iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
La date est marquée sur le marbre de l’histoire. Le 14 juin 1830 a marqué le début d’une colonisation de l’Algérie par la France du roi Charles X.
En proie à une fronde des députés en interne et une perte de vitesse sur le plan international, face à l’Angleterre, ce dernier se saisit d’un incident diplomatique vieux de deux ans pour se lancer dans une nouvelle campagne de colonisation.
Celle-ci débute par le siège d'Alger et se termine par le débarquement sanglant de Sidi Freudj et la prise définitive d'Alger. Cette campagne coloniale française est jalonnée par des massacres des populations qui auront duré quarante ans, selon les historiens.
Le prétexte était simpliste.
Il s’agit du « coup d’éventail » qu'aurait asséné, le 30 avril 1927, le Dey d’Alger (Dey Hussein) au consul de France, Pierre Deval qui a refusé de s’acquitter d’une vieille dette : le paiement du blé livré par la Régence d’Alger à la France pour les besoins de l’expédition du général Napoléon Bonaparte en Egypte, en 1798.
L’incident est attisé par Charles X qui décide d’engager, trois ans plus tard, l’invasion d’Alger, pour, arguait-il, « restaurer au plus vite l’image de la France ».
C’est ainsi que, le 3 mars 1830, dans le discours du trône, il évoque pour la première fois « l’idée d'une expédition punitive destinée à obtenir réparation de la dette ainsi qu’à détruire le repaire de corsaires installé dans la régence d’Alger et mettre fin à l’esclavage ! »
Il nomma alors le comte Louis de Bourmont, ministre de la Guerre dans le gouvernement Polignac, comme commandant en chef de l’expédition en Afrique».
C’est ce dernier qui lance l’attaque, dès le 14 juin 1830, pour parvenir à prendre Alger, dès le 5 juillet suite à la capitulation du Dey Hussein.
Cet incident diplomatique est-il l’unique raison justifiant le début de la colonisation ? L'historien algérien, Hosni Kitouni livre, à l'Agence Anadolu des clés historiques pour mieux comprendre l’origine de cette colonisation.
«Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir à la situation de la France en 1830 et au début 19ème siècle. Il y a deux éléments importants. Le premier c’est que la France avec Napoléon a perdu ses guerres européennes. Et donc, c’est un pays qui a perdu quasiment toutes ses colonies. Il a été profondément sanctionné après l’échec de ses guerres en Europe. Donc, c’est un pays battu. En second lieu, il y a un fait très important dans l’histoire de France, c’est la perte de Saint-Domingue qui était la colonie la plus importante de ce pays », explique-t-il, rappelant que Saint-Domingue produisait du sucre, comme elle était un territoire esclavagiste.
«Après la révolution de 1789 qui a consacré la libération des esclaves au nom du principe que les hommes naissent libres et égaux, les esclaves ont demandé leurs libérations. Une insurrection éclate et s’est soldée par la perte de ce territoire par la France en 1815, suite à une guerre impitoyable. La France devient définitivement un pays battu et qui n’a pas de colonies », rappelle-t-il.
==Le trésor d’Alger attise les convoitises==
Devant cette réalité, explique notre interlocuteur, des hommes de pensée, des intellectuels et des hommes politiques français de l’époque « appelaient à ce que la France trouve de nouvelles colonies et développe son expansion, au risque de rester faible par rapport à l’Angleterre ».
Mais la France, souligne-t-il, n’avait pas de moyens pour financer une nouvelle expédition. « C’est là où les bourgeois français et les capitalistes sont intervenus pour s’engager à financer l’expédition en contrepartie de la récupération du trésor d’Alger. Tout le monde savait que le trésor était très important. C’était une richesse considérable. Après la prise d’Alger, l’armée coloniale s’empare de ce trésor estimé à l’époque à 34 millions de francs français de l’époque, soit 2 ou 3 milliards de dollars en monnaie actuelle », précise-t-il.
La prise d’Alger, rappelle pour sa part l’historien algérien, Rabah Lounici dans une déclaration à l'Agence Anadolu, est intervenue dans un contexte de faiblesse de l’armée de la Régence d’Alger.
« Au moment de l’attaque de l’armée française, le Dey Hussein a fait appel aux tribus Kabyles et du constantinois. La résistance était acharnée, notamment à Sidi Freudj (20 km à l’ouest d’Alger), lieu de débarquement des Français qui ont fini par s’emparer de la ville », explique-t-il.
==Clauzel lance la colonisation de peuplement==
Ce qui devait être seulement une « expédition punitive pour restaurer l’image de la France » est transformée en une colonisation de peuplement qui aura duré 130 ans.
« L’échec de Louis de Bourmont à sortir d’Alger et ses défaites à Blida ont précipité son départ. Le roi Louis-Philippe, cousin de Charles X, rappelle alors le général Clauzel, un colonialiste convaincu. Une fois à Alger, ce dernier lance de nouvelles expéditions à l’intérieur du pays et commet ses premiers massacres lors de sa tentative de prendre Médéa en passant par Blida (100 et 50 km à l’ouest d’Alger). C’est lui qui a proposé au roi l’idée de la colonisation du peuplement en installant des populations européennes dans le pays », fait savoir Hosni Kitouni.
La conquête du pays, selon de nombreux travaux historiques, était cruelle pour les populations locales qui ont subi, durant 40 ans de « pacification » du pays, la barbarie française dans toute sa laideur : razzia, massacres, destruction des villages et douars et expropriations…
« Les morts algériens de l’implacable conquête de l’Algérie ont été évalués entre 250 000 et 400 000, voire plus », note pour sa part l’historien Kamel Kateb, auteur de l’ouvrage « Européens, indigènes et Juifs en Algérie, 1830-1962 : représentations et réalités des populations ».
La colonisation de l'Algérie était, selon de nombreux travaux des historiens, un prélude à la naissance de la "France-Afrique" et de l'empire colonial français.
La route de l'Afrique est rouverte avec la fondation de comptoirs sur la côte occidentale, qui forment en 1862 les Établissements français de la Côte-de-l'Or et du Gabon, tandis qu'à l'est, la France achète Obock (1862), au débouché de la mer Rouge.
Le Sénégal, conquis par Faidherbe (1854-1865), devient aussi une base de pénétration vers l'Afrique intérieure.
Mayotte (1843), Tahiti (1842-1847) et la Nouvelle-Calédonie (1853) fut intégré dans le domaine français.
Au Maghreb, après l'Algérie, la France a étendu sa présence en Tunisie et au Maroc placés sous protectorat respectivement en 1881 et 1912.
La première fois que l’émir Abdelkader, héros de la résistance algérienne contre la conquête française en 1830, a mis le pied à Marseille remonte à décembre 1852, après plus de quatre années de captivité au château d’Amboise. Cent soixante-dix ans plus tard, il revient dans la cité phocéenne, à travers la grande exposition que lui consacre le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), du 6 avril au 22 août.
Victor Hugo appelait Abdelkader « l’émir pensif, féroce et doux », Arthur Rimbaud disait de lui qu’il était « le petit-fils de Jugurtha » et Gustave Flaubert notait : « Émir. Ne se dit qu’en parlant d’Abdel-Kader. » Pour remettre en lumière cette figure historique, le Mucem a réuni une impressionnante collection de 250 œuvres et documents issus de collections publiques et privées françaises et méditerranéennes, dont les Archives nationales d’outre-mer, la Bibliothèque nationale de France, le musée de l’Armée, le château de Versailles ou encore le musée d’Orsay.
Camille Faucourt, conservatrice du patrimoine et commissaire de l’exposition, explique la remise en perspective de ce chef de la résistance, considéré comme le fondateur de l’État algérien : « L’objectif de cette exposition est de rassembler des objets et des archives en nombre, afin de croiser les sources provenant des deux rives de la Méditerranée, et, ainsi, d’éclairer ce personnage qui semble avoir eu mille vies. Un homme sans cesse en mouvement, qui voyageait beaucoup. Et qui, spirituellement, a appris et évolué. Abdelkader était l’un des grands esprits de son temps. »
Cette exposition se veut aussi – même si ses initiateurs se gardent de lui donner une portée politique – une manière de rapprocher les mémoires de la France et de l’Algérie au moment où l’on s’apprête à commémorer le 60e anniversaire de l’indépendance de cette dernière.
Au Mucem, le visiteur pourra donc voyager, à travers ces archives, dans la vie et dans l’œuvre de l’émir, du début de sa résistance contre les troupes française en 1830 jusqu’à sa disparition, en 1883 à Damas. Outre les tableaux et fresques dépeignant la longue guerre (1832-1847) entre Abdelkader et les généraux français, on peut y lire les lettres et correspondances personnelles de l’émir, contempler son sabre, remis au général Louis Juchault de Lamoricière lors de sa reddition, en décembre 1847. Dans son rapport rendu au président Macron, l’historien Benjamin Stora propose d’ailleurs que ce sabre fasse l’objet d’une restitution à l’Algérie dans le cadre du travail mémoriel et de la réconciliation des histoires.
L’UN DES CLOUS DE L’EXPOSITION EST LE CAFTAN QUI APPARTENAIT À L’ÉMIR
On peut aussi lire la déclaration solennelle du 30 octobre 1852, signée de la main de l’émir et adressée à Louis Napoléon Bonaparte, par laquelle l’illustre captif du château d’Amboise s’engage, en guise de bonne foi et en signe de reconnaissance pour sa libération, à ne plus exercer de pouvoir politique ou militaire et à ne jamais retourner en Algérie.
L’exposition met également en évidence de nombreuses photographies du résistant, notamment le premier cliché que le photographe Gustave Le Gray a pris en 1851 à Amboise, ou encore des photos de l’émir durant son exil à Damas. L’un des clous de l’exposition est le caftan qui lui appartenait. Khaled Ibn Hadj Abdelkader, l’un de ses fils, en a fait don en 1897 au musée de l’Armée afin que ce premier résistant soit honoré en France. L’Algérie a fait une demande officielle pour sa restitution, toujours en cours d’étude.
Un invité dans la cité phocéenne
Entre l’émir Abdelkader et Marseille, c’est aussi l’histoire d’une brève mais intense rencontre. Le samedi 18 décembre 1852, l’émir et sa suite, constituée de près de 70 personnes, arrivent le soir à bord d’un bateau ayant navigué sur le Rhône en provenance de Lyon, toujours accompagnés par le commandant Alfred Boissonnet, qui ne les quitte jamais depuis le début de leur détention à Amboise, en 1848. Sur le quai, une poignée de pèlerins revenus de la Mecque les attendent pour saluer l’émir avant d’embarquer vers l’Algérie.
À PARTIR DU MOMENT OÙ IL ÉTAIT CAPTIF, L’ÉMIR ÉTAIT ESPIONNÉ, CONTRÔLÉ, SURVEILLÉ JUSQU’À LA PARANOÏA
La population locale ne prête guère attention à l’arrivée de cette grande délégation. Celle-ci est installée à l’hôtel des Empereurs, l’un des plus prestigieux établissements de Marseille, aujourd’hui disparu. Le Mucem présente les correspondances de l’époque qui racontent ce séjour et expose notamment les notes de frais de bouche et de blanchisserie des hôtes. « Dès sa captivité, l’émir a été espionné, contrôlé, surveillé jusqu’à la paranoïa », raconte Florence Hudowics, autre commissaire de l’exposition. Mais à Marseille, l’émir n’est pas traité comme un captif. Il se rend au théâtre, où il est invité ; visite la bibliothèque de l’Alcazar, où on lui présente les manuscrits arabes précieux ; et rencontre des mondanités de la ville, notamment Clot-Bey, médecin français et collectionneur de Corans, qui exerça à la cour du pacha d’Égypte.
Alors qu’il devait embarquer sur le Labrador pour rejoindre la Turquie, l’émir doit patienter en raison d’un fort mistral qui va retarder son départ. Le mardi 21 décembre 1852, il quitte enfin Marseille à 16 heures, en présence d’une foule immense qui vient le saluer sur la Canebière. Des années plus tard, il est de retour dans la ville phocéenne pour une exposition installée là où son bateau a pris la mer.
8 mai 1945. Tandis que les tirailleurs algériens de l’armée française célébraient à Paris la victoire des Alliés contre l’Allemagne, leurs frères se faisaient massacrer à Sétif, Guelma et Kherrata. G : Photo12 via AFP
8 mai 1945. Tandis que les tirailleurs algériens de l’armée française célébraient à Paris la victoire des Alliés contre l’Allemagne, leurs frères se faisaient massacrer à Sétif, Guelma et Kherrata. G : Photo12 via AFP
Il y a 77 ans, le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne, et tandis que la France et ses alliés célèbrent avec soulagement leur liberté marquant la fin du nazisme, d’autres en sont privés. De l’autre côté de la Méditerranée, dans une Algérie française, un rassemblement pacifiste, organisé à Sétif, une ville du Constantinois à 3 00km à l’est d’Alger, tourne à la tragédie.
La manifestation est autorisée sous certaines conditions : les slogans politiques sont proscrits et le drapeau algérien y est interdit ! Aux : « Vive la Victoire alliée », scandés par la foule, succèdent les « Vive l’Algérie indépendante », « Nous voulons être vos égaux », « Libérez Messali ». Les manifestants, de 8 000 à 10 000 personnes, réclament la fin du colonialisme et la libération de Messali Hadj, un leader nationaliste, arrêté quelques semaines plus tôt.
Après un ordre du sous-préfet de retirer pancartes et banderoles, un scout musulman de 22 ans, Bouzid Saâl, refuse de baisser le drapeau algérien. Il est alors assassiné par un commissaire de police. C’est le début des affrontements avec le pouvoir français. Le mouvement de protestation de la rue algérienne s’étend alors dans les villages des alentours, notamment à Guelma et Kherrata. Il va durer jusqu’en septembre 1945.
Pendant plusieurs mois, toutes les forces françaises sont alors déployées : la police, la gendarmerie, l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine mais aussi de nombreuses milices composées de civils d’origine européenne. Tous ont pour but de rétablir l’ordre colonial et défendre l’Algérie française.
A l’époque, le gouvernement français tente de minimiser le nombre de victimes : à peine 1 000 morts selon l’ancienne puissance coloniale. Selon l’histoire officielle algérienne, les émeutes et la répression ont fait 45 000 morts. Des historiens occidentaux avancent, eux, un bilan de 15 000 à 20 000 morts.
Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, marquent les prémices de la guerre d’Algérie qui démarre neuf ans plus tard, le 1er novembre 1954. Des massacres passés sous silence par la France.
Jusqu’en 2005 où une première reconnaissance est formulée par l’ambassadeur de France à Alger Hubert Colin de Verdière qui évoque alors une « tragédie inexcusable ». Son successeur, Bernard Bajolet condamne à son tour en 2008 ces massacres, évoquant la « très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de folie meurtrière », ajoutant que « le temps de la dénégation est terminé ».
En avril 2015, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire Jean-Marc Todeschini se déplace à Sétif pour, soixante-dix ans après, commémorer les faits. Une première pour un responsable français. Le déplacement de M. Todeschini à Sétif entre dans le cadre de la politique mémorielle annoncée par François Hollande.
Devant le Parlement algérien, en décembre 2012, le chef de l’Etat français dénonce la colonisation, « un système profondément injuste et brutal », et reconnait « les souffrances (…) infligées au peuple algérien », dont les massacres de Sétif, Guelma et Kheratta. « Le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles », concluait alors le président.
Mais 77 ans plus tard, la France n’a toujours pas reconnu solennellement la responsabilité de l’Etat dans les massacres de Sétif et de Guelma.
Depuis Camus, ses amis l'appellent Julius. Sur les larges dalles de Tipaza au temps de Noces, Jules Roy devait avoir déjà cette démarche de centurion rescapé des légions de Varus, l'air incommode et le langage emporté d'un préfet d'Hippone écœuré par le système et les abus. Il ne lui a pas fallu attendre les ratonnades et les opérations-modèles de Cochinchine et de Grande Kabylie pour se mettre en colère. Il n'en mourra pas, comme Léon Bloy, mais la colère lui aura fait une assez belle vie.
