Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
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Le drame a choqué toute l’Algérie. Le 26 septembre, en Kabylie, Ryma Anane, 28 ans, enseignante de français, a été attaquée par son voisin alors qu’elle s’apprêtait à prendre le bus pour aller à son travail. Il l’a aspergée d’essence et brûlée vive à l’aide d’un briquet.
La nouvelle s’est répandue très vite sur les réseaux sociaux. Selon des sources locales, l’agresseur a fini par se rendre à la police quelques heures après l’attaque. D’après ses aveux, il aurait agi ainsi parce que la jeune femme avait refusé de se marier avec lui et choisi un autre futur époux.
« Son dos et son cou en flammes, Ryma s’empresse d’aller chercher de l’aide. Arrivée chez elle, elle s’effondre, et bredouille quelques mots : ‘’Il a brûlé mon avenir !’’ », rapporte le site d’information TSA.
Après son transfert à l’hôpital de Tizi Ouzou (Kabylie), les médecins ont jugé que son état nécessitait une prise en charge rapide à l’étranger au regard de la gravité des brûlures (60 % de son corps).
Rapidement, la solidarité s’est organisée à travers les réseaux sociaux et une cagnotte a été lancée pour payer les frais d’un transfert en Europe.
« La famille s’est d’abord tournée vers l’hôpital Saint-Louis à Paris, connu pour son expertise des grands brûlés. D’après le devis consulté par France 24, l’hôpital demandait plus de 316 000 euros pour 70 jours d’hospitalisation en réanimation », relate France 24.
Mais l’établissement n’a pas accepté l’échelonnement de la facture. « Qui peut faire ça ? Cela a retardé la prise en charge de Ryma à l’étranger. Et pendant ces quelques jours, elle aurait pu y passer », témoigne toujours sur France 24 un ami de la victime.
Faute d’avoir pu obtenir un visa pour la France, l’entourage de Ryma s’est tourné vers l’Espagne, qui a accepté de lui en délivrer un. Et grâce à une société d’assistance médicale, ADM international, la famille a pu trouver un hôpital à Madrid qui proposait un devis moins onéreux, avec par ailleurs la possibilité de payer par tranches.
Ryma a donc été transférée en Espagne par avion médicalisé grâce aux efforts de ses proches et des nombreux donateurs en Algérie et à l’étranger. Selon les dernières informations, son état se serait stabilisé.
La cellule de veille indépendante Féminicides Algérie relève qu’une jeune femme, mère de quatre enfants, a été assassinée, brûlée vive, par son époux le 16 avril 2022. Depuis le début de l’année, 32 cas de féminicides ont été recensés par les militantes.
Par
MEE
Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
Lorsque la reine commençait à donner des signes inquiétants et que la rumeur annonçait que son fils, Charles, prendrait probablement le titre royal de Charles III, je me suis dit qu’il n’oserait pas. Eh bien oui, il a osé prendre la relève des noms des rois maudits d’Angleterre.
Dans cet avenir incertain qui fait face au Royaume Uni, il est en tout cas une certitude, leur nouveau souverain n’est pas superstitieux et possède ce si célèbre « humour British ».
Les deux grands défis qu’aura à faire face l’après-règne d’Élisabeth II sont justement ceux qu’auront affrontés les deux rois maudits d’Angleterre, Charles I et Charles II. C’est en tout cas ma vision personnelle que je voudrais partager.
Reprenons les choses dans un ordre qui, pas à pas, nous éclairera sur ce sentiment.
L’usage des noms royaux
Ce n’est que l’usage qui détermine le choix des noms des souverains. Dans les dynasties européennes, l’usage veut que ce soit le prénom suivi du chiffre ou nombre qui indique la position de celui-ci dans la liste des mêmes prénoms qui ont été portés par les souverains précédents.
Que Charles, héritier de la reine Elisabeth II, prenne le nom de Charles III était assez logique et attendu par la majorité des chroniqueurs de la couronne. Mais ce n’était pas une obligation.
À ce sujet, il faut rappeler que sa mère, Elisabeth II, avait repris un nom assez téméraire et risqué pour l’union du Royaume Uni. Elisabeth I fut la terrible fille d’Henri VIII, lui-même de réputation encore plus terrifiante dans l’histoire Britannique.
Pour une reine anglaise portant ce nom, Elisabeth, c’est un signe de mourir dans une contrée, l’Ecosse, où celui-ci est de sinistre mémoire. Il fut celui de la reine d’Angleterre qui a fait assassiner la bien aimée reine d’Ecosse, Marie Stuart, cousine d’Elisabeth.
Et lorsqu’on connait les velléités de plus en plus fortes du peuple écossais à obtenir l’indépendance et rejoindre de nouveau l’Europe, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec ce qui attend Charles III.
Les rois maudits d’Angleterre
C’est l’une des erreurs de la mémoire collective sur les faits historiques des plus insistantes. Le peuple qui a coupé la tête au roi pour établir une république (un siècle après) serait le peuple français si on questionnait cette mémoire collective.
Et cette erreur chronique fait immédiatement le parallèle avec les Anglais qui, eux, auraient toujours gardé leur roi. Si cela est vrai dans la longévité de l’histoire, il n’en est rien du point de vue des faits chronologiques. Les Anglais ont décapité leur souverain bien avant que le peuple révolutionnaire français ne l’eût fait.
Charles 1er, roi d’Angleterre en 1625, a déclenché une guerre civile entre ses partisans et ceux du Parlement qui souhaitait une monarchie moins autoritaire et imposer un régime constitutionnel.
Battu, il refuse les demandes, se condamnant ainsi à la décapitation après un procès pour haute trahison. La monarchie fut abolie et remplacée par une république dirigée par Oliver Cromwell.
Après sa fuite en Ecosse où il fut proclamé roi, les circonstances qui suivirent la mort de Cromwell ont amené son fils, Charles II, à monter sur le trône d’Angleterre en 1660.
Mais la malédiction s’est abattue de nouveau sur le fils comme elle s’était abattue sur son père. Le descendant des Stuart dû affronter une très grande épidémie de peste avant de connaître, un an plus tard, le grand incendie qui dévasta Londres. Il ne dura pas longtemps sur le trône après ces deux grandes crises puisqu’il fut foudroyé par une violente attaque quelques années plus tard (en ces temps le diagnostic ne pouvait nous en donner la cause précise).
C’est dire s’il faut être téméraire ou totalement dénué de superstition pour endosser le nom de Charles III et poursuivre la lignée des deux infortunés rois qui portèrent le même. Nous en venons ainsi au lien que je voulais faire entre Charles III et ses prédécesseurs, Charles I et Charles II.
Charles III, un nouveau roi maudit ?
C’est tout d’abord l’impopularité de Charles III auprès des sujets du royaume Britannique. Elle n’a cessé de s’amplifier avec ses déboires matrimoniaux et la mort de l’icône de tout un pays, sinon du monde, son ancienne épouse Diana, dont on l’accuse d’en être le responsable indirect.
Puis, il faut dire que l’ombre écrasante de sa mère qui refusa, jusqu’au dernier souffle, d’abdiquer au bénéfice de son fils ne lui a pas donné beaucoup de chance, avec une usure certaine dans l’âge et la notoriété.
Enfin, les actes de son fils cadet qui ont définitivement placé l’aîné comme l’héritier préféré et souhaité du peuple Britannique.
Mais si nous voulons faire un parallèle plus étroit avec les deux autres Charles, nous dirions que Charles III est, à mon sens, face au même défi de la couronne à se maintenir en place.
Certes les républicains sont une frange très minoritaire dans le pays mais les frasques de cette famille royale ont, depuis deux décennies, reposé le questionnement du sens de la monarchie et de son coût devenu très élevé (même si réellement elle ne coûte qu’un peu plus d’un euro par an pour chaque contribuable).
La solidité de la royauté n’a tenu que par la très grande place que tenait sa mère. Son père, comme la reine mère avaient assumé une image héroïque durant la seconde guerre mondiale. En cela, ils ont joué le rôle qu’on attend du souverain dans une monarchie constitutionnelle, soit la référence de l’unité nationale, de la stabilité et de la continuité de la nation.
Rôle qu’elle a ensuite parfaitement assumé à travers le prestige britannique qu’elle a contribué à maintenir dans le monde. La royauté tenait encore solidement par ce lien affectif de reconnaissance très puissant pendant soixante-dix ans.
Je doute sincèrement que cette majorité du peuple résiste longtemps pour rejoindre les rangs de la minorité républicaine. Même si nous avons l’incarnation du contraire avec la nouvelle Première ministre qui fut républicaine auparavant.
Qu’en sera-t-il pour Charles III qui n’a absolument pas comme allié les mêmes circonstances qui ont porté si haut sa maman et qui débute avec une popularité si faible ? Subira-t-il le même sort que Charles I, soit l’établissement de la république (la mort exclue).
D’autant que l’attend la seconde malédiction, celle que nous pouvons rapprocher du malheureux Charles II. Il doit maintenant être confronté à une situation redoutable car le pays est profondément divisé après l’interminable affrontement sur le Brexit.
Les conditions économiques mondiales du moment, surtout avec les retombées de la guerre d’Ukraine, ne l’aideront pas, comme ce fut le cas de la peste et de l’incendie de Londres qui ont été sur la route de Charles II.
Car, de plus, le grand projet enchanteur de l’Angleterre qui justifia le Brexit n’est pas au rendez-vous. Ce traité que voulait l’Angleterre avec les Etats-Unis, alliés historique des Anglais, s’éloigne chaque jour d’avantage.
Et que dire du rêve du retour de la puissante Angleterre qui voulait retrouver sa place dans les territoires du monde dont elle pensait avoir gardé son influence. Ni les pays asiatiques, ni le Canada, ni l’Australie, pour ne citer que les plus grands, ne comptent ouvrir leurs bras aussi facilement que les partisans du Brexit ne le promettaient.
Et le principal défi qui s’annonce est celui de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord, un risque certain pour le Royaume-Uni qui ne justifierait plus son nom. Ce pauvre Charles III ferait revivre le destin de Charles I en ce qui concerne la royauté car nul doute qu’elle en sera détruite.
Voilà donc exposé mon sentiment personnel sur le destin d’un Charles III qui risque de rejoindre le club des rois maudits d’Angleterre et qui a gardé son humour britannique de vouloir associer son nom au leur.
Feu Elizabeth II, la défunte reine d'Angleterre qui vient de décéder le 9 septembre dernier et qui a été, d'après ses proches, une dame très affable et dotée d'un sens de l'humour décalé très british, avait néanmoins une devise qui peut sembler, de prime abord, davantage empreinte de sagesse et d'humilité dans sa première partie que dans la deuxième. Cette devise, c'est : «Never complain, never explain», qu'on peut traduire par «Ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer (ou ne jamais se justifier)».
Être reine d'Angleterre n'est peut-être pas un job de tout repos, mais ce n'est pas non plus le pire métier du monde. Moins dans sa fonction de monarque que dans sa vie familiale, elle a eu parfois à affronter quelques déboires ainsi que les reproches de ses compatriotes (en fait, de ses sujets), mais par fidélité au premier terme de sa devise, elle s'est toujours gardée de s'en émouvoir, du moins publiquement. Elle a su, à chaque fois, s'entourer d'une sorte de discrétion stoïque et digne, et notamment dans les temps de grand malheur.
Mais si s'abstenir de se plaindre est le propre des êtres patients et pudiques et qui savent aussi que dans la vie il existe toujours des ennuis plus graves que les leurs, ne jamais expliquer (ou se justifier) est la marque, par contre, des individus qui ont une idée très élevée de leurs mérites (ou de leur rang) ou qui croient toujours avoir raison, même seuls contre tous. C'est, en particulier pour ceux qui détiennent un pouvoir ou occupent un poste de responsabilité, juger qu'ils n'ont pas à s'expliquer ni rendre des comptes devant personne.
Expliquer (se justifier), ce n'est pas forcément répondre à une attaque ou une critique ou faire aveu de faiblesse, c'est plutôt éclairer ou expliciter son acte, sa décision ou son choix dans un souci de pédagogie, c'est tenter de convaincre dans un but d'adhésion, c'est aussi avoir du respect pour son contradicteur. A moins de se soucier comme d'une guigne de l'opinion d'autrui et de penser, comme le professait ce bon vieux et néanmoins génial auteur britannique William Shakespeare, que «Mieux vaut mourir incompris que passer sa vie à s'expliquer.»
Plus d’une décennie après les soulèvements populaires de 2011, les sociétés arabes connaissent un état d’apathie et de fatigue consécutif à une vague incessante de pressions contre-révolutionnaires. D’un côté, les gens ordinaires sont à bout : plus aucune idéologie digne de ce nom n’irrigue le corps social, et ceux qui voudraient encore se mobiliser se heurtent à une répression implacable. De l’autre, les élites politiques sont usées au point de ne plus consentir d’effort pour convaincre les masses qu’un avenir meilleur ou plus prospère les attend. Elles administrent donc leurs privilèges en maintenant le statu quo.
Ces deux dynamiques se rejoignent pour détourner la majorité de la population de la politique. Une partie ne conçoit plus son salut que dans l’émigration. Mais ceux qui restent au pays ne demeureront pas pour autant immobiles dans les années à venir. L’ampleur des crises sociales et économiques qui se dessinent laisse augurer une nouvelle vague de mécontentements populaires.
En attendant, l’inertie actuelle provient de plusieurs facteurs. Le premier est l’âpre désillusion suscitée par la démocratie elle-même. La Tunisie est le cas le plus emblématique. Pionnière en 2011 des « printemps arabes », elle a résisté longtemps à la régression démocratique qui les a suivis. Si, néanmoins, le coup d’État institutionnel décidé le 25 juillet 2021 par le président Kaïs Saïed a réussi, c’est non seulement que les institutions postrévolutionnaires mises en place par la Constitution de 2014 se sont révélées extraordinairement fragiles, mais aussi que la population s’est lassée de la corruption endémique et des jeux politiciens. L’autoritarisme césariste de M. Saïed a profité de la déception des militants à l’égard de la démocratie, preuve qu’un système politique fondé sur le pluralisme et l’inclusion peut subir une régression brutale.
Les évolutions récentes de la situation politique en Occident ont également contribué au désenchantement démocratique dans le monde arabe. Non seulement les démocraties occidentales ont troqué leurs beaux principes contre une préférence cynique pour la stabilité à tout prix dans le monde arabe, mais elles se retrouvent elles-mêmes fragilisées par la montée des tendances autoritaires en leur propre sein, au point que certains s’y montrent de plus en plus disposés à s’affranchir des règles démocratiques. À Rabat, Amman ou Le Caire, nombre d’intellectuels et de militants arabes considéraient l’Occident, sinon comme un modèle à imiter, au moins comme une démonstration vivante que le combat en faveur d’élections libres, du pluralisme et des droits politiques pouvait aboutir à des formes de gouvernement plus bénéfiques à la population. L’Occident permettait ainsi d’imaginer dans quelle mesure et sous quelles conditions la démocratie était capable de s’épanouir. Il était l’aune à laquelle on mesurait les chances de progrès politique ailleurs.
Le durcissement des confrontations politiques et de l’exercice du pouvoir aux États-Unis et en Europe a mis fin à cette présomption. Deux stratégies ont en effet symbolisé ce durcissement. Celle, exploitée souvent par l’extrême droite, qui consiste à représenter la société comme le lieu d’une opposition fondamentale entre deux blocs, une élite corrompue, d’une part, et un peuple en péril, de l’autre. Les présidents Viktor Orbán en Hongrie ou Donald Trump aux États-Unis ont ainsi mis leur personne au centre du jeu politique, et, dans le cas hongrois, parfois contraint les institutions de l’État, à commencer par la justice et le Parlement, à se plier à leur volonté. Recourant volontiers aux sirènes du nationalisme, du chauvinisme et du racisme pour exacerber les frustrations, désignant des boucs émissaires à la vindicte populaire, ils ont créé un climat de tension et d’antagonisme comparable à celui que nombre de régimes arabes savent entretenir pour garantir le statu quo.
L’autre stratégie, apparemment rivale, déployée par les dirigeants occidentaux, se développe dans le discours d’une élite se prétendant compétente et assiégée par une partie de la population, dont l’élan contestataire cacherait en réalité des tendances antidémocratiques. De quoi justifier la répression des opposants, comme ce fut le cas pour le mouvement des « gilets jaunes » en France. Nombre de régimes arabes n’hésitent pas, aujourd’hui encore, à renvoyer à la brutalité subie par ces manifestants pour justifier leur propre dureté à l’égard de leurs adversaires.
L’échec de l’islamisme constitue la seconde source d’inertie politique affectant aujourd’hui le monde arabe. Car ce courant, victorieux il y a dix ans, n’offre plus de solution de rechange crédible à la situation. Ses adeptes n’ont pas trouvé leur place dans les mouvements sociaux. Que ce soit Ennahda en Tunisie, les Frères musulmans en Égypte et en Jordanie, ou le Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc, les formations principales de l’islamisme s’apparentent dorénavant à des gérontocraties qui ont perdu le contact avec la jeunesse. Elles présentent entre elles des différences : Ennahda, par exemple, a exercé des responsabilités importantes dans la Tunisie de l’après-révolution, tandis que le PJD ne disposait que d’un pouvoir très limité lorsqu’il a dirigé le gouvernement marocain (2011-2021).
