Chaleurs insoutenables, incendies meurtriers, pluies de grêle… Les effets du dérèglement climatique rebattent les cartes du tourisme mondial. Le point avec Jean François Rial, PDG de Voyageurs du Monde et président de l’office du tourisme et des congrès de Pari.
Une épaisse fumée, un ciel rougeoyant aux allures de fin du monde, et sur une route bordée de villas, des centaines de touristes, certains traînant de grosses valises, d’autres encore en maillot de bain, hébétés. Les images de l’évacuation de l’île grecque de Rhodes, en proie aux flammes, dimanche 23 juillet, ont marqué les esprits. Comme une répétition générale et chaotique des effets dévastateurs et désormais récurrents du réchauffement climatique à la période estivale ? A Rhodes, dans le Dodécanèse, en neuf jours, plus de 13 000 hectares sont partis en fumée et des milliers de touristes ont dû quitter l’île dans la précipitation, principalement par la mer. Tout comme à Corfou, autre île grecque située plus au nord en mer Ionienne. En Croatie, un feu s’est déclaré mercredi près de Dubrovnik, haut lieu historique et touristique. Au Portugal (où 110 000 hectares sont partis en fumée l’an dernier), un feu de forêt menaçait en milieu de semaine la station balnéaire de Sintra.
Et que dire des températures suffocantes ? Presque 50 degrés lundi en Tunisie, soit 6 à 10 degrés de plus que les normales de saison, des pics à 48 °C en Algérie, en proie aussi à des incendies meurtriers… Impossible de se voiler la face. Incendies ravageurs, orages violents, températures extrêmes viennent désormais rythmer le calendrier des vacances sur le pourtour méditerranéen. Et rebattre les cartes d’un tourisme estival de moins en moins en adéquation avec l’état environnemental de la planète ? On a posé la question à Jean-François Rial. Grand spécialiste du tourisme mondial, le cofondateur de Voyageurs duMonde est aussi président de l’office du tourisme et des congrès de Paris depuis 2021.
Pensez-vous que le dérèglement climatique est en train de modifier durablement la carte du tourisme mondial ?
C’est très simple. On sait que le réchauffement climatique impacte plus certaines zones que d’autres. Quand vous avez 1,15° supplémentaire en moyenne mondiale, et deux fois plus dans le sud de l’Europe, au Moyen-Orient, en Afrique… cela a évidemment une incidence sur le tourisme. Tous les pays situés autour de la Méditerranée : l’Espagne, le sud de la France, le Portugal, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, la Grèce, la Sicile… vont être touchés l’été par de terribles vagues de chaleur. C’est un fait.
Cet été, ce sont les effets du dérèglement – orages, incendies, etc. – qui marquent les esprits. Avez-vous noté une modification des comportements suite à ces catastrophes spectaculaires ?
Ce sont des incidents ponctuels. Les gens vont se déplacer en temps réel. Ce n’est pas cela qui va changer structurellement le tourisme, mais bien la hausse des températures, le fait d’avoir trop chaud, qui va conduire les gens à anticiper ce risque et à choisir telle ou telle destination.
Mais pour le touriste qui se rend dans un hôtel climatisé, est-ce que cette hausse des températures change beaucoup la donne ?
Il ne faut pas être caricatural. D’abord parce que la prise de conscience écologique est en hausse partout dans le monde. Ensuite parce que personne n’a envie de passer ses vacances enfermé dans un hôtel, même si la climatisation utilisée est peu énergivore. C’est jouable jusqu’à 35 °C, mais au-delà… Enfin, il faut arrêter d’opposer tourisme de masse et tourisme vertueux. Est-ce qu’aller observer une tribu dans les montagnes thaïlandaises est un acte vertueux ?
Du coup, les touristes qui affectionnaient le pourtour méditerranéen pour leurs vacances d’été vont-ils se rabattre sur d’autres pays d’Europe ?
Bien sûr ! Les pays du nord de l’Europe, la Finlande, l’Irlande, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suède vont bénéficier de ce basculement car il y fait moins chaud l’été.