Haut de taille, haut de ton, haut de style, de voix et d'ambitions. Ce n'est pas un petit personnage, un gentil citoyen de la république des lettres. C'est un homme de commerce difficile, aux caprices en forme d'épines et d'une exigence péremptoire.
Si Malraux a bien dit qu'à partir de quarante ans un homme est responsable de son visage, c'est peut-être à propos de lui. Il y a des canailles qui ont de bons sourires et même l'air candide. Mais pas ces traits de pierre dure et ce regard tendu, couleur de châtaigne, sous le capuchon de cheveux blancs qui fait de plus en plus penser à celui que portaient, entre le Tarn et l'Ariège, les prêcheurs de la croisade contre les " parfaits ".
Né le 27 octobre 1907 à Rovigo, en Algérie, officier de carrière de 1927 à 1953, d'abord fantassin, puis aviateur, il sait de quoi il retourne. Chacun de ses livres, jusqu'à la grande chronique des Chevaux du soleil qui comprendra neuf volumes, est né d'une expérience.
Dès son retour de guerre, en 1945, il a parlé de la peur - en un temps où la minceur de nos victoires donnait à l'héroïsme un lustre particulier. Des heures sans limite" de la Vallée heureuse, il ramenait surtout l'angoisse d'être au-dessus de Mannheim ou d'Essen, chargé de tuer et près d'être tué.
Sept ans après, il est à Saigon, encore un peu colonel et toujours préoccupé de la peur, mais cette fois-ci de celle des autres. La peur des gens d'en face, de ces villageois vietnamiens qu'un raid des hommes aux bérets de couleurs variées, mais pas encore américains, rend à la " liberté " par les voies purificatrices du feu. Des semaines durant, on le verra acharné à découvrir comment un village de l'Ouest cochinchinois est parti en fumée, comme aujourd'hui Truong-An.
Sept ans encore, et c'est l'Algérie. Pour personne, le choix n'est facile. Surtout pas pour un fils de " pied-noir " pauvre. Mais lui, qui ne s'interdit ni les états d'âme ni les éclats de cœur, ce ne sont pas ses déchirements qu'il rend publics, mais ses engagements.
La Guerre d'Algérie lui vaut d'être, pour des mois, l'homme le plus détesté de sa communauté d'origine. Il a écrit depuis de beaux livres, de plus beaux livres, qui lui ont déjà valu pas mal de prix littéraires. Pour beaucoup d'entre nous, il restera celui qui a su écrire la Guerre d'Algérie et pour qui les Cerises d'Icherridène avaient, au plus fort de l'été, gardé un goût amer.
A l’occasion d’une rencontre organisée, le 7 mai 2005 à Paris, à l’EHESS, par la Ligue des droits de l’homme pour les 60 ans du 8 mai 1945 dans le Constantinois — à laquelle avaient notamment participé Hocine Aït-Ahmed, Chawki Mostefaï et Henri Alleg —, elle avait publié sur son site national le rapport du général Tubert, inédit jusque-là dans son intégralité. Ce document donne quelques éléments sur le déclenchement de la répression et témoigne de la volonté de ce membre du comité provisoire de la LDH en 1943, finalement empêché de se rendre sur place, de mettre fin aux massacres commis par l’armée et des civils européens. Quand, en 2008, la LDH a modifié son site, le Rapport Tubert a fait partie des éléments qui en ont été retirés. Nous le reproduisons ici.
Note sur cette publication
Le site internet de la Ligue des droits de l’Homme avait tenu en 2005 à remercier la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC, devenue en 2018 La Contemporaine) de lui avoir permis de publier sur son site internet, ldh-france.org, le texte intégral inédit du Rapport Tubert sur les événements de mai et juin 1945 dans les régions de Sétif, Guelma et Kherrata, dans l’Est-algérien. Simultanément, un résumé reproduisant ses passages les plus significatifs était publié par le site internet ldh-toulon.net animé par François Nadiras, dont ce site poursuit le travail dans le domaine de l’histoire coloniale et postcoloniale [1]. Avec une présentation de l’historien Jean-Pierre Peyroulou, auteur de Guelma, 1945 : une subversion française dans l’Algérie coloniale (La Découverte, 2009). En 2008, quand le site national de la LDH a été réorganisé, le Rapport Tubert en a été retiré, ainsi que les numéros de sa revue Hommes & Libertés antérieurs au n°142 de juin 2008, dont le n°131 d’août 2005, « Le trou de mémoire colonial » comportant plusieurs articles sur cet événement [2]. Pour poursuivre le travail d’information entrepris alors sur cet épisode emblématique de la violence coloniale — et des ambigüités de ceux qui s’opposaient à ses manifestations les plus massives —, nous reproduisons ici ce rapport. Les passages qui paraissent les plus importants sont soulignés et des notes sont ajoutées par la rédaction.
Une bibliographie figure après le rapport. Ainsi que les films : Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 de Mehdi Lallaoui (56’, 1995) ; Guelma 1945 de Mehdi Lallaoui (15’, 2015) ; Mémoires du 8 mai 1945 de Mariem Hamidat (63’, 2007) ; et un interview de Yasmina Adi au sujet de son film L’autre 8 mai 45. Aux origines de la guerre d’Algérie (52’, 2008).
Présentation
Le 8 mai 1945 en Algérie et le rapport Tubert
Le jour de la capitulation de l’Allemagne et de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, une répression massive contre des dizaines de milliers d’algériens s’est déclenchée dans l’est de l’Algérie, pour combattre une montée de la revendication d’indépendance qui s’était développée parmi eux depuis le débarquement des alliés en Afrique du nord en novembre 1942. Dans la plupart des villes d’Algérie, le 1er mai 1945 puis le 8 mai 1945, des manifestations avec le drapeau algérien et des banderoles pour l’indépendance de l’Algérie et la libération du dirigeant nationaliste Messali Hadj, se sont déroulées sans aucun incident ni intervention policière. En revanche, à Sétif, ville de Ferhat Abbas, qui avait publié en mars 1943 le « Manifeste du peule algérien », et à Guelma, les manifestations du 8 mai 1945 ont été réprimées par les armes. A Guelma, des milices composées de civils européens armés avaient été organisées par le sous-préfet, André Achiary, bien avant le 8 mai 1945, dans le but de donner un coup d’arrêt à la montée des aspirations nationales des algériens. La répression du cortège algérien à Sétif ayant été suivie, de la part de certains manifestants contraints à se disperser, de violences contre des civils européens, les autorités ont stigmatisé ces violences en ne parlant que d’elles dans la presse et en taisant l’intervention policière qui les avait déclenchées. Et une répression militaire de grande ampleur a suivi dans l’ensemble des régions de Sétif, Guelma et Kherrata, que les autorités ont présentées comme une riposte aux violences exercées contre ces civils européens. Dans toute la région, les forces de police et de gendarmerie, des européens armés et des unités de l’armée — y compris de l’aviation et de la marine — ont fait durant plusieurs semaines un grand nombre de victimes civiles dans la population algérienne.
La presse d’Algérie et de France n’a parlé que des meurtres d’européens commis, le 8 mai et les jours qui ont suivi, par des algériens à Sétif et dans plusieurs localités des environs. Rien sur la répression contre les populations civiles algériennes, couverte par le gouvernement provisoire français (GPRF) présidé par le général de Gaulle et dont le vice-président du conseil était Maurice Thorez, et, en Algérie, par le gouverneur général Yves Chataigneau et le préfet de Constantine, André Lestrade Carbonnel, et conduite, du côté des militaires, par le général Henry Martin, commandant du 19e corps en Algérie, et le général Raymond Duval, commandant la Division territoriale de Constantine.
Il y a eu 102 morts européens — dont on connait précisément les identités —, essentiellement dans la région de Sétif, et les autorités françaises n’ont reconnu officiellement que 1 165 morts algériens, en réalité il y en a eu beaucoup plus. Des chiffres de morts algériens ont été avancés pour des localités précises : 200 morts à Oued Marsa, 600 à Kherrata, mais leur recensement nominal reste à faire pour toute la région. Il a été entamé notamment par Kamel Beniaiche dans son livre, Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945, préface de Gilles Manceron, éditions El Ibriz, Alger, 2016. Des archives civiles françaises et britanniques font état de différents nombres compris entre 6 000 et 15 000 morts. Dès les années qui ont suivi, le nombre de 45 000 morts a été avancé en Algérie, mais hors de tout décompte précis. Les victimes de cette répression n’ont pas reçu dans l’Algérie indépendante le statut de martyrs ou d’enfants de martyrs octroyé par le ministère des Moudjahidin.
La répression lancée dans l’Est algérien le 8 mai 1945 et qui a duré jusqu’au mois de juillet est une réponse au désir d’émancipation des algériens qui s’était clairement exprimé depuis la remise en 1943 par Ferhat Abbas aux autorités françaises du « Manifeste du peuple algérien », autour duquel s’étaient formés, avec le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj, les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). Parmi les européens, des adversaires farouches des réformes et des revendications des AML, issus à la fois des autorités vichystes au pouvoir de 1940 à 1942, des « giraudistes » au pouvoir jusqu’en avril 1943, et d’une partie — majoritaire — des résistants de la France Libre, s’opposaient à d’autres — minoritaires —, issus de la gauche et d’une partie de la Résistance, partisans de réformes et plus ou moins ouverts au dialogue avec les AML. Tout cela dans un contexte marqué par la participation récente de nombreux algériens à la guerre pour la libération de la France et la défaite du nazisme et par l’affirmation du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » dans la Charte de l’Atlantique et la Conférence de San Francisco qui s’est ouverte le 25 avril 1945 et qui a créé le 26 juin l’Organisation des Nations-Unies.
La mission Tubert
C’est dans ces circonstances que, le 18 mai, à la demande du ministre de l’intérieur Adrien Tixier, le gouvernement du général de Gaulle nomma le général de gendarmerie Paul Tubert, résistant, membre de l’Assemblée consultative provisoire, membre, depuis 1943, du Comité central provisoire de la Ligue des droits de l’homme (où siègent également René Cassin, Pierre Cot, Félix Gouin et Henri Laugier), dans le but d’arrêter la répression. Le général Tubert [3], commandant de la Gendarmerie de l’Algérie de 1938 à 1941, avait été démissionné d’office parce que mentionné sur une liste de francs-maçons. Il a participé en 1941 à un réseau de résistance dans l’Ain, puis a rejoint Alger en août, où il a participé au groupe algérois du mouvement gaulliste en Afrique du nord, « Combat ». Au lendemain du transfert de l’Assemblée consultative à Paris libéré, il a été confirmé dans son mandat de représentant de la Résistance en Algérie. Le 18 mai 1945, il a donc été nommé à la tête d’une « Commission d’enquête administrative sur les évènements qui se sont déroulés dans le département de Constantine, les 8 mai 1945 et les jours suivants ».
Pendant six jours, du 19 au 25 mai, la commission fit du sur-place à Alger. Officiellement on attendait l’un de ses membres « retenu à Tlemcen ». En réalité, c’est bien Tubert qui était retenu à Alger et ceux qui approuvaient et voulaient laisser se dérouler la répression dans le Constantinois ne l’ont laissé partir que le 25 mai. Et, à peine arrivé à Constantine, il fut rappelé à Alger le lendemain, le 26, sur ordre du gouverneur général Chataigneau et du GPRF. Si bien qu’il n’a pu effectuer l’enquête qu’il voulait conduire dans les régions de Sétif et Guelma. De retour à Alger, Tubert ne fut pas reçu par Chataigneau mais par le secrétaire général du Gouvernement général d’Algérie, Gazagne. Pourquoi n’a-t-il pas pu aller à Guelma ? Non seulement parce que le général de Gaulle et le GPRF voulaient que ne soit pas mis en cause un représentant de la Résistance en Algérie, André Achiary, l’un des organisateurs de la milice européenne, mais aussi parce qu’à Guelma, la répression menée par cette milice officiellement dissoute, continuait toujours. Elle se poursuivit jusqu’au 25 juin : le jour où le ministre de l’Intérieur Adrien Tixier arriva à Guelma, il y eut encore 4 morts. Quand il repartit, ces meurtres, souvent causés par des convoitises à l’égard des biens de familles algériennes, ont quasiment cessé [4]. Le principal organisateur des milices armées européennes, André Achiary, qui avaient pratiqué à partir du 8 mai 1945 à Guelma un terrorisme, aveugle ou ciblé [5], préfigurant celui de l’OAS en 1961-1962, a bien été arrêté et mis en détention provisoire après cette visite d’Adrien Tixier à Guelma. Mais il a réussi à obtenir des soutiens chez les gaullistes, à la SFIO et même à la Ligue des droits de l’homme [6] et à être libéré et échapper aux poursuites. André Achiary continua dans cette voie. Il fera partie des organisateurs de l’attentat de la rue de Thèbes du 10 août 1956 dans la Casbah d’Alger qui a causé la mort de 70 personnes, pour la plupart enfants, femmes et vieillards, attentat terroriste à l’origine, avec les nombreuses exécutions capitales sous le gouvernement Guy Mollet, des actions du FLN dans « bataille d’Alger ». Et Achiary fera partie des jusqu’au-boutistes de l’OAS qui feront la guerre à l’armée française après les Accords d’Evian et se réfugieront en juillet 1962 dans l’Espagne de Franco.
En somme, la nomination de la Commission Tubert fut une menace qu’agita le gouvernement provisoire, et notamment le ministre de l’Intérieur, Adrien Tixier, pour faire cesser la répression. Reste que Tubert a tenu à remettre un rapport sur la base des quelques faits qui lui ont été rapportés, expliquant les intentions qui auraient présidées à sa mission, y glissant quelques faits, et voulant attirer l’attention sur les causes profondes de cet épisode. Quant au nombre des victimes et au récit des faits, son rapport s’est borné à reproduire les déclarations officielles. Mais son importance réside dans quelques phrases sur le caractère politique de la manifestation réprimée et dans sa conclusion en forme d’avertissement : « Les manifestations du 8 Mai à Sétif avaient un caractère politique et tendaient à réclamer la libération de Messali Hadj et l’indépendance de l’Algérie. La commission croit, en terminant, de son devoir de signaler [… qu’il] est nécessaire […d’] empêcher la formation de groupes armés échappant à tout contrôle. Il semble aussi qu’il faille sans tarder définir avec netteté et sincérité les programmes politiques et économiques que les pouvoirs publics décideront d’appliquer à l’Algérie ». Son rapport ne fut pas diffusé. Tubert sera nommé ensuite maire d’Alger de 1945 à 1947 — Gazagne lui succédant à ce poste en 1948. Sénateur apparenté communiste de 1946 à 1948, Paul Tubert a disparu du comité central de la LDH et a fait partie en 1949 — au moment où la LDH proteste contre les poursuites contre André Achiary… — des membres fondateurs du MRAP.
Le successeur de Lestrade-Carbonel comme préfet de Constantine fut, de septembre 1949 à octobre 1951, Maurice Papon. Celui qui sera condamné pour complicité de crimes contre l’humanité pour ce qu’il avait fait comme secrétaire général de la préfecture de la Gironde en 1942, y sera de nouveau en mai 1956, nommé préfet avec des pouvoirs extraordinaires (IGAME). Il pourra y mettre au point les méthodes de torture et d’assassinats massifs qui seront mises en pratique en 1957 durant la « bataille d’Alger ».
Le texte intégral du Rapport Tubert
Rapport à Monsieur le Ministre Plénipotentiaire Gouverneur Général de l’Algérie,
de la Commission chargée de procéder à une enquête administrative sur les événements qui se sont déroulés dans le département de Constantine les 8 mai 1945 et jours suivants.
La Commission a été instituée par arrêté gubernatorial du 18 mai 1945. Elle est composée de M. le général Tubert, membre de l’Assemblée consultative provisoire, président. MM. Labatut, avocat général à la Cour d’appel d’Alger, Taleb Choaib Ould Benaouda, Cadi de Tlemcen,membres.
Aux termes de l’article 1er de l’arrêté, la Commission était chargée de procéder à une enquête administrative sur les évènements qui se sont déroulés dans le département de Constantine les 8 mai 1945 et jours suivants.
