En Afrique, la république d’Emmanuel Macron ne marche plus. En mars dernier, le président français était parti en tournée africaine (la dix-huitième en six ans) pour tenter de colmater les fissures créées par le sentiment anti-français grandissant et remettre son pays dans la course pour courtiser le continent. Quatre mois après, rien ne semble sourire à Paris.
Avec le renversement de Mohamed Bazoum, la France perd en effet son dernier allié en Afrique subsaharienne. Les manifestants descendus jeudi dans les rues de Niamey ont non seulement apporté leur soutien au putsch militaire, mais ont aussi scandé des slogans hostiles à la France et agité des drapeaux russes. Scénario identique à celui vécu il y a plus d’une année au Mali et en février dernier au Burkina Faso.
En perdant Bazoum, la France risque de perdre aussi ses privilèges au Niger, à commencer par la base militaire qu’elle détient près de Niamey. Cette base déplacée en fait depuis le Mali où elle servait l’opération Barkhane, vient tout juste de boucler une année.
Son sort est désormais sur le fil du rasoir mettant à mal les pouvoirs de l’Hexagone dont la réaction a été à la hauteur de la surprise et la crainte de perdre définitivement le Niger. Une perte de trop qui viendra alourdir un bilan catastrophique fait d’une série de camouflets enclenchée avec l’expulsion de l’armée et de l’ambassadeur français du Mali suite au coup d’Etat de mai 2021. Le sentiment anti-français manifesté aussi bien par la junte au pouvoir que par le peuple malien exprimait la volonté d’en finir avec la présence paternaliste de l’ancien colonisateur.
La nouvelle Constitution du Mali est d’ailleurs un clou de plus dans le cercueil du néocolonialisme. Le texte approuvé en juin dernier a renforcé la souveraineté, en éliminant, entre autres, la langue française comme langue officielle.
Après avoir obtenu l’indépendance vis-à-vis des puissances coloniales durant les années 60/70, les pays africains sont retombés dans la dépendance de l’Occident sous des formes néocolonialistes sournoises incarnées par l’emprise mondialiste d’un côté et de l’autre, la trahison de ses élites.
Le pillage des richesses du continent par des multinationales appuyées par les gouvernements occidentaux n’a d’égal que la faillite politique de castes dirigeantes corrompues et irresponsables souvent cooptées et téléguidées depuis des capitales occidentales. Mais de Bamako à Kinshasa se lève aujourd’hui un vent d’émancipation devant laquelle se brisent désormais les amitiés hypocrites.
Au Niger et en attendant que la junte désormais aux commandes définisse ses choix, la rue a tranché en affichant son refus de passer à côté de la marche africaine vers un monde multipolaire où elle escompte une place à la hauteur de ses espérances.
De nombreux boulevards, avenues et rues d’Abidjan vont changer d’appellation. Ce grand projet d’adressage doit apporter une meilleure fluidité urbaine et des gains économiques aux entreprises et à l’Etat.
« Vous laissez la pharmacie du Golf sur votre droite, vous prenez à gauche au carrefour, puis vous dépassez l’ancien Leader Price ; ce sera au deuxième feu près du maquis et des vendeuses de fruits. » A Abidjan, indiquer son adresse à un artisan, un livreur ou un ami relève souvent du jeu de piste. Une habitude que les autorités ivoiriennes espèrent réformer grâce au grand projet d’adressage (changement de nom des rues et création d’adresses) initié en 2017 et qui doit prendre fin l’an prochain.
Dans un premier temps, 34 boulevards et 211 avenues de la capitale économique sont concernés. La liste a été présentée en conseil des ministres et dévoilée le 24 juillet par Bruno Koné, le ministre de la construction, du logement et de l’urbanisme, dans une longue interview à Fraternité Matin, le plus grand journal ivoirien, contrôlé par l’Etat. Les axes concernés et leur appellation ont été retenus sur proposition d’un collège composé d’experts et de personnalités du pays « qui n’ont aucune raison d’être complaisants dans la mission qui leur a été confiée », a souligné le ministre pour se prémunir des critiques.
De nombreux observateurs n’ont toutefois pas manqué de pointer la surreprésentation d’hommes politiques dans la liste : des présidents, des opposants, des ministres (d’anciens gouvernements ou de l’actuel) et des personnalités qui ont marqué l’histoire politique, militaire, culturelle et sportive de Côte d’Ivoire. Une grande place a également été faite aux valeurs comme la solidarité, la liberté et l’hospitalité.