Les islamistes ont perdu pied sur leur terrain
Mais les points communs importants sont nombreux. Leur programme économique est d’inspiration beaucoup plus néolibérale que progressiste et il n’apporte aucune indication précise quant au modèle de justice sociale qui régnerait dans un État géré selon les préceptes de l’islam. De plus, lorsqu’ils trébuchent, une fois parvenus au pouvoir, ils refusent de se remettre si peu que ce soit en question, préférant attribuer leurs échecs aux manœuvres de l’« État profond », comme en Égypte ou au Maroc, ou se cantonner au rôle d’un parti domestiqué semblable à toutes les oppositions légales qui s’effacent derrière le régime en place.
Les islamistes ont par ailleurs perdu pied sur leur terrain même de prédilection — la religion. À l’origine, l’attraction exercée par l’islamisme tenait à sa promesse d’instaurer une forme de gouvernement plus responsable et plus juste, fondée sur une pratique renouvelée de la foi. Cette vision opérait un lien entre piété individuelle et moralité dans la sphère publique, notamment dans les domaines de la famille, des femmes et de la charia. Or, au cours de la décennie écoulée, la plupart des régimes arabes se sont approprié le discours religieux qui avait assuré le succès de leurs opposants islamistes. Créant leur propre marque de conservatisme social à destination des femmes et des familles, ils ont mis les bouchées doubles sur le terrain de la charia. Il en résulte une « bigoterie d’État », observable entre autres en Algérie, qui mobilise police, justice et administration pour faire respecter de nouvelles lois corsetant les valeurs sociales et le comportement personnel. La chasse aux citoyens qui choisissent de ne pas respecter le jeûne du mois de ramadan ou la criminalisation grandissante des libertés sexuelles en sont des exemples éloquents, tout comme la répression d’un féminisme renaissant. Sur ces terrains, la Tunisie continue d’être un contre-exemple, mais les progrès entrevus après la révolution, notamment l’égalité femme-homme devant l’héritage, paraissent aujourd’hui remis en cause.
En somme, les islamistes détiennent moins que jamais le monopole naturel sur l’usage politique de la religion. Pour autant, cela ne signifie pas la fin de l’islamisme, dans la mesure où la foi conserve une place centrale dans l’identité de nombreux Arabes musulmans. Mais le rôle de boussole que les groupes islamistes exerçaient auprès des citoyens-croyants ne leur est plus accordé d’office.
Troisième facteur contribuant à la désaffection politique, Internet et les réseaux sociaux ont cessé de constituer une réserve naturelle protégée pour les jeunes Arabes rêvant d’échapper à l’emprise tentaculaire de leurs dirigeants. À l’aube des mouvements populaires de 2011, il n’était pas rare d’entendre des sociologues occidentaux qualifier le cyberespace de « technologie de la libération », car il paraissait offrir des plates-formes et des outils capables de disséminer l’information, de contourner la censure des idées « subversives » et d’attiser les protestations. Mais les batailles technologiques fonctionnent elles aussi par cycles. Les gouvernements arabes n’ont pas tardé en effet à reconquérir le terrain occupé par leurs opposants et à mettre en place de nouveaux dispositifs de contrôle de la Toile. Leur technique ne consiste plus à couper l’accès aux sites en ligne, mais plutôt à les submerger de leur présence. L’écosystème de surveillance créé par leurs soins comprend hacking, censure, géolocalisation, opérations de police, chantage politique et interventions judiciaires. Le cyberespace devient ainsi un panoptique ultramoderne, où les propos et les profils de chaque internaute sont immédiatement traçables par les autorités. La crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19, avec ses mesures de contrôle social et de confinement, a fourni un alibi idéal pour affermir cette revanche du pouvoir.
Une combinaison de censure et d’autocensure
Celui-ci n’hésite pas non plus à « troubler l’eau du poisson » en assaillant les internautes contestataires avec des bataillons de trolls ou de doubabs (« mouches ») chargés de créer la confusion, de multiplier les fausses nouvelles et les théories conspirationnistes confortant le point de vue des autorités (l’adversaire intérieur est volontiers présenté comme un agent de l’étranger). La parole publique des opposants est submergée sous ce déluge d’attaques et de désinformation, et ils doivent s’exfiltrer vers des réseaux confidentiels. Une redoutable combinaison de censure et d’autocensure s’installe : le régime punit directement ceux qui le critiquent et il inspire une crainte telle qu’il dissuade quiconque de le critiquer.
Quatrième moteur du désenchantement politique, la société civile elle-même devient plus perméable et fracturée. Non seulement la plupart des régimes ont muselé les syndicats et les associations professionnelles, mais les organisations non gouvernementales (ONG) sont tombées dans le piège consistant à privilégier les objectifs à court terme au détriment de changements plus profonds. C’est tout particulièrement le cas des ONG occidentales et internationales dont la plupart ont renoncé à agir pour des réformes politiques et démocratiques ambitieuses, préférant fractionner leurs projets et leurs demandes en petits paquets négociables au cas par cas. Les sujets sur lesquels elles interviennent sont certes importants : lois sur la presse, droits des femmes, éducation, aide à la création de petites entreprises, etc. Mais en focalisant leurs efforts sur quelques éléments de la vie sociale, ces ONG ont involontairement contribué à dissocier ces questions de celle plus vaste des droits démocratiques.
Aussi, quand bien même elles aiment invoquer la « bonne gouvernance » ou l’« État de droit », leurs actions éparpillées sur le terrain — la formation d’avocats ou le financement d’organisations juridiques par exemple — paraissent dépourvues d’effets sur les institutions étatiques qu’il s’agirait de transformer. La même logique s’observe dans le domaine du droit des femmes : les ONG et collectifs de la société civile font certes la promotion de l’égalité des droits, mais en réalisant l’impasse sur les réformes démocratiques requises pour sa mise en œuvre concrète.
Enfin, dernier facteur qui contribue à la désaffection politique, certains États arabes ont délégué une part de leurs prérogatives à des milices qui combattent sur le terrain, comme au Liban, en Irak, en Libye, au Yémen et en Syrie. Ces groupes armés non étatiques, comme le Hezbollah libanais ou les Hachd Al-Chaabi (unités de mobilisation populaire) irakiennes, fournissent à leurs clients des services souvent précieux, comme la sécurité ou même l’éducation. Et pour eux, les organisations qui composent la société civile représentent un adversaire aussi honni que les États centralisés.
En général, les milices locales l’emportent sitôt qu’elles se sont assuré le parrainage de puissances extérieures désireuses d’exploiter leur action à leur profit. Les perdants sont les États et les sociétés. La démocratie exige en effet un système politique centralisé capable d’organiser des élections, de faire respecter une Constitution et de garantir l’égalité des droits. Qui plus est, contraindre une milice à déposer les armes est extrêmement difficile compte tenu des alliances que celle-ci entretient souvent et du pouvoir que la violence lui procure. Prises en étau entre un État affaibli et des milices omniprésentes, les forces sociales suffoquent. Le Liban, la Libye et l’Irak illustrent de façon criante une telle dynamique.
L’Algérie et le Soudan constituent des exceptions à la tendance d’ensemble. Le Soudan connaît une phase de transition bloquée, dans laquelle certains groupes de militants prodémocratie ont réussi, grâce à une mobilisation exceptionnelle, à ne pas devoir s’incliner devant l’intransigeance des militaires. Longtemps figée, l’Algérie représente un autre cas d’espèce. Elle n’a pas connu de transformation démocratique, mais la population continue, malgré la répression dont elle est l’objet, à défier le pouvoir militaire à façade civile en ayant recours à des moyens strictement politiques. Cela contraste avec ses voisins maghrébins. En Tunisie, où la transition démocratique régresse. Au Maroc, où la libéralisation s’est épuisée. Le makhzen traditionnel (1) y reste l’objet de vives critiques, mais le débat sur les changements politiques à venir porte surtout sur la corruption et sur les difficultés de la vie quotidienne.
Pour appréhender la fatigue politique des régimes en place, il faut prendre la mesure du bilan très mitigé de leur contre-révolution. Les autocraties arabes qui ont survécu aux soulèvements de 2011 et 2012 ont mis en œuvre un programme destiné à étouffer les démocrates sous le poids de la répression, du militarisme, de la marginalisation de la cause palestinienne et du soutien apporté aux dictatures amies. La contre-révolution a réussi à endiguer la vague contestataire, mais elle n’est pas parvenue à imposer un système stable et légitime.
La contre-révolution a échoué à décourager toute contestation et à faire reluire les attraits de l’autoritarisme. Son projet n’est pas parvenu à s’imposer comme idéologie de remplacement. Il a affaibli la vieille gauche et acculé les forces islamistes dans leurs retranchements. Il a également semé la discorde au sein du camp démocratique et assimilé toute demande de droits politiques à de l’extrémisme, tout en exacerbant les animosités qu’il se faisait fort de juguler. Néanmoins, la contre-révolution ne possède pas une idéologie qui lui soit propre, seulement un programme de restauration de l’ordinaire autocratique par la peur et la coercition. En guise de solution de rechange à une démocratie présentée comme intrinsèquement dangereuse et incapable d’assurer la prospérité, elle a d’abord exhibé le modèle de l’homme fort et du pouvoir absolu, pensant que cela pouvait combler le vide.
Une stratégie de modernisation hors-sol
Les contre-révolutionnaires aiment prétendre que seuls des régimes autoritaires savent faire évoluer leurs sociétés en pilotant des grands projets de modernisation. Des mégachantiers de haute technologie ont donc été annoncés en fanfare, des parcs immobiliers, des zones industrielles et d’autres initiatives présumées créatrices d’emplois. Mais ces mirages ont un avenir douteux. Non seulement ils réclament des ressources financières massives, que peu d’États de la région peuvent engager, mais il leur est impossible de se prévaloir d’une base sociale ou d’un soutien populaire. En conséquence, leur destinataire naturel est d’abord l’Occident, auquel un segment étroit de la bourgeoisie locale emboîte le pas. Une telle stratégie de modernisation n’apporte aucun cadre susceptible de réaliser une économie plus équitable, plus soutenable. Conçues par des consultants occidentaux déconnectés des besoins quotidiens de la population, ces entreprises hors-sol ne peuvent pas engendrer une croissance durable.
La plupart des régimes arabes s’inspirent d’ailleurs du modèle de direction en vigueur dans les grandes entreprises, qui ne prête qu’une attention réduite aux aspirations populaires. Ils se montrent donc plus enclins à présenter un PowerPoint aux diplomates occidentaux ou aux délégations de passage qu’à tisser un lien, fût-il despotique, avec leurs propres citoyens. Par le passé, cette relation pouvait prendre différentes formes. L’idéologie de masse et le symbolisme monarchique constituaient les plus fréquentes, suivies de près par les campagnes de solidarité nationale ou internationale autour de causes communes. Le paradigme « managérial » s’est aujourd’hui imposé, en particulier dans les États du Golfe, à l’exception peut-être du Qatar, du Koweït et d’Oman, dont les régimes, qui ont eux aussi adopté en partie ce nouveau mode de gouvernance, ont cependant pris soin d’entretenir certaines valeurs historiques et culturelles. Ils reconnaissent par exemple le caractère sacré de Jérusalem et continuent d’appeler à la solidarité arabe.
Sans projet cohérent, la contre-révolution arabe ne peut que multiplier les actions brouillonnes. Ses interventions militaires en Libye, puis au Yémen, ont été tellement coûteuses qu’elles ne déboucheront sur aucun bénéfice stratégique. Les économies de la région, à l’exception des États pétroliers, sont frappées de stagnation. Même la puissante alliance de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, qui a servi de fer de lance à la contre-révolution, a été surprise de faire l’objet de tant d’attention critique. Ces États ont ajusté leur stratégie en allant rechercher à l’étranger d’autres appuis. Y compris auprès de l’extrême droite, en se présentant comme des oasis de modernité en lutte contre la réaction islamiste. Une page d’histoire est en train de se tourner. En lieu et place des vibrants discours utopiques scandés par les mégaphones, émerge un bricolage de manœuvres et de calculs cyniques.
L’inertie actuelle ne durera pas car déjà plusieurs crises convergent. La première tient à un bouleversement démographique que nul gouvernement n’est en mesure de contenir. Les deux tiers de la population des États arabes ont moins de 30 ans. Malgré le découragement actuel, ils sont porteurs d’ambitions qui faisaient défaut à leurs aînés. Technologiquement connectés et politiquement expérimentés, ils cherchent des solutions locales aux maux dont souffre leur pays. Lesquels sont légion. Archaïque et paupérisé, le système éducatif s’emploie à fournir des diplômés obéissants à la fonction publique plutôt qu’à éveiller l’esprit critique. Les femmes, qui réclament plus de droits et de représentation, continuent de se heurter à un sexisme tenace aussi bien dans la vie politique que sur le marché du travail. La jeunesse aspire à un emploi, mais les places sont rares : le Proche-Orient connaît le taux de chômage des jeunes (supérieur à 30 %) le plus élevé du monde.
Des régimes qui baissent les bras
À la crise démographique s’ajoutent les effets du réchauffement climatique, particulièrement sévères dans la région. D’ores et déjà, nombre d’États, dont l’Irak, la Jordanie et le Yémen, font face à des pénuries d’eau. La crise du ramassage des ordures au Liban illustre également les dégâts d’une urbanisation trop rapide cumulée à une mauvaise gestion des terres. L’Iran et l’Égypte suffoquent sous la pollution atmosphérique. Enfin, des canicules ont causé une série sans précédent de feux de forêts ces dernières années, en Algérie, en Syrie et en Turquie.
Non seulement ces catastrophes environnementales pèsent lourd sur les budgets publics, mais elles accentuent les tensions relatives à la distribution des ressources, d’autant plus vives que celles-ci sont insuffisantes. De jeunes militants et des mouvements civiques ont sonné l’alarme sur ces sujets, pas les gouvernements. Le désastre climatique pourrait par conséquent offrir à ces forces sociales l’occasion d’étendre leur influence et de déjouer l’emprise du pouvoir, en ralliant le public à leur cause.
La troisième crise en cours est celle des structures économiques. Leur inadéquation découle d’un mode de fonctionnement politique hautement centralisé auquel celles-ci sont subordonnées. Les populations savent à quoi s’en tenir sur ce sujet. Si la plupart des régimes arabes ont pleinement adopté le jargon technocratique de l’économie néolibérale, ils restent prisonniers de leur clientélisme et de la corruption. Mais cela place également ces régimes en première ligne en cas de ruptures d’approvisionnement consécutives à un choc exogène, du type de la pandémie de Covid-19 ou de la guerre en Ukraine. Et les rend d’autant plus vulnérables que les couches défavorisées et les jeunes sont frappés plus durement par les privations ou pénuries.
L’aide étrangère ne constitue évidemment pas la solution. Les gouvernants présentent volontiers les perfusions d’argent dispensées par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et d’autres donateurs occidentaux comme une aide au développement alors qu’elle sert à régler leurs frais les plus pressants. En somme, ces versements leur sauvent la mise au prix fort : les économies de nombreux pays — le Liban, la Jordanie et l’Égypte en particulier — se seraient effondrées sans aide internationale au cours de la décennie écoulée. Le spectre du Sri Lanka plane sur la région.
Conscients qu’ils ne peuvent s’extirper du marasme sans accepter une remise en cause douloureuse, les régimes arabes préfèrent baisser les bras. Au point de cantonner leurs ambitions à un « pays utile », d’encourager une forme de sécession politique — et même physique si l’on en juge par les nouveaux quartiers résidentiels protégés. Une assurance-maladie privatisée et un système éducatif à deux vitesses garantissent la mobilité sociale des classes moyennes et supérieures. Quiconque n’appartient pas à la minorité d’élus est de fait abandonné par l’État, que ce soient les pauvres, les migrants, les travailleurs, et surtout les jeunes. Et lorsque ces voix exclues se fédèrent pour protester ou critiquer le régime, la fraction privilégiée du pays les qualifie de traîtres ou de fauteurs de troubles. La logique de la continuité pousse ainsi la guerre des classes dans des retranchements inédits : pendant que les élites confortent leur enrichissement, les couches populaires sont autorisées à survivre.
Ainsi, le champ de la politique économique n’est plus accessible qu’à un petit segment de la population, la classe dite « productive » disposée à troquer son silence contre une promesse de revenus. Ce sont ces citoyens modèles qui bénéficieront au premier chef des mégaprojets de villes nouvelles, comme le Nouveau Caire en Égypte ou Neom en Arabie saoudite, et qui en retour appuieront l’étouffement de toute contestation populaire susceptible de menacer leur autorité et leurs intérêts.
