magistrat qui s’intéresse depuis longtemps au concept de déshumanisation ordinaire, « la déshumanisation que l’on ne voit plus en ce qu’elle est conforme au système de pensée », constate l'auteur de La petite de Ferruch. « C'est qu’il est impossible de parler de ces choses-là », considère Yvon Ollivier qui n'a, à aucun moment, utilisé le mot viol dans son roman.
« J’ai collecté soixante six témoignages auprès de l’ensemble des acteurs de ce conflit aussi bien auprès des Algériens que des Français, aussi bien en Algérie qu’en France.
Je voulais saisir ce conflit dans son ensemble. Je voulais ainsi rendre compte de toute la complexité de cette guerre à travers les différentes facettes que sont chacun des acteurs. Mon propos était de vouloir permettre à chacun de ces derniers quelle que soit son appartenance de pouvoir raconter sa « guerre ».
J’ai pu ainsi couvrir la palette d’acteurs que je souhaitais : enfants à l’époque, femmes algériennes, françaises et pieds noirs, Français ayant soutenu le FLN, harkis, insoumis, membres du FLN et de l’ALN, membres du MNA, membres de l’OAS, militaires appelés et de carrière.
En s’appuyant sur les témoignages, on découvre autant de guerres d’Algérie que de tém
oins car le vécu de chacun est unique. Le témoignage nous amène au cœur de la subjectivité puisque c’est une parole « je » qui s’exprime sur un événement.
Au-delà des idées toutes faites, des a-priori sur les engagements des uns et des autres, je découvrais ainsi que chacun avait eu non pas raison mais sa raison d’agir comme il l’avait fait.
Quelque soit l’idéal de chacun, on retrouvait la même sincérité, la même conviction, le même sacrifice, le même courage, le même devoir, la même peur.
A partir de ces témoignages, j’ai réalisé un documentaire de 59’ « Algérie, Facettes d’une guerre (1954-1962) », produit par Les Films d’un Jour. Le DVD est disponible chez le producteur 74 rue du Cardinal Lemoine 75005 Paris Tel : 01 80 89 90 00″
Pour faciliter le choix du témoignage à visionner, je présente en quelques lignes chaque témoin. Il suffit alors de cliquer sur extraits afin de le voir apparaître.
Serge CAREL
Né en 1937. Harki.
De famille « au service de la France », il s’engage comme harki en juillet 1957. Il participe à de nombreuses opérations. Il s’oppose à un de ses capitaines au sujet de la torture et sauve un couple de la mort. Le cessez le feu le surprend. En juillet 1962, il est arrêté et torturé par le FLN. Le fils du couple qu’il a sauvé le sauve à son tour en lui permettant de s’évader. Il se cache chez sa tante et il ne pourra quitter l’Algérie qu’en juin 1964 avec de faux papiers.
Extrait : l’engagement
Pierre LE BARS
Né en 1936. Appelé.
Il est appelé en 1958. Il se marie pendant ses classes. Reçu à l’examen pour être officier, il part pour l’école de formation de Cherchell (juin-décembre 58). A sa sortie, il choisit une affectation comme instructeur à Clermont-Ferrand (décembre 58-septembre 59). La naissance de son fils reculera d’un mois son départ pour l’Algérie où il est affecté comme lieutenant dans un commando de chasse (octobre 59-juin 60) situé dans l’Ouarsenis. La vie est rythmée par les opérations continuelles. Il subira l’épreuve du feu lors de sa première opération. Il est libéré en juin 60 et met quelques mois à récupérer et à se sentir en sécurité.
Extrait : l’épreuve du feu
Dalila Yamina BRAHIMI-SALAH
Née en 1940.
Elle baigne dans un milieu nationaliste et en 1955, après différentes actions, âgée de 15 ans, elle pose une bombe dans un café fréquenté par des militaires français. Elle s’enfuit et gagne le maquis. Elle devient infirmière. Elle va circuler dans différentes willayas dont la une, celle des Aurès où elle va être blessée en 1960. Elle est évacuée en Tunisie. Elle rejoint Le Caire où grâce à une bourse du gouvernement égyptien, elle suit une véritable formation d’infirmières à l’issue de laquelle elle reçoit son diplôme des mains de Nasser. Elle reste au Caire et travaille au ministère des Affaires étrangères algérien. Elle regagne l’Algérie et quitte le ministère pour entrer à la mairie de Maison-Blanche dont elle en devient le maire en 1975.
Extrait : L’hôpital souterrain
Bernard BOUDOURESQUES
Né en 1922. Prêtre. Soutien du FLN.