Mais c’est déjà le cas depuis une dizaine d’années et cela va s’accentuer. L’Islande est par exemple devenue archi bondée l’été. Il y a même trop de monde car c’est un pays qui ne peut fonctionner, du fait de son climat, que trois mois par an. Et en plus, l’été, les couleurs y sont incroyables…
Le réchauffement climatique n’explique donc pas tout…
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Oui, la recherche d’un tourisme différent, de destinations moins fréquentées, plus proches de la nature, participe à ce mouvement. Mais le réchauffement climatique y contribue beaucoup et à cause de cela il va y avoir, c’est certain, un étalement de la saison sur les destinations les plus prisées. Et de ce point de vue, c’est plutôt pas mal.
Mais tout le monde ne peut pas partir en dehors de la saison estivale !
Détrompez-vous, cet étalement a déjà commencé. Les gens voyagent plus en octobre ou au printemps qu’avant, et la sacro-sainte période estivale de juillet-août est en train de bouger.
Il faut savoir que la moitié des touristes sont inactifs. En plus, je ne serais pas surpris si, dans les années à venir, les gouvernements européens choisissaient de modifier le calendrier scolaire pour favoriser cet étalement. Les plus grands pourvoyeurs de tourisme au monde sont les Anglais et les Allemands. Et comme ils vont principalement dans les pays chauds, ils pourraient adapter leur calendrier.
Choisir le « hors saison », ou des destinations moins « prisées », n’est-ce pas aussi un moyen de récupérer du pouvoir d’achat en période de crise ?
Sur les voyages, la crise n’a pratiquement pas d’incidence. Le secteur connaît une hausse des prix supérieure de 25 % à ceux pratiqués en 2019, on est sur des niveaux d’inflation très élevés, mais les gens voyagent davantage… Comme si le voyage était devenu un produit d’ultra-nécessité. Je le constate au sein de Voyageurs du Monde, mais aussi dans les statistiques que me partagent mes confrères.
En France, c’en est fini des étés sur la Côte d’Azur ?
Il est certain que le tourisme estival, sur la Côte d’Azur, va souffrir. Mais il devrait bénéficier du reste de la saison. Et je trouve que c’est une bonne chose. Ce qui me désole, ce n’est pas l’étalement de la saison touristique, bien au contraire, c’est le réchauffement brutal de la planète et ses conséquences : le manque d’eau, la survie de l’espèce humaine, la pénibilité de la chaleur.
Y a-t-il des pays que vous déconseillez aujourd’hui à cause du réchauffement climatique ?
Voyageurs du Monde ne déconseille aucun pays mais conseille de voyager à contre-courant. C’est notre base line. Cela fait bien longtemps que nous avons compris que, si l’on veut bénéficier d’une vraie expérience de voyage, il faut marcher à contre-courant. Et le réchauffement climatique va, au contraire, nous aider à promouvoir ce type de tourisme ! Je souhaite cette déconcentration du tourisme pour éviter la pression sur les populations locales et les écosystèmes.
En Tunisie, le thermomètre affiche ce lundi des valeurs entre 6 à 10 degrés au-dessus des normales de saison. En Algérie voisine, les autorités sont en alerte à la canicule.
24.07.2023,
Pour échapper à la chaleur, les habitants passent la journée à la mer, comme ici à La Goulette, dans la banlieue de Tunis.
Alors qu’au Maroc et en Libye, les températures sont plutôt conformes aux normales saisonnières, la Tunisie va frôler lundi, même dans le nord du pays plus tempéré, les 50 °C. Soit 6 à 10 degrés de plus que les températures habituelles pour la période. Cette canicule inédite provoque des coupures de courant et oblige des familles à dormir sur les plages.
En Algérie voisine, les autorités sont en alerte, avec des pics pouvant atteindre 48°C localement dans cinq préfectures de l’est: Jijel, Skikda, Annaba, El Tarf et Guelma, placées en «vigilance orange». À la suite de cette «vague de chaleur sans précédent», le groupe énergétique public Sonelgaz a dit avoir enregistré, dimanche, un pic de consommation de 18’697 mégawatts. Les climatiseurs sont devenus hors de prix (plus de 500 euros contre 300 auparavant) ou introuvables.