La mémoire d’une séquence révolutionnaire non aboutie peut persister durant de longues années. Les révolutions européennes de 1848 ont illustré ce phénomène : bien qu’elles aient rapidement débouché sur la restauration de régimes monarchistes, les héritiers de leur esprit émancipateur ont continué la lutte tout au long du XIXe siècle, inaugurant le véritable « printemps européen ». La prochaine vague du « printemps arabe » pourrait à son tour se révéler plus explosive que la précédente. Des sociétés qui paraissent aujourd’hui en hibernation politique retrouveraient alors leur voix.
Les nouvelles révoltes ne seront pas islamistes, et elles n’emprunteront pas non plus les vieux outils d’Internet ou le langage des ONG occidentales. Les militants de demain chercheront sans aucun doute à forger des alliances au sein des classes moyennes actuellement plutôt acquises à l’économie politique des régimes autoritaires. Mais elles aussi pourraient bientôt prendre conscience à la fois du caractère éphémère de leur prospérité et de leur vulnérabilité face à l’arbitraire des autocrates. Auquel cas, la convergence entre forces populaires et bourgeoisie non rentière constituerait un défi sans précédent pour les régimes arabes.
Hicham Alaoui
Chercheur associé à l’université Harvard (États-Unis), auteur de Pacted Democracy in the Middle East : Tunisia and Egypt in Comparative Perspective, Palgrave Macmillan, Londres, 2022.
(1) NDLR : La structure politico-administrative sur laquelle repose le pouvoir monarchique.
Kareem Al Qurity. – « Waiting III » (Attente), 2021
A la Mostra de Venise, 23 films briguent cette année le Lion d’or, mais la Mostra, ce sont aussi des dizaines de films hors compétition et dans les sections parallèles, qui privilégient les jeunes cinéastes. C’est le cas des Journées des Auteurs, qui mettent en lumière un magnifique premier film algérien : El Akhira, la dernière reine, un long-métrage signé Damien Ounouri et Adila Bendimerad.
1516. La légende dit que le roi d’Alger avait une femme nommée Zaphira. Quand le pirate Aroudj Barberousse arrive pour « libérer » la ville des Espagnols, il est déterminé à conquérir Zaphira ainsi que le royaume lui-même. Mais Zaphira est-elle prête à le laisser faire ou complote-t-elle pour elle-même ?
El Akhira nous entraîne à Alger, à l’époque du pirate Barberousse. Au XVIe siècle, celui-ci libère la ville du joug des Espagnols et prend le pouvoir. Une femme va alors lui tenir tête, la reine Zaphira.
Damien Ounouri et Adila Bendimerad reconstituent la cour, fastueuse et raffinée, de cette reine berbèro-arabe, méconnue en Algérie.
« Ça paraît évident pour les Européens ou pour les pays de grand cinéma d’avoir des images, des repères, explique Adila Bendimerad au micro de RFI, nous on n’en a pas. On a une espèce de trou noir… on n’a jamais vu, par exemple, un film aussi ancien parlé avec notre langue. Ça, c’était très excitant de montrer aux Algériens et à nous-mêmes, des costumes de l’époque, de parler notre langue, c’est très important. »
Adila Bendimerad, comédienne et scénariste que l’on a déjà pu voir dans Normal ! ou Les Terrasses de Merzak Allouache, joue Zaphira, reine combattante, bravant les interdits pour défendre son royaume. Entre combats sanglants, histoires d’amour et intrigues de cour, El Akhira premier long métrage de fiction de Damien Ounouri, contient tous les ingrédients d’un grand film, populaire et romanesque.
Au cours de ses sept décennies de règne, la reine Elizabeth II s’est rendue dans une vingtaine de pays africains. Des voyages dont il reste des photos qui ont fait le tour du monde, et un héritage politique.
La légende raconte qu’elle a appris la mort de son père, le roi George VI, alors qu’elle se trouvait sur une plateforme hissée au sommet d’un figuier d’où elle observait la vie sauvage, elle, la grande passionnée d’animaux et de photographie. Nous sommes en février 1952, au Kenya. La princesse Elizabeth effectue une tournée dans plusieurs pays du Commonwealth – cinquante-six, dont une vingtaine de pays africains souverains aujourd’hui –, pour représenter le souverain de 56 ans, atteint d’un cancer du poumon et incapable de se déplacer à l’étranger.
Elle est accompagnée de son époux Philip, le duc d’Edimbourg. Le couple s’est marié cinq ans plus tôt. Princesse à son arrivée en Afrique, elle en repartira reine, et sera la sixième femme à monter sur le trône britannique. Elle a 25 ans.
Le nouveau dirigeant du pays, William Ruto, a quant à lui présenté ses condoléances sur Twitter et décrit le Commonwealth comme « l’héritage historique » d’Elizabeth II. Mais dans le pays, certains gardent surtout en mémoire la révolte anticolonialiste des Mau-Mau, violemment réprimée par les colons.
Au cours de son règne de sept décennies – un record – marqué par le processus d’indépendance des anciennes colonies britanniques, la reine aura visité au total vingt et un pays du continent. Avec toujours un objectif en tête : la préservation du Commonwealth.
Ce sera le cas en 1961, au Ghana. Dans son entourage, tous craignent ce déplacement. La presse britannique le juge « imprudent » et « dangereux ». Winston Churchill s’en émeut auprès du Premier ministre de l’époque. Rien n’y fait. Malgré les mises en garde répétées, la souveraine maintient son voyage dans l’ancienne colonie britannique devenue indépendante. À sa tête, le panafricaniste Kwame Nkrumah est de plus en plus contesté. Sa politique très ferme lui vaut de multiples tentatives d’assassinat. La dernière a coûté la vie à l’un de ses gardes du corps.
Mais Elizabeth II se moque de cet aspect sécuritaire. Le rapprochement de Nkrumah avec Moscou l’inquiète bien davantage. Le « marxiste » envisage de quitter le Commonwealth et ça, la reine ne s’y résout pas. « Comme j’aurais l’air sotte si j’avais peur de visiter le Ghana, puisque Khrouchtchev y est allé en étant bien reçu », confie-t-elle.
Les photos de sa valse avec Kwame Nkrumah lors de l’ouverture d’un bal donné en son honneur, qui la place sur un pied d’égalité avec son hôte, un homme noir – la ségrégation existe alors encore aux États-Unis –, feront le tour du monde. Le succès de ce voyage sera bien sûr symbolique, mais aussi et surtout politique : le Ghana fait toujours partie du Commonwealth aujourd’hui.
Le président ghanéen actuel, Nana Akufo-Addo, a salué sur les réseaux sociaux « sa présence inspirante, son calme, sa stabilité et, par-dessus tout, son grand amour et sa croyance dans le Commonwealth, ainsi que sa capacité à être une force pour le bien commun ». Les drapeaux du pays seront en berne pendant sept jours.
En Zambie contre l’avis de Thatcher
Comme lors de ce voyage officiel au Ghana, la reine fera fi de multiples mises en garde quelques années plus tard, à l’occasion d’un déplacement en Zambie, en 1979. La cheffe du Commonwealth est attendue cette année-là au sommet de l’organisation, organisé dans la capitale, Lusaka.
La ville se situe à seulement 200 kilomètres de la frontière rhodésienne, où une guerre civile fait rage depuis 1964. Le régime ségrégationniste affronte les partisans de l’indépendance. La Première ministre britannique Margaret Thatcher, qui vient d’arriver à ce poste, est fermement opposée à ce déplacement. Les deux femmes ont seulement six mois d’écart et leur relation est notoirement houleuse.
Elizabeth II, accueillie très chaleureusement en Zambie, y présidera la signature de la Déclaration de Lusaka, par laquelle les dirigeants de l’organisation s’engagent à travailler ensemble pour éliminer le racisme et les politiques d’apartheid. Quelques mois plus tard, la Rhodésie du Sud disparaît au profit du Zimbabwe de Robert Mugabe. La guerre prendra fin.
Unanimement respectée à la tête du Commonwealth, elle n’a vu qu’un seul dirigeant oser s’opposer à elle : le sanguinaire Idi Amin Dada, autoproclamé « roi d’Écosse ». Ce dernier avait assuré qu’il prendrait sa place à la tête de l’organisation.
En 1975, le président ougandais s’était invité à Buckingham Palace. Dans un message à la reine, il annonçait sa visite officielle en Grande-Bretagne à partir du 4 août, exigeant « un séjour confortable » avec « l’espoir de pouvoir compter à Londres sur un ravitaillement régulier et satisfaisant en produits essentiels », bien que l’économie britannique soit » souffrante à bien des égards », rapporte Le Monde dans un article paru l’année en question. Puis, Idi Amin Dada (renversé en 1979) avait proposé à la reine de venir à son tour en Ouganda « rencontrer un vrai homme »…
Dans le pays aujourd’hui, l’un des plus beaux parcs nationaux porte le nom de Queen Elizabeth. « Il rassemble à lui seul un composé de savane d’acacias, de forêt tropicale, de cratères volcaniques, de lacs et de plaines », d’après les guides touristiques. Un hommage à la passion de la monarque pour la nature et un clin d’œil au jour où la princesse devint reine, en Afrique. Mais des voix s’élèvent pour demander que disparaissent les traces de l’ancien colon dans l’espace public…
Présent en Centrafrique depuis quatre ans, le groupe de mercenaires russe s’est peu à peu implanté dans nombre de secteurs économiques locaux et régionaux, au point d’avoir développé des ramifications au Cameroun. Plongée, en exclusivité, dans une organisation qui ne demande qu’à s’étendre.
Le centre-ville de Bangui n’a plus de secret pour eux. Dans leur pick-up, un véhicule blindé de couleur grise qui n’affiche aucune immatriculation, Dimitri Sytyi et Vitali Perfilev ne passent d’ailleurs pas inaperçus aux yeux des plus attentifs. Certes, les deux hommes changent régulièrement de moyen de transport et de marque de 4×4, mais leurs visages sont bien connus des initiés. L’un, Perfilev, un grand blond, est le chef opérationnel des mercenaires du groupe Wagner en Centrafrique. L’autre, Sytyi, jeune homme aux cheveux bruns ondulés qui vit à Bangui depuis quatre années, en est le maître propagandiste et la tête de pont politique.
Dimitri Sytyi, qui a longtemps été l’assistant de Valery Zakharov, le premier patron de Wagner en terres centrafricaines, est comme chez lui au palais présidentiel. Selon nos informations, il y dirige toujours officieusement une cellule de communication qui se charge de promouvoir les actions du président Faustin-Archange Touadéra, de valoriser la coopération avec la Russie et de mettre à mal les intérêts français ou les effectifs de la mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca). Sytyi est aujourd’hui le numéro un « civil » de Wagner à Bangui.
Vitali Perfilev, quant à lui, s’occupe officiellement des questions de sécurité, en liaison avec l’état-major centrafricain, Faustin-Archange Touadéra et son ministre de la Défense, Jean-Claude Rameaux-Bireau. Conseiller à la présidence, comme l’a été Zakharov avant lui, il dispose d’un bureau non loin du palais, même s’il préfère recevoir dans ses locaux situés au camp de Roux, espace où est stockée une partie du matériel de Wagner. Côté loisirs, le commandant est un habitué du bar-restaurant Le Casablanca et de ses karaokés, ainsi qu’un amateur de vin rouge. À eux deux, Perfilev et Sytyi contrôlent l’appareil de Wagner, qui s’étend aujourd’hui de Bangui à Douala.
Café, sucre et mercenaires peuls
Depuis 2018, les mercenaires de Wagner sont implantés dans le secteur minier, notamment dans l’or et le diamant, en particulier à travers la société Lobaye Invest, qui dispose de permis d’exploitation dans plusieurs régions du pays. À partir de cette « maison mère », contrôlée financièrement par une nébuleuse d’entreprises rattachées à l’oligarque Evgueni Prigojine, ils se sont progressivement introduits dans d’autres pans de l’économie locale. Cette année, Wagner a ainsi investi le domaine forestier centrafricain via la société Bois Rouge. Selon nos informations, le groupe travaille également à développer des filiales dans d’autres secteurs.
WAGNER CHERCHE À EXPORTER DU CAFÉ ET, À TERME, DU SUCRE DE CENTRAFRIQUE
Le groupe de mercenariat a ainsi créé, il y a environ un an, la First Industrial Company, une entreprise liée à Lobaye Invest qui déploie des activités dans l’agroalimentaire. Vitali Perfilev et ses hommes – notamment un certain Roman, chargé de cet aspect de l’activité wagnérienne – lorgnent ainsi la production locale de café dans la préfecture de la Lobaye et ambitionnent surtout d’intégrer le business du sucre, en se substituant à l’occasion à la Sucaf, filiale du groupe Somdiaa et du français Castel. Dans certaines zones du nord du pays, Wagner profiterait notamment des attaques d’anciens rebelles de l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC) d’Ali Darassa contre les sites de la compagnie sucrière pour se poser en second terme d’une alternative.
D’après nos informations, Wagner aurait passé des accords avec le ministre de l’Élevage, Hassan Bouba, ancien bras droit d’Ali Darassa. Bouba a conservé des contacts précieux chez les combattants peuls et il est en mesure de recruter parmi ceux ayant récemment quitté l’UPC. Depuis l’enlisement de la guerre en Ukraine et l’implantation du groupe au Mali, Wagner aurait ainsi engagé par son intermédiaire et celui de ses bras droits, Idriss MaloumetHamadou Tanga, environ 300 ex-upécistes pour remplacer des mercenaires redéployés au Sahel ou dans le Donbass ukrainien. Hassan Bouba est l’une des personnalités qui profitent le plus de la protection des Russes de Wagner à Bangui, alors même qu’il est sous le coup d’une enquête de la justice centrafricaine pour des soupçons de crimes de guerre. Quant à Maloum et Tanga, ils accompagnent fréquemment Perfilev sur le terrain.
Douala, plaque tournante
Comment Wagner parvient-il à toucher les rentes de ce business tentaculaire ? Selon nos informations, les marchandises transitent par le port de Douala. Wagner y a ainsi pris le contrôle d’une société baptisée International Global Logistic (IGL). Fondée par le Centrafricain Anour Madjido, celle-ci a d’abord eu comme « simple » client le groupe de mercenaires, avant de se voir phagocytée par ce dernier plus récemment. À l’heure actuelle, IGL est contrôlée officieusement par un dénommé Nikolaï, qui travaille depuis la capitale économique camerounaise en étroite relation avec Roman et Vitali Perfilev à Bangui. Selon nos sources, l’entreprise assure le transit des marchandises et des conteneurs via le port autonome de Douala, Anour Madjido s’acquittant de toutes les formalités administratives.
Fonctionnant exclusivement avec un système basé sur l’argent liquide, qui transite via des réseaux opaques entre les marchés du PK5 à Bangui et Congo à Douala, l’intermédiaire centrafricain rend compte à Nikolaï. C’est ce dernier qui chapeaute l’organisation au nom de Vitali Perfilev et organise l’approvisionnement. Roman et Nikolaï ont notamment supervisé l’installation, dans la capitale économique camerounaise, d’une usine de torréfaction du café centrafricain. La marchandise transformée devra ensuite être expédiée à l’étranger – notamment en Russie – via le port autonome de Douala.
Cette dernière sert également de plaque tournante pour l’importation de matières premières et de matériel. Outre les engins nécessaires à l’exploitation du bois ou des minerais, Wagner achète ainsi à partir de Douala des produits tels que de l’alcool à bas prix venu du Nigeria. Une fois passé entre les mains de la First Industrial Company et avoir été transformé, celui-ci est ensuite vendu comme de la « vodka » en Centrafrique, notamment dans les rues de Bangui. Sous la forme d’un sachet de 200 millilitres, cette boisson aux effets potentiellement néfastes coûte 200 F CFA (0,30 euro), tandis que la bouteille de 75 centilitres en vaut 7 500. De quoi participer, sans que les consommateurs peu soucieux de leur santé le sachent, à remplir les caisses de Wagner.
Pourquoi Hiroshima et Nagasaki ont-elles été bombardées ?
« Il demeure historiquement établi, et c'est ce fait qui devra être jugé dans les temps à venir, que la question de savoir s'il fallait ou non utiliser la bombe atomique pour contraindre le Japon à capituler, ne s'est même pas posée. L'accord fut unanime, automatique, incontesté autour de notre table. » Winston Churchill, 1954.
* Paul Tibbets, le pilote, n'ignorait rien ni de sa mission, ni de ses conséquences. Ce n'était pas un soldat naïf et manipulé qui exécutait les ordres sans en comprendre et mesurer la portée. « Si Dante s'était trouvé avec nous dans l'avion, il aurait été terrifié », a-t-il raconté des années plus tard. « La ville que nous avions vue si clairement dans la lumière du jour était maintenant recouverte d'une horrible salissure. Tout avait disparu sous cette effrayante couverture de fumée et de feu », avait-il précisé.
Tibbets avait bien conscience que c'était une bombe abominable qu'il larguait sur des populations civiles sans défense. C'était un « soldat de confiance » à qui on avait tout expliqué avant le décollage de son avion, avec dans ses soutes une succursale de l'enfer qu'il allait laisser froidement tomber sur la tête de femmes, d'hommes et d'enfants désarmés.
Il savait parfaitement ce qu'il faisait.