Le samedi 19 mai, dans l’après-midi, les services du Gouvernement Général avisaient officiellement les membres de la Commission de leur désignation, mais M. le Cadi Taleb qui réside à Tlemcen, ne pouvait être averti que télégraphiquement et, à raison des difficultés des communications, il n’a pu rejoindre Alger que le jeudi 24 mai. En attendant M. le Cadi, M. le général Tubert et M. Labatut décidaient un plan de travail qui était approuvé par M. Taleb à son arrivée à Alger. La Commission partait pour Sétif le vendredi matin 25 mai, elle gagnait Constantine le samedi après-midi en passant par Chevreul, un des centres les plus éprouvés par l’insurrection [7]. Par communication télégraphique du samedi 26 mai à 19 heures, transmise par le Préfet de Constantine, la Commission était invitée à revenir de suite à Alger. Les membres de la Commission ont quitté Constantine le lundi matin 28 mai pour arriver à Alger dans l’après-midi où ils ont été reçus en audience par M. le Ministre Plénipotentiaire, Gouverneur Général de l’Algérie et M. le Secrétaire Général du Gouvernement.
Antérieurement à son départ d’Alger et notamment les mardi, mercredi et jeudi 22, 23 et 24 mai, les deux membres de la Commission présents à Alger avaient eu des conversations relatives à leur mission avec diverses personnalités de l’administration, notamment le Directeur des Affaires musulmanes du Gouvernement Général et le Directeur de la Sécurité Générale, les personnalités du milieu colon et du monde musulman, délégués financiers, conseillers généraux, cadis.
La Commission unanime avait décidé de faire une enquête objective, de n’étayer son rapport et ses conclusions que de faits précis dûment prouvés ou tout au moins gravement présumés et d’indiquer dans son travail d’ensemble les sources de ses renseignements. Elle projetait de faire une première tournée rapide de 5 à 6 jours en enquêtant succinctement dans les principaux centres d’émeutes, puis de revenir à Alger mettre au point cette première documentation qui lui aurait procuré une vue d’ensemble. La Commission serait ensuite repartie pour mener son enquête plus minutieusement et plus en détail. Elle avait manifesté sa volonté, non seulement de se faire communiquer les rapports administratifs ou policiers et de provoquer des remises de notes par les personnes dont elle recevait les déclarations, mais encore elle avait commencé à Sétif et aurait continué à recueillir par procès-verbaux dressés dans la forme administrative les dépositions de personnalités quels que soient leur grade dans la hiérarchie administrative ou leur situation politique, toutes les fois qu’une réponse non équivoque devait être donnée, pour tenter d’aboutir à la recherche de la vérité.
La Commission a cessé de travailler officiellement le samedi 26 mai au soir, dès qu’elle a reçu des instructions de revenir à Alger, mais le dimanche 27 mai elle a eu des conversations avec le Préfet de Constantine, le haut personnel de la Préfecture, des chefs de la police, le général commandant la Division, certaines personnes du milieu colon comme du milieu musulman. Cependant aucun procès-verbal d’audition n’a été dressé, la Commission ne se reconnaissant plus le droit d’enquêter dans les formes qu’elle avait prévues.
M. le Gouverneur Général de l’Algérie a bien voulu demander à la Commission de condenser dans un rapport les premiers résultats d’une enquête qui n’a duré que cinq jours consacrés surtout à des prises de contact avec bon nombre de personnalités appartenant à tous les milieux administratifs, politiques et culturels. Ce rapport ne peut donc que donner des indications et des impressions, dont beaucoup n’ont pu être soumises à un contrôle rigoureux, ainsi qu’il sera expliqué, mais il permettra — croyons-nous — de dégager les grandes lignes de l’objet de l’enquête, les buts poursuivis par la Commission et de signaler les vérifications qui paraissent s’imposer.
1 – Rappel succinct des faits motivant l’enquête.
À Sétif, le 8 mai, alors que la population s’apprêtait à fêter la fin des hostilités, de sanglants incidents se déroulent : 29 européens étaient assassinés. Des émeutes éclataient par la suite dans le département de Constantine, prenant le caractère dans certaines régions d’un véritable soulèvement. De nombreuses victimes étaient sauvagement massacrées [8].
Dans la même journée du 8 mai le car de Bougie à Sétif était attaqué ; le bordj de la commune mixte de Takitount était envahi par les indigènes qui s’emparaient des armes ; l’Administrateur, son adjoint, le Receveur des PTT étaient tués et l’agitation gagnait la région environnante ; un prêtre était assassiné à El Ouricia ; des fermes brûlées et d’autres immeubles saccagés à Sillègues. Le centre d’Aïn-Abessa était attaqué.
Le 9 mai des bandes armées sillonnent la région de Djidjelli, assassinent quatre gardes forestiers et leurs familles et tuent quatre autres personnes à La Fayette. Le centre de Kherrata est livré au pillage, le juge de paix et sa femme sont assassinés ainsi que huit autres personnes. Autour de Guelma des fermes sont assaillies et plusieurs colons tués. Le centre de Chevreul à 40 km au Nord-Est de Sétif est entièrement incendié, la population se réfugie à la gendarmerie où elle soutient un siège de 30 heures : 2 colons périssent.
Le 10 mai le village d’Aokas (commune mixte d’Oued Marsa), la gendarmerie de Tessara ; le bordj et la poste de Fedj-M’Zala sont encerclés. À Oued Marsa deux français sont tués ; les communications téléphoniques sont interrompues dans la région ; deux autres gardes forestiers sont assassinés. La voie ferrée est coupée aux environs de Duvivier. Il faut aussi signaler des manifestations le 8 mai à Batna, Biskra, Khenchela, Bône avec jets de pierre sur les immeubles ou les agents du service d’ordre. Plusieurs agents ont été blessés.
À partir du 13 mai, l’ordre se rétablit peu à peu, mais jusqu’à ces jours derniers on signale encore des incendies de bâtiments dépendant de fermes isolées et de rares attentats contre des personnes, ainsi que des lignes téléphoniques coupées. Au total, d’après les renseignements fournis à la Commission par le service de la Sécurité Générale 102 européens ont été assassinés, plusieurs femmes, dont une de 84 ans, ont été violées. Les cadavres, dans la plupart des cas ont été affreusement mutilés, les parties sexuelles coupées et placées dans la bouche, les seins des femmes arrachés et les émeutiers s’acharnaient sur les cadavres pour les larder de coups de couteau.
Les troupes, sous le commandement du général Duval qui est à la tête de la Division territoriale de Constantine, ont dû intervenir. Des éléments marocains, sénégalais et de la Légion étrangère ont été amenés pour réprimer les émeutes. Le général Duval a déclaré verbalement à la Commission qu’au cours des opérations de répression 12 militaires avaient été tués et 20 blessés. Dans la région des Babors, au Nord de Sétif, l’émeute a pris l’allure d’une dissidence. Les troupes appelées pour rétablir l’ordre étaient accueillies, devant certains douars, à coups de fusil ou même d’armes automatiques, ce renseignement nous a été donné tant par le général commandant la Division que par un lieutenant-colonel de la Légion étrangère et par le Préfet de Constantine.
Les colons de Chevreul, qui sont tous des petits ou moyens colons — le plus riche possède 200 ha — qui travaillent eux-mêmes leurs fermes, nous ont déclaré que depuis 46 ans, date de la création de ce centre, aucun incident même minime n’avait séparé la population française de la population musulmane et que les archives de la Justice de paix de Périgotville pourraient l’attester. Cependant les colons ont reconnu parmi les assaillants leurs domestiques de ferme dont certains avaient été élevés par eux depuis leur plus bas âge et qui étaient employés parfois depuis 30 ans. Aucun musulman n’avait averti les colons d’un danger possible, encore que ceux-ci soupçonnassent, à des conciliabules et à des attitudes réservées, qu’il se tramait quelque mouvement.
Il nous a été affirmé par les colons et confirmé par des bergers indigènes que les assaillants ont attaqué le centre de Chevreul, composé d’une douzaine de maisons, aux cris de Djihad, Djihad ! (guerre sainte). Les colons ont dû se réfugier à la gendarmerie où ne se trouvaient que deux gendarmes armés de deux mousquetons. Ils avaient emporté leurs fusils de chasse et ont pu repousser les assaillants jusqu’à l’intervention de la troupe qui les délivrait. La Commission a pu constater que deux cloisons de briques, à l’intérieur de la gendarmerie séparant trois pièces avaient été traversées par le même projectile tiré de l’extérieur.
Si les scènes les plus violentes se sont déroulées d’une part à Sétif et dans la région au Nord et Nord-Est de cette ville et d’autre part autour de Guelma, il est certain qu’à peu près tout le département a été secoué par une vive agitation durant les journées qui ont suivi le 8 mai et que des rassemblements menaçants d’indigènes ont été signalés, notamment à El Arrouch, Jemmapes, Oued Amizour, Condé Smondou, Chateaudun, El Milia, Oued Zénati (rapports de police communiqués par la Préfecture).
Ces évènements ont motivé l’ouverture d’une information judiciaire militaire. Il appartient à la juridiction militaire de rechercher et de juger tous auteurs et complices de toutes les infractions pénales commises ou révélées par les évènements depuis le complot possible contre la sûreté de l’État jusqu’au port d’armes prohibées. Mais la Commission administrative qui n’entendait nullement empiéter sur les attributions des juges militaires, pensait que sa mission était de rechercher les causes profondes du soulèvement, les explications du succès de la propagande anti-française, les responsabilités tant de complaisance qui avait pu se manifester vis-à-vis de cette propagande que de carence ou d’inertie à la signaler ou à la combattre. De même elle se proposait de rechercher si les mouvements dont les évènements ont fait apparaître la virulence pouvaient être prévus, si toutes les précautions avaient été prises pour les juguler aussi bien localement que dans tout le pays et si lors du déroulement des émeutes, toutes les Autorités avaient fait leur devoir avec sang-froid et diligence. Enfin la Commission pensait qu’elle devait aussi enquêter sur la répression qui a suivi les émeutes, sur sa légalité et son étendue comme sur les circonstances de fait qui l’ont entourée.
2 – « Climat psychologique » de l’Algérie avant les événements.
Il est inutile d’insister longuement sur un état d’esprit navrant et bien connu. Alors que la fraternité de tous les Algériens, musulmans ou non, était attestée sur les champs de bataille et que l’étendue de leurs sacrifices prouvait leur vaillance et leur fidélité à la France, que les régiments de tirailleurs, retour de la Métropole, se plaisaient à raconter l’accueil enthousiaste reçu lors de la libération de la Patrie (propos rapportés à la Commission par le Président de la Délégation spéciale de Sétif), il paraissait en Algérie se creuser depuis plusieurs mois un fossé qui dressait comme deux masses hostiles les populations européennes et musulmanes. Il ne se passait de jour où sur un point du territoire algérien des incidents, des injures, voire des coups, opposaient musulmans et européens. Des provocations et des menaces n’épargnaient ni les femmes ni les enfants : jets de pierre à la sortie des écoles lancés par de jeunes indigènes sur des français, injures sur les marchés et dans les voitures de transport en commun, hésitations de musulmans loyaux de se promener avec des européens de crainte de passer pour « pro-français », chez les meilleurs, désaffection de l’Administration qui représente la France, paroles non dissimulées de haine ou de révolte, bandes qui dans les villes interdisaient aux musulmans de fréquenter les cafés où des Français étaient assis, interdiction aux femmes musulmanes de travailler chez les « Français ».
La Commission a d’ailleurs constaté que souvent les européens répliquaient par des termes de mépris et que le vocable « sale race » résonnait trop fréquemment à l’adresse des indigènes, que ceux-ci n’étaient pas toujours traités, quel que soit leur rang social, avec un minimum d’égards, qu’ils étaient l’objet de moqueries ou de vexations.
En ce qui concerne plus particulièrement le département de Constantine, la Commission croit devoir signaler trois faits racontés à la Préfecture ou à la Direction de la Sécurité Générale : un instituteur de la région de Bougie donne comme modèle d’écriture la phrase suivante : « Je suis Français, la France est ma patrie » et les jeunes musulmans modifient d’eux-mêmes le modèle et écrivent : « Je suis Algérien, l’Algérie est ma patrie ». Un autre instituteur fait un cours sur l’Empire romain. Quand il parle des esclaves, une voix s’élève et s’écrie : « Comme nous ». Enfin une partie de football à Bône a dû être arrêtée par crainte d’émeute, parce que les équipes en présence étaient composées l’une exclusivement de musulmans et l’autre exclusivement « d’européens » et que le public menaçait d’en venir aux mains suivant que l’une ou l’autre des équipes prenait l’avantage.
Si les éléments d’information succincts réunis par la Commission ne permettent pas de préciser la profondeur dans les masses musulmanes de l’hostilité signalée, la multiplicité de renseignements parvenus permet d’affirmer que les démonstrations de cet état d’esprit couvraient tout le territoire algérien.
3 – Les premières manifestations importantes avant la journée du 8 mai à Sétif.
En ce qui concerne les jours qui ont précédé immédiatement le 8 mai, la Commission doit souligner que la journée du 1er mai fut un prétexte pour nombre de musulmans de manifester en réclamant la libération de Messali, l’indépendance de l’Algérie et la fin du colonialisme.
Dans le département de Constantine, cette journée fut marquée par des cortèges spécifiquement musulmans à Bône, Bougie, Guelma, Philippeville, Souk-Ahras, Tébessa, Colle, Khenchela, Aïn-Beïda, Sétif. Ces cortèges distincts des manifestations syndicalistes suivaient les cortèges officiellement autorisés ou au contraire tentaient de les couper. À Sétif, 5 000 musulmans environ se dirigèrent vers la salle des fêtes où se trouvait la réuinion syndicaliste en hurlant : « Messali ; Libérez Messali ». Les femmes excitaient de leurs « you you » les manifestants. La police ne put empêcher l’attroupement, mais aucune brutalité ne fut exercée, ce jour-là, à Sétif sur le service d’ordre et les manifestants demeurèrent en dehors de la salle des fêtes. Il est à la connaissance de la Commission que la journée du 1er mai a été marquée par de graves manifestations du même ordre et poursuivant le même but dans des villes des départements d’Oran et d’Alger et notamment aux chefs-lieux de ces départements.
La Commission se proposait de vérifier si antérieurement aucun cortège ou rassemblement important, à caractère politique, n’avait été signalé et si le début des manifestations en masse coïncidait avec le 1er mai. Le 7 mai à 15h45 le colonel commandant la subdivision de Sétif téléphonait au Commissariat central que l’Armistice était officiellement signé [9]. Les cloches et les sirènes annonçaient la fin des hostilités, les maisons pavoisaient et des cortèges d’européens se formaient dans la joie. Il apparut vite que les musulmans ne se joignaient pas aux Européens Les anciens combattants avaient organisé un cortège, cinq ou six musulmans seulement, anciens combattants, y participèrent, un tirailleur indigène ivre provoque un incident en criant : « Vive de Gaulle ; Vive Messali ». La foule musulmane reprend en chœur : « Vive Messali ». Des groupes de 200 à 300 musulmans manifestent devant le cercle de l’Éducation, un inspecteur de la Sûreté est pris à partie, un européen molesté. La nuit cependant est calme.
4 – Le 8 mai à Sétif
Le 8 mai au matin, une patrouille de police vient informer le Commissaire central que de nombreux indigènes se rassemblent autour de la mosquée. Le Sous-Préfet prévenu, convoque diverses personnalités musulmanes membres du bureau des Amis du manifeste. Le Sous-Préfet, M. Butterlin, affirme avoir fait connaître à ces personnes l’interdiction de tout cortège à caractère politique et l’avis qu’elles seront tenues pour responsables de tout incident. Il prévint l’Autorité militaire (mais la Commission n’a pu, au cours de son bref séjour à Sétif, vérifier les réquisitions adressées), et aussi la gendarmerie. Le Commissaire central se rend lui-même devant la mosquée et s’adressant à ceux qui paraissent diriger le cortège, il les avise que toutes banderoles ou pancartes à caractère politique sont interdites. Les organisateurs du cortège répondent qu’ils veulent défiler pour fêter la Victoire et déposer une gerbe au monument aux morts. Le chef des scouts musulmans, Yalla Abdelkader, déclare notamment qu’il retirera ses troupes si le cortège a un caractère politique, il part même en voiture à la Sous-Préfecture avec le commissaire central pour renouveler sa promesse et, au retour, invite les scouts à déposer leurs matraques à la mosquée, mais, d’après le Commissaire central, quelques-uns seulement obéissent et la plupart gardent leurs matraques. À ce moment, le commissaire central Tort quitte la place de la mosquée, va à la sous-préfecture, puis à la gendarmerie chercher les 20 gendarmes qui devaient participer au service d’ordre ; le commissaire de police Valère était chargé de l’escorte du cortège et de la surveillance en ville.