Coupures de courant
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Ceux qui n’ont pas de clim’ dorment sur la plage
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Ceux qui n’ont pas de clim’ dorment sur la plage
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
Le pays connaît une saison intense de feux de forêts. Selon le gouvernement fédéral, 2 214 incendies ont consumé environ 3,3 millions d’hectares ces dernières semaines. Au total, 120 000 personnes ont déjà été forcées de quitter leur domicile et 26 200 autres sont en cours d’évacuation.
A Montréal, au Québec, la fumée des incendies qui ravagent le Canada depuis début mai, vue depuis les hauteurs du parc du Mont-Royal, le 5 juin 2023. ANDREJ IVANOV / AFP
Au tour du Québec de connaître sa saison en enfer. Après l’Alberta dans l’ouest du pays début mai, la Nouvelle-Ecosse dans l’est, la semaine du 27 mai, la Belle Province est à son tour ravagée par les incendies, depuis le 29 mai. Au plus fort de la crise, le 5 juin, la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) dénombrait 160 foyers actifs sur le territoire québécois, dont 90 % étaient jugés « hors de contrôle ».
à quelque 900 kilomètres à l’est de Montréal, et en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord-ouest de la province, que les brasiers sont les plus intenses. Des dizaines de municipalités ont déclaré l’état d’urgence sur leurs communes et pris des ordres d’évacuation, mardi soir encore. Et, en quelques jours, près de 10 000 personnes ont dû quitter, temporairement, leur logement.
Parmi elles, les 1 500 habitants de la communauté innu de Mani-utenam, installée près de Sept-Iles, la principale ville de la Côte-Nord, sommés d’évacuer les lieux le 2 juin dans l’après-midi, le feu se rapprochant dangereusement de leur localité. « On ne sentait rien, le vent poussait la fumée vers le nord, raconte un résident, Albert Volland, mais quand on a entendu à la radio qu’il fallait tout quitter sans paniquer, on a ramassé nos affaires les plus importantes, nos papiers, et nous avons pris la route. » Vers une auberge à quelques kilomètres de là pour sa famille et lui, tandis que d’autres habitants partaient en bus se mettre à l’abri dans la communauté innu amie de Pessamit, à 300 kilomètres de distance. Quatre jours plus tard, le 6 juin, l’ordre d’évacuation a été levé. « La pluie est enfin là, elle tombe, et elle tombe fort », se réjouissait Albert Volland en retrouvant son domicile, intact. En Abitibi, en revanche, les services météorologiques ne prévoient pas de précipitations dans les jours à venir, en dehors de quelques brefs orages, avec risques de foudre à la clé.
Qualité de l’air altérée
Au total, 220 000 hectares sont déjà partis en fumée sur le territoire québécois ; à la même date, sur la dernière décennie, la Sopfeu rapportait en moyenne moins de 250 hectares brûlés. Les 480 pompiers québécois déployés, appuyés par 150 soldats des forces armées canadiennes, reconnaissent ne pas pouvoir faire face à tous les brasiers. Le 4 juin, Emmanuel Macron a annoncé l’envoi d’une centaine de pompiers français. « Le Canada fait face à de terribles incendies. La France est solidaire (…). Amis canadiens, les renforts arrivent », a écrit le chef de l’Etat sur Twitter. « Merci cousins ! », lui a immédiatement répondu le premier ministre québécois François Legault. Mais en attendant l’arrivée des renforts prévue mercredi, les autorités ont dû se fixer des priorités : « Protéger les vies humaines avant tout, assurer ensuite la sécurité des infrastructures stratégiques, comme celles d’Hydro-Québec » (société publique d’hydroélectricité), et en dernier lieu, tenter de sauver la forêt quand cela est possible.
Depuis le début de la semaine, les fumées s’échappant de ces immenses brasiers altèrent la qualité de l’air de toute la province, de l’Ontario voisin, et s’étendent jusqu’au nord des Etats-Unis. La capitale fédérale, Ottawa, est plongée dans un nuage orange, Montréal dans un brouillard jaunâtre à l’odeur de brûlé. Dans les rues de la métropole québécoise, des cyclistes arborent de nouveau un masque sanitaire pour tenter de se protéger de la fine poussière qui se dépose et s’insinue partout.