Paul Tibbets s'était retourné vers l'équipage : « Les gars, vous venez juste de larguer la première bombe atomique ». De retour au sol, c'est l'enthousiasme général. Tibbets reçoit la Distinguished Service Cross.
Promu général de brigade en 1959, Tibbets a quitté l'armée en 1966. Il s'est éteint paisiblement le 1I³ novembre 2007 à Columbus dans l'Ohio.
Jamais depuis la fin de la guerre les autorités américaines n'ont exprimé de regrets pour les bombes larguées au dessus du Japon en août 1945. La légitimité des actions de guerre pour eux ne fait aucun doute : l'Amérique n'avait fait que se défendre contre un ennemi qui, le premier, avait ouvert les hostilités en bombardant Pearl Harbor en décembre 1941.
Cependant, cette position s'est nettement infléchie depuis l'arrivée de B. Obama à la Maison Blanche. Quelques faits remarquables :
- 2010. Les Etats-Unis sont représentés pour la première fois par un ambassadeur, John Roos, aux cérémonies du bombardement atomique d'Hiroshima du 6 août 1945.
- 2012.- Clifton Truman Daniel, petit-fils du président américain Harry Truman qui ordonna les bombardements, était présent à la cérémonie. S'exprimant lors d'une conférence de presse, il n'avait pas souhaité commenter les décisions prises par son grand-père. « Je viens deux générations plus tard », a expliqué Clifton Truman Daniel, 55 ans.
« Il est maintenant de ma responsabilité de faire mon possible pour que nous n'utilisions plus jamais des armes nucléaires », avait-il déclaré, cité par l'agence de presse japonaise Kyodo. Le gouvernement américain était de son côté à nouveau représenté à la cérémonie par le même John Roos.
V. 27 mai 2016. A l'occasion d'un sommet du G7, pour la première fois depuis 1975 un président américain s'est rendu à Hiroshima.26 Il a salué les victimes, prononcé des mots très compassés, Barack Obama dépose une couronne devant le cénotaphe du Parc du mémorial de la paix embrassé un des survivants (hibakusha) à cet abominable bombardement.
« Il y a 71 ans, la mort est tombée du ciel », a dit M. Obama, premier président américain en exercice à se rendre en ce lieu, visité chaque année par plus d'un million de personnes. « Nous sommes venus pour rendre hommage aux morts ». « Leurs âmes nous parlent. Elles nous demandent de regarder au fond de nous-même ».
C'est vrai, il n'y est pas allé en août. C'est vrai aussi qu'il a refusé de présenter des excuses, fidèle en cela à une constante attitude américaine.
Mais cette visite, ses mots et tous ces gestes symboliques forts y ressemblent beaucoup. « Nous avons la responsabilité de regarder l'histoire dans les yeux » (M. Obama). Reconnaître de cette responsabilité ne revient-il pas à s'excuser, un peu ?
Cela dit, au Japon et depuis longtemps, personne ne lui en demandait. Sunao Tsuboi, rescapé de 91 ans, militant antinucléaire de longue date, avait expliqué avant la cérémonie que s'il avait l'occasion d'échanger avec le président, il exprimerait d'abord sa « gratitude » pour la visite. « Je n'ai aucunement l'intention de lui demander des excuses ».
Pouvait-il en être autrement ?
En vertu du traité de sécurité américano-japonais de 1951, quelque 50.000 soldats américains sont stationnés sur l'archipel. Cela, contre l'avis des populations japonaises opposées à la présence de bases militaires étrangères sur son territoire.
* Jusqu'à la mort de Roosevelt, Harry Truman ne savait pas grand-chose du Projet Manhattan. Ni Roosevelt, ni L. Groves qui refusa de coopérer avec le « Comité Truman » chargé d'enquêter sur les programmes militaires pour en rationaliser les coûts, ne jugèrent utile de l'en informer. Cela ne l'empêcha d'aucune manière de décider avec un entêtement et une singulière fermeté de lancer les bombes sur les villes japonaises.
Un porte-avions a hérité de son nom, comme bien d'autres portent avions et d'autre présidents américains auxquels la puissance de leur pays épargna des procès pour crimes contre l'humanité. L'Histoire s'en chargera peut-être un jour lorsque les Etats-Unis d'Amérique ne seront plus en état de peser sur son écriture, deviendront un pays « normal » et, comme les autres, relèveront d'une justice ordinaire.
Plus de soixante ans après, rien de fondamental n'a vraiment changé. L'opinion américaine reste majoritairement convaincue que le largage de bombes atomiques sur des populations civiles japonaises était un acte légitime et nécessaire. Au mieux « un mal nécessaire ».
L'on retrouve aujourd'hui les mêmes arguments servis en 1945 pour justifier cet holocauste.
Près des deux-tiers des Américains continuent de croire que cette décision a permis d'abréger la guerre en Asie en brisant le moral des Japonais. On sait que cela n'était que très partiellement exact27.
C'était la bombe ou la mort d'un million de soldats américains répètent inlassablement ceux qui dominent l'univers médiatico-politique. Ces pertes avaient été sciemment, exagérément montées en épingle dans la guerre du Pacifique pour rendre l'usage des bombes atomiques inéluctable.
Certes, la combativité farouche des Japonais avait surpris et effrayé les troupes de Douglas MacArthur, notamment au cours de la Bataille d'Okinawa où les Américains avaient perdu de nombreux soldats.
Les vraies raisons sont ailleurs.
Vengeance ?
Les États-Unis voulaient punir l'attaque surprise japonaise de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. À cette date, les Japonais attaquèrent par surprise les Américains, tuant 2 403 marins américains et détruisant une partie importante de leur marine.
Ce ne fut qu'après cette attaque que le Japon déclara la guerre aux Etats-Unis.
« Nous avons mis au point la bombe et nous nous en sommes servis. Nous nous en sommes servis contre ceux qui nous ont attaqués sans avertissement à Pearl Harbor, contre ceux qui ont affamé, battu et exécuté des prisonniers de guerre américains, contre ceux qui ont renoncé à obéir aux lois de la guerre. Nous avons utilisé [l'arme atomique] pour raccourcir l'agonie de la guerre, pour sauver des milliers et des milliers de vies de jeunes Américains. » H. Truman, le 09 août 1945, à la radio américaine.
Expérimentation ?
Pour les Américains, les Japonais n'étaient pas vraiment, complètement humains. Il en était ainsi d'autres peuples qui habitent la planète Terre. Par exemple, les Américains de peau noire.
Ils étaient curieux de savoir les effets de la bombe sur ce qui reste des hommes et des villes.
Dès la fin des bombardements, une armée de techniciens, de médecins, de biologistes... sont partis au Japon examiner la « situation » sur le terrain. Prélever des échantillons, observer les morts et les survivants...
Leurs homologues allemands en faisaient de même en Europe conquise par les légions du IIIème Reich. L'université de Strasbourg, par exemple, refondée par Guillaume II après 1870, regermanisée à nouveau en 1940, avait son centre de recherche spécialisée...
Leó Szilárd, à la fin de la guerre, confiera : « Si les Allemands avaient largué des bombes atomiques à notre place, nous aurions qualifié de crimes de guerre les bombardements atomiques sur des villes, nous aurions condamné à mort les coupables allemands lors du procès de Nuremberg et les aurions pendus. »
Spéculation simpliste d'un pacifiste désabusé.
On peut en douter à la lecture des commentaires de l'époque sur les mœurs des non occidentaux, sur la sauvagerie des combattants japonais, il est tout aussi probable que les Américains et les Européens ne tenaient « pas vraiment, pas complètement » les Japonais (et en l'occurrence tous les Asiatiques,) pour des êtres humains. Sûrement pas en tout cas pour des êtres humains comme « eux ».28
N'oublions pas que lors du débarquement en Normandie, le 06 juin 1944, les soldats afro-américains étaient isolés de leurs « concitoyens caucasiens » et combattaient dans des unités séparées. Déjà, pour les JO de 1936 à Berlin, ils avaient traversés sur le même bateau mais pas sur les mêmes ponts.
L'« Affirmative action » n'était encore qu'un rêve d'un pasteur noir qui sera assassiné plus de 20 ans plus tard et l'élection d'un président de « couleur », un événement inimaginable à l'époque.
En sorte que pour de nombreux Américains (le pire était sans doute qu'ils le pensaient de « bonne foi ») les bombes américains n'avaient pas tué des hommes comme eux, mais seulement une sorte d'animaux nuisibles, terriblement dangereux.
Principe opérationnel de base : il faut d'abord déshumaniser l'ennemi avant de tuer.
L'observation attentive des films hollywoodiens sortis au cours des années 1950, montre à quel point la mort d'un Japonais constituait à peine la toile de fond dramatique sur laquelle était célébrée la bravoure des soldats yankee.
Les « Indiens d'Amérique » qui n'ont été déclarés très formellement « citoyens américains » qu'en 192429, ont joué un rôle similaire dans la « Conquête de l'Ouest ».
« Un bon indien est un indien mort » aurait déclaré le major-général Sheridan (1831-1888). Qu'il l'ait dit ou non, les faits demeurent arithmétiquement incontestables : 90% des « Indiens » d'Amérique du Nord furent exterminés, notamment au cours du XIXème siècle.
Une bombe géostratégique.
Avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide était déjà engagée. Et l'Amérique devait montrer aux Soviétiques qui était le plus fort. Washington devait aussi le montrer au reste du monde car c'est désormais toute la planète qui devenait un enjeu et un théâtre d'opération, le futur « Grand échiquier », formalisé plus tard par Zbigniew Brzezinski30, conseiller à la Maison Blanche de 1977 à 1981.
Au fond, les Allemands voyaient le monde par le bout d'une petite lorgnette, sous l'angle étriqué des panzerdivisionen.
A. Hitler (avec son mentor v. Hindenburg) était encore dans les tranchées de la 1ère guerre mondiale et dans la forêt de Compiègne et les patrons européens paralysés par la peur des Bolcheviks.
L'Amérique se plaçait à l'échelle d'un monde à trois dimensions que l'US Air Force allait rétrécir pour le soumettre dans sa globalité. Et il était hors de question de le partager avec qui que ce soit. Pas même avec la Grande Bretagne bercée par l'illusion des accords secrets conclus à Terre Neuve en 1941.
Churchill cultiva avec ses prédécesseurs le trompe-l'œil des « relations spéciales ». Et l'Europe se méprit à l'exception les atlantistes militants qui placent leur cause à l'échelle d'un Occident encerclé de marches barbares 31 - sur le sens du mot « Alliance ». Plus tard, on découvrira que les Empires sont privés de morale et d'amis. Ils n'ont que des intérêts, des ennemis et des vassaux.
La bombe -Ch. de Gaulle l'avait très tôt compris après son passage subreptice au Canada en 1944 où des physiciens français l'avaient, dans le plus grand secret, instruit des entreprises en cours-, est un fusil à un coup qui n'était évidemment efficace que s'il ne servait pas.
Une « arme diplomatique » que la France va s'acharner à posséder pour exister dans un paysage géostratégique mondial en profonde et rapide mutation.
La Grande Bretagne a fait le choix d'une ancienne puissance coloniale qui connaît ses limites et reconnaît le nouvel ordre géopolitique internationale orchestré à partir de Washington. Londres a consenti à ce que ses ogives soient portées par des vecteurs américains et donc conditionner leur usage à l'avis de Washington.
C'était le deal que J.-F. Kennedy avait soumis à H. MacMillan à Nassau en décembre 1962. et que celui-ci devait soumettre à la France.
C. De Gaulle, convaincu que la « grandeur » n'était pas une question de taille, allait résister. Il avait appris à le faire dès 1940 en exil à Londres et en tirera toutes les leçons après 1958.32 Le Royaume Uni sera exclu d'Europe jusqu'à l'arrivée à l'Elysée de G. Pompidou. En 1973, eut lieu le premier élargissement, avec l'entrée dans la CEE par la grande porte en compagnie du Royaume Uni, du Danemark et de l'Irlande.
Le but de la bombe sur le Japon était clair : mais croire que Truman voulait impressionner seulement J. Staline serait une grave erreur. Il a envoyé un signal fort aux Russes -qui l'avaient reçu avant même qu'il ait été envoyé-, et surtout a averti le reste du monde de la naissance du nouvel Empire (annoncée dès 1919) auquel il fallait prêter allégeance.
Tous les efforts étaient déjà déployés dans la consolidation du « containment » conçu par Dean Acheson -secrétaire d'Etat de 1949 à 1953- et la domestication de l'URSS et le recyclage de l'Allemagne et du Japon dans le « nouveau monde ».
On a oublié ce fait qui peut paraître surprenant : dès le 08 août, soit 3 mois après la capitulation allemande et deux jours après Hiroshima, l'URSS déclare la guerre au Japon, envahit la Mandchourie, la Corée du Nord et Sakhaline. Ceci explique cela.
Remarques importantes :
* Autant (peut-être mieux) que Truman, Staline était étroitement informé des progrès de la recherche à Los Alamos et des buts réels de Washington. Il était donc prêt. La déclaration de guerre et les mouvements de l'armée rouge n'ont pas été improvisés. Dans le débarquement en Normandie le 06 juin 1944, un train en cachait un autre : la libération de la France était un objectif mineur dans la stratégie américaine. L'impératif était d'aller le plus loin et le plus rapidement possible vers l'est à l'encontre des armées russes. Le partage de l'Europe s'ensuivit.
* A l'évidence, l'attaque atomique du Japon a été contreproductive dans la mesure où elle allait provoquer ce qu'elle avait pour objet d'éviter. La Russie n'a pas été impressionnée. Le bombardement de Nagasaki le lendemain 09 août n'y changera rien. Plus préoccupant, les Etats-Unis avaient épuisé leur stock de bombes. Ils avaient fait exploser les trois prêtes à l'emploi. Staline le savait-il ?
* Toutes les démonstrations de forces faites plus tard dans le Pacifique tenteront pour une part de rattraper ce coup. Le spectacle s'est dissout dans sa répétition.
Dans ce jeu d'échec redoutable, Tokyo allait jouer le rôle de pion sur un échiquier (ou plus exactement allait laisser croire à cela), dans un monde qui n'avait déjà plus rien à voir avec celui de 1939.
Le Japon avait joué et avait perdu. Il en a payé le prix et n'a pas cessé de le faire. Mais le Japon atomisé, militairement occupé et soumis sait composer, donner le change et résister. Un événement apparemment mineur en témoigne.
En 1936, à Berlin on instaura le relais de la flamme olympique. L'identité du dernier porteur est symboliquement chargée, le plus souvent pour transmettre un message de portée morale universelle.
Le 10 octobre 1964, le jeune athlète japonais Yoshinori Sakai qui alluma la vasque lors de la cérémonie d'ouverture les Jeux Olympiques de Tokyo (les premiers à avoir été organisés par un pays asiatique), est né à Hiroshima le 06 août 1945, le jour où la bombe atomique fut lâchée.
Comme on le voit, les Japonais n'ont rien oublié et, à leur manière, le font savoir.
Le soleil nippon y perdra ses rayons, l'Empereur sa divinité, mais dans le cœur des Japonais demeure une conviction profonde et indicible que la Constitution imposée par MacArthur ne l'a que très superficiellement affectée. Au point qu'il est toujours difficile d'identifier si ces concepts ont un sens dans la culture japonaise - les lieux réels du pouvoir et les circuits tortueux des protocoles de décision.
Posons-nous cette question : si les Japonais avaient disposé d'une bombe atomique en 1941, l'auraient-ils lancée sur Pearl Harbor ou sur une ville américaine ?
A cette question il en est une autre : H. Truman aurait-il lancé ses bombes si d'autres pays en possédaient ? La réponse négative à cette question (d'autant plus crédible que depuis 1949 aucun bombardement similaire n'a eu lieu), valide rétrospectivement le point de vues des scientifiques favorables dès 1945 à la diffusion de ses secrets de fabrication, précisément pour dissuader quiconque d'en user. La crise sérieuse de 1962 est, en cela, un test réussi.
Il en est du Japon comme de l'autre perdant de la seconde guerre mondiale.
La crise ukrainienne en cours le démontre en toute clarté. Berlin a résisté, discrètement, mais a fini par céder à Washington dont l'objectif est de réduire le pouvoir du Kremlin et de casser l'axe eurasiatique Berlin-Moscou-Pékin en cours de construction. Le reste de l'Europe a suivi, consentant avec un « enthousiasme » médiatique remarquable à une politique totalement contraire à ses intérêts.
Il est vrai que Wall Street, le dollar et l'extraterritorialisation de la justice américaine, plus encore que le Pentagone, sont des armes efficaces et musellent solidement les économies et le commerce du « vieux continent ».
La société nucléaire, un club très fermé.
La lutte actuelle contre la prolifération nucléaire salutaire dans son principe - est critiquée par ceux qui ne possèdent pas cette arme en ce que ceux qui l'administrent n'auraient qu'une préoccupation : maintenir l'exclusivité de sa détention et interdire à ce que d'autres puissent en disposer, avec un contrôle tel sur ses usages civils que cela revient réellement à en limiter la maîtrise par tout pays désirant y accéder.