Les présidents français remplacés
Résultat : les présidents français Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand perdent leurs boulevards, remplacés respectivement par le premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, et l’écrivain et homme politique Germain Coffi Gadeau (sur un premier tronçon), et la première dame, Dominique Ouattara (sur un deuxième tronçon). Un acte qui suit l’avis des Ivoiriens et n’a « pas de relents politiques », assure le ministère. Le boulevard de France devient ainsi le boulevard Marie-Thérèse-Houphouët-Boigny, du nom de l’épouse du père de l’indépendance, et le boulevard de Marseille se nommera désormais le boulevard Philippe-Yacé, un des fondateurs de la république ivoirienne, qui a vécu dans cette rue.
Une autre liste de 2 500 noms de rue, déjà validée en conseil des ministres, doit être communiquée dans les prochains jours, d’après le ministère de l’urbanisme. Et 5 500 autres suivront dans les prochains mois. Au total, 14 000 axes seront adressés.
Putsch au Niger : les premiers Français évacués de Niamey sont arrivés à Paris, à l’aéroport de Roissy
En tout, 600 ressortissants français ont exprimé leur intention de revenir en France après le coup d’État au Niger. Trois autres vols sont déjà prévus.
LOU BENOIST / AFP
Les 262 premiers évacués du Niger sont arrivés à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle dans la nuit du 1er août.
NIGER - Ils affichent satisfaction et sérénité, malgré la fatigue visible sur les visages. Les passagers du premier vol de rapatriement français, évacués en urgence du Niger, sont arrivés dans la nuit du mardi 1er au mercredi 2 août à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. Les 262 passagers, venus de Niamey, ont atterri peu après 1 h 30.
Premier à sortir de l’avion vers 2 heures (heure de Paris), Charles se dit « content d’être revenu et un peu malheureux de laisser le Niger dans cette situation de prise d’otage plus que de putsch », quelques jours après le coup d’État militaire dans le pays sahélien. « Pas sûr que ça va dégénérer, mais c’est toujours bien d’être rentré », ajoute l’homme aux cheveux blancs, qui n’a pas décliné son identité complète.
À bord de l’avion, outre une grande majorité de Français, des Nigériens, des Portugais, des Belges, des Éthiopiens et des Libanais, d’après le ministère des Affaires étrangères.
« J’ai tout laissé là-bas »
(Souvenir : " ça me rappelle une lamentation des Pieds-Noirs en 1962 "
Michel Dandelot
Cette évacuation d’ampleur, que les autorités françaises espéraient mener à bien d’ici à la mi-journée mercredi, a été décidée « compte tenu de la situation à Niamey », selon le Quai d’Orsay.
L’opération a été « bien organisée, ça a été assez vite, pour ma part tout s’est très bien passé », témoigne Bernard (il ne donne pas son nom), qui travaille depuis deux mois au Niger pour l’Union européenne.
« À Niamey, il n’y a pas de tensions particulières en ville, pas de stress particulier, la population vaque à ses occupations », décrit cet homme, parti avec « deux ordinateurs, deux t-shirts, une paire de chaussettes et une brosse à dents ». « Pour le reste, j’ai tout laissé là-bas », ajoute-t-il sans paraître s’en formaliser.
LOU BENOIST / AFP
À l’arrivée des premiers évacués français à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, le 2 août.
600 Français souhaitent rentrer
Parmi le flot de passagers, seuls quelques-uns ont accepté de répondre aux questions de la presse, présente en nombre dans le terminal aéroportuaire.
Raïssa Kelembho est rentrée de Niamey avec ses deux garçons mais a laissé son mari derrière elle, resté pour son travail de directeur commercial. « Ça fait du bien », a-t-elle déclaré, soulagée. « Depuis que ça a commencé, on n’est pas sortis de la maison », ajoute la mère de famille. « À un moment donné, il y a eu une sensation d’insécurité, on savait que tout pouvait basculer à tout moment », explique-t-elle.
Pour Huguette Bonneau, « l’angoisse, c’est parce que les frontières et les aéroports sont fermés, sans ça on n’aurait pas été angoissés », soutient-elle en poussant un chariot lourd de bagages.
Les frontières terrestres et aériennes du Niger avec cinq pays frontaliers sont désormais rouvertes, a cependant annoncé dans la nuit un des putschistes à la télévision nationale.