Au moment du départ de la manifestation, le Commissaire Valère mettait en place le service d’ordre et des agents, sous la direction d’un brigadier de police, se trouvaient devant la Mosquée. Il n’a pas été possible à la Commission de savoir d’une manière précise si le cortège s’est ébranlé au départ en portant des banderoles. Elle se proposait de revenir à Sétif pour enquêter d’une manière plus approfondie. M. Chauveau, ancien Commissaire de police à Sétif a déclaré que de nombreuses personnes prétendent que le cortège est parti de la mosquée, se dirigeant vers la ville, banderoles déployées avec les inscriptions : « Vive Messali » – « Pour la libération des peuples, vive l’Algérie libre et indépendante » – « Libérez Messali ». Par contre, la police locale laisse entendre que les banderoles ont été déployées en cours de route. Le Commissaire Valère qui se trouvait vers le centre de la ville a constaté que le cortège composé d’une masse qu’il évalue à 7 à 8 000 musulmans portait des banderoles avec les inscriptions interdites lorsque les manifestants lui ont apparu. Il a alors téléphoné au Sous-Préfet d’un café voisin pour rendre compte du port des banderoles. Le Commissaire Valère savait d’ailleurs, il l’a déclaré, que le Sous-Préfet avait interdit toute pancarte séditieuse. Le Sous-Préfet lui a confirmé l’ordre d’enlever les banderoles. Le Commissaire Valère a fait observer que le cortège comprenait 8 000 manifestants et que l’exécution des ordres entraînerait de la bagarre. Le Sous-Préfet a répondu : « Eh bien, il y aura de la bagarre ». Sans contester la réponse, le Sous-Préfet dit ne pas se souvenir exactement des termes qu’il a employés.
Le Commissaire Valère avise alors le Commissaire de la police mobile Olivieri des instructions reçues. Celui-ci se précipite sur les porteurs de la première banderole. À ce moment il reçoit des coups de tous côtés. Il est attesté tant par les déclarations des policiers que par des témoins européens et indigènes que la bagarre a été déclenchée à ce moment. Le Commissaire Valère a été atteint d’un coup de caillou, est tombé sur un genou et s’est défendu avec sa canne. Les rapports de police rendent compte que les manifestants, à ce moment, ont tiré des coups de feu [10] Par contre, l’ancien Commissaire Chauveau, qui se trouvait par hasard sur les lieux et qui, de l’avis unanime a contribué par la suite avec courage et dévouement à rétablir l’ordre, croit qu’une rafale de mitraillette tirée en l’air par un agent a précédé les coups de revolver venant des manifestants. Cette version est répandue dans tous les milieux sétifiens. La Commission, dans un souci de rechercher la vérité avec minutie se proposait de vérifier ce point avec soin, encore qu’il lui apparut, a priori, qu’un agent qui fait feu, en l’air, pour dégager ses chefs attaqués à coups de poing et coups de bâton, n’accomplit que son devoir.
Dès les rafales de mitraillettes et des coups de feu échangés de part et d’autre, le cortège s’est dispersé ; une seule victime européenne a été relevée à ce moment, mais, en s’enfuyant les manifestants faisaient usage de leur revolvers et attaquaient à coups de matraque ou au couteau des européens rencontrés sur leur passage. Par la suite il est certain que le car de la gendarmerie est entré en action sous les ordres d’un adjudant-chef et du commissaire central. Mais, il est aussi certain que les manifestants ont pu se reformer à hauteur du Monument aux Morts au nombre de 3 à 4 000. un clairon indigène civil a pu sonner dans les rues de Sétif « la Générale » sans être inquiété. Le cortège qui s’était reformé a été coupé en deux par le car de la gendarmerie. Dès que les gendarmes ont fait feu après avoir reçu des coups de cailloux, les manifestants se sont dispersés. Un groupe, après avoir tenté d’envahir le commissariat de police, se retire devant les injonctions de policiers mais va se livrer à des agressions dans divers quartiers de la ville, un autre groupe se dirige vers le marché aux bestiaux où des meurtres sont commis. À 11 heures, le calme paraît rétabli, la police et la gendarmerie ayant repris le contrôle des rues de Sétif. L’Armée, qui n’aurait reçu l’ordre de ne tirer que sur réquisitions écrites du Sous-Préfet, n’aurait participé que tardivement et passivement au service d’ordre. La Commission n’a pu vérifier ces allégations des services de la police.
Encore que la recherche des responsabilités locales pendant les évènements ne soit qu’une des parties de la mission de la Commission d’enquête, un bref aperçu des évènements à Sétif ; le 8 mai et les jours qui ont précédé, lui commandait de vérifier si toutes les précautions avaient été prises dans l’attente de manifestations que nul ne semblait pouvoir ignorer, si le service d’ordre était suffisant d’après les possibilités, si les réquisitions nécessaires avaient été données, si le cortège n’avait pu être arrêté qu’après 800 m. de parcours et alors qu’il se trouvait au centre de la ville, si les manifestants qui se dispersaient devant les coups de feu n’avaient pu être poursuivis hors de la ville, si toutes les Autorités avaient fait leur devoir, si certains chefs de la police n’auraient pas dû rester sur les lieux de la manifestation au lieu de courir eux-mêmes téléphoner ou quérir la gendarmerie, si les agents avaient reçu des instructions précises et même, sans préjudice de l’enquête judiciaire, s’il est exact, ce qui nous a été affirmé par le Secrétaire Général de la Mairie et le Commissaire Chauveau, que les communications téléphoniques étaient particulièrement lentes et difficiles avec la Sous-Préfecture.
Comme il est certain que l’émeute n’a gagné les régions environnantes qu’après le déclenchement de la bagarre à Sétif, la Commission se proposait de rechercher si les autorités avaient tenté d’alerter les centres de l’intérieur pour aviser maires, administrateurs et gendarmes du danger et si notamment les gardes forestiers, dont six ont été assassinés, avaient été avertis, alors qu’en principe toutes les maisons forestières ont le téléphone. La Commission a retenu d’autre part que les Autorités locales ont toutes déclaré n’avoir reçu aucune instruction de l’Autorité Supérieure pour prendre des mesures particulières de précaution le jour où la victoire serait célébrée alors cependant que des rapports de police (bulletin secret de la Préfecture d’Alger du mois de mars 1945) prévoyaient des manifestations réclamant l’indépendance de l’Algérie pour le jour où « l’Armistice » serait annoncé. L’enquête aurait été menée dans le même sens tant aux échelons supérieurs qu’inférieurs. La Commission se proposait spécialement d’enquêter avec soin sur l’attitude des cadres de l’administration musulmane (aghas et caïds), qui paraissaient bien placés pour rendre compte fidèlement de l’état d’esprit des populations de leurs douars et des préparatifs qu’ils pouvaient, semble-t-il, difficilement ignorer.
Enfin, il importe de préciser si les ordres de ne tolérer aucun cortège avec banderoles séditieuses étaient d’initiative du Sous-Préfet ou d’une Autorité supérieure, car d’après les renseignements non contrôlés, d’autres manifestations se sont déroulées en Algérie ce jour-là, et notamment à Sidi-Bel-Abbès avec des pancartes portant les mêmes inscriptions qu’à Sétif sans causer d’incidents sanglants, la police étant demeurée passive.
5 – Causes directes de la manifestation et des émeutes.
Sans vouloir en rien s’immiscer dans l’enquête judiciaire, la Commission a seulement constaté que bon nombre de manifestations se sont déroulées en Algérie les 1er mai et 8 mai, que toutes ces manifestations étaient à caractère exclusivement politique et avaient pour but de réclamer la libération de Messali et l’indépendance de l’Algérie. Elle a aussi constaté que seule la manifestation de Sétif du 8 mai avait tourné à l’émeute pour gagner les régions environnantes. Il faut souligner que les manifestants de Sétif portaient un drapeau algérien tricolore rouge (à la hampe) blanc et vert avec un croissant et une étoile rouges à cheval sur le blanc et le vert. Le drapeau a été saisi par la police. C’est aussi un fait que les musulmans de Sétif réclamaient l’indépendance de l’Algérie dans la ville dont Ferhat Abbas est conseiller municipal, où il exerce la profession de pharmacien et où ses partisans (Groupement des Amis du Manifeste) sont actifs et nombreux.
La Commission a également retenu que les manifestants au nombre de 8 à 10 000 (chiffre donné par la police) étaient venus en grand nombre des campagnes environnantes — c’était d’ailleurs à Sétif, jour de marché — que bon nombre étaient armés de matraques ou de couteaux, voire de haches, de sabres et de revolvers, mais qu’ils n’étaient pas porteurs d’armes automatiques ou de fusils de guerre. Par contre, au cours des expéditions dans les campagnes qui ont suivi les manifestations du 8 mai, l’armée s’est trouvée en présence de rebelles porteurs de fusils de guerre et d’armes automatiques. Elle a découvert un trépied de mitrailleuses (renseignement donné par un capitaine de tirailleurs).
La Commission a aussi constaté que les manifestants ne protestaient pas contre une insuffisance de ravitaillement et pour réclamer une amélioration dans les distributions de denrées. Elle a enregistré les déclarations de bon nombre de témoins affirmant que les indigènes de Sétif avaient le même ravitaillement que les européens et que Ferhat Abbas se plaisait à reconnaître le bon comportement des autorités locales administratives et policières vis-à-vis des indigènes. De même il lui a été affirmé que les indigènes des campagnes environnantes de Sétif étaient relativement les mieux nourris, voire les mieux habillés de l’Algérie. Un lieutenant-colonel de la Légion étrangère stationnant à Chevreul a déclaré avoir trouvé dans un gourbi 50 kgs de sucre et dans un autre, quantité de tabac et d’allumettes.
La Commission n’entend tirer aucune conclusion générale des cas particuliers signalés par cet officier supérieur, elle se proposait, d’ailleurs, de vérifier avec soin quelles denrées avaient été distribuées dans les mois précédant les émeutes et aussi de rechercher si les denrées étaient bien parvenues à leurs destinataires. Il a été reconnu, tant à la sous-préfecture de Sétif qu’à la préfecture de Constantine que les populations du sud du département, qui sont misérables, ne se sont pas soulevées. Si l’on rapproche toutes ces considérations du fait que, dans les campagnes, les émeutiers ont attaqué les européens au cri de « Djihad » (guerre sainte) et que ce cri a été aussi entendu à Sétif (rapport de police à la préfecture de Constantine), la Commission a le droit d’en conclure que le mouvement avait un caractère insurrectionnel politique et fanatique.
Mais la Commission ne croit pas dépasser ses attributions en écrivant que de tout ce qu’elle sait, il résulte que les manifestations de masse qui se sont déroulées en maintes villes du territoire algérien et qui ont pris un caractère d’émeute à certains endroits, un caractère seulement menaçant ou haineux à d’autres localités, obéissaient à une action concertée tendant à revendiquer l’indépendance de l’Algérie à la face des autorités françaises. Pourquoi ces manifestations ont-elles tourné à l’émeute sanglante à Sétif, puis au nord de cette ville et le lendemain à 200 km de là, à Guelma ? L’enquête judiciaire le recherchera. La Commission enregistre seulement le fait que la bagarre s’est déclenchée après l’enlèvement de la banderole à Sétif et que des émissaires sont ensuite partis dans les campagnes.
La Commission se proposait d’enquêter avec soin sur les causes de l’arrêt de manifestations ou de rassemblements qui s’avéraient menaçants dans bon nombre de localités du département. Il a été signalé l’attitude courageuse de certaines personnalités musulmanes (M. Benhabylès à Oued Zénati, le caïd d’Aïn-Abessa, dont Ferhat Abbas demandait la révocation, des marabouts de la région de Périgotville [11]). Dans d’autres localités, et d’après le général commandant la Division de Constantine, des membres du parti « Amis du manifeste » ont été sollicités en vue d’un appel au calme. Il serait intéressant de connaître si la dispersion des rassemblements et la sauvegarde de certaines localités sont dues à l’énergie d’un administrateur, au prestige d’une personnalité musulmane, à l’autorité d’un homme politique ou simplement au passage de troupes munies d’armement moderne. Sans vouloir en rien mettre en doute le dévouement et le loyalisme dont nombre de musulmans influents ont donné la preuve, il est cependant permis de rechercher si quelques-uns n’ont pas prêché le calme par calcul politique, parce que l’émeute dérangeait leur plan ou parce que le jour de l’insurrection générale n’était pas encore arrivé.
La Commission n’a pu aborder cette partie de sa mission, faute de temps. Elle croit devoir cependant signaler une explication ethnique qui lui a été donnée à Constantine par Me Ben Bahmed, avocat, du fait que l’émeute a été sanglante surtout dans la région des Babors et autour de Guelma, alors que des contrées séparant ces centres insurrectionnels sont demeurées calmes. La population des Babors est berbère, fruste, s’est soulevée en 1871 et a été difficilement réduite. Après l’insurrection de 1871, une partie de la population des Babors aurait été amenée dans la région de Guelma où elle aurait fait souche sans perdre ses caractères et en conservant des liens de parenté étroits et des relations suivies avec les habitants des douars du nord de Sétif. La Commission n’a pu vérifier l’authenticité et la pertinence de cette explication.
6 – Les partis politiques ou associations qui ont incité aux manifestations.
Il est un fait qui ne peut être discuté : les manifestants réclamaient la libération de Messali. D’autre part, des rapports de police signalaient depuis quelques mois qu’un accord paraissait conclu entre les « Amis du Manifeste « , le « Parti populaire algérien » et « l’Association des Oulémas » réformistes. La Commission a estimé, dès sa première réunion, qu’elle devait rechercher comment les partis et groupements avaient pu prendre une telle extension et une telle influence et s’ils n’avaient pas bénéficié d’une certaine tolérance ou même complaisance de la part des pouvoirs publics ou de personnalités locales en dehors de toute complicité caractérisée, ce cas ne pouvant relever que des juges militaires. La Commission n’a certes jamais songé à s’arroger un droit de censure sur la politique gouvernementale, mais elle croit que le devoir de l’Administration, à tous les échelons, est non seulement d’exécuter les ordres reçus, mais aussi de faire preuve d’initiative en signalant les dangers de groupements, d’associations à caractère hostile à la souveraineté française et, à plus forte raison, de ne pas donner l’impression que certains partis, dont la politique ne pouvait être ignorée, étaient favorisés.
Sur ce problème, le rapport sera forcément fragmentaire, l’enquête n’ayant duré que cinq jours.
a) le PPA – Le chef du PPA, Messali, d’après les renseignements fournis par la Direction des Affaires musulmanes, était, au début de son activité politique, communiste. Il aurait séjourné à Moscou de 1930 ou 1931 à 1935, il a créé à Paris l’« Étoile Nord-Africaine », ligue qui fut dissoute en janvier 1936. Il est devenu nationaliste musulman, se serait séparé des communistes par ambition personnelle et aurait voyagé en Suisse où il aurait rencontré des personnalités musulmanes d’Égypte et de Palestine et peut-être en Allemagne. D’après le Dr Bendjelloul, membre de l’Assemblée consultative, Messali serait venu en Algérie alors que M. Millot était Directeur des Affaires Indigènes et avec l’assentiment de celui-ci pour diviser l’opinion publique musulmane. Ce point n’a pu être vérifié. La propagande de Messali a cependant paru dangereuse dès avant la guerre de 1939. La Commission, retenait, pour son travail que Messali a été condamné en 1940 à 15 ou 20 ans de travaux forcés pour complot contre la sûreté de l’État — la Commission se demande quels étaient exactement la prévention et les motifs de la condamnation, — alors que cependant quelques mois après, en 1941, Messali avait été libéré et mis en résidence surveillée, l’amiral Abrial étant Gouverneur général de l’Algérie.