Cette lutte est ainsi passée du processus de réduction progressive des armements à la chasse à ceux qui voudraient s'en doter.
On n'entre dans ce cercle oligopolistique que par effraction. Ainsi en fut-il de la France, de l'Inde, du Pakistan et d'Israël. Le Brésil, le Japon, l'Allemagne, l'Afrique du Sud, et quelques autres plus moins contraints, y renoncèrent chacun pour ce qui le concerne.
En fait, contrairement aux arguments régulièrement diffusés sur l'importance que représente l'armement atomique, les Etats-Unis n'ont pas besoin de bombes atomiques pour dominer militairement sur Terre.
On peut même penser que l'interdiction totale de ce type d'armes leur conviendrait parfaitement. Les « forces conventionnelles » américaines sont suffisantes pour détruire des pays entiers où qu'ils se situent sur la planète.
Dans cette hypothèse, la France par exemple -la crise ukrainienne le montre- se retrouverait dans une situation extrêmement préoccupante. Tout au moins le fut-elle à l'époque gaullienne où elle disposait encore en toute souveraineté de ses forces armées, désormais placées depuis 2007 sous commandement de l'OTAN, c'est-à-dire américain.
Plusieurs traités multilatéraux ont été conclus en vue de prévenir la prolifération et les essais nucléaires tout en promouvant les progrès en matière de désarmement nucléaire.
Il s'agit du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (NPT), du Traité interdisant les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau, aussi appelé Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT), qui a été signé en 1996 mais n'est pas encore entré en vigueur.33
La plupart des traités ont été démantelés, D. Trump s'y est attaché avec ardeur. Le dernier qui reste « New Start » signé en 2010. Il limite les arsenaux des deux pays à un maximum de 1 550 ogives chacun, soit une réduction de près de 30% par rapport à la limite précédente fixée en 2002. Il limite aussi le nombre de lanceurs et bombardiers lourds à 800, ce qui reste suffisant pour détruire la Terre plusieurs fois.
En janvier 2021, Vladimir Poutine l'a prolongé pour cinq ans, jusqu'en 2026. Mais il semble promis à un décès prématuré, compromis par les sanctions américaines du fait du conflit ukrainien.
Le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TPNW) a été adopté le 07 juillet 2017 par la Conférence des Nations Unies pour la négociation d'un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète, qui a eu lieu à New York du 27 au 31 mars et du 15 juin au 07 juillet 2017. Conformément à son article 13, le Traité est ouvert à la signature de tous les États au Siège de l'Organisation des Nations Unies à New York à compter du 20 septembre 2017.
De nombreux pays l'ont signé. Surtout des pays du sud et certains pays européens militairement mineurs, comme le Lichtenstein par exemple. Mais il n'a été signé et encore moins ratifié par aucun des pays qui possèdent l'armement atomique.
CQFD
Gerboise bleue.
Sans la défaite de 1940, la France aurait peut-être été la première à maîtriser la technologie nécessaire pour la mise au point d'un réacteur et de la bombe. La famille Curie a été à l'origine de ces recherches. L'eau lourde scandinave et l'uranium congolais auraient pu peut-être permettre à l'équipe dirigée par Frédéric Joliot d'aboutir. Elle en fut empêchée par la guerre et l'armistice.
Les anglo-saxons firent tout leur possible, jusqu'à l'élection de Nixon, pour dissuader et empêcher les Français de se doter de cette arme. Dès octobre 1945, le Général décréta la naissance du CEA et, après 1958, prit les décisions adéquates qui aboutirent à l'opération « Gerboise bleue ».
Il faudra attendre le S. 13 février 1960 pour que la France fasse exploser son premier engin dans le désert algérien, à quelques kilomètres de Reggan.34
On a dit qu'une des raisons pour lesquelles Roosevelt ne supportait pas de Gaulle tenait à ce que ce dernier fût un général et que le président américain ne concevait pas une démocratie dirigée par des militaires. Il n'a pas pris garde au fait que de Gaulle a cessé, dès le « 18 juin », d'être un soldat. Cela a trompé Roosevelt. Cela a aussi trompé le « quarteron de généraux à la retraite » qui à son grand regret a oeuvré à son retour aux affaires en 1958.
Cela dit, la qualité de Ch. de Gaulle importait peu. F. Roosevelt aurait négocié avec n'importe qui lui aurait garantit la subordination sinon la docilité de la France. N'avait-il pas joué l'amiral Darlan en 1942, puis le général Giraud contre de Gaulle ? Cela tombe sous le sens, non parce que ce dernier était un soldat, mais parce qu'il était insoumis.
La bombe de Saddam Hussein. Faux et usage de faux.
Pour justifier l'intervention militaire en Irak, on le sait (maintenant de manière officielle) que l'administration Bush avait eu recours à un travestissement sophistiqué des faits destiné à persuader l'opinion publique américaine et mondiale que l'Irak était un pays dangereux pour lui-même, pour ses voisins et pour la paix dans le monde. La hiérarchie des raisons invoquées était variable selon les circonstances :
- C'était tantôt un pays dirigé par un dictateur sanguinaire qui opprimait son peuple (par exemple en gazant les Kurdes irakiens) et menaçait ses voisins ainsi qu'il le fit contre le Koweït en 1991.
- Tantôt comme un pays plus ou moins lié à El Qaïda, organisation (dirigée par un ancien collaborateur occulte de l'Amérique, notamment en Afghanistan à l'époque où ce pays était sous contrôle soviétique après 1979) qui a été jugée responsable de l'attaque des Twin Tower de Manhattan.35
Il est une troisième raison posée comme devant impérativement entraîner l'action militaire : l'Irak aurait rassemblé les moyens techniques nécessaires lui permettant de disposer d'une bombe nucléaire.
Nous savons que beaucoup de gouvernements ont refusé de partager l'analyse de Washington. On pense évidemment à la France chiraquienne et en particulier au discours prononcé le 14 février 2003 par Dominique de Villepin, le ministre français des Affaires Etrangères d'alors, devant Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Une étude publiée en janvier 2008, réalisée à partir d'une base de données intégrant des déclarations publiques dans les deux années qui ont suivi le 11 Septembre et des informations provenant de plus de 25 rapports gouvernementaux, livres, articles, discours et interviews, a permis de relever au moins 935 fausses déclarations36.
« Il n'est maintenant plus contesté que l'Irak ne possédait pas d'armes de destruction massive et n'avait pas de liens significatifs avec Al-Qaïda », selon Charles Lewis et Mark Reading-Smith, membres du Fonds pour l'indépendance en journalisme, qui ont travaillé sur l'étude. « En bref, l'administration Bush a mené la nation vers la guerre sur la base d'informations erronées qu'elle avait propagées méthodiquement, et cela s'est terminé par une action militaire contre l'Irak le 19 mars 2003 ».
Dans cette gigantesque mise en scène (relayés fidèlement et intensivement par des réseaux de communication mondialisés, intimement liés aux milieux transnationalisés de l'économie, de la politique, de la finance, du pétrole, des industries des armes...), presque tous les hauts responsables américains qui occupaient à l'époque des fonctions diverses ont pris leur part: le vice-président Dick Cheney, la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice, qui avait été chargée par la suite de la diplomatie américaine, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d'Etat Colin Powell, le vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz et les porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer et Scott McClellan.
Le président Bush arrive en tête avec 259 fausses déclarations, 231 concernant les armes de destruction massive en Irak et 28 sur les liens de l'Irak avec Al-Qaïda, selon l'étude. Pour Colin Powell, l'étude recense 244 fausses déclarations sur les armes de destruction massive en Irak et dix sur l'Iran et Al-Qaïda. Ce même 14 février, Colin Powell, secrétaire d'Etat à la défense des Etats-Unis devant les membres du Conseil de Sécurité s'est appuyé sur une thèse sciemment erronée.37
Toute cette opération était cousue de fil blanc. Le projet d'attaque de l'Irak avait été concocté des années auparavant, dans la foulée de « Desert Strom » (1991), sans que les exécutants s'attardent sur la vraisemblance des causes et des justifications. Washington n'en a cure.
La bombe iranienne
Les Iraniens n'ont jamais cherché à disposer d'un armement atomique. En témoigne leur signature au bas de l'Accord 5+1 conclu en 2015 avec toutes les garanties offertes aux contrôles de l'AIEA.
Mais après que les Etats-Unis aient dénoncé unilatéralement cet accord en mai 2018, poussés à bout, les Iraniens chercheraient, dans une logique gaullienne, à crédibiliser un rapport de forces géopolitique régional à leur avantage pour devenir un interlocuteur incontournable de la « communauté internationale » dans la résolution des conflits locaux. Hors de question de se priver de vecteurs garants de leur sécurité. Hors de question de rompre un pacte d'alliance avec ses voisins, notamment syriens.38
Ce pays est à la jonction des fronts du sous-continent indien (qui opposent la Chine, l'Inde, le Pakistan, la Russie, l'Afghanistan, les ex-Républiques Soviétiques, les Etats-Unis et ses nombreux « alliés ») et des multiples fronts du Proche-Orient (y compris les querelles caucasiennes). Il veut se ménager une profondeur stratégique dans un espace d'interlocution où interfère une multitude d'intérêts opposés.
C'est, pour autant que nous puissions en juger, le principal intérêt que présente pour l'Iran la maîtrise de l'atome. Son emploi militaire signifie un échec que personne n'imagine car il entraînerait des conséquences que personne ne souhaite. Là est tout le secret de cette arme.
Ce qui est vrai pour l'Iran l'est tout autant pour la Corée du nord dont les essais nucléaires et lancements de missiles ne semblent viser qu'un seul objectif : négocier à son profit (sous l'aile « protectrice » de la Chine39) la réunification de la Corée et son retour dans le monde post-soviétique.
La logique militaire est trop proche de la réalité et des instruments de la guerre, obnubilée par l'efficacité des armes, pour discerner l'intelligence de leur usage. Mais n'est-ce pas après tout cela qu'on demande aux soldats ?40
La morale, les principes, les valeurs... c'est bon pour les armées de bonimenteurs qui pullulent sur les plateaux de télévision.
*******
Les règles du jeu ont été édictées aux lendemains des explosions d'Hiroshima et de Nagasaki. Le président Truman fixa en ces termes le cadre intangible de la politique atomique américaine : « Nous devons donc, disait-il, nous constituer nous-mêmes en dépositaires de cette nouvelle force afin d'éviter qu'il en soit fait un dangereux usage et d'en orienter l'utilisation pour le bien de l'humanité. »
Nous en observons aujourd'hui la mise en œuvre, consistant à limiter la possession de l'armement nucléaire et en interdire à quiconque la maîtrise, sous prétexte que personne mieux que l'Occident dont l'Amérique est le chef de file, ne saurait en faire un usage sage et raisonnable.
Il demeure un fait que, quoi qu'on dise à propos de la décision de Truman, l'Amérique laissera dans l'histoire de l'humanité l'image de la nation qui a osé... Et cette image terrible, les Américains devront l'assumer pour l'éternité.
Cependant, le plus urgent est la remise en cause de la symétrie entre l'ordre nucléaire et l'ordre géopolitique mondial. Car en réalité c'est bien à cela que faisait allusion H. Truman plus haut.
Le conflit ukrainien ne signifie pas seulement la faillite d'un mythe : la construction européenne a été vendue aux populations en tant que garant d'une paix éternelle sur le continent. Le slogan c'est l'Union qui a chassé la guerre du continent a été une belle escroquerie politique.
En sorte que la question s'impose : y aura-t-il une Europe après l'Ukraine ?
La crise en cours n'a pas seulement ébranlé l'Union. Elle a vraisemblablement achevé l'ONU et toutes les institutions internationales que l'émergence prématurée de l'« hyperpuissance » américaine.
Bientôt, le Conseil de sécurité ne bloquera plus aucune Résolution. La médiation fondée sur les bombes atomiques « pour le bien de l'humanité » est terminée.
Je serai reconnaissant à tout lecteur qui me ferait part de toute inexactitude ou déduction erronée qu'il décèlerait dans ce papier.
Abdelhak BENELHADJ
La bibliographie et la filmographie sont sur ce sujet, on le devine, considérable. Ci-après quelques références pour compléter et approfondir la connaissance de la question:
- BENDJEBBAR André (2000) : Histoire secrète de la bombe atomique française. Paris, Le cherche-midi-éditeur. 404 p.
- BIQUARD Pierre (2003) : Frédéric Joliot-Curie et l'énergie atomique. L'Harmattan, 262 p. Réédition du livre paru en 1961 chez Seghers, 255 p.
- Cahiers de Sciences et Vie n°7 (février 1992) : Le projet Manhattan. Histoire de la première bombe atomique. 96 p.
- Collectif sous la direction de Céline JURGENSEN et Dominique MONGIN (2018) : Résistance et Dissuasion. Des origines du programme nucléaire français à nos jours. Odile Jacob, 396 p.
- JACQUARD Roland (1986) : Le marché noir de la bombe. Paris, Vertiges du nord/Carrère, 195 p.
- JEROME Fred (2003) : « Einstein. Un traître pour le FBI. Les secrets d'un conflit » Traduit en 2005 aux éditions Frison-Roche, 378 p.
- LAUNET Edouard (2016) : Sorbonne plage. Stock, 214 p.
- McNAMARA Robert (1986) : Plaidoyer. Prévenir la guerre nucléaire. Traduction chez Hachette 1988, 189 p.
- PEAN Pierre (1982) : Les deux bombes ou comment la guerre du Golfe a commencé le 18 novembre 1975. Fayard, nouvelle édition 1991, 199 p.
- PINAULT Michel (2000) : Frédéric Joliot-Curie. O. Jacob, 712 p.
- Pour la science, n°6. Fermi, un physicien dans la tourmente. Mai 2001. 98 p.
Notes
1- Il tombe sous le sens que le général n'exclut pas l'exception : il y a les moyens et ce que l'on en fait. Par exemple : lors de la bataille d'Azincourt (1415) -sur le territoire français de surcroît !-, 12 000 Anglais ont défait 50 000 Français, la fine fleur de la chevalerie française y a péri et l'inimitié franco-britannique définitivement ancrée dans l'histoire des deux « ennemis intimes ». (A. Benelhadj « Géopolitique de la sécurité et du développement » Le Quotidien d'Oran, 16-23 avril 2005.)
2- Après un historien britannique en 2005 (Frederick Taylor), une commission d'experts a révisé en baisse le nombre de victimes de ces bombardements (Associated Press, J. 02/10/2008). Des Allemands maintiennent toujours un nombre total de morts situé selon eux entre 500 000 et un million. Des voix ont suggéré la traduction devant un tribunal, des hommes qui ont ordonné ces attaques, au moins pour crimes de guerre.
3- Cf. Jörg Friedrich : « L'incendie : L'Allemagne sous les bombes 1940-1945. » Editions de Fallois, 2004, 542 p.
4- Éditorial de « Combat », 08 août 1945. Dans une allégresse générale, Camus fut une des rares voix à s'élever immédiatement après le bombardement d'Hiroshima pour ne pas s'en réjouir.
5- Les statistiques et les commentaires font souvent l'impasse sur la vingtaine de millions de Chinois et sur les soldats mobilisés d'office par les métropoles coloniales, les premiers envoyés au front, chair à canons morts pour une cause qui n'était pas la leur. Par comparaison, les Etats-Unis ont perdu un peu plus de 400 000 hommes, à moins de 2000 civils près, tous des soldats.
6- Que dire alors de la « Tsar Bomba » soviétique (ainsi surnommée par les Américains) de 57 mégatonnes qui explosa le 30 octobre 1961, conçue et réalisée sous la direction de Andreï Sakharov, le Nobel russe de la paix 1975.
7- A. Benelhadj : « Il n'existe pas de guerre civilisée ». Le Quotidien d'Oran, J. 03 avril 2003.
8- Pour embrouiller davantage l'affaire, l'historien berlinois Rainer Karlsch, dans son livre « La bombe de Hitler » (Calmann-Levy 2007, 528 p.), prétend plus de 60 ans plus tard que les nazis ont testé plusieurs bombes nucléaires tactiques entre octobre 1944 et mars 1945.
9- La contribution de Lise Meitner a été complètement ignorée. Comme a failli l'être celle de la polonaise Marie Sk³odowska en 1903.
10- Dès 1939, F. Joliot a attiré l'attention de Edgard Sengier, un des directeurs de cette société, sur l'importance de l'uranium utilisé jusque-là comme colorant jaune dans les faïences. 1 250 tonnes de ce minerai se retrouveront à New York fin 1940, avec 26 bidons d'eau lourde (nécessaire à la séparation isotopique) que Joliot avait réussi à se procurer en Norvège.
11- Cf. Charles Franck (1993) : « Opération Epsilon : Les transcriptions de Farm Hall. » Paris, Flammarion, 384 p. A ne pas confondre avec le roman de science fiction de J.-P. Garen publié chez Fleuve Noir en 1977, 213 p.