Sur les quelque 1 200 Français enregistrés sur les listes consulaires au Niger, selon Paris, 600 ressortissants ont exprimé leur intention de revenir en France. Trois autres vols sont déjà prévus.
Les pays africains continuent de lutter contre les mines antipersonnel héritées du colonialisme ou implantées par les différents groupes armés opérant dans plusieurs régions, au moment où le Sahara occidental est considéré comme un des territoires les plus pollués au monde par ces engins explosifs que le Maroc utilise en violation de toutes les conventions internationales.
Depuis son indépendance, l’Algérie s’est lancée dans une course effrénée pour retirer les mines dissimulées lors de la période coloniale, notamment sur les lignes Challe et Morice dans l’est et l’ouest du pays. En effet, en plus de toutes les atrocités qu’elle avait commises durant 132 ans de colonisation, la France avait laissé plus de 11 millions de mines en Algérie, causant des milliers de morts et de blessés parmi les citoyens algériens.
Plus de deux décennies après l’adoption du Traité historique d’interdiction des mines et la création de l’Action anti-mines des Nations unies, plusieurs autres pays africains, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger continuent également de subir les conséquences des mines implantées dans leurs territoires. En Libye, où plus de 360 personnes ont été victimes d’engins explosifs depuis 2020, 27 400 munitions explosives ont été retirées à Tripoli, Misrata, Benghazi et Syrte, selon la Mission d’appui des Nations unies dans le pays (Manul) qui a insisté sur la nécessité de faire plus et de redoubler d’efforts pour mettre le pays sur la voie d’un avenir plus sûr, exempt de risques d’explosion.
En 2022, les partenaires libyens ont déminé et détruit quelque 18 000 engins explosifs et jugé que 2,3 millions de mètres carrés de terrain étaient sûrs. Toutefois, plus de 15 millions de mètres carrés de terres dans le seul sud de Tripoli ont été désignés comme zones dangereuses suspectes ou confirmées. Depuis le début de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) en 2013, les engins explosifs improvisés ont tué au moins 93 Casques bleus (chiffre de juin 2022). En Angola, malgré la fin de la guerre civile en 2002, des millions de mines terrestres et de munitions non explosées sont toujours disséminées dans tout le pays et le seul recensement national effectué par le gouvernement angolais (en 2014) a révélé qu’environ 88 000 personnes vivaient avec des blessures causées par des mines terrestres.
Le cas du Sahara occidental
En Ethiopie, des conflits armés nationaux et internationaux lors des 50 dernières années ont entraîné un héritage de mines terrestres et de restes explosifs de guerre (ERW) ayant tué 185 personnes dans la région de l’Afar et 270 dans la région de l’Amhara. A l’occasion du 60e anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA, Union africaine/UA actuellement), le 25 mai, le service de l’Action anti-mines des Nations unies (UNMAS) a indiqué dans un message reconnaître le travail de l’Action anti-mines sur le continent, avec plus de 50 Etats membres de l’UA signant la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, le Maroc demeurant l’un des rares pays à ne pas l’avoir ratifiée. Conséquence : le Sahara occidental reste l’un des pays les plus pollués par les mines implantées notamment tout au long du mur de sable séparant les territoires sahraouis libérés des territoires occupés par le Maroc. Une région dans laquelle l’UNMAS a annoncé avoir repris, le 23 mai, les opérations de déminage.
Le 4 avril dernier, le responsable de l’Association sahraouie pour l’action contre les mines, Aziz Haidar, avait indiqué lors d’une rencontre à Alger, à l’occasion de la Journée internationale pour la sensibilisation au problème des mines et l’assistance à la lutte anti-mines, que le Sahara occidental, où pas moins de 7 millions de mines sont disséminées, était classé parmi les pays les plus minés au monde, ce qui a fait des centaines de victimes dans les territoires libérés. Selon le Bureau de coordination de la lutte anti-mines sahraoui (SMACO), depuis la rupture du cessez-le-feu par Rabat en novembre 2020, la zone de guerre actuelle a été polluée comme jamais auparavant par des engins explosifs non-amorcés implantés par le régime du Makhzen. Citant des estimations préliminaires, il a fait savoir que des milliers d’engins dispersés n’ont pas encore explosé et que pas moins d’une dizaine de civils ont été tués dans la partie occupée du Sahara occidental depuis la reprise de la guerre avec le Maroc.