Polytechnicien, il est ordonné prêtre de la mission de France en 1953 et est engagé au CEA. Très rapidement, par le biais de prêtres de la mission de France en Algérie, il apprend le développement de la torture. Robert Davezies, dont il est proche, lui demande d’héberger un Algérien pour une nuit. Suite à l’arrestation de celui-ci quelques mois plus tard pour une tentative d’assassinat contre Jacques Soustelle, il est lui-même arrêté en octobre 58 par la DST, inculpé d’atteinte à la sécurité extérieure de l’État et association de malfaiteurs puis mis en prison à Fresnes. Il y restera quatre mois et sera mis en liberté provisoire en février 59 puis son dossier sera perdu. Il reprend son travail au CEA et s’occupe jusqu’à l’indépendance des enfants algériens orphelins.
Extrait : l’arrestation
Hilda EL-BEZE-LEVY
Née en 1947. Pied-noir.
La guerre se fait sentir par la mise en place du couvre-feu. le 20 août 1955 est une journée terrible où elle voit des cadavres dans les rues. Pourtant cela ne change pas le rapport avec les Arabes de son village. Son flirt est tué d’un coup de feu juste à côté d’elle. Elle en gardera le silence pendant des années. Elle vit avec beaucoup de peur. Ali, un jeune algérien qu’elle ne voyait plus à l’école, revient quelques mois plus tard dans un camion de l’armée, prisonnier et la mère d’Hilda lui donne à boire et à manger et s’oppose ainsi à l’armée. Elle se souvient avec effroi des colliers d’oreilles rapportés par la Légion. La famille reste jusqu’en septembre 62. Ils rejoignent Marseille puis Besançon où ils prendront racines. L’intégration est difficile y compris avec la communauté juive.
Extraits : le flirt
Yves GEOFFROY
Né en 1943. Pied-noir, membre de l’OAS.
Il n’a que onze ans le 1er novembre 1954. Pour lui, les choses démarrent réellement avec les attentats et la bataille d’Alger. Il participe au 13 mai et à la grande fraternisation. Le discours du général de Gaulle sur l’autodétermination en 1959 détermine son opposition à sa politique. En janvier 1960, il participe aux barricades aux côtés de Lagaillarde. Le putsch d’avril 1961 est une nouvelle opportunité pour lui. Voulant être plus actif dans la lutte, il s’engage dans l’OAS et devient membre des réseaux « Delta ». Il participe à des plasticages au début puis à des « ponctuelles », actions toujours effectuées sur la base de BR (bulletins de renseignements). Il quitte par avion Alger quelques jours avant l’indépendance. Il reprend ses études après son service militaire.
Extraits : l’engagement
Ali AGOUNI
Né en 1934. Membre du MNA.
Il s’engage dans le PPA-MTLD avant le début de la révolution. Le 1er novembre ne le surprend pas, il en est content. Il continue son travail de propagande auprès de la population et son action de recrutement auprès des appelés qui ne veulent pas faire leur service. Il les oriente vers le maquis. Lui-même y conduit un groupe et décide d’y rester. Il se trouve dans un fief FLN où il rencontre Ramdane, Krim et Ouamrane avec lesquels il débat. Il quitte ce maquis avec quelques maquisards tandis que d’autres décident d’y rester. Il montre que les maquis MNA étaient actifs. Il est arrêté en 1958 puis torturé. Il est ensuite incarcéré dans un camp. Il y rencontre le dirigeant de la zone FLN qui avoue ne pas comprendre la lutte MNA/FLN. Il pense que le cessez le feu va permettre des négociations avec le MNA. Il est libéré et quand il voit la teneur de certains écrits contre le MNA, il décide de rejoindre la France pour y continuer le combat. Il est satisfait de l’indépendance tout en regrettant de ne pas pouvoir y participer. Il retourne en Algérie sous Chadli et y retourne maintenant très souvent pour participer à des débats.
Extraits : le maquis
Jacques ALLAIRE
Né en 1925. Militaire de carrière.
Il est libéré des camps vietminh le 2 septembre 54 après avoir défendu Dien Bien Phu. Il rejoint Bayonne comme adjoint à la brigade parachutiste. Il rejoint en février 56 le 3ème RPC de Bigeard dont il loue les qualités. Il évoque les conditions du combat en Algérie en comparaison à l’Indochine. Il participe à la bataille d’Alger en 1957 et arrête plusieurs personnalités dont Ben M’hidi. Il lui fait rendre les honneurs avant de le livrer sur ordre au commandant Aussaresses. Il recherche plus le renseignement par des actions psychologiques. Il est partisan des putschistes mais ne fait qu’une petite action à Blida. Il découvre les lâchetés. Il passe devant le tribunal militaire et s’en sort par une mise aux arrêts. Il est muté en France avec interdiction de servir dans les paras. Il choisit l’ALAT. Il est approché par l’OAS à qui il refuse son soutien car il ne croit plus à ce combat. Il reste cependant partisan de l’Algérie française.
Extraits : Importance de la mobilité
La guerre d’Algérie / guerre de libération, racontée par ceux qui l’ont vécue
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