« On vit une situation jamais vue, sinon hors du commun. On n’a jamais eu autant de feux aussi tôt dans la saison. Ce n’est pas juste une problématique pour le Québec, c’est aussi pour l’ensemble canadien. D’habitude, l’Ouest brûle, le Québec ne brûle pas et on se partage les effectifs, mais là, ça brûle partout », a répété, désemparé, le ministre québécois de la sécurité publique, François Bonnardel. Le 6 juin, le Canada brûlait en effet encore d’un océan à l’autre, avec 413 feux toujours actifs, dont 249 « hors de contrôle ». Sur les treize provinces et territoires que compte le pays, seuls l’Île-du-Prince-Edouard, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nunavut ont, jusque-là, été épargnés.
« Une nouvelle réalité »
Ce combat à mener sur tous les fronts rend particulièrement difficile l’organisation des secours, d’autant que la bataille s’annonce longue. « La saison des feux de forêt risque d’être particulièrement intense tout au long de l’été », a prévenu, lundi, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, après avoir fait le point avec des experts d’Environnement Canada sur l’évolution prévisible des incendies. Le chef du gouvernement a d’ailleurs affirmé travailler à un « plan B », au cas où les ressources humaines pour lutter contre les feux viendraient à manquer. Actuellement, sur les 3 000 pompiers s’acharnant à combattre les flammes à travers le pays, près d’un millier vient de l’étranger, notamment des Etats-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et du Costa Rica.
« Jamais vu », « exceptionnel », « hors norme » : chacun use des mêmes mots pour qualifier l’intensité et la précocité de cette saison des feux, mais le ministre fédéral des ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a choisi d’être plus incisif. « Nous vivons dans une nouvelle réalité, une réalité dans laquelle nous devons écouter attentivement ce que la science nous dit », a-t-il déclaré, faisant référence au dérèglement climatique qui touche l’ensemble du monde et rend le Canada particulièrement vulnérable. Les conditions plus chaudes et plus sèches à venir vont allonger la saison propice aux incendies dans la forêt boréale canadienne, préviennent les experts.
Interrogé sur la part qu’il entend prendre dans la lutte contre le réchauffement climatique, Justin Trudeau a tenu à réaffirmer que son plan pour le climat, visant notamment à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030, était « parmi les plus ambitieux » de la planète. Et ce malgré l’approbation que son gouvernement (libéral) continue de donner à certains projets d’extraction d’énergies fossiles, comme le feu vert accordé en avril 2022 à Bay du Nord, un mégaprojet de soixante puits d’extraction pétrolière au large de Terre-Neuve. Les conservateurs, eux, restent les plus ardents défenseurs de l’industrie pétrolière et gazière du pays. Le Canada brûle de toute part, mais, imperturbables, ils ont profité d’une séance à la Chambre des communes en début de semaine pour réclamer de nouveau l’abolition de la taxe sur le carbone instaurée en 2019 sur l’ensemble du territoire canadien et destinée à limiter les émissions de CO2.
Incendies ravageurs au Québec : des milliers de personnes évacuées
Au Québec, les incendies ne laissent aucun répit aux pompiers qui doivent lutter sur plusieurs fronts dans le nord de cette province. Plus de 11 000 personnes ont dû quitter leur résidence car les incendies menacent les localités où elles vivent.
Dans l’une d’elles, Normetal, située à sept heures de route de Montréal, le feu s’est même approché à 500 mètres des habitations. Rencontre avec des évacués qui ont trouvé refuge à 300 kilomètres de chez eux.
Les habitants de Chibougameau, une ville de 7 000 habitants, ont trouvé refuge au lac Saint-Jean, plus exactement à Roberval, qui les a très bien accueillis. Toute la journée de mercredi 7 juin, des gens sont venus proposer une chambre, une caravane, des maisons même, à celles et à ceux qui ont dû quitter très rapidement leur résidence. À tel point que les lits de camp installés dans un centre sportif ne servent presque pas puisque la plupart du monde est hébergé chez des particuliers.