S’appuyant sur des rapports médiatiques, le chef des opérations au SMACO avait, en outre, fait savoir que depuis novembre 2020, le régime du Makhzen a dissimulé environ 12 000 mines antipersonnel dans la zone tampon de Guerguerat.
Doyen d’âge des neuf tirailleurs de retour définitivement au Sénégal après la levée de l’obligation de la résidence alternée entre la France et le Sénégal le 28 avril dernier, Yoro Diao s’ouvre aux colonnes de Le Quotidien. Une toute première pour un média local, s’est réjoui le vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie, qui revient dans l’entretien sur son long parcours. De son enfance dans son Dagana natal à son retour définitif au pays au mois d’avril, en passant par son engagement dans les armées coloniale et sénégalaise, sans oublier de partager ses hauts faits d’armes au front en Indochine et en Algérie, le papy de 95 ans y va à fond. La situation précaire des autres anciens combattants ne le laisse pas non plus indifférent.
Enfance à Dagana
«Je porte le nom de mon grand-père et je suis né le 8 juillet 1928 à Dagana, où j’ai entamé mon cursus scolaire en 1935. A l’éclatement de la (2ème) Guerre mondiale en 1939, les instituteurs ont été mobilisés pour faire la guerre, c’étaient des Français. De 39 à 44, il n’y a pas ainsi eu d’études. Ça a redémarré avec le retour des instituteurs quand la guerre a commencé à finir. On était alors âgés de 15 ans et on devait faire l’entrée en 6ème. Après l’entrée en 6ème, j’ai été admis à l’Ecole des chemins de fer de Thiès pour suivre une formation comme ingénieur en chemin de fer. Quand j’y suis allé, l’école n’a pas marché et je suis allé à Saint Louis, où vivait mon oncle. J’ai alors demandé à mon oncle de m’inscrire dans une école privée. Je suis allé à l’école Bruyère et j’ai fait la 6ème et la 5ème, j’avais entre 17 et 18 ans. J’avais l’ambition à ce moment de poursuivre mes études en France et je me demandais comment faire pour y arriver. Je suis issu d’une famille de chefs. Mon père était chef de canton, c’est un promotionnaire de Ngalandou Diouf, il s’appelle Pierre Chimère. Son père s’appelle Yoro Diao dont il est le fils aîné, derrière 28 filles. Yoro Diao Boly Mbodji est en fait un historien, un égyptologue que presque tout le monde connaît au Sénégal.
Engagement dans l’Armée coloniale
Je ne pouvais donc pas avoir peur d’intégrer l’Armée. Mes cousins y sont allés et me chambraient en me disant «t’es un moins-que-rien» ; c’est ce qui m’a poussé à vouloir intégrer l’Armée. Le Conseil de décision m’a dit que j’étais trop faible et ne pouvais pas être militaire, lorsque je me suis présenté au recrutement. Je suis revenu l’année suivante et la même chose m’a encore été signifiée. Voulant coûte que coûte intégrer l’Armée, j’ai alors fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai été admis à l’hôpital de Saint-Louis. A ce moment, les infirmiers faisaient une formation de deux ans. Moi, j’ai opté pour la partie chirurgie et j’ai fait 3 ans avec un brevet d’infirmier. Donc l’Armée aura forcément besoin de moi. Quand je suis venu en 1950 (pour le recrutement), je leur ai dit que voici mon diplôme et dès qu’ils l’ont vu, ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de mon profil. Ils m’ont sur le champ dit que je devrais aussi aller en Indochine. C’est comme ça que j’ai fait trois mois à Dakar-Bango, puis on m’a amené au Mali en début d’année 1951 pour parfaire mon service militaire et en fin d’année, j’ai été dirigé au détachement devant aller en Indochine. Je suis allé ainsi en France, où j’ai fait 6 mois, et en début d’année 1952, on a quitté la France pour l’Indochine. C’était une guerre de pacification, pas de domination, parce que l’Indochine était une colonie française.