12- Larry Collins (1985) : Fortitude. Paris, Robert Laffont, 667 p. Le nom du chef de la « section F » a été soigneusement gardé secret, même après sa mort intervenue le 17 avril 1992. Il s'agit du colonel britannique Maurice Buckmaster, chef du SOE de 1941 à 1945. On peut en comprendre les raisons : pour les intoxiquer, le réseau Prosper a été « vendu » délibérément par l'Intelligence Service aux Allemands. 400 résistants français et une vingtaine de Britanniques ont été « sacrifiés ». Qui aurait osé s'en vanter ?
13- Lire à ce sujet le papier de Mark WALTER (1992) : Le mystère de la bombe allemande. In Le projet Manhattan. Les Cahiers de Science et Vie, HS, n°7, pp.64-75. M. Walter a entrepris une recherche plus complète sur la question : German National Socialism and the Quest for Nuclear Power 1939-1949. Cambridge University Press, 1989. 290 p.
14- En mars 2002, cette lettre avait été mise aux enchères et acquise pour 2,1 millions de dollars.
15- « La pire des institutions grégaires se prénomme l'armée. Je la hais. Si un homme peut éprouver quelque plaisir à défiler en rang aux sons d'une musique, je méprise cet homme... Il ne mérite pas un cerveau humain puisqu'une moelle épinière le satisfait. Nous devrions faire disparaître le plus rapidement possible ce cancer de la civilisation. » A. Einstein, « Comment je vois le Monde » (1934), p. 8, éd. Flammarion.
16- Traduit en 2005 aux éditions Frison-Roche, 378 p.
17- De nationalité suisse, le physicien n'a demandé et obtenu la citoyenneté américaine qu'en octobre 1940, précisons : contre l'avis du FBI. L'affaire est enterrée par E. Hoover le 04 octobre 1955, soit près de cinq mois après la mort d'Einstein (le 18 avril de la même année).
18- Toute cette affaire paraît truffée d'incohérences. Comme nous le verrons plus loin, les autorités américaines avaient de bien meilleures raisons de refuser à R. Oppenheimer la direction de Los Alamos. Certes, celui-ci était de naissance américaine...
19- « Je m'appelle Pavel Soudoplatov (...) C'est moi qui ai organisé l'assassinat de Trotski. (...) J'ai également assumé la direction des activités de l'espionnage soviétique qui visaient à percer les secrets atomiques détenus par Robert Oppenheimer, Enrico Fermi, Klaus Fuchs et d'autres. ». Le 25 avril 1994, le «Time Magazine» en avait fait un sujet de couverture impressionnant. Mais le 23 mai, l'hebdomadaire américain dénonçait un ouvrage truffé de mensonges ou d'approximations. Ces confidences (entretiens avec deux journalistes américains, Jerrold et Leona Schecter) sont parues en français aux éditions Seuil sous le titre : « Missions spéciales », par Pavel et Anatoli Soudoplatov. Trad. sous la direction de Marc Saporta, 613 p.
20- C'est justement parce que l'URSS était tenue pour un pays allié que K. Fuchs évita la perpétuité et ne fut condamné à Londres en 1950 qu'à 14 ans de prison (où il n'en passa que 9 et finit sa vie en Allemagne de l'Est). Rappelons toutefois que certains généraux américains en Europe auraient voulu continuer leur campagne au-delà de la frontière Oder-Neisse. Mais pour cela il aurait fallu qu'ils en eussent les moyens militaires et politiques.
21- Un documentaire diffusé ce samedi 06 août 2022 sur la chaîne Arte (« Einstein-Hawking, l'univers dévoilé », en 2 parties) reprend sans sourciller le même mythe selon lequel A. Einstein contribua de manière décisive à la « bombe » grâce à sa célèbre équation E=mc². Autant y associer I. Newton en ce que la mécanique classique étudie la gravité qui détermine la chute de la bombe larguée à Hiroshima.
22- Roosevelt mit N. Bohr sous surveillance pendant tout le reste de la guerre, après sa fuite en 1944 du Danemark occupé vers les Etats-Unis, de peur de le voir diffuser et ses idées pacifistes et plus grave les secrets de la bombe.
23- Le 11 juin 1945, une pétition de savants regroupés alors sous le label « Rapport Franck » préconisait un emploi moins mortifère de l'arme atomique, comme alternative au largage sur des zones d'habitation. Ces scientifiques mirent du temps à mesurer l'illusion qu'ils avaient à croire qu'ils pouvaient agir de manière déterminante sur l'usage des produits de leurs recherches.
24- Le témoignage pour le moins ambiguë de E. Teller très tôt rival de Oppenheimer à Los Alamos notamment et déçu que le choix de la bombe A se soit fait au détriment de son option vers une bombe à hydrogène - fut très critiqué par la communauté scientifique. En 1963, le président Lyndon Johnson le réhabilite en le décorant de la plus haute récompense de l'AEC (Atomic Energy Commission), le prix Enrico Fermi. Rétrospectivement, on peut dire que l'attitude de Oppenheimer ne fut pas toujours exempte de reproches et de contradictions et le procès qu'on lui fit recèle encore de nombreux coins d'ombre.
25- F. Joliot a entamé des recherches très prometteuses avant la guerre. Einstein y fait allusion dans sa lettre à F. Roosevelt. L'invasion de la France en 1940 a définitivement compromis le projet pour lequel il a déposé un brevet en 1939. Il a obtenu le Nobel de chimie en 1935 avec sa femme Irène Joliot, fille de Marie et Pierre Curie. Toute la famille a ainsi accumulé cinq Nobel. Marie est la seule femme à en avoir reçu deux dans deux disciplines différentes (physique et chimie).
26- Avant lui, Jimmy Carter, 39e président élu, attendra le 25 mai 1984 pour visiter le Mémorial de la paix d'Hiroshima. Il a été ainsi le premier ancien président des États-Unis à s'y rendre.
27- Selon un sondage commandé par l'université de Quinnipiac (Connecticut) publié le 05 août 2009 (Reuters, mercredi 05/08/2009 à 17:39). Les personnes âgées et les hommes et les Républicains sont les plus nombreux à approuver les bombardements atomiques des 6 et 9 août 1945. Le taux d'approbation est de 74% chez les Républicains (13% contre), alors qu'il est de 49% (29% contre) chez les Démocrates. Les hommes se déclarent à 72% pour (17% contre), et les femmes à 51% (27%). Les noirs américains sont divisés sur le sujet : 36% sont contre et 34% pour. De même pour les Hispaniques : 44% pour et 43% contre.
28- Lire Vercors (Jean Bruller) (1952) : « Les animaux dénaturés », édition de poche 1975, 363 p.
29- Les Aborigènes d'Australie ne le sont dans « leur » pays que depuis 1967.
30- Livre édité en 1997 et traduit chez Bayard la même année et édité par Fayard en 2010, 273 p.
31- Lire sur ce sujet où les illusions sont nombreuses et anciennes, allant de la soumission raisonnée en une subordination pragmatique, à l'espoir d'une invraisemblable co-décision d'égal à égal (c'était le cas d'E. Balladur avec son « Conseil exécutif paritaire », du moins l'a-t-il fait croire).
- Régis DEBRAY (2002) : L'Edit de Caracalla ou plaidoyer pour des Etats-Unis d'Occident. Paris, Fayard, 138p.
- Edouard BALLADUR (2007) : Pour une union occidentale entre l'Europe et les Etats-Unis. Fayard, 120 p.
- Philippe NEMO (2004) :Qu'est-ce que l'Occident ? PUF, Quadrige. 155 p.
32- Précisons que Charles de Gaulle, malgré son retrait fracassant de l'OTAN en 1966, contrairement aux images d'Epinal qu'il se plaisait d'entretenir, n'a jamais renié son appartenance au camp occidental dominé par l'Amérique. Dans les moments de choix essentiels, la France gaullienne s'est presque toujours placée aux côtés des Etats-Unis. Lors de la crise cubaine par exemple, Kennedy qui avait dépêché D. Acheson pour solliciter l'appui de Paris et était prêt en retour à mettre un terme à l'opposition américaine à la « bombe française », a été très surpris de voir le Général lui accorder son soutien avant toute demande et sans chercher à négocier la moindre contrepartie. (Cf. Vincent Jaubert : « L'Amérique contre de Gaulle. Histoire secrète 1961-1969 ». Seuil, p.75.)
34- Des Algériens gardent les stigmates de l'accident qui a eu lieu le 1er mai 1962 à In Ecker, au nord de Tamanrasset (essai « béryl », le 2ème d'une série qui en compta 13, jusqu'en février 1966).
35- Une étude de la CIA (« Renseignement et Analyse sur l'Irak: questions pour la communauté du renseignement ») déclassifiée en septembre 2005, a bien noté qu'il n'a jamais existé « aucune relation opérationnelle ou de collaboration » entre El Qaïda et l'Etat irakien (AP, J. 13 octobre 2005, 23h06).
36- Associated Press, mercredi 23/01/2008, 20h24
37- G.-W Bush ne pardonnera pas l'affront : de Villepin est applaudi à la fin de son discours par son auditoire dans une enceinte où de coutume l'on applaudit pas. Mais ils pardonneront très vite. La posture française n'avait qu'une valeur rhétorique. Avec le président suivant à l'Elysée, tout rentra dans l'ordre atlantiste.
38- Cf. A. Benelhadj au Quotidien d'Oran : « D. Trump dénonce le Traité 5+1 » (17 mai 2018). « L'Iran et la bombe » (23 décembre 2021).
39- Pékin instrumentalise à son tour le « problème » nord-coréen, dans ses relations avec Séoul et Washington.
40- On se rappelle le conflit qui opposa le politique Clemenceau et le militaire Foch après 1918.
En tant que rapporteur spécial sur la torture, je suis mandaté par le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour veiller au respect de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements dans le monde, examiner les allégations de violation de cette interdiction et transmettre des questions et des recommandations aux États concernés en vue de clarifier les cas individuels. En enquêtant sur le cas de Julian Assange, j’ai trouvé des preuves irréfutables de persécution politique et d’arbitraire judiciaire, ainsi que de torture et de mauvais traitements délibérés. Les États responsables ont pourtant refusé de coopérer avec moi pour engager les mesures d’enquête requises par le droit international.
L’affaire Assange, c’est l’histoire d’un homme persécuté et maltraité pour avoir révélé les secrets sordides des puissants, notamment les crimes de guerre, la torture et la corruption. C’est l’histoire d’un arbitraire judiciaire délibéré dans des démocraties occidentales qui tiennent par ailleurs à se présenter comme exemplaires en matière de droits humains. C’est également l’histoire d’une collusion délibérée des services de renseignement dans le dos des Parlements nationaux et du public. C’est enfin l’histoire de reportages manipulés et manipulateurs dans les grands médias aux fins d’isoler, de diaboliser et de détruire délibérément un individu particulier.
Dans une démocratie régie par l’État de droit, tout le monde est égal devant la loi. En substance, cela signifie que des cas comparables doivent être traités de la même manière. Comme Assange aujourd’hui, l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet fut placé en détention extraditionnelle britannique, du 16 octobre 1998 au 2 mars 2000. L’Espagne, la Suisse, la France et la Belgique voulaient le poursuivre pour torture et crimes contre l’humanité. Comme Assange aujourd’hui, Pinochet se décrivait alors comme « le seul prisonnier politique de Grande-Bretagne ».
Contrairement à Assange, cependant, Pinochet n’était pas accusé d’avoir obtenu et publié des preuves de torture, de meurtre et de corruption, mais d’avoir effectivement commis, ordonné et accepté de tels crimes. En outre, contrairement à Assange, il n’était pas considéré comme une menace pour les intérêts du gouvernement britannique, mais comme un ami et un allié de l’époque de la guerre froide et — point crucial — de la guerre des Malouines (1).
Lorsqu’un tribunal britannique osa appliquer la loi et lever l’immunité diplomatique de Pinochet, cette décision fut donc immédiatement annulée. La raison invoquée était un possible parti pris de la part de l’un des juges. Apparemment, celui-ci avait été à un moment donné bénévole pour une collecte de fonds de l’organisation locale de défense des droits humains, Amnesty International, qui était codemanderesse dans cette affaire. Mais revenons au cas d’Assange. Ici, la juge Emma Arbuthnot, dont le mari avait été dénoncé à plusieurs reprises par WikiLeaks, fut non seulement autorisée à se prononcer sur le mandat d’arrêt d’Assange en 2018, mais, malgré une demande de récusation bien documentée, elle présida également la procédure d’extradition de ce dernier jusqu’à ce que la juge Vanessa Baraitser prenne le relais à l’été 2019. Aucune de ses décisions ne fut annulée.
Pinochet, accusé d’être directement responsable de dizaines de milliers de violations graves des droits humains, ne fut pas insulté, humilié ou ridiculisé par des juges britanniques lors d’audiences publiques, et ne fut pas placé à l’isolement dans une prison de haute sécurité. Lorsqu’il fut mis en détention, le premier ministre Anthony Blair n’exprima pas au Parlement sa satisfaction de voir qu’« au Royaume-Uni, personne n’est au-dessus de la loi », et il n’y eut pas de lettre ouverte de soixante-dix parlementaires demandant avec ferveur au gouvernement d’extrader l’ex-dictateur vers les pays demandeurs. Au lieu de cela, Pinochet passa sa détention extraditionnelle en résidence surveillée luxueuse dans une villa près de Londres, où il était autorisé à recevoir des visiteurs sans limite, d’un prêtre chilien à Noël à l’ancienne première ministre Margaret Thatcher. En revanche, Assange, le diseur de vérité qui dérange, accusé de journalisme plutôt que de torture et de meurtre, ne bénéficie pas d’une assignation à résidence. Il est réduit au silence en isolement.
Comme dans le cas d’Assange, l’état de santé de Pinochet fut une question décisive. Bien que le général lui-même ait catégoriquement rejeté l’idée d’une libération pour raisons humanitaires, le ministre de l’intérieur Jack Straw intervint personnellement. Il ordonna un examen médical de Pinochet, qui conclut que l’ancien militaire putschiste et dictateur souffrait d’amnésie et de troubles de la concentration. Lorsque plusieurs gouvernements demandant son extradition exigèrent un second avis indépendant, le gouvernement britannique refusa. M. Straw décida lui-même que Pinochet n’était pas en état de supporter un procès et ordonna sa libération immédiate et son rapatriement. Contrairement aux États-Unis dans le procès d’extradition d’Assange, les États réclamant l’extradition de Pinochet n’ont pas eu la possibilité de faire appel. Dans le cas d’Assange, plusieurs rapports médicaux indépendants, ainsi que mes constatations officielles en tant que rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, furent ignorés et, même lorsqu’il était à peine capable de prononcer son propre nom devant le tribunal, le procès se poursuivit sans tenir compte de la détérioration de son état de santé et de son incapacité à être jugé.
Comme dans le cas de Pinochet, l’extradition d’Assange fut — du moins dans un premier temps — refusée pour des raisons médicales. Mais, alors que Pinochet était immédiatement libéré et rapatrié et que les États demandant son extradition étaient privés de tout recours juridique, Assange fut immédiatement remis en isolement, sa libération sous caution refusée, et les États-Unis invités à faire appel devant la Haute Cour, assurant ainsi la perpétuation du calvaire d’Assange et son silence pendant le reste d’une procédure d’extradition qui pourrait s’étaler sur plusieurs années.
La comparaison de ces deux affaires démontre le « deux poids, deux mesures » appliqué par les autorités britanniques et comment, au Royaume-Uni, tout le monde n’est en définitive pas égal devant la loi. Dans le cas de Pinochet, l’objectif était d’offrir à un ancien dictateur et à un allié fidèle l’impunité pour des crimes présumés contre l’humanité. Dans celui d’Assange, l’objectif est de réduire au silence un dissident gênant dont l’organisation, WikiLeaks, conteste précisément ce type d’impunité. Les deux approches sont uniquement motivées par la politique du pouvoir et sont incompatibles avec la justice et l’État de droit.
La presse établie aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie ne semble toujours pas avoir compris le danger existentiel que le procès d’Assange représente pour la liberté de la presse, le respect des procédures, la démocratie et l’État de droit. La douloureuse vérité est qu’il suffirait que les principales organisations médiatiques de l’« anglosphère » en décident ainsi pour que la persécution d’Assange prenne fin demain. Le cas d’Ivan Golounov, un journaliste d’investigation russe spécialisé dans la dénonciation de la corruption officielle, peut servir d’exemple. Lorsque Golounov fut soudainement arrêté pour trafic de drogue présumé au cours de l’été 2019, la presse russe grand public comprit immédiatement de quoi il retournait. « Nous sommes Ivan Golounov », proclamaient les « unes » identiques des trois principaux quotidiens russes, Vedomosti, RBK et Kommersant. Ces trois journaux mirent ouvertement en doute la légalité de l’arrestation de Golounov, soupçonnèrent qu’il était persécuté pour ses activités journalistiques et exigèrent une enquête approfondie. Prises en flagrant délit et placées sous les projecteurs de leurs propres médias, les autorités russes firent marche arrière quelques jours plus tard. Le président Vladimir Poutine tint à ordonner la libération de Golounov et à limoger deux hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Ce qui prouva que l’arrestation de Golounov n’était pas le résultat de la mauvaise conduite de quelques officiers de police incompétents, mais avait été orchestrée au plus haut niveau.