« On a mis en place notre plan d’urgence, ici à Roberval, avec notre cellule de crise, explique Serge Bergeron, le maire de la ville. Et là, il a fallu trouver les lits, il a fallu trouver tous les produits sanitaires, il a fallu trouver les collations pour faire manger les gens. Les gens ont été très collaborateurs, parce que le supermarché IGA, à titre d’exemple, a, lui, envoyé quelqu’un après les heures d’ouverture pour nous fournir des jus, du pain… Les gens se présentaient ici parce qu’ils entendaient la nouvelle aux médias, les gens de Roberval venaient proposer leur aide : « Je veux donner quelques heures », « Comment je peux aider ? », « Est-ce que je peux accueillir quelqu’un chez moi, j’ai une chambre de libre », et tout ça. Et on a relocalisé des familles chez des gens, dans des résidences de Roberval, ce qui a permis ici de libérer plusieurs lits, mais aussi, et comme premier objectif, de mettre ces gens-là dans des conditions beaucoup plus confortables que de dormir sur un lit de camp comme celui qu’on a, avec une simple couverture et un petit oreiller. »
Les nouvelles de la progression de cet incendie sont plutôt encourageantes, car il avance moins vite que prévu. Sur place, les pompiers ont érigé un coupe-feu long de plusieurs kilomètres, une sorte de tranchée, pour éviter que les flammes n’atteignent les maisons et une usine de construction de bois où se trouvent notamment des citernes de mazout.
Si les choses s’améliorent depuis peu dans l’est du Québec, car la pluie tombe depuis quelques jours, les feux se font beaucoup plus menaçants dans la région de l’Abitibi, au nord de Montréal. Le temps reste très sec dans cette zone, et les arbres résineux brûlent comme des fétus de paille.
Le Premier ministre québécois François Legault reconnaît que les effectifs ne sont pas suffisants pour combattre les 160 incendies qui sévissent actuellement. Les efforts des pompiers se concentrent sur les plus grosses localités. D’autant plus qu’il faut accorder un peu de repos aux pilotes des avions-citernes qui arrosent le brasier et aux appareils.
Heureusement, des pompiers américains arrivent sur le terrain. Une centaine de pompiers français sont aussi attendus aujourd’hui. Un coup de main très apprécié dans ce combat qui ne laisse aucun répit à celles et à ceux qui voient des centaines de milliers d’hectares partir en fumée.
Le changement climatique frappe de plein fouet le Canada, qui se réchauffe deux fois plus vite que l’ensemble du monde
Des chercheurs alertent le gouvernement sur l’urgence de mettre en place une stratégie d’adaptation ambitieuse.
LETTRE DE MONTRÉAL
Connu pour ses paysages grandioses, de la majestueuse chaîne des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique à la quiétude des cinq cent mille lacs émaillant les forêts québécoises, le Canada est souvent associé à ce que la nature peut offrir de beauté immuable et éternelle. Des images « instagrammables » qui attirent des touristes du monde entier, mais qui obèrent une réalité plus sombre : sa situation septentrionale place le pays en première ligne face aux changements climatiques. Le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que l’ensemble du monde, et même jusqu’à plus de trois fois plus vite pour le territoire arctique, au nord.
En l’espace de quelques saisons seulement, des événements climatiques extrêmes ont montré la vulnérabilité du pays. Submersion des côtes des provinces de l’Atlantique causée par le passage de la tempête post-tropicale Fiona, le 24 septembre, dôme de chaleur avec des records à plus de 47 °C à Vancouver, lors de l’été 2021, suivi d’incendies dévastateurs, puis, quelques mois plus tard, d’inondations hors normes dans le sud de la Colombie-Britannique. A chaque « catastrophe », le gouvernement fédéral comme les autorités provinciales se sont fendus d’aides financières d’urgence.
Or, la multiplication de ces aides promet d’être, dans les années à venir, un tonneau des Danaïdes. Quelques semaines avant la COP27, en cours à Charm El-Cheikh (Egypte) et où n’a pas prévu de se rendre le premier ministre canadien, Justin Trudeau, l’Institut climatique du Canada, organisme indépendant, a rendu un rapport évaluant ce que les changements climatiques coûtaient à l’économie du pays et au portefeuille de ses habitants, et ce qu’il pourrait leur en coûter demain si aucune politique « d’adaptation proactive » n’était menée.
Un coût financier extrêmement élevé
Intitulée « Limiter les dégâts » (« Damage Control »), l’étude détaille la facture des dommages causés par ces changements climatiques en s’appuyant sur plusieurs hypothèses de réduction (ou non) des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial dans les prochaines années. Quel que soit le scénario retenu, « le Canada n’en sort jamais gagnant », assène Dave Sawyer, économiste en chef à l’institut.