Nous nous proposions de rechercher la forme de la décision d’élargissement et les influences qui avaient pu jouer pour l’obtenir. M. Berque, Directeur des Affaires musulmanes nous a dit que Messali avait été relâché sur promesse de ne pas faire de politique et qu’il aurait tenu parole pendant un ou deux ans. Mais Messali n’a jamais voulu faire de déclaration de loyalisme envers la France. Sa mise en résidence surveillée n’empêchait évidemment pas Messali de recevoir maintes personnes et de transmettre des directives. D’après un renseignement parvenu à la Commission et non vérifié, la femme de Messali, qui habitait Médéa, avait autorisation de circuler en voiture automobile [12]. Or, il ne peut être discuté que la femme de Messali participait activement avant 1940 à la politique de son mari. Il résulte des rapports de police que le PPA a pris une extension considérable et inquiétante ; qu’il a en Algérie une organisation très minutieuse et que — étant un parti dissous depuis 1939 — il avait fait adhérer grand nombre de ses partisans aux « Amis du Manifeste », dont le chef est Ferhat Abbas.
La Commission a pu constater que le noyautage des « Amis du Manifeste » par le PPA avait été signalé par les services de renseignements qui en avaient dénoncé les dangers. elle se proposait de vérifier les mesures prises par la haute administration ou les suggestions qu’elle aurait pu adresser au Gouvernement pour empêcher l’extension d’un parti qui n’a jamais celé son caractère résolument hostile à toute souveraineté française.
b) Les Amis du Manifeste — Le chef de ce groupement politique est Ferhat Abbas, pharmacien à Sétif, conseiller municipal de cette ville, conseiller général du département de Constantine et délégué financier, originaire de Taher où son père aurait fini comme agha une carrière administrative musulmane. Élevé dans nos universités, M. Ferhat Abbas a reçu une culture occidentale assez poussée. Certaines personnes le dépeignent comme un ambitieux chez qui l’orgueil domine l’intelligence. Marié avec une musulmane, il vit avec une française. L’origine du mouvement des Amis du Manifeste est parfaitement connue de la haute administration. La Commission croit devoir rappeler simplement que, d’après les renseignements officieux parvenus directement, ce groupement remonterait à la fin de 1942 ou au début de 1943. Le général Giraud aurait invité à un thé diverses personnalités musulmanes pour leur exposer son intention de lever une armée de 300 000 hommes. Ferhat Abbas rédigea immédiatement une lettre pour exiger préalablement des réformes. Peu de jours après, deux commissions ont été créées pour étudier les revendications musulmanes puis les commissions tardant à se réunir et un discours du Général Giraud où il aurait prononcé cette phrase : « Le juif à l’échoppe, l’arabe à la charrue », ayant été fâcheusement interprété, plusieurs personnalités algériennes israélites et musulmanes auraient décidé de réclamer une citoyenneté algérienne. C’est à la suite de ces réunions et discussions que le « Manifeste » fut rédigé. Ces renseignements proviennent pour la plupart du Dr. Bendjelloul.
La Commission a retenu que, toujours d’après la même source, Ferhat Abbas aurait voulu adresser son « Manifeste » aux autorités alliées ne reconnaissant aucun pouvoir au Gouvernement qui était à Alger, mais qu’il en aurait été dissuadé par les Drs. Bendjelloul et Saâdane. Le Dr. Bendjelloul a aussi fait connaître que le Mouvement autonomiste aurait été encouragé par M. Peyrouton, alors Gouverneur général de l’Algérie, qui avait déclaré être partisan d’une sorte de dominion algérien sous la souveraineté française. Nous nous proposions de faire vérifier l’exactitude de ce propos qui, s’il a été prononcé, ne pouvait manquer de susciter cher les interlocuteurs des espoirs d’appui officiel. Signalons également que dans un discours à Sétif, le 29 avril, Me Mostefaï a dit que M. Peyrouton avait accepté le principe du « Manifeste ». Le programme du « Manifeste » est connu : Autonomie de l’Algérie symbolisée par un drapeau algérien ; Évolution du peuple algérien dans son cadre propre et hors de toute tentative d’assimilation. Le parti était toléré et avait un journal, Égalité, qui répandait sa propagande. Il organisait des réunions publiques et créait des sections des « Amis du Manifeste » dans toute l’Algérie. De plus, maintes personnalités, tant musulmanes que représentant les colons, nous ont affirmé que les dirigeants paraissaient jouir des faveurs de l’Administration.
À l’échelle inférieure, un ancien commissaire central de Sétif a déclaré que Ferhat Abbas obtenait facilement pour ses protégés des avantages, comme des cafés maures, malgré les avis contraires de la police, et que Ferhat Abbas avait connaissance du contenu des rapports dont il récitait des passages entiers. Le sous-préfet de Sétif a déposé, à la demande expresse de la Commission qui l’interrogeait, que sa nomination à Sétif était due au fait que sa carrière jusqu’en 1940 s’était déroulée dans la métropole et que le Commissariat à l’Intérieur, alors à Alger et notamment M. P. Bloch, avaient jugé qu’il ne convenait pas de nommer à Sétif un sous-préfet venant des communes mixtes. Le sous-préfet a aussi, répondant à nos interrogations, rapporté des confidences qu’il avait reçues de M. Deluca, président de la Délégation spéciale et assassiné le 8 mai, s’étonnant des complaisances de la Préfecture de Constantine et de la haute administration algérienne pour Ferhat Abbas (autorisation IG de circuler, bons d’achat de quatre pneus neufs délivrés par le Directeur des Affaires musulmanes pour enquêter sur le cas de trois caïds de Saint-Arnaud, Colbert et Aïn-Abessa qui étaient hostiles à Ferhat Abbas). Des conseillers généraux musulmans et colons du département de Constantine nous ont déclaré que Ferhat Abbas obtenait pour ses protégés ce qui leur était refusé pour leurs électeurs. L’enquête n’a pu être poussée avec la minutie désirable, mais il résulte des conversations une impression nette que Ferhat Abbas, qui combattait l’Administration par son journal et ses propos, obtenait d’elle des avantages dont il savait tirer parti pour sa propagande en laissant croire qu’il était craint.
Attitude hostile à l’Administration d’une part, faveurs au moins apparentes d’autre part, il n’en fallait pas plus pour que les populations musulmanes crussent que les fonctionnaires d’autorité redoutaient le personnage, ce qui ne manquait pas d’augmenter son prestige. Il a été aussi signalé par des personnalités de Sétif et notamment les membres de la Délégation spéciale, que la mise en résidence surveillée de Ferhat Abbas en 1943, puis sa libération, deux mois après, avaient contribué à accroître son ascendant. Mentionnons enfin que la Délégation spéciale de Sétif comprenait comme membres musulmans Ferhat Abbas et sept de ses amis. Ceux-ci avaient été élus en 1935, maintenus sous le régime de Vichy et confirmés par le Gouvernement provisoire lors de la formation de la Délégation spéciale actuelle, malgré l’opposition des partis de gauche locaux (déclaration du vice-président de la Délégation spéciale) qui ne pardonnaient pas à Ferhat Abbas d’avoir fait alliance avec le PSF en 1935.
À Sétif, il nous a été aussi révélé l’existence d’une société « Fraternité sétifienne », exclusivement musulmane, à caractère de société de bienfaisance et tendant à ne grouper que des sétifiens. D’après le président : M. Larfaoui, tailleur d’habits, cette société comptait 1 800 membres (ce chiffre n’a pu être vérifié). Le secrétaire général de la Mairie nous a fait connaître que cette société hostile à Ferhat Abbas et violemment prise à partie par lui, n’avait reçu aucun appui de l’Administration. Il ne faut donc pas s’étonner que des fonctionnaires musulmans adhérassent au parti des « Amis du Manifeste » et que des caïds aient présidé des réunions données par Ferhat Abbas. M. Berque nous a déclaré qu’il avait suggéré que Ferhat Abbas, engagé en 1939, soit mobilisé à nouveau et qu’il avait insisté auprès des administrateurs du département d’Alger pour que ceux-ci dissuadent les fonctionnaires placés sous leurs ordres à adhérer aux « Amis du Manifeste ». Mais ces conseils ou suggestions avaient un caractère confidentiel.
Il serait intéressant de connaître le sens de la propagande faite directement et isolément par Ferhat Abbas auprès des populations musulmanes rurales et d’avoir un résumé fidèle d’un de ses discours prononcé dans un des centres de l’insurrection (il a parlé à Chevreul le 28 avril). Mais à Sétif, il apparaît certain qu’il patronnait des cercles et des associations qui manifestaient leur fanatisme et leur nationalisme en pourchassant les indigènes fréquentant les cafés où se tenaient des européens ou les indigènes buvant du vin. Il nous a été aussi déclaré par les services de police, par des conseillers généraux que Ferhat Abbas pour recruter ses adhérents, à qui il demandait 100 ou 120 francs, leur laissait croire que les fonds serviraient à l’édification de mosquées et que ses agents menaçaient les habitants des campagnes en leur disant : « Si tu es un bon musulman paie et adhère au parti. Si tu refuses, tu es un mauvais musulman ».
c) Les Oulémas réformistes – À l’origine, cette association avait pour but de rénover la pureté primitive de l’Islam et de combattre le fétichisme. Mais des renseignements fournis à la Commission, il résulte que les Oulémas étaient acquis depuis quelques années à la politique pan-islamique et que dans leurs medersas, ils commentaient le Coran avec une exégèse fanatique. Les relations étroites des Oulémas avec les milieux nationalistes du Caire apparaissent comme certaines (renseignements fournis par la Direction des Affaires musulmanes et par les membres de la Délégation française à La Mecque). Malgré le danger de cette association qui, par sa propagande religieuse peut prendre une influence déterminante sur les masses musulmanes, les Oulémas ont pu librement couvrir l’Algérie de medersas. Le Directeur des Affaires musulmanes a signalé, à ce sujet, que le décret sur l’enseignement en Algérie avait été promulgué en novembre dernier, bien que par notes répétées, il en eut signalé tous les inconvénients. Ce texte supprimait en fait tout contrôle de l’Administration. L’accroissement du nombre de medersas remonterait à six mois.
La Commission se proposait de rechercher le chiffre exact des établissements placés sous l’autorité du cheikh Brahimi (chef des Oulémas), qui d’ailleurs est originaire des environs de Sétif, et les répercussions des créations des medersas sur la fréquentation des écoles françaises par les musulmans. Elle doit se borner à indiquer deux renseignements, l’un donné par les colons de Chevreul : avant 1940, une vingtaine d’indigènes fréquentaient l’école publique de Chevreul, après la défaite de 1940, trois seulement continuent à aller à l’école. En novembre dernier, une medersa Brahimi est créée à Chevreul. Aucun indigène ne va plus à l’école française, 60 élèves vont à la medersa. L’autre vient du Procureur de Tiaret (département d’Oran). Depuis la création d’une medersa, tous les élèves musulmans désertent l’école française pour recevoir le seul enseignement coranique. Quant au nombre des medersas, les chiffres officieux varient dans de grandes proportions : alors que la Direction des Affaires musulmanes parlait d’une centaine pour l’Algérie, le Directeur du cabinet du Préfet de Constantine a parlé de 120 pour son seul département.
d) La conjonction des trois organismes PPA, Amis du Manifeste, Oulémas apparaît donc comme redoutable. Ferhat Abbas aurait cherché, d’après M. Berque, Directeur des Affaires musulmanes et des membres de la Délégation spéciale de Sétif, à s’entendre avec les partis socialiste et communiste mais n’aurait pu conclure alliance qu’avec le PPA et les Oulémas. Signalons cependant, à toutes fins, qu’un neveu de Ferhat Abbas, pharmacien à Constantine et très lié avec son oncle, est communiste et président des Amis de la démocratie (renseignement fourni par la Préfecture de Constantine). Sans connaître à quelle date exacte l’union des trois partis s’est réalisée, la Commission constate que le PPA apportait à cette sorte de fédération son nationalisme intransigeant, son organisation clandestine poussée avec une ampleur et une minutie qui paraissaient insoupçonnées jusqu’à ces temps derniers et qui ont été révélées par une enquête dont le succès est à l’éloge des policiers qui l’ont menée.
Les Oulémas apportaient un fanatisme capable toujours de susciter, dans certaines masses musulmanes encore frustes, le désir de la « Djihad », les évènements l’ont démontré. Quant aux « Amis du Manifeste », ils présentaient leur programme au public et à l’Administration comme la seule solution possible du problème algérien (rapport Préfet de Constantine sur la situation générale du 5 mai 1945), ils feignaient de s’inquiéter de l’apport massif du PPA dans leur groupement (même source de renseignement), mais dans leur journal, ils faisaient l’éloge de Messali et en réunion publique, ils faisaient l’éloge du PPA (Sétif 29 avril, discours de Me Mostefaï, avocat, un des dirigeants des « Amis du Manifeste »). Ils tiraient profit de la situation politique de leurs chefs pour faire croire qu’ils étaient redoutés. Ils s’efforçaient de persuader qu’un geste de familiarité était un geste de crainte (déclaration du Sous-Préfet de Sétif, rapportant un propos de M. Deluca).
Le Dr. Saâdane, un des chefs du parti, s’écriait en octobre 1944 au Conseil général de Constantine : « Si les Arabes n’obtiennent pas satisfaction à leurs justes revendications, prenez garde au mouvement insurrectionnel » (compte rendu des réunions du Conseil général). Ils obtenaient ainsi par opportunisme l’adhésion des fonctionnaires ou des chefs musulmans et pouvaient recruter des partisans dans toutes les branches de l’Administration et dans des milieux que l’on comptait jusqu’à ce jour comme fidèles à la France.
7 – Causes du succès de la propagande anti-française.
La Commission n’a pu, sur cette question, qu’enregistrer des avis divers sans les soumettre au contrôle de témoignages directs, de recoupements et de faits incontestés. Il faudrait, d’ailleurs, une étude approfondie et dépassant le cadre d’un simple rapport, pour tenter d’analyser l’évolution de l’état d’esprit des musulmans durant les 25 dernières années. Signalons cependant qu’actuellement la presque totalité de la jeunesse des facultés est acquise aux idées nationalistes ou au moins autonomistes, que des hommes politiques musulmans, qui paraissaient favorables au maintien intégral de la souveraineté française et qui avaient pris position pour les principes posés par l’ordonnance du 7 mars, voyaient, de leur propre aveu, fondre leur clientèle électorale (Drs. Bendjelloul et Lakhdari).
La Commission a retenu comme causes d’aggravation d’un malaise, qui déjà se manifestait avant 1939, la chute de prestige que la défaite de 1940 a fait subir à notre pays. Nous rappelons les propos des colons de Chevreul : Avant 1940, 20 élèves à l’école française, après la défaite 3. les archives des tribunaux pourraient aussi prouver combien de musulmans ont été poursuivis en fin 1940 ou en 1941 pour avoir dit : « La France est perdue, ne payons pas l’impôt à la France, nous le paierons aux Allemands ». Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas cacher l’impression de force matérielle donnée par les Alliés après le débarquement, en comparaison des faibles moyens dont nous disposions. La Commission doit signaler les opinions concordantes de maintes personnalités qui dénoncent les méfaits des radios allemandes et italiennes, leur propagande habile écoutée dans les cafés maures et même les gourbis et tendant à faire croire à la fin de notre patrie. Dans un autre ordre d’idées, il faut indiquer que de nombreux musulmans ont séjourné en France comme soldats ou travailleurs et leur attention est portée sur des faits sociaux qui passaient inaperçus aux yeux de leurs parents. Ils sont plus sensibles à une propagande par la voie de la presse, par tracts ou par radio. Ils sont amenés à comparer leur situation avec celle des européens qu’ils jugent privilégiés. Ils acceptent difficilement qu’un Espagnol, un Maltais ou un Italien, qui souvent n’est pas naturalisé et n’est pas appelé à défendre le pays où il vit, ait une position économique ou sociale supérieure à la leur. Ils jalousent les colons propriétaires de grands domaines en regardant leur situation misérable et la richesse de ceux-là. Ils songent à un partage des terres. Ils dénoncent les excès de la grosse propriété qui permet qu’un seul règne en maître sur des milliers d’ha. Un membre de la Délégation spéciale de Sétif nous a rapporté qu’à l’occasion de l’étude d’un plan de paysannat indigène, des musulmans du département de Constantine répondaient à M. Turet, Inspecteur général de l’Agriculture : « Pourquoi nous proposes-tu 14 ha, quand nous vous aurons mis à la porte, nous en aurons 100 ». M. Turet n’a pu être entendu sur l’exactitude de ce propos.