Il ne fait aucun doute qu’une action de solidarité comparable menée conjointement par The Guardian, la British Broadcasting Corporation (BBC), The New York Times et le The Washington Post mettrait immédiatement fin à la persécution d’Assange. Car, s’il y a une chose que les gouvernements craignent, c’est le feu des projecteurs médiatiques et l’examen critique de la presse. Ce qui se passe dans les grands médias britanniques, américains et australiens vient tout simplement trop faiblement et trop tard. Comme toujours, leurs reportages continuent d’osciller entre l’insipide et le boiteux, relatant docilement une chronique judiciaire sans même comprendre qu’elle exprime une régression sociétale monumentale : des acquis de la démocratie et de l’État de droit aux âges sombres de l’absolutisme et de l’arcana imperii — un système de gouvernance fondé sur le secret et l’autoritarisme. Une poignée d’éditoriaux et de chroniques peu enthousiastes, peu audacieux, qui dans The Guardian et The New York Times réprouvent l’extradition d’Assange, ne sont pas suffisants pour convaincre. Si ces deux journaux ont timidement déclaré que la condamnation d’Assange pour espionnage mettrait en danger la liberté de la presse, pas un seul média grand public ne proteste contre les violations flagrantes de la procédure régulière, de la dignité humaine et de l’État de droit qui ont marqué l’ensemble de l’affaire. Aucun ne demande aux gouvernements impliqués de rendre compte de leurs crimes et de leur corruption ; aucun n’a le courage de poser des questions gênantes aux dirigeants politiques. Ils ne sont plus que l’ombre de ce qui était autrefois le « quatrième pouvoir ».
Nils Melzer
Juriste, rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Auteur de L’Affaire Assange. Histoire d’une persécution politique, Éditions critiques, Paris, à paraître en France le 15 septembre, dont ce texte est tiré.
(1) NDLR. La guerre des Malouines opposa, en 1982, le Royaume-Uni à l’Argentine.
En Colombie, l’élection historique d’un président issu de la gauche
Assassinats ciblés, divisions politiques, pauvreté galopante… Cinq ans et demi après la signature des accords de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le découragement gagne les anciens guérilleros. L’arrivée au pouvoir de M. Gustavo Petro et d’une coalition de gauche, une première dans l’histoire du pays, ravive néanmoins l’espoir.
Newsha Tavakolian. – Portrait de Jimena, 18 ans, membre des FARC depuis ses 14 ans, État du Cauca, 2017
ls ont troqué leurs vestes de treillis kaki et leurs légendaires bottes en caoutchouc contre des tee-shirts blancs et des chaussures assorties. Certains portent ces reliques garnies de fleurs. À Bogotá, le 7 mars 2022, environ deux cents anciens combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (FARC-EP) sont venus de tout le pays pour une « marche de pèlerinage pour la vie et la paix ». « Attention à ne pas gêner la circulation », réclame un organisateur à l’adresse des marcheurs et marcheuses, tandis que le cortège s’engage sagement sur la Septima, l’artère principale de la capitale colombienne. Les ex-guérilleros se sont convertis à la manifestation légale et au pacifisme.
À bout de bras, ils brandissent les portraits en noir et blanc de leurs camarades assassinés. « Manuel Antonio González Buelva. 1988-2019 » : à 31 ans dont douze passés dans la guérilla, Manuel était devenu chauffeur de moto-taxi et venait d’avoir une fille, raconte le père du défunt, qui défile avec sa photo. Quinquagénaire au visage fin orné d’une moustache en chevron, il a lui-même donné vingt-sept ans de sa vie à la lutte armée et représente aujourd’hui Comunes, le parti politique des FARC issu des accords de paix, dans sa région.
Depuis la ratification définitive, en novembre 2016, des accords entre les FARC et le président Juan Manuel Santos (2010-2018), 333 ex-guérilleros, soit 2,5 % des 13 000 signataires engagés dans les processus de réincorporation, ont été assassinés. À ce jour, aucun cas n’a été jugé. Face à cette vague d’assassinats, la Cour constitutionnelle colombienne a déclaré, fait rare, l’état de fait inconstitutionnel en janvier 2022, reconnaissant la « violation constante et massive des droits fondamentaux de cette population et l’omission des autorités responsables pour adopter des mesures adéquates ». Cette décision stigmatise l’échec de l’État à protéger ces anciens combattants désarmés, en dépit du recrutement de 1 800 gardes du corps, principalement d’ex-guérilleros formés au sortir de la guerre, au sein de l’Union nationale de protection (UNP). « La solution n’est pas de mettre un garde du corps derrière chaque camarade. Nous n’aurions pas besoin de tout cela si le gouvernement respectait les accords : les groupes paramilitaires n’ont pas été démantelés, la substitution intégrale des cultures de coca n’avance pas… », analyse M. Julio César Orjuela, alias Federico Nariño, ancien commandant et membre de la délégation de négociateurs des accords à Cuba.
Près de six ans après la fin de la guerre, la société colombienne pourrait paraître emprunter une voie progressiste. Le mouvement du paro nacional (grève nationale), en 2021, s’est opposé à une réforme fiscale qui menaçait de creuser encore davantage les inégalités sociales. En mars 2022, l’avortement a été dépénalisé par la Cour constitutionnelle. Et, le 19 juin dernier, le pays a élu pour la première fois de son histoire un président issu de la gauche et une vice-présidente afrodescendante, M. Gustavo Petro et Mme Francia Márquez, qui ont réuni derrière eux une vaste coalition allant des communistes au centre gauche sous la bannière du Pacte historique.
Toutefois, les quatre ans de présidence de M. Iván Duque (Centre démocratique, droite), fidèle héritier de M. Álvaro Uribe, l’ancien président hostile aux négociations avec les guérillas, ont mis un coup d’arrêt au processus de paix. Ainsi, sur les cent sept lois nécessaires à l’application réglementaire des accords négociés à La Havane, seules cinq furent promulguées sous sa mandature. Le pays est toujours rongé par la violence et les conflits armés. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en dénombre au moins quatre opposant l’armée à des groupes non gouvernementaux (1). En 2021, les Nations unies ont recensé 73 300 personnes déplacées et 150 victimes de mines antipersonnel (2). « La situation ne cesse de se dégrader depuis 2017, l’année où le conflit avait atteint sa plus basse intensité ces dernières années, analyse un historien spécialiste du conflit, qui préfère rester anonyme. Le paramilitarisme est moins visible, mais il se renforce. Toutes les conditions sont réunies pour voir émerger un nouveau cycle de violence d’ici peu, à moins que nous n’y soyons déjà. » Il ne s’agirait plus d’une lutte armée aux objectifs politiques — faire la révolution, construire le socialisme… —, mais de viser à contrôler les territoires délaissés par l’État en taxant les activités qui y prospèrent, notamment la culture de la feuille de coca et le narcotrafic. Quant au retour à la vie civile des anciens combattants, tant sur le plan politique que socio-économique, la situation est fragile, et les jolies histoires sont moins nombreuses que les échecs.
« Depuis 1964, le problème est toujours le même »
À Bogotá, dans le quartier de Teusaquillo, M. Pastor Alape reçoit au Lubianka, un bar au nom un brin provocateur, évoquant l’immeuble des polices politiques soviétiques, tenu par d’anciens combattants. Veste en jean et Converse aux pieds, cet ancien commandant du bloc Magdalena Medio, l’une des sept divisions de l’armée des FARC, chacune composée de plusieurs dizaines de fronts, fut également membre du secrétariat, la plus haute instance de la guérilla. M. Alape est aujourd’hui délégué du parti Comunes au sein du Conseil national de réincorporation (CNR), une institution paritaire composée de représentants du gouvernement et des FARC. Quatre véhicules blindés et le double d’agents de sécurité gardent l’entrée du bar, tandis qu’à l’étage on décapsule des bières en bouteille baptisées en son honneur Alap(e)az. Les microbrasseries et les bars tenus par d’ex-guérilleros ont fleuri dans le quartier ces dernières années.
Ce n’est néanmoins pas dans la bière mais à travers le développement de coopératives agropastorales que les négociateurs de La Havane avaient prévu la réincorporation économique de leurs troupes, majoritairement d’origine paysanne. Les accords laissaient aussi la possibilité aux ex-guérilleros de démarrer leur petite entreprise en solo. Que le projet concerne une coopérative ou une entreprise individuelle, chaque signataire des accords de paix pouvait prétendre à un coup de pouce de départ de 8 millions de pesos (environ 2 000 euros). « Fin 2021, détaille M. Alape, 116 projets collectifs, dont 80 % agropastoraux, regroupant 3 855 signataires ont été approuvés par le CNR pour un coût total de 43,5 milliards de pesos, dont 27,5 % de fonds de la coopération internationale. » Du côté des projets individuels, l’Agence nationale de réincorporation (gouvernementale) en a validé près de 4 000. Au total, un peu plus de la moitié des anciens FARC auraient trouvé leur place dans le processus.
Quelques projets-phares, comme les sacs à dos La Montaña fabriqués dans l’Antioquia par des anciens du front 36, ont offert aux autorités du pays une vitrine idéale pour le processus de paix. Seulement voilà : « Aucun des projets collectifs approuvés n’est encore pérenne, relève sans fioritures M. Alape. En ce qui concerne les projets individuels, la situation est pire : 90 % sont en train de couler, d’après notre enquête de suivi. Avec les 8 millions, on achète trois machines à laver pour ouvrir une laverie ou quelques vaches, difficilement plus. » Les institutions gouvernementales se sont hâtées de financer des projets individuels voués à la banqueroute, au détriment des projets collectifs, tout en torpillant la capacité d’action d’Ecomun, l’institution dirigée par les anciens combattants, qui devait initialement gérer le fonds de subventions pour le financement des coopératives.
La Colombie, cinq ans après les accords de paix
Cécile Marin
Loin de la capitale, dans les territoires, les coopératives démarrent à peine, les subventions ayant tardé à être débloquées. Sans compter les difficultés d’accès à des terres cultivables. « Depuis le début de la guerre en 1964, la situation a peu évolué. Le problème est toujours le même », dit en soupirant Mme Erika Montero, ancienne commandante du front 34 et représentante de Comunes dans l’espace territorial de formation et de réincorporation (ETCR) de Llanogrande (Antioquia). La terrasse de la maison qu’elle partage avec son ex-guérillero de mari, M. Isais Trujillo, ex-commandant du bloc nord-occidental, embrasse une vue plongeante sur ce campement niché au creux du massif du Paramillo. M. Trujillo rappelle que la réforme rurale intégrale obtenue par les FARC prévoyait la régularisation de 7 millions d’hectares cultivés par des paysans sans titres, et la distribution par l’État de 3 millions d’hectares à des paysans sans terre (dont les FARC). À ce jour, le cadastre est toujours en cours d’élaboration et, contrairement aux annonces de l’Agence nationale de la terre, qui prétend avoir redistribué 400 000 hectares, une enquête publiée dans El Espectador révèle qu’il s’agirait en fait de moins de 3 000 hectares (3)…
Situé à sept heures de Medellín via une route chaotique, l’espace territorial de Llanogrande ressemble en tout point aux vingt-trois autres camps disséminés sur le territoire : de longs baraquements à l’ossature métallique surmontés de toits en tôle et ceints de murs en plaques de plâtre. Ils étaient prévus pour durer six mois. Les habitants les plus tenaces les ont peints de couleurs vives, ont planté des bégonias et des yuccas. À l’arrière des bâtiments, poulaillers et potagers de subsistance se fraient une place sur le coteau abrupt. La coopérative agropastorale du camp, Agroprogreso, vient enfin d’obtenir un terrain de 250 hectares pour un projet d’élevage bovin à double usage (viande et lait), situé à deux heures de route. Le bétail n’a pas encore été acheté. Un autre projet de culture de citrons devrait aussi voir le jour, tandis qu’une première récolte de café a eu lieu cette année.
La coopérative, qui comptait également développer l’écotourisme avant que la pandémie ne mette un coup de frein à ses ambitions, avait déjà reconstitué un campement guérillero en vue d’un tour guidé et ouvert une petite auberge, accueillant parfois des naturalistes en mission dans la réserve naturelle du Paramillo. Pour l’heure, le site ne permet pas de faire vivre les habitants du camp. Le versement de la renta basica (90 % d’un salaire minimum, soit environ 215 euros) et de l’aide alimentaire, régulièrement renégociées, ne suffit pas à faire vivre des familles qui se sont considérablement élargies au sortir de la guerre au fil des naissances et des regroupements familiaux (38 % des Colombiens se trouvaient en situation de pauvreté en 2021 (4) ). Sur 320 combattants venus déposer les armes à Llanogrande, moins d’une centaine vivent encore dans ce camp isolé.
Alors que le développement des coopératives patine, la vie collective qui structurait le quotidien des anciens guérilleros s’étiole. À Llanogrande, la rancha, préparation collective des repas, ne se pratique plus que pour quelques rares occasions, à Noël et au jour de l’An. Dans l’espace territorial de Pondores (La Guajira), les petits cadenas accrochés à chaque porte de WC indiquent que le ménage n’est plus une tâche partagée. À San José de Léon (Antioquia), le convite (chantier collectif) du samedi matin, convoqué pour réparer la route qui descend au village, ravinée par les intempéries, est annulé faute de volontaires. Mme Montero reconnaît la difficulté de la transition d’une organisation hiérarchique à l’autogestion. « On n’était pas préparés à ça. Dans la guérilla, on avait l’habitude de dire “papa FARC et maman FARC”. L’organisation te fournissait tout ce dont tu avais besoin, même si “tout ”, ce n’était pas grand-chose : un sac à dos, une arme, des vêtements, à manger et un bon infirmier. »
« Le gouvernement ne respecte pas les accords »
Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les ETCR ne sont pas devenus des villages communistes autogérés. Mme Tanja Nijmeijer met en garde contre les projections formulées depuis l’extérieur : « Non, ce n’est plus pareil, mais comment cela pourrait-il l’être ? La situation n’est plus la même que lorsqu’on était dans le maquis à vivre tous ensemble. Nous sommes désormais plongés dans la société capitaliste qu’on le veuille ou non. » Entrée dans la guérilla au début des années 2000, la Néerlandaise des FARC vit à l’abri des regards, au pied des montagnes de Cali. Après sa démobilisation, elle a repris des études à l’université, dispense des cours d’anglais en ligne et vient de publier une autobiographie aux Pays-Bas. Figurant toujours sur la liste rouge d’Interpol pour avoir servi de traductrice à des militaires américains capturés par les FARC, elle ne peut sortir de ce pays devenu pour elle « une jolie prison ».
« Je pense qu’il y a eu une période de “chacun pour soi et sauve qui peut” au sortir de la guerre, mais que les valeurs ne se sont pas perdues et qu’on va progressivement retrouver du collectif, insiste-t-elle. Moi-même, j’ai senti ce besoin de me déconnecter. Maintenant j’ai mon boulot, ma maison et je veux m’investir dans notre coopérative. Ça me donne beaucoup d’espoir ! » Avec son compagnon, elle travaille à la création d’une boutique en ligne pour commercialiser les produits de la coopérative agropastorale de leurs camarades… À l’autre bout du pays, près de Carthagène, Mme Audrey Millot, la seule combattante française des FARC, engagée pendant quinze ans dans la guérilla, croit elle aussi en l’émergence d’une économie sociale et solidaire : « Dans ce processus en construction, nous allons devoir concurrencer le capitalisme dans sa version néolibérale. C’est le seul combat qui semble, pour l’instant, à notre portée », confie-t-elle.
Leur optimisme inébranlable ne laisse aucune place aux illusions sur la stratégie de sortie du conflit. « Nous avons été naïfs concernant la remise des armes, analyse Mme Nijmeijer. Dans le cadre d’une négociation — et ce mot est important —, la contrepartie devait être un certain nombre de changements, une réforme agraire, la démocratisation des institutions, un plan de substitution des cultures de coca… Mais comment exiger aujourd’hui le respect de ces accords ? » Ce constat est partagé par beaucoup, y compris parmi les anciens. Dans un petit appartement de rez-de-chaussée, à l’abri de la chaleur écrasante du centre-ville de Cali, M. Miguel Pascuas abonde : « Je pense que si cela avait encore été Manuel Marulanda, Jacobo Arenas, Alfonso Cano qui dirigeaient les FARC, nous aurions accepté la paix, mais nous n’aurions pas rendu les armes. Nous les aurions rangées et contrôlées. Aujourd’hui, le gouvernement ne respecte pas les accords. Et c’est pour cela que certains retournent à la guérilla. » À 81 ans, M. Pascuas est le dernier fondateur des FARC encore en vie. Entouré par deux de ses filles qui veillent sur lui, le vieux commandant parle d’une voix douce parfois hésitante, les mains jointes entre les genoux. Il ne se repent de rien, car « il n’y avait pas d’autre choix que la guérilla à l’époque », ni ne témoigne d’aucune complaisance à l’égard des actuels groupes armés « très désorganisés » comptant dans leurs rangs de nombreux « bandits » qui tuent des civils innocents, lorsqu’ils ne se tirent pas dessus entre eux. « J’ai été sérieux dans la guerre, je veux l’être autant dans la paix », répète l’ancien commandant.