Les dommages climatiques amputent déjà la richesse nationale, affirment les auteurs de l’étude. Pour preuve, parmi d’autres, l’incendie historique qui a ravagé la ville pétrolière de Fort McMurray, en Alberta, en 2016, a coûté 4 milliards de dollars (2,92 milliards d’euros) de dégâts directs, auxquels il a fallu ajouter 7 milliards supplémentaires pour prendre en compte les dommages causés à l’environnement et aux ressources naturelles, la perte de production de l’industrie pétrogazière de la ville ou encore les recettes fiscales perdues. Dès 2025, les dommages climatiques devraient coûter 25 milliards de dollars au Canada, soit la moitié des fruits de la croissance attendue du PIB ; à la fin du siècle, ce sont 865 milliards de dollars qui pourraient annuellement venir grever les finances publiques.
Les auteurs détaillent « l’effet domino » des menaces pesant sur la prospérité du pays : perte de productivité des travailleurs liée à la chaleur, morts prématurées en hausse, incidence sur la quantité de main-d’œuvre disponible, réduction de la compétitivité, baisse des exportations et accroissement des importations, hausse des coûts et montée des prix…
Toutes les provinces ne seront pas affectées économiquement de façon égale : les communautés et les infrastructures du nord du Canada seront les plus touchées en raison des effets de la fonte du permafrost, quand le Québec sera sans doute plus épargné, le réchauffement climatique lui fournissant, à terme, plus d’eau pour ses barrages hydroélectriques.
« Tueurs d’emplois »
Mais, à l’échelle du pays, l’alourdissement global de la facture mettra les autorités publiques au pied du mur : soit elles augmenteront les impôts, soit elles renonceront à certains services publics faute de ressources suffisantes, avec une dégradation prévisible du système de santé, déjà mis à rude épreuve par l’actuelle pénurie de personnels soignants.
Le tableau des effets macroéconomiques de ces dommages climatiques est sombre, l’avenir individuel des Canadiens, plus encore : le ralentissement de la croissance et la hausse de la fiscalité pourraient faire perdre à chaque citoyen près de 720 dollars de revenus par an dès 2025, et jusqu’à 2 300 dollars d’ici à 2050, tandis que les ménages les plus modestes, moins bien logés et professionnellement plus précaires, seront les premières victimes.
Car il ne faut pas s’y tromper, insistent les auteurs du rapport, « les changements climatiques sont des tueurs d’emplois ». Usant de la parabole de la « vitre cassée », ils expliquent que l’idée selon laquelle l’activité économique visant à réparer ce qui a été endommagé a des vertus, en dynamisant notamment le secteur de la construction, est une illusion. Elle s’accompagne d’un « coût d’opportunité » : l’argent dépensé ne servant pas à créer de nouvelles richesses ou à faire émerger de nouveaux potentiels productifs, les ménages en sont réduits à payer les innombrables « vitres cassées ».
Ce tableau très noir pourrait reprendre quelques couleurs si une « politique d’adaptation » – une action en amont plutôt qu’une réaction a posteriori – était vigoureusement mise en place, plaide l’Institut climatique du Canada. Les chercheurs avancent quelques pistes : assurer la protection des côtes pour limiter leur érosion avant de subir de nouvelles submersions, utiliser des matériaux adaptés au réchauffement climatique pour la réfection des routes, installer des capteurs de température pour isoler les segments les plus vulnérables du réseau ferré ou encore procéder à l’installation de dispositifs d’ombrage pour les usines afin de réduire la perte de productivité des travailleurs. Chaque dollar investi aujourd’hui aurait un rendement de 13 à 15 dollars pour l’économie globale du pays, assurent-ils. Etant entendu que le Canada devra, en parallèle, participer à l’effort mondial de réduction des gaz à effet de serre, sans quoi c’est le scénario le plus catastrophiste qui adviendra.
Les auteurs de « Damage Control » espèrent que leur rapport nourrira les ambitions de la « stratégie nationale d’adaptation du Canada » que le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à finaliser d’ici à la fin de l’année. Un premier plan bien tardif, alors que la France s’est dotée d’une telle stratégie, dès 2006, et l’Union européenne, dès 2013.
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