Il ne faut pas non plus cacher que si le manque de ravitaillement n’a pas été la cause directe de l’émeute à Sétif, la rareté des denrées et des vêtements a augmenté le mécontentement dans de nombreuses régions d’Algérie. La Commission a pu constater que dans la région de Tablat à 60 km d’Alger, il se faisait un commerce régulier de talrouda (terre-noix) que les indigènes ne mangent que dans les années de misère. Le prix de ce produit que d’aucuns disent nocif — la Commission se proposait de le faire analyser — atteint 40 frs le kg ou 600 à 700 frs le « double », ce qui paraît exorbitant. Les indigènes se plaignent des abus des perquisitions dans de modestes gourbis pour découvrir le grain caché, des tracasseries administratives, des arrestations pour transport irrégulier de provisions permettant à peine de nourrir une personne pendant un jour. Il paraît certain que la propagande a su utiliser tous les facteurs de mécontentement et toutes les apparences de diminution de la puissance française : là elle promettait un ravitaillement meilleur et critiquait l’Administration, ailleurs elle excitait le fanatisme religieux, plus loin elle proposait simplement de diffuser la langue arabe et d’édifier des mosquées. Mais parmi les causes directes et immédiates des manifestations et qui expliquent en grande part leur date, la Commission doit souligner l’effervescence provoquée à l’annonce de la conférence de San Francisco. La Commission n’a pu évidemment en quelques jours étudier complètement et aussi avec la prudence qui s’impose le pourquoi de cet espoir qui paraissait secouer nombre de partisans des Associations responsables des manifestations.
Elle a cependant enregistré plusieurs échos lui rapportant que l’indépendance de l’Algérie serait réclamée pendant ou à la fin de la conférence. Diverses personnes ont raconté que Ferhat Abbas laissait entendre qu’il avait l’appui des Anglo-Saxons, qu’il avait vu le Président Roosevelt lors de son passage à Alger et autres sortes de bruits, qui faisaient croire que l’Algérie ne saurait tarder à échapper à la souveraineté française. Dans son discours du 29 avril à Sétif, Ferhat Abbas a affirmé publiquement que la conférence de San Francisco devait assurer la liberté de tous les peuples et que le peuple algérien en tirerait tous les avantages qu’elle lui accorderait. Certains bons esprits pensent qu’il faut rechercher l’explication de cette croyance dans une interprétation inexacte de la Charte de l’Atlantique et aussi des principes posés à la Conférence de Brazzaville et enfin dans la persuasion que les Américains imposeraient après la victoire, la fin du colonialisme.
La Commission croit aussi de son devoir de signaler une opinion répandue dans les milieux musulmans et certains milieux colons qui ne cachent pas que le Comité algérien du Caire joue une influence néfaste — ainsi que nous l’avons expliqué quand nous avons traité de la question des Oulémas — transmet des mots d’ordre et des tracts, mais encore, et ici sans apporter de précisions, voire de présomptions, que son action est vue sans défaveur par au moins une partie des dirigeants anglais. Ceci dépasse évidemment le cadre d’une enquête administrative et nous ne croyons devoir faire part des propos que nous avons recueillis que pour aviser les Pouvoirs publics de tout ce que nous avons entendu, sans avoir la prétention de penser que le Gouvernement n’a pas d’autres sources de renseignements plus précises et plus sûres. Dans le même ordre d’idées et avec le même esprit, la Commission croit devoir ajouter que des musulmans lui ont expliqué que les Anglo-Saxons s’étaient documentés avec beaucoup de soin sur l’Algérie mais qu’ils ne s’étaient livrés à aucune propagande.
Enfin et toujours sous la même rubrique, la Commission croit devoir signaler que, d’après les renseignements fournis par la Préfecture de Constantine, la population israélite aurait été avisée avant les émeutes qu’elle n’avait rien à craindre et que cette même population paraissait ne rien redouter dès que ces incidents ont éclaté. De là, une conclusion peut-être hâtive, que les manifestants ne voulaient pas mécontenter les Américains. Cependant quatre israélites ont été assassinés au cours des émeutes mais tous dans la même localité.
8 – Les responsabilités.
Il appartient à la justice militaire de rechercher les responsables (instigateurs et exécutants) des émeutes. Quant aux responsabilités administratives, la Commission, qui n’a pu qu’ébaucher un début d’enquête, ne peut citer un nom parce qu’elle n’apporte aucune preuve. Nous rappelons cependant que Ferhat Abbas était dénoncé comme ayant les faveurs de la Préfecture de Constantine et de la Haute administration et que, même si ce n’était qu’une apparence, il en tirait parti pour accroître son prestige. Ferhat Abbas a pu mener une violente campagne contre l’ordonnance du 7 mars, coupable à ses yeux de poursuivre une politique d’assimilation qu’il entendait rejeter, sans que sa situation privilégiée ait paru ébranlée. Le Directeur des Affaires musulmanes et le Préfet de Constantine ne cachent pas que Ferhat Abbas leur paraissait le seul homme politique ayant une influence réelle sur les musulmans et que le heurter risquait de faire plébisciter sur son nom, par les électeurs, un refus de tolérer plus longtemps la souveraineté française. Les Pouvoirs Publics décideront si une enquête doit être menée sur la base des premiers éléments consignés dans ce rapport.
La Commission constate seulement que le sang a coulé dans le département de Constantine et que Ferhat Abbas, aujourd’hui est arrêté. La Commission a aussi constaté qu’aucune directive venant de l’Autorité Supérieure n’avait été donnée en vue de précautions spéciales à prendre ou de la conduite à tenir pour la « fête de la Victoire », alors que des renseignements de police signalaient, dès le mois de mars, une agitation possible pour ce jour-là. En ce qui concerne les responsabilités locales, la Commission a déjà esquissé le sens de l’enquête qu’elle entendait mener, tant dans les chefs-lieux d’arrondissement qu’auprès des Autorités des communes mixtes. Il paraît bien que c’est surtout à la justice de rechercher qui a armé et financé les émeutiers et les partis politiques responsables.
La Commission a seulement entendu des opinions incontrôlées affirmant que les armes venaient des champs de bataille de Tunisie, de vols dans les camps alliés et que les fonds venaient de souscriptions parmi les musulmans algériens. Sous ce paragraphe, la Commission croit aussi devoir indiquer qu’un cadi, Lakdari d’Alger et un avocat Ben Bahmed de Constantine, lui ont affirmé avoir entendu à la radio française le chant scout musulman interdit. Le Préfet de Constantine a dit avoir envoyé un rapport à ce sujet.
9 – La répression.
La Commission n’a pu commencer d’enquêter sur cette partie de sa mission. D’après le général Duval, les troupes, pendant l’action contre les émeutiers, ont pu tuer de 500 à 600 indigènes. À Sétif, il est impossible de connaître le chiffre des musulmans tombés du fait de la police ou de la gendarmerie, certains disent 20, d’autres 40. Les décès n’ont pas été déclarés par les familles. La Commission a reçu l’ordre de revenir à Alger alors qu’elle s’apprêtait à partir à Guelma. Elle ne sait donc pas comment la répression s’est exercée dans cette ville. Elle peut seulement faire part d’une émotion généralisée dans les milieux musulmans qui prétendent que les européens de Guelma ont exercé des représailles sanglantes et des vengeances personnelles, en arrêtant et exécutant, sans discernement, alors que les combats avaient cessé, 500 ou 700 jeunes indigènes.
La Commission se proposait de rechercher avec soin comment la répression avait été menée, en tenant compte du caractère insurrectionnel pris par l’émeute dans certaines régions et du fait que l’état de siège avait été proclamé, mais à l’exception des villes de Sétif, Constantine et Guelma qui étaient demeurées sous le contrôle civil. La Commission, en ce qui concerne la légalité ou les abus de la répression, n’a donc pu qu’enregistrer les plaintes des milieux musulmans dénonçant les excès qui auraient été commis à Guelma, sans pouvoir en vérifier le fondement.
10 – Conclusions et suggestions.
Ce rapport ne peut apporter qu’une conclusion qui paraît incontestée. Les manifestations du 8 mai à Sétif, avaient un caractère politique et tendaient à réclamer la libération de Messali et l’indépendance de l’Algérie. Seule une enquête plus approfondie pourra permettre de déceler si les manifestations ont tourné à une émeute sanglante et cruelle à raison de la mentalité berbère des habitants, surexcités par une propagande fanatique ou pour tout autre cause. Pour le surplus, la Commission n’a pu que recueillir des renseignements pour la plupart non vérifiés, faute de temps, et indiquer les directives de l’enquête qu’elle se proposait de mener. Sans apporter de preuve flagrante d’une carence administrative imputable à telle ou telle personne déterminée, il est permis de s’étonner que la conjonction des éléments PPA, Amis du Manifeste et Oulémas, ait pu se préparer, se conclure et étendre ses effets avec une telle ampleur, sans que l’Administration ait paru lutter contre un danger dont elle ne semble avoir compris la gravité que peu de jours avant les évènements.
La Commission croit, en terminant, de son devoir de signaler la psychose de peur qui déferle sur l’Algérie et qui étreint tous les milieux colons, comme la psychose de mécontentement et de suspicion qui agite les masses musulmanes. Il est nécessaire de rassurer les uns et les autres puisque tous doivent vivre côte à côte dans le même pays. Il semble urgent de disposer de moyens suffisants pour assurer l’ordre dans la légalité. La présence de troupes mobiles doit ramener la confiance et empêcher la formation de groupes armés échappant à tout contrôle. Il semble aussi qu’il faille, sans tarder, définir avec netteté et sincérité les programmes politiques et économiques que les Pouvoirs Publics décideront d’appliquer à l’Algérie.
La Commission a entendu au cours de sa rapide enquête, de nombreux musulmans dont l’attachement à la France ne peut être suspecté, qui déploraient avec sincérité les évènements qui ont endeuillé l’Algérie et qui promettaient de faire tous leurs efforts pour contribuer à un apaisement indispensable. Ceux-là ne doivent pas être repoussés car il n’est de trop de tous les hommes de bonne volonté pour rapprocher les français musulmans des français non musulmans et faire cesser les apparences de deux blocs hostiles dressés l’un contre l’autre.
Le Général Tubert, Membre de l’Assemblée Consultative, Président de la Commission,
L’Avocat Général Labatut, Chef du Service musulman du Parquet général, Membre de la Commission,
Le cadi Taleb Choaib, Commandeur de la Légion d’honneur, Membre de la Commission.
Bibliographie
• Redouane Ainad Tabet, Le mouvement du 8 mai 1945 en Algérie, Alger, OFUP, 1985, 318 p.
• Boucif Mekhaled, Chroniques d’un massacre. Sétif, Guelma, Kherrata, préfaces de Mehdi Lallaoui et Jean-Charles Jauffret, Paris, Syros/Au nom de la mémoire, 1995, 251 p.
• Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord Constantinois, Paris, La Découverte, 2002, 403 p.
• Marcel Reggui, Les massacres de Guelma, Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, préface de Jean-Pierre Peyroulou, Paris, La Découverte, 2005, 188 p.
Le Prix littéraire de la Porte Dorée 2022, décerné par le Musée national de l’histoire de l’immigration, a été attribué à Nedjma Kacimi pour Sensible aux éditions Cambourakis. Le prix récompense chaque année une œuvre écrite en français ayant pour thème l’exil, l’immigration, les identités plurielles ou l’altérité liée aux réalités migratoires.
s de 70 ouvrages ont été lus et débattus en 2021 et début 2022 par le comité de lecture du Palais. Parmi eux, sept ont été retenus au terme d’échanges nourris. Autant de dispositifs narratifs, qui, tirant les fils de l’histoire, coloniale et dé-coloniale, des héritages familiaux, des questionnements identitaires, des aventures et destins individuels ou collectifs, tissent ensemble un récit commun, une histoire partagée.
« Je remercie de tout mon cœur le jury pour le Prix de la Porte Dorée que je m’empresse de dédier à la jeunesse, cette jeunesse sensible et fragilisée par des vents mauvais. Cette semaine encore, trois jeunes hommes ont été brutalisés. Sensible est une consolation écrite pour la jeunesse. Qu’elle y puise la patience et le courage d’endurer les difficultés. Sensible, c’est une lettre d’amour. Ça paraît mièvre dit comme ça, sauf à se rappeler que de sensible à splendide, il n’y a qu’un pas. Merci infiniment d’en avoir saisi l’urgence », a réagi Nedjma Kacimi.
Le résumé de l'éditeur pour Sensible :
Comment se sentir intégré dans un pays où l’on est pourtant né lorsqu’on est sans cesse renvoyé à une origine autre parce que plus visible ? Près de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, Nedjma Kacimi revient sur sa prise de conscience tardive des discriminations dont elle a été l’objet pour mettre en perspective une histoire souvent biaisée et donner voix à nombre de récits parallèles méconnus venant disloquer cette version officielle oppressante.
À travers une déambulation dans l’histoire française récente mais également des textes littéraires ou des éléments de culture populaire, Nedjma Kacimi dissèque avec vigueur les contradictions d’une France encore arc-boutée à des stéréotypes qu’il est urgent de faire voler en éclats pour laisser sa place à une jeunesse diverse et créative trop souvent opprimée. Du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie à
L’Étranger de Camus en passant par la Coupe du Monde 98, l’autrice s’empare de références littéraires et de culture populaire pour nous livrer une autopsie méticuleuse des maux de la société française et des débats actuels sur l’identité nationale.
Nedjma Kacimi est née en Algérie en 1969 de mère française et de père algérien. Après une enfance passée dans l’Ain, elle suit des études de philosophie à Paris. Titulaire d’un double master en Littérature française et philosophie, elle a vécu et travaillé en Inde, au Mozambique et au Mali avant de s’installer à Zurich, en Suisse, où elle vit encore aujourd’hui avec son époux et leurs quatre enfants. Sensible est son premier livre.
Doté de 4000 €, le prix est revenu à Hadrien Bels pour Cinq dans tes yeux (Iconoclaste), l'année dernière.
Le Prix littéraire de la Porte Dorée 2022, décerné par le Musée national de l’histoire de l’immigration, a été attribué à Nedjma Kacimi pour Sensible aux éditions Cambourakis. Le prix récompense chaque année une œuvre écrite en français ayant pour thème l’exil, l’immigration, les identités plurielles ou l’altérité liée aux réalités migratoires.
s de 70 ouvrages ont été lus et débattus en 2021 et début 2022 par le comité de lecture du Palais. Parmi eux, sept ont été retenus au terme d’échanges nourris. Autant de dispositifs narratifs, qui, tirant les fils de l’histoire, coloniale et dé-coloniale, des héritages familiaux, des questionnements identitaires, des aventures et destins individuels ou collectifs, tissent ensemble un récit commun, une histoire partagée.
« Je remercie de tout mon cœur le jury pour le Prix de la Porte Dorée que je m’empresse de dédier à la jeunesse, cette jeunesse sensible et fragilisée par des vents mauvais. Cette semaine encore, trois jeunes hommes ont été brutalisés. Sensible est une consolation écrite pour la jeunesse. Qu’elle y puise la patience et le courage d’endurer les difficultés. Sensible, c’est une lettre d’amour. Ça paraît mièvre dit comme ça, sauf à se rappeler que de sensible à splendide, il n’y a qu’un pas. Merci infiniment d’en avoir saisi l’urgence », a réagi Nedjma Kacimi.