De passage dans l’espace territorial de Pondores, non loin de la frontière vénézuélienne, M. Benedicto González ne mâche pas ses mots concernant la direction des ex-FARC. Issu des Jeunesses communistes, il assumait des responsabilités dans l’éducation et la propagande au sein du front 41. Resté en Colombie lorsque la délégation de négociateurs prit la direction de La Havane, il occupa un rôle encore plus important. « Nous avions fixé des lignes blanches. Il n’était pas question d’accepter le processus de sortie de conflit sur le modèle “Désarmement, démobilisation et réinsertion” (DDR) des Nations unies. Concrètement cela signifiait qu’on ne rendait pas les armes, on acceptait juste de les déposer, comme l’avait fait l’IRA [Armée républicaine irlandaise]. On ne se démobilisait pas, on se mobilisait sur le terrain politique. On ne se réinsérait pas puisqu’on n’a jamais été coupés de la société. Or c’est ce qui a fini par se passer. Les gens se sentent trompés, et la direction a une responsabilité là-dedans. » Remplaçant temporaire au Congrès de Jesús Santrich — ancien dirigeant des FARC et négociateur des accords, partisan d’une ligne ferme à l’égard du gouvernement, tué par des mercenaires en mai 2021 —, il a quitté le Conseil national d’un parti dans lequel il ne se reconnaît plus.
Baptisé lors de son arrivée au Congrès Force alternative révolutionnaire de Colombie (FARC), le parti s’est doté d’un nouveau nom en 2021. « J’ai proposé que l’on change ce nom, car FARC porte la charge du conflit, de la guerre et de la désolation », justifiait son président, M. Rodrigo Londoño, alias Timochenko, interviewé par la radio La FM, le 25 janvier 2021. S’ils ont abandonné la stratégie de la lutte armée et leur dénomination historique, les ex-FARC embrassent-ils toujours un projet communiste révolutionnaire ? « Le nom Comunes est lié à cette conception idéologique », rassure M. Carlos Antonio Lozada, alias Julián Gallo, l’ancien commandant du bloc oriental et membre du secrétariat des FARC, qui nous reçoit dans son bureau aux murs dépouillés du siège du parti, situé dans le quartier de La Soledad.
« Nous voulons démocratiser la société colombienne »
Tête de liste au Sénat, réélu pour un second mandat, il était encore en campagne quelques semaines plus tôt, distribuant aux promeneurs du dimanche en quête de verdure sur le Park Way des tracts estampillés d’une colombe de la paix surmontée d’une rose rouge, le nouveau logo de Comunes. Malgré dix sièges au Congrès (cinq au Sénat, cinq à la Chambre des représentants), attribués d’office par les accords de paix pour deux mandatures de quatre ans, les militants de Comunes ont joué le jeu de la campagne électorale pour tenter de convaincre et construire une base électorale en prévision de 2026. « Nous voulons démocratiser la société colombienne. Cela n’a pas l’air d’une proposition révolutionnaire vu d’Europe, mais ici ça l’est totalement », reprend le sénateur dans un demi-sourire. S’ensuit une analyse marxiste orthodoxe de la situation économique du pays : la Colombie en serait toujours à une étape prémoderne de son développement, l’atteste l’état de la propriété terrienne, fondée sur le « modèle féodal » du latifundium. Il faudrait donc, d’après le sénateur sortant, commencer par « développer le capitalisme avant de parler d’une société postcapitaliste ». Et de conclure : « C’est toujours notre objectif mais il n’est pas réalisable pour le moment. Quiconque l’affirme est un rêveur. »
Lorsqu’il s’agit de justifier les faibles résultats de Comunes aux législatives de mars 2022 (52 000 voix, soit 0,15 %), l’argument est identique : leurs sièges au Congrès étant assurés, les sympathisants auraient préféré donner sa chance au Pacte historique de M. Petro et Mme Márquez. Les délégués du parti se refusent à y voir un vote de défiance. Toutefois, même après plus de cinquante ans de lutte pour la défense des plus démunis, l’étiquette FARC fait difficilement recette. À Turbaco, une ville de 70 000 habitants près de la côte caraïbe, l’ex-guérillero Julian Conrado a été l’unique ex-membre des FARC élu à la tête d’une municipalité de cette taille lors des municipales de 2019. Pour l’emporter, il choisit l’étiquette « Colombia Humana » (centre gauche). Dans sa profession de foi, il remplace la revendication « Paix et justice sociale » de ses anciens camarades par un slogan plus consensuel : « En aimant, nous vaincrons. » Les ravages d’un demi-siècle de guerre, la suprématie du discours médiatique les présentant comme des narcoterroristes, ainsi que la bascule démographique ville-campagne, ont isolé les FARC, essentiellement rurales, d’une partie de la population colombienne. Tandis que, parmi les guérilleros, la dissolution de l’organisation hiérarchique a creusé les divisions politiques et fait émerger des voix divergentes. Les congressistes et anciens commandants, Mme Victoria Sandino et M. Benkos Biohó, ont créé en 2021 leur propre mouvement, baptisé Avanzar, en marge du parti Comunes. La rupture a été consommée le 22 juillet dernier, par un communiqué signé par plus de deux cents anciens combattants des FARC, dont Eliana, la plus ancienne guérillera de l’organisation, dénonçant le népotisme et les pratiques clientélistes de Comunes.
Newsha Tavakolian. – Dans le cadre des accords de paix, formations organisées par les FARC pour préparer ses membres au retour à la vie civile, État du Cauca, 2017
Un autre bouleversement majeur dans l’organisation des ex-FARC depuis la sortie du conflit est le recul de l’égalité de genre. Le retour à la vie civile de 13 000 personnes issues d’une microsociété où l’égalité femmes-hommes était de rigueur aurait pu infuser au-delà. Il en a été autrement. « Certains camarades se sont mis en couple avec des civiles trop habituées à être soumises, et ils ont vite oublié qu’au sein des FARC on faisait tout à égalité, la cuisine, la lessive et la guerre », tempête Mme Yudis Cartagena, vice-présidente de l’espace territorial de Pondores, qui assume seule la charge de son père, de sa fille handicapée et de sa petite-fille, qu’elle élève. Quant aux guérilleras, elles payent cher leur réinsertion dans une société patriarcale et machiste. Selon l’expression désormais consacrée, elles sont passées « du fusil aux casseroles ».
La naissance d’enfants par centaines avec le « baby-boom de la paix » a engendré une brusque réassignation à des rôles sociaux genrés. Dans le maquis, il était non seulement impensable mais interdit de faire des enfants. À partir de 2016, à l’approche de la signature des accords de paix, les bombardements et les longues marches dans la forêt ont cessé. « Quand les femmes sont arrivées dans les espaces territoriaux pour déposer les armes, beaucoup étaient enceintes ou avec des bébés dans les bras. Il y en a eu en abondance. Or il n’y avait pas de garderie, rien n’avait été pensé pour les enfants. Elles se sont donc retrouvées avec la charge du soin et de l’éducation », se souvient Mme Sandino, commandante devenue sénatrice. Elle admet avoir pris conscience tardivement du fait que l’égalité entre combattants et combattantes tenait plus de la nécessité, dans un contexte de guerre, qu’à une profonde adhésion aux idéaux égalitaristes socialistes. L’influence du monde rural traditionnel et la pression sociale, notamment dans le cadre des regroupements familiaux, peuvent également expliquer ce retour en arrière. « Nous ne sommes pas encore en mesure de le quantifier précisément, mais cela risque d’être flagrant sur le plan des études : les guérilleras ont abandonné leurs formations pour s’occuper des enfants. » Et si certaines parviennent à concilier tâches domestiques, formation et responsabilités au sein des coopératives, c’est au prix d’efforts considérables.
Une ancienne femme de chambre à la vice-présidence
Immanquable au milieu d’une foule compacte et joviale, grâce à son flamboyant chapeau en feutre orange, Mme Sandino était venue marcher le 8 mars dernier à Bogotá à l’occasion de la Journée de lutte pour les droits des femmes en compagnie de Mme Nijmeijer et d’autres camarades. À son poignet gauche, le fichu vert des militantes pro-choix. Au droit, le foulard orange fluo d’Avanzar. Et sur son tee-shirt, la figure de Mariana Páez, première guérillera à intégrer l’état-major central des FARC dans les années 2000. Malgré un recul de l’égalité femmes-hommes chez les anciens combattants, Mme Sandino estime que les mouvements féministes sont sortis renforcés des dialogues à La Havane au sein de la commission de genre entre guérilleras et collectifs de la société civile. Ils auraient non seulement permis aux guérilleras de prendre conscience — parfois dans la douleur — des limites de l’égalité au sein de leur propre organisation, mais ont conduit à rédiger les accords de paix avec une perspective de genre transversale : approche différentielle dans l’accès à la propriété terrienne pour les paysannes ou la reconnaissance du statut de victime des conflits, mesures destinées à lutter contre les discriminations sexuelles et de genre… « Je me risquerais même à dire, soutient Mme Sandino, que — bien que ce soit aussi le fruit de changements dans la société — cette perspective de genre que nous avons posée à Cuba a déclenché une vague impressionnante de nouvelles formes de luttes féministes, menées par des jeunes femmes. Notre rôle, aujourd’hui, c’est de les soutenir. » L’arrivée à la vice-présidence d’une militante afro-féministe, Mme Márquez, semble lui donner raison.
Dans le camp des ex-guérilleros, la victoire de M. Petro et du Pacte historique a été fêtée sans retenue. Qu’un ex-membre du mouvement de guérilla M-19 et une ancienne femme de chambre prennent les rênes du pays marque un tournant dans la vie politique colombienne depuis l’assassinat, en 1948, du candidat à la présidence Jorge Eliécer Gaitán. La mort de celui qui fut le premier homme politique à porter un discours sur les inégalités sociales et l’accès à la terre avait déclenché une guerre civile à l’origine des premières guérillas marxistes : les FARC. Toutefois, les nouveaux élus seront-ils en mesure d’impulser une réelle transformation sociale ? Le soir de son élection à la présidence, M. Petro a certes donné des gages pour le changement et la paix, réclamé au procureur de la République la libération des manifestants incarcérés lors de la grève nationale et, symbole fort, passé le micro à l’une des mères des « faux positifs », ces jeunes paysans exécutés par l’armée, puis déguisés en « guérilleros morts au combat » dans une logique de chiffre. « Nous allons développer le capitalisme. Non que le système nous plaise, mais parce que nous devons sortir du féodalisme », a assuré le nouveau président, élu avec 50,44 % des voix, dans un discours corroborant la théorie plébiscitée par Comunes, mais surtout destiné à rassurer la bourgeoisie d’affaires, qui n’a cessé d’agiter l’épouvantail vénézuélien durant la campagne. Avec un Congrès resté majoritairement de droite et d’extrême droite, la marge de manœuvre du nouveau gouvernement sera limitée et les obstacles aux futures réformes, nombreux. Les anciens combattants des FARC, sans illusions sur les difficultés à venir, veulent continuer d’espérer de voir leurs accords de paix respectés. Pour, enfin, sortir de l’impasse.
Le quotidien francophone, symbole de la presse privée née dans les années 1990, croule sous les dettes et ne peut plus payer ses salariés.
Un homme lit le quotidien « El Watan », à Alger, en septembre 2019. RYAD KRAMDI / AFP
Le journal « s’achemine vers la fermeture définitive ». Le constat du directeur de publication d’El Watan, Mohamed Tahar Messaoudi, confirme à sa façon la fin de « l’aventure intellectuelle », terme utilisé en 1990 pour désigner le démarrage, avec l’aide de l’Etat, d’une presse privée. Le quotidien francophone algérien, florissant il y a encore quelques années, est incapable de payer ses salariés depuis mars.
De guerre lasse, ceux-ci se sont engagés le 12 juillet dans une grève à répétition. Dimanche 24 juillet, ils ont entamé une nouvelle grève de quatre jours qui pourrait devenir illimitée. Trois mois après la décision du milliardaire Issad Rebrab de saborder le journal Liberté sans possibilité de reprise, c’est donc un autre titre phare de cette « aventure intellectuelle » qui risque de disparaître.
Lancé en 1990 par des journalistes venus du secteur public, El Watan a connu une longue période faste qui lui a permis d’investir, en association avec le journal arabophone El Khabar, dans une imprimerie. Mais depuis quelques mois, sa situation est devenue intenable. Ses comptes sont bloqués, l’administration fiscale lui réclamant 55 millions de dinars (près de 370 000 euros) de charges impayées tandis que le Crédit populaire d’Algérie exige le paiement d’une partie d’uncrédit de 45 millions de dinars.
Des dettes largement contractées, selon la direction, durant la période de la pandémie de Covid-19, qui « a lourdement impacté la santé financière de l’entreprise ».
Un « paquebot » désespérément vide
Si pour une partie du lectorat – qui s’est considérablement effrité au fil des ans –, El Watan est un « journal de référence » qu’il faut défendre à tout prix, d’autres réservent leur soutien aux salariés, en conflit avec les 18 actionnaires, auxquels ils reprochent une « mauvaise gestion » et l’absence de « geste envers les employés ». En aparté, des salariés estiment que les actionnaires ont suffisamment engrangé de dividendes, durant la longue période où le journal a été abondamment servi en publicité, pour être en mesure de débloquer la situation.
Des salariés estiment que les actionnaires ont engrangé assez de dividendes pour être en mesure de débloquer la situation
Les échanges ont tourné à l’aigre entre les deux parties à la suite du placardage d’une affiche clamant : « Nous travaillons, ils profitent ». En réaction, M. Messaoudi a accusé la section syndicale, dirigée par la journaliste Salima Tlemçani, d’être manipulée par l’ancien ministre de la communication Amar Belhimer, qui a mené une politique particulièrement agressive contre les médias indépendants.
Le directeur de publication a ainsi vu dans le slogan une « étrange similitude » avec le discours de M. Belhimer cherchant à accréditer, selon lui, la thèse qu’il y a « d’un côté une direction exploiteuse, qui profite affreusement du labeur de ses employés, et de l’autre un potentiel de travailleurs soumis à une exploitation implacable ». La direction devrait « regarder un peu du côté de la gouvernance de l’entreprise depuis sa création », a rétorqué la section syndicale.
L’une des erreurs de gouvernance les plus visibles est celle du nouveau siège du journal, construit au quartier des Oasis, à Hussein-Dey, avec vue imprenable sur la baie d’Alger. Le « paquebot » de huit étages, terminé en 2016, est resté en cale sèche, désespérément vide, l’administration refusant de donner un certificat de conformité en raison d’une surélévation non prévue dans le plan. Les dirigeants du journal ont ainsi offert une « aubaine » légale au clan du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, qui n’avait guère apprécié ses prises de position, en 2014, contre un quatrième mandat du chef de l’Etat.
A partir de cette année-là, le journal a vu la publicité institutionnelle se tarir, tandis que les opérateurs privés, par prudence ou sous pression, quittaient eux aussi le navire. Si la chute de M. Bouteflika au printemps 2019, à la suite du mouvement du « Hirak », a permis un rétablissement de la publicité publique, celle-ci a finalement été stoppée en août 2020 après la publication d’un article sur les biens des enfants de l’ancien chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah.
« On sablera le champagne à Rabat »
Les difficultés d’El Watan illustrent la situation de crise de la presse écrite en Algérie, dont le modèle économique est totalement dépendant de la publicité. Un levier puissant entre les mains des autorités, qui peuvent ainsi « réguler » les médias sans avoir à recourir aux suspensions et aux fermetures de titres.
Avec l’arrivée au pouvoir de M. Bouteflika, en 1999, une flopée de titres au tirage anecdotique avaient vu le jour pour émarger à la publicité institutionnelle, qui transite obligatoirement par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP). La gestion de la manne a favorisé les dérives, comme l’a illustré en juin la condamnation à six mois de prison de l’ancien international de football Rabah Madjer, propriétaire de deux journaux qui ont continué de recevoir pendant une année des chèques publicitaires alors qu’ils avaient cessé de paraître.
A partir de 2012, les ressources de la publicité (estimées par certains spécialistes à 200 millions d’euros par an), notamment des opérateurs de téléphonie et de l’agroalimentaire, ont largement quitté la presse écrite pour les télévisions privées, au statut précaire et révocable sans aucune forme de procès. Résultat : les autorités ont aujourd’hui un pouvoir de vie et de mort sur l’ensemble des médias.
Dans un éditorial-plaidoyer en direction des pouvoirs publics, El Watan affirme que si le journal venait à disparaître, « on sablera le champagne à Rabat », où l’on goûte peu son soutien au mouvement indépendantiste sahraoui du Front Polisario ; quant aux intégristes religieux, contre lesquels le quotidien a bataillé durant la décennie noire des années 1990, ils « trinqueront ». Mais chez les journalistes en grève, le sentiment prévaut que ni les actionnaires ni le pouvoir ne veulent éviter la fin de parcours du journal.
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