Le résumé de l'éditeur pour Sensible :
Comment se sentir intégré dans un pays où l’on est pourtant né lorsqu’on est sans cesse renvoyé à une origine autre parce que plus visible ? Près de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, Nedjma Kacimi revient sur sa prise de conscience tardive des discriminations dont elle a été l’objet pour mettre en perspective une histoire souvent biaisée et donner voix à nombre de récits parallèles méconnus venant disloquer cette version officielle oppressante.
À travers une déambulation dans l’histoire française récente mais également des textes littéraires ou des éléments de culture populaire, Nedjma Kacimi dissèque avec vigueur les contradictions d’une France encore arc-boutée à des stéréotypes qu’il est urgent de faire voler en éclats pour laisser sa place à une jeunesse diverse et créative trop souvent opprimée. Du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie à
L’Étranger de Camus en passant par la Coupe du Monde 98, l’autrice s’empare de références littéraires et de culture populaire pour nous livrer une autopsie méticuleuse des maux de la société française et des débats actuels sur l’identité nationale.
Nedjma Kacimi est née en Algérie en 1969 de mère française et de père algérien. Après une enfance passée dans l’Ain, elle suit des études de philosophie à Paris. Titulaire d’un double master en Littérature française et philosophie, elle a vécu et travaillé en Inde, au Mozambique et au Mali avant de s’installer à Zurich, en Suisse, où elle vit encore aujourd’hui avec son époux et leurs quatre enfants. Sensible est son premier livre.
Doté de 4000 €, le prix est revenu à Hadrien Bels pour Cinq dans tes yeux (Iconoclaste), l'année dernière.
L’établissement de Blancs dans les colonies eut assez rapidement son pendant : des « hommes de couleur » vinrent vivre et travailler en métropole, attirés par des salaires supérieurs à ce qu’ils pouvaient percevoir sur leurs terres natales. Comme, en même temps, en métropole, certains cercles voulaient attirer une main d’œuvre mal payée, réputée malléable, la présence d’immigrés venus de l’Empire devint relativement fréquente. Ce qui amena certains Français à des interrogations angoissées : et si ces flux ne pouvaient plus être arrêtés ? et si cette migration venait un jour submerger les « Français de souche » ? [1]
« L’immigration exagérée des étrangers » (1881)
Au XIX è siècle, le caricaturiste Amédée de Noé, qui signait Cham, fait un dessin représentant une foule d’Algériens en burnous, attendant devant une porte sur laquelle est inscrite la formule « Colonisation de la France. On s’inscrit ici ». Avec la légende suivante : « Contre-partie du départ des colons français pour l’Algérie. Les Bédouins s’inscrivent pour venir coloniser les Landes et la Sologne » (1853) [2]
Étonnant est ce jugement d’un journaliste, en 1872. Partant d’un fait relativement anodin – l’installation à Paris d’un théâtre chinois – il estime que le pays est menacé : « On commence à s’habituer à l’invasion de la race jaune ; des Chinois sont installés en plein boulevard et y débitent les productions de leur pays ; avant dix ans, ce mystérieux empire du Milieu, ouvert de force par les Européens, se sera vengé de cette violation en lançant contre nous une armée de marchands. Nous en possédons une centaine aujourd’hui, nous en aurons alors vingt mille. Le fils du ciel aura pris sa revanche : il aura une colonie chinoise à Paris, comme nous avons une colonie française à Shanghaï. À l’encontre de son voisin le Japonais, qui s’européanise, le Chinois, nature fine, rusée, tortueuse, tend tout doucement à nous chinoiser » (Paul Valentin, Le Dix-neuvième Siècle, 29 septembre 1872).
De par sa situation géographique, Marseille fut la première à connaître des migrations importantes. D’abord par la proximité de l’Italie. Mais aussi par l’accès direct que pouvaient y avoir des hommes venus de toutes les rives de la Méditerranée (porte de l’Orient). En 1881, un conseiller général des Bouches-du-Rhône, affirme : « Il est un fait indéniable, l’immigration exagérée des étrangers en France. Marseille est la ville qui, par sa situation commerciale, industrielle et géographique, est la plus exposée à cette invasion qui a pris des proportions inouïes… » . [3]
À la fin du XIX è siècle, la thèse de la colonisation de la France par les étrangers est omniprésente. Émile Faguet, journaliste et essayiste alors très lu, intitule un de ses articles « Le prochain Moyen-Âge ». Tout un programme : « Avec la sobriété, les races de couleur ont la puissance prolifique. Les Chinois, étouffés dans leur immense empire, sont 400 millions. On calcule que, dans soixante ans, pas plus, les collégiens qui passent leur baccalauréat en ce moment verront cela, ils seront 800 millions. Une population nègre double en quarante ans. Que dites-vous de ces formidables armes naturelles, de cette marée qui gonfle et roule sur la surface du globe ? Où iront tous ces gens-là ? Où tendent tous ces pas noirs qui marchent dans les plaines ? Où courent-ils ? Chez nous, par les chemins que nous avons battus. Pays conquis sur le désert ou le sauvage par l’Européen ne sont plus que des “îlots blancs“ au milieu de l’immense mer des hommes de couleur. La grande île blanche, l’Europe, sera bientôt battue, bientôt entamée par l’énorme mer montante Le dernier résultat de notre pauvre civilisation, le voilà. Nous avons aplani le monde pour amener chez nous les races étrangères ; nous l’avons rétréci pour rapprocher de nous ceux qui doivent nous dévorer » (Journal des Débats, 27 juillet 1895).
Un démographe, Jacques Berthillon [4], exprime la même crainte : « La France colonisée par les étrangers : non seulement la population française, faute de s’accroître, n’a pas la force de pénétration nécessaire pour se répandre au dehors, et pour utiliser son beau domaine colonial, mais elle n’arrive même pas à défendre son territoire contre la poussée des populations voisines. Aussi le nombre des étrangers fixés en France augmente rapidement (…). Aucun pays de l’Europe ne contient un nombre aussi énorme d’étrangers » (Le problème de la dépopulation, 1897) [5] .
Encore faut-il préciser que le danger démographique perçu, alors, est européen. Qu’importe, écrit Onésime Reclus [6]]] , la prochaine vague sera celle des races inférieures : « Nous verrons, très peu d’abord, puis à rangs pressés, les gens à grosses lèvres (il en est qui les ont minces) accourir à nos rivages ; ils envahiront les monstrueuses villes de l’avenir, pour tous les emplois entre récureurs d’égouts et domestiques, pour la foule des petits métiers que le Blanc rougira d’entreprendre ; bref, pour les divers offices de la “petite vie“. Dès lors, ce qui doit arriver arrivera : le mélange ira son train. Qui pourrait d’ailleurs empêcher les humanités de se brasser, pénétrer et transfuser ? Toutes les bourgeoisies, les castes, les aristocraties y passeront. On verra parfois le Nègre athlétique, le Jaune mesquin, laid, vieillot, mais cousu d’or, l’emporter dans la lutte d’homme à femme sur l’antique marquis rabougri. Qu’y gagnera la race humaine prise dans son ensemble? C’est une toute autre affaire » (Le partage du monde, 1906) [7] .
La version romancée de cette phobie est écrite par un militaire de carrière, Émile Driant, futur héros de 1914, qui signait capitaine Danrit. Le mot invasion figure dans deux de ses très nombreux ouvrages – deux succès – : L’invasion noire (1894) [8] et L’Invasion jaune (1909) [9]. Il s’agit ici d’invasion militaire de hordes sauvages. Mais nul doute que l’auteur n’ait alors flatté les goûts morbides d’un certain public.
L’un des grands théoriciens de la question des races, Georges Vacher de Lapouge, écrit en 1899 un essai au titre qui prendra par la suite une dimension tragique : L’Aryen. Il déclare y constater que l’invasion est un processus irréversible : « L’immigration a introduit depuis un demi-siècle plus d’éléments étrangers que toutes les invasions barbares. Les éléments franchement exotiques deviennent nombreux. On ne rencontre pas encore à Paris autant de jaunes et de noirs qu’à Londres, mais il ne faut se faire la moindre illusion. Avant un siècle, l’Occident sera inondé de travailleurs exotiques (…). Arrive un peu de sang jaune pour achever le travail, et la population française serait un peuple de vrais Mongols. “Quod Dii omen avertant !“ [10]» (1899) [11].
En 1923, pour lui, le processus était presque achevé : la France était un pays envahi, la « fin du monde civilisé » se profilait à l’horizon [12]. Il vécut encore 13 années. Nul doute qu’il vît l’évolution de la société française d’un œil sombre…
L’entre-deux-guerres
Le flux s’accentue durant la guerre mondiale. Soldats et ouvriers venus des colonies commencent à faire partie du paysage. En région parisienne, dans les années 1920, il y a entre 50 et 70.000 travailleurs nord-africains. Des incidents, plus nombreux, ont lieu. La phobie de l’invasion s’empare de certains secteurs de l’opinion.
En 1919, un chansonnier montmartrois – quelques années plus tôt farouche admirateur des braves tirailleurs nègres [13] – ironise sur ces nouveaux arrivants :
« Ils arrivent en bateau En chemin de fer, en auto Des confins de l’Amérique Et d’ l’Afrique ! À forc’ de nous embrasser Ils finiront bien je pense Par nous étouffer ! » (Le Bruyant Alexandre [14], Chanson, 1919) [15].
Le racisme n’arrive pas forcément là où on l’attendrait. La – toute jeune, il est vrai – Humanité communiste, sous couvert de dénonciation des calculs du patronat, emploie le verbe pulluler, mêlant tous les immigrés : « Tandis que le Français chôme, Italiens, Polonais, Portugais, Chinois, Kabyles, Annamites, pullulent dans les rues, au grand danger de la sécurité des habitants, et ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui ont exigé l’emploi de cette main-d’œuvre étrangère, main-d’œuvre docile, qui ne se syndique pas, ne fait pas grève et travaille pour un salaire dérisoire » (Antoine Ker, 20 avril 1921).
Plus logique est la réaction sans nuance aucune de l’éditorialiste de la principale revue grand public, illustrée, parue à Alger : « La France se vide. Sans l’apport du sang étranger qu’elle incorpore à sa substance, elle serait un désert. Actuellement Italiens, Polonais, Tchèques, Slaves du Sud et toute la racaille évadée des ghettos de l’Orient, nous envahissent et nous bousculent. La France sera bientôt la plus belle colonie de nos kabyles et de nos Sidis de l’Afrique du Nord (…). L’étranger qui afflue de toutes parts, qui ne peut être que médiocre s’il n’est un déchet total, achève de contaminer notre sang si appauvri ; il nous apporte son trachome et ses dermatoses, ses poux, son paludisme, sa tuberculose et ses spirilles. Nous avons le triste privilège d’être le seul pays du monde où la syphilis soit en recrudescence et progression ». Titre de cet article d’un Français d’Algérie, Charles Hagel : « Danger de mort imminente » (L’Afrique du Nord illustrée, 30 octobre 1926).
Le fantasme le plus absolu remplace alors le raisonnement rationnel. Un des personnages d’un médiocre roman dénonce les immigrés originaires d’Afrique du Nord : « On ne les refoule pas, et on en crève, car enfin, il y en a cinq millions de ces cocos-là en France, dont soixante mille sans travail » (Jean Damasse, Sidi de banlieue, 1937) [16]. Or le recensement de 1931 comptabilise 2.605.059 étrangers, dont 109.898 originaires des colonies [17] et de l’ordre de 70.000 Nord-Africains !
Ce qui n’empêche pas Georges Mauco, pourtant réputé le spécialiste de la question, d’arrondir assez allègrement : « L’immigration (…) s’est accrue depuis le milieu du XIX è siècle dans des proportions considérables. L’immigration du passé apparaît bien faible à côté de l’immigration des grandes masses prolétariennes que nous connaissons aujourd’hui. Le nombre des étrangers en France, de 370.000 en 1851, soit 1 % de la population totale, passe à 1.100.100 en 1900 et à 3.000.000 en 1931, soit 7 % de la population » (Georges Mauco, Revue de Paris, 15 février 1933).
Ce chiffre de trois millions court désormais partout.
C’est dans la capitale que les plus grandes craintes apparaissent. En 1928 paraît un ouvrage de synthèse, signé d’Octave Depont [18], ancien chef de cabinet du Gouverneur général de l’Algérie. L’auteur insiste sur les risques d’invasion des « Sidis » : « De trop nombreux contingents d’indigènes nord-africains (…) s’infiltrent à pas de loup, en France, à Paris surtout, sous les apparences de boueurs, balayeurs, laveurs, coltineurs, colporteurs, débardeurs, bricoleurs, voire flemmardeurs ». Mais aussi son préfacier, ancien président du Conseil municipal de Paris (et père du futur hôpital franco-musulman, devenu Avicenne) : « Nous savons bien, nous autres Parisiens, que nos usines et certains de nos quartiers ont été envahis, depuis la guerre et même un peu auparavant, par un ramassis de loqueteux issus des massifs de l’Atlas, fort éloignés de l’idée que notre badauderie se faisait des Arabes au burnous flottant et chevaleresque (…). Toute une organisation législative est à prévoir si l’on ne veut pas se trouver un jour devant quelques-uns des désastres qui, à l’aurore de notre histoire, surprirent les Gallo-Romains aux jours sombres des invasions barbares » (Pierre Godin, L’Algérie du Centenaire, 1928). La presse relaie la notion d’invasion : « Le quartier de Grenelle, que menace cette véritable invasion d’Algériens (…) crasseux, dépouillés, prêts à toutes les besognes » (La Presse, 8 novembre 1923)… « De siècle en siècle, les conquêtes se suivent mais ne se ressemblent guère. 1830 : conquête de l’Algérie par les Français. 1930 : conquête de Paris par les Algériens » (L’Ouest-Éclair, Rennes, 20 juillet 1930) … « Paris est envahi par les “sidis“ » : c’est le titre, par exemple, d’une enquête du Gaulois : « Il y a actuellement à Paris et dans la banlieue parisienne près de cinquante mille indigènes nord-africains qui travaillent dans les usines ou galvaudent dans les rues à la recherche d’une, situation problématique. Trop de “sidis“ réduits au chômage souvent volontaire, commettent des actes de brutalité » (Armand Villette, Le Gaulois, 9 septembre 1924). À la même époque, Le Petit Parisien lance une véritable campagne d’affolement. Sous la signature de Raymond de Nys, le quotidien populaire fait une enquête sur « Les étrangers chez nous » (« Les immigrés : Berbères et Kabyles », 5 janvier ; « Les quartiers arabes de Paris », 6 janvier ; « Restaurants et foyers kabyles », 7 janvier).
Mais la province est également menacée de submersion : « Vénissieux appartient aux Arabes ! Vénissieux appartient aux Berbères ! » (Journal Guignol, Lyon, 1923) [19] …. « Voulez-vous faire avec nous le voyage de Maubeuge ? Nous allons voir, dans le bassin de la Sambre, de véritables “colonies“ d’Arabes et de Kabyles, nous pourrons constater que l’immigration musulmane en France est plus forte, numériquement, que l’immigration française au temps de la conquête » (Pierrre Davesnes, L’Ami du Peuple, 29 avril 1931)… « Colonisation de la métropole. 20.000 musulmans d’Afrique du Nord vivent à Marseille » (René Janon, La Dépêche coloniale, 5 novembre 1937)… Ludovic Naudeau, journaliste alors très connu, véritable croisé de la natalité française, peste contre cette invasion. En reportage à Marseille, il voit « des nègres, toutes sortes de nègres, des nègres gros et des nègres maigres ; des Chinois à l’œil en coulisse dansent avec application ; des Annamites prennent des attitudes avantageuses, toutes sortes d’hommes de couleur, aux origines indéfinissables… » (« La France en péril », L’Illustration, 24 et 31 août 1929) [20].
Dans la presse conservatrice grand public, le quotidien Le Matin se fit une spécialité de la dénonciation de l’invasion des indésirables, toutes nationalités confondues : « Le dépotoir français se remplit d’étrangers indésirables » (Stéphane Lauzanne, 22 septembre 1937)… « Notre pays est le refuge de la pègre étrangère » (28 septembre 1937)… « La racaille étrangère dans la France dépotoir. On entre comme on veut. On fait ce que l’on veut. On ne sort que si l’on veut » (29 septembre 1937).
Des noms célèbres se joignent à la campagne : « Notre terre est devenue terre d’invasion. L’invasion s’y poursuit exactement de la façon dont elle s’opéra dans l’Empire romain, non point par des armées, mais par une infiltration continue des Barbares » Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs, 1937) [21].
Évidemment, ces étrangers sont manipulés par les communistes : « Qu’il y ait seulement cinquante mille, seulement trente mille même qui appartiennent à la catégorie suspecte et pernicieuse (…), et l’on devine l’appoint formidable que représente une telle masse dans les rangs du désordre et de l’anarchie, on devine les forces policières qu’il faudrait mobiliser pour tenir tête à ce véritable corps d’armée et refouler cette tourbe qui constitue l’avant-garde du hideux bolchevisme » (Paul Mathiex, La Presse, 1 er décembre 1923) … Dans un ouvrage qui décrit ses voyages, Paul Morand consacre une incidente à dénoncer les agissements du PCF, trop lié à ses yeux aux mouvements nationalistes : « Savent-ils, nos communistes français, quels frères terribles, implacables, ils vont désormais se donner ? (…) Hordes tout en mains et en dents ; aux bras tendus, aux mâchoires ouvertes » (Hiver Caraïbe, 1929) [22].
Lors de la décolonisation tragique
À la veille de la guerre d’Algérie, les Nord-Africains font partie du paysage. Ce qui donne à un auteur célèbre de polars l’occasion de déverser mépris et inquiétude : « Ces bics [23] !... Y se croyaient tout permis. Emballaient les gonzesses sans même chercher à savoir si elles étaient maridas. Se demandaient même pas s’il y avait une amende en suspens à verser à un homme. Les crouilles [24] qui vivaient à Paris avant guerre, eux, oui, ils respectaient le code. Mais les nouveaux débarqués... Depuis la Charbonne, ils avaient fait tache d’huile. Le Barbès d’abord. Après, en loucedé, ils avaient pris du galon, Anvers, Pigalle, Blanche, Clichy. À présent, ils attriquaient la plupart des bottes, des bars, des hôtels de Montmartre. Les Corses, dans le temps les caïds du secteur, avaient presque passé la pogne. Incroyable. Maintenant, les troncs [25] se risquaient jusqu’à l’Opéra, les Champs-Élysées. Où s’arrêteraient-ils ? » (Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes, 1953) [26].
En 1953, deux chercheurs de l’INED font cette constatation : « Les Français n’ignorent pas l’immigration étrangère. Ils considèrent qu’il y a “beaucoup d’étrangers“ vivant dans leur pays : le sentiment collectif atteint à ce sujet la presque unanimité, 93 %, et un tel accord est assez rare en matière d’opinion publique pour qu’on puisse lui accorder une pleine signification » (Alain Girard & Jean Stoetzel, Français et immigrés, 1953) .
Cette citation, et bien d’autres, éliminent totalement la thèse qui voudrait voir dans la guerre d’Algérie la naissance du sentiment d’encerclement.
Mais on peut imaginer que le conflit de 1954-1962 accentua encore le sentiment de crainte. Non seulement les Algériens étaient nombreux sur le territoire de la métropole, mais ils étaient désormais les ennemis de l’intérieur. Avec des conséquences dramatiques : « Si vous ne faites pas l’Algérie française, vous aurez la France algérienne… » lança alors un jeune député poujadiste appelé à un certain avenir (Jean-Marie Le Pen, Assemblée nationale, 1957). Moins connu, mais tout aussi maladroit, un député CNI, président de la commission de la Défense nationale : « Monsieur Pierre Cot (…), vous êtes, comme moi, député de Lyon, et je suppose que vous devez avoir, comme moi-même, une peur noire de voir les musulmans venir jusqu’à Lyon » (Pierre Montel, Assemblée nationale, 2 juin 1956).
La peur noire de ce député de base ne put que s’accentuer après l’écroulement du système colonial…
Alain Ruscio
NOTES
[1] Cette contribution s’en tient à l’histoire de l’esclavagisme et de la colonisation. Le lecteur pourra facilement établir des parallèles avec la (triste) actualité et les élucubrations camuso-zemmouriennes.
[3] M. Fauré, Conseil général, 14 septembre 1881, cité par Le Temps, 18 septembre. Voir Gérard Noiriel, « L’immigration : naissance d’un “problème“ », Revue Agone, n° 40, 2008.
[4] À ne pas confondre avec son frère aîné, Alphonse, l’un des fondateurs de la criminologie française.
[5] Paris, Armand Colin & Cie, 1897 (Gallica). L’auteur reprendra ses conclusions dans un nouvel ouvrage : La Dépopulation de la France. Ses Conséquences. Ses Causes. Mesures à prendre pour la combattre. Paris, Librairie Félix Alcan1911.
[6] Là encore, la fratrie fut diverse : il y avait un gouffre entre sa prose et celle de son frère, le grand théoricien et praticien de l’idéologie libertaire, Élisée.
[7] Paris, Libr. Universelle.
[8] Paris, Ernest Flammarion.
[9] Paris, Ernest Flammarion.
[10] « Puissent les dieux démentir ce présage ! »
[11] L’Aryen, son rôle social, Paris, A. Fontemoing Éd., 1899.
[12] « Dies Irae. La fin du monde civilisé », Europe, 1 er octobre.
[13] « Y’a bon ! Les tirailleurs ! », Chanson, vers 1916 ; cité par Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies. Anthologie de chansons coloniales et exotiques françaises, Paris, Éd. Maisonneuve & Larose, 2001.
[14] Nom de scène d’Alexandre Leclerc.
[15] Citée par Nicole & Alain Lacombe, Les chants de bataille. La chanson patriotique de 1900 à 1918, Paris, Belfond, Coll. Voix, 1992.
[16] Paris, Fasquelle.
[17] Claire Zalc & al., Introduction, in 1931. Les étrangers au temps de l’Exposition coloniale, Paris, Gallimard / CNHI, 2008.
[18] L’Algérie du Centenaire. L’œuvre française de libération, de conquête morale et d’évolution sociale des indigènes. Les Berbères en France. La représentation parlementaire des indigènes, Bordeaux, Impr. Cadoret.
[19] Cité par Nicolas Bancel, Léla Bencharif & Pascal Blanchard, Lyon capitale des outre-mers. Immigration des Suds & Culture coloniale en Rhône-Alpes & Auvergne, Paris, La Découverte / Les Bâtisseurs de Mémoire, 2007.
[20] Repris in La France se regarde. Le problème de la natalité, Paris, Hachette, 1931.
[21] Paris, Gallimard, NRF.
[22] Paris, Grasset.
[23] Diminutif de Bicot, terme violemment raciste.
[24] Diminutif de Crouillat, même remarque.
[25] Même remarque.
[26] Paris, Gallimard, Coll. Série Noire.
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La France est confrontée aux jours de son passé colonial lors du Festival de Cannes, qui se déroule jusqu’au 28 de ce mois.
Au cours de l’événement, les cinéastes exhortent la France à affronter son passé colonial, fondé sur le pouvoir d’influence des stars, mais aussi sur sa volonté croissante d’affronter ses crimes notamment commis en Afrique.
Lors des journées cinématographiques internationales, plusieurs œuvres sont présentées montrant l’horreur du colonialisme français, qui a commis des crimes et des massacres contre les peuples africains pendant des décennies.
Le réalisateur français du film (Les Harkis), qui traite de l’histoire d’Algériens qui ont combattu aux côtés des forces françaises contre le mouvement indépendantiste, mais les ont abandonnés lorsqu’ils se sont retirés d’Algérie et ont dû faire face à la revanche des Algériens vainqueurs, a déclaré Philippe Faucon à l’AFP. en marge du festival, « On peut dire que je suis obsédé par la question de la guerre d’Algérie ».
Le réalisateur d’origine algérienne ajoute : « Il faut revivre cet incident et regarder la vérité directement, même si les complexités historiques rendent impossibles les jugements faciles ».
Selon l’agence de presse française, le film porte la responsabilité de cette trahison criminelle et des massacres ultérieurs des Harkis, alors président français Charles de Gaulle.
À travers son film Le Père et le soldat, le réalisateur Mathieu Vadepied met en garde contre les conclusions faciles sur la conscription française des soldats sénégalais pendant la Première Guerre mondiale, un sujet qu’il aborde.
La star française Omar Sy joue dans l’histoire d’un père et de son fils qui sont forcés de se battre aux côtés de la France.
A propos du film, Mathieu Vadepied a déclaré à l’AFP : « Mon idée est de remettre en question les détails de ce qui s’est passé. Qu’avons-nous à dire sur cette journée ? » Savons-nous même ce que nous avons fait ? Si on nie les faits, on ne pourra jamais avancer, alors il faut lister les faits, et tout le monde devrait les connaître. Cependant, le but n’est pas de blâmer les gens, mais plutôt de reconnaître l’histoire douloureuse et la libération.
Selon l’agence de presse AFP, la deuxième semaine du festival de Cannes verra la projection du film du réalisateur français Rachid Boucharbe en 2006, qui a déclenché un débat national avec l’œuvre « Days of Glory, » un film sur l’aide que les soldats nord-africains ont apportée à la libération des forces françaises pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le dernier film de Bouchareb raconte l’histoire de Malik Osquin, un étudiant assassiné en 1986 devenu une icône des minorités françaises.
Septembre 1842 : El Hamelaoui, chef de guerre algérien exilé à Nogent le Rotrou
Au tout début du mois de septembre 1842, un vieil homme au teint buriné, habillé d’un burnous, coiffé du keffieh, franchissait le seuil d’une maison de la rue Saint-Hilaire à Nogent-le-Rotrou.
Informés de sa venue par Le Nogentais, les curieux découvrent Ahmed ben hadj Ahmed ben el Hamelaoui, chef de guerre du Constantinois algérien.
Le portrait d’El Hamelaoui par le journal Le Glaneur…
« Notre ville a en ce moment le bonheur de posséder un vrai bédouin pur-sang, ex-ministre de l’ancien bey de la province de Constantine. Son costume étrange, sa longue barbe blanche et ses manières insolites excitent la curiosité générale et comme on devait s’y attendre, les bruits les plus bizarres sont répandus sur son compte par les badauds. Les uns disent que c’est un roi détrôné, ayant 10 000 boudjous à dépenser par jour [Pièce d’argent, dans l’Algérie, compté pour 1 fr. 80 centimes.] ; les autres affirment sérieusement qu’il va transporter à Nogent son harem, qu’il aura comme le sultan Salomon, cinq à six cents femmes et que pour maintenir ce nombre d’odalisques au grand complet, il recrutera au besoin parmi les beautés percheronnes. On cite un bourgeois, courtier d’élection en réforme, qui doit demander une place d’eunuque au sérail. On prétend que son passe-port [sic] à la suite de la formule « signes particuliers », porte le mot circoncis, ce qui a singulièrement embarrassé le brigadier de gendarmerie et son épouse[1] »
D’abord allié des Français…
Revenons maintenant aux origines de l’histoire. Pourquoi El Hamelaoui s’était-il installé dans la capitale du Perche, si loin du doux soleil méditerranéen ?
Opposant à l’armée française dans un premier temps, il s’était rallié aux vainqueurs après la prise de Constantine en 1837 et, dans la foulée, il avait été nommé calife de Ferdjiouab, jurant fidélité à Louis-Philippe, roi des Français.
Comme il donnait satisfaction, faisant notamment rentrer l’impôt, la France reconnaissante le récompensa de la Légion d’honneur.
Il la reçut à Constantine le 13 octobre 1839 des mains du duc d’Orléans, fils du roi, lequel se félicita que « les chefs arabes si longtemps nos ennemis soient si bien dévoués aujourd’hui à la cause française[2] ».
Quelques jours plus tard, El Hamelaoui prouvait une nouvelle fois sa loyauté en prêtant son concours à l’expédition des Portes de fer en octobre 1839. Essentielle pour le contrôle de la jeune colonie, elle permettait d’établir une liaison terrestre entre Alger et Constantine.
En octobre 1840, El Hamelaoui était fait officier de la légion d’honneur.
… puis rallié à Abd del Kader
Mais peu de temps après, l’un de ses ennemis transmettait aux autorités françaises un courrier qu’il avait intercepté. Courrier fâcheux puisqu’il promettait son appui à Abd del Kader qui combattait la colonisation française[3].
Jugé en août 1841 par le conseil de guerre de Constantine pour « correspondance non autorisée par les ennemis de la France », El Hamelaoui fut condamné à vingt ans de détention.
Cet homme – dont on avait loué pendant trois ans les qualités – avait soudain tous les défauts du monde.
Non seulement fourbe, il était, si l’on en croit le journal La France de « mœurs très dissolues », mauvais musulman puisqu’il « ne jeûnait pas, n’allait jamais à la mosquée, changeant souvent de femmes » et administrateur « détesté » de la population en raison de ses exactions [4].
Des îles Margueritte à Nogent-le-Rotrou
Alors qu’il purge le début de sa peine aux îles Margueritte [5] – au large de Cannes – sa jeune femme vient plaider sa cause auprès de la reine.
Emue, elle adresse un courrier au ministre de la guerre qui contient ces mots : « Le pauvre vieillard n’a pas le temps d’attendre ». Le vieillard avait une soixantaine d’années…
Le roi lui accorda sa grâce.
Le général Lebreton qui avait présidé le conseil de guerre avait ses racines en terre percheronne [6].
C’est ainsi qu’El Hamelaoui posa ses babouches à Nogent-le-Rotrou au mois de septembre 1842. Son épouse l’y suivit, « suivant le précepte du Coran qui prescrit aux femmes de fermer les yeux de son mari [7] ». Lequel était tout, sauf mourant.
Intégré à la population nogentaise
Assisté d’un interprète et d’une petite escorte, l’exilé passa quelques mois dans la capitale du Perche, vécut comme un bourgeois, fréquenta les notables, manifestation d’une cohabitation empreinte de respect réciproque et ne manquant pas à l’occasion d’une tendre familiarité.
Plusieurs vieux Nogentais se souviennent parfaitement de cet hôte de marque qui logeait dans l’immeuble de la rue Saint-Hilaire, faisant en ville des promenades au cours d’une desquelles il enleva dans ses bras » un petit Nogentais. Ses parents avaient été alors « très fiers de l’honneur fait à leur bébé [8]
Quand El Hamelaoui quitta le Perche, ce fut pour aller à Meaux, puis Paris où, raconte Alain Loison, « il parut dans nombre de soirées mondaines, mais toujours après s’être assuré de l’absence de tout autre concitoyen arabe ou musulman, afin de vivre pleinement à l’occidentale [9] »
[1] Le Glaneur, 29 septembre 1842.
[2] Journal des débats politiques et littéraires 23 octobre 1839.
[3] Abd del Kader capitula en 1847 et fut emprisonné au château d’Amboise. Libéré en 1852, cet homme ouvert devient ensuite un interlocuteur de la France dans le monde arabe. Une stèle a été inauguré en son honneur à Amboise le 5 février 2022.
[4] La France, 14 aout 1841.
[5] Lieu de détention pour les prisonniers maghrébins d’Algérie
[6] Eugène Casimir Lebreton était le troisième fils d’un laboureur. Ses parents s’étaient installés à Luigny alors qu’il avait 4 ou 5 ans. Il fut élu député d’Eure-et-Loir en 1848. Il fut aussi conseiller général de Nogent-le-Rotrou pendant 30 ans et président du Conseil général pendant vingt ans.
[7] Le Glaneur, 6 octobre 1842.
[8] Bulletin de la société Percheronne d’histoire et d’archéologie, 1904, p. 34.
[9] Alain Loison, Les mystères d’Eure-et-Loir, De Borée, 2012, p.370.
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