Guerre en Indochine
En Indochine, j’étais au 2ème Bataillon du 24ème Régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais. Nous n’étions pas stationnaires, nous ne faisions que marcher. Où qu’on soit, on y reste juste un moment avant de progresser. Y’a eu le passage à la frontière de la Chine avec Tonkin, où qu’on soit, c’est pour des manœuvres. Quand il y a une sécurisation, si des rebelles, aidés par les Japonais et les Russes, attaquent un poste, nous allons au secours. Si c’est à 100 km, nous y allons. En 1953, c’était mon baptême du feu, notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour, et la moitié a été transportée par mon équipe de brancardage. Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes face à des rebelles qui étaient lourdement armés. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure. Le séjour en Indochine, c’était pour deux ans, mais beaucoup de mes camarades ont été blessés et d’autres morts. Le séjour était terminé, mais la guerre non. J’y suis donc resté jusqu’en 1955, 4 ans donc. On a pris le bateau de Saigon à Marseille. Je suis retourné au pays cette même année. Après un congé de cinq mois, je suis allé à Thiès, puis à Saint-Louis où on m’a informé que je devais aller en Algérie. C’est comme ça que je suis allé en Algérie en 1956, mais j’avais le grade de Sergent (décroché en 1953) à mon retour d’Indochine.
Passage de diplômes en pleine guerre
J’ai travaillé dur pour passer Officier, mais dans l’infanterie, avec une certification dans l’infanterie. J’ai été affecté à la frontière entre l’Algérie et le Maroc comme Sergent au 22ème Régiment d’infanterie coloniale (Ric). Je suis venu avec mes décorations d’Indochine et on n’était pas nombreux dans ce cas au niveau de la compagnie. Un chef m’a remarqué et m’a dit que dans mes papiers, il est marqué infirmerie, donc que je devais aller rejoindre les hôpitaux. Il m’a dit que je ne pouvais même pas démonter un fusil 36.
C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis venu à la capitale (Alger) au Centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le Certificat inter arme (Cia), B1 et B2 pour passer Officier. Je passais la nuit dans la salle pour étudier. C’est comme ça que je suis retourné à mon bataillon à la frontière, avec tous mes diplômes et disposant de toutes les connaissances de guerre et sur les armes. On a aussi perdu beaucoup de camarades. En partant en Algérie, on nous disait que ce n’était pas une guerre, mais une opération de maintien de l’ordre. Toutes les guerres se valent. Pendant la guerre d’Indochine, les militaires qui se battaient contre nous étaient lourdement armés. Le Jom sénégalais nous a maintenus dans nos actions. Chaque fois que c’était compliqué, on pensait toujours aux tirailleurs sénégalais qui ont un comportement exemplaire au combat comme en dehors du combat. C’est pourquoi on a eu beaucoup de morts et de blessés. On se battait pour la France, mais aussi pour faire honneur à notre pays, le Sénégal. On n’a pas de pension de l’Armée française ; j’y ai fait 9 ans, car je n’ai pas continué, parce que mon pays avait besoin de moi. J’avais des possibilités pour être Officier dans l’Armée française, mais j’ai quitté pour l’Armée sénégalaise.
Armée sénégalaise
Je suis retourné au Sénégal en 1958, on m’a affecté à Thiès et nommé Sergent-chef en 1958-1959, la Fédération du Mali a été créée et ils ont demandé qui voulaient la rejoindre. La France a mis à la disposition de la Fédération, des délinquants récupérés de prison qu’on a mis dans l’Armée de la Fédération. Je me suis rendu chez l’adjoint de Modibo Keïta et lui ai dit que tous les soldats qui ont été envoyés sont des délinquants qui viennent de prison. Modibo l’a dit à Senghor, précisant que c’est un certain Yoro Diao qui le lui a dit, et ils ont tous été renvoyés. Ma première médaille, je l’ai reçue d’ailleurs de Senghor en 1964. A l’éclatement de la Fédération, on a dit que ceux qui veulent retourner en France peuvent le faire. Je me suis porté volontaire pour servir la nouvelle Armée du Sénégal. Mes chefs dans l’Armée française ont voulu me retenir. Le Sénégal avait besoin de moi, donc je suis revenu dans l’Armée. Ceux qui sont restés dans l’Armée française gagnent plus de 2000 euros par mois (1 million 310 mille), moi j’ai touché 150 mille francs par mois. J’ai bien servi mon pays, je me suis sacrifié pour notre Armée. Je n’ai jamais demandé une pension d’invalidité et j’étais asthmatique. A ma retraite, une note venant de la France en 1986 nous est parvenue pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge. Des types qui se sont battus pour la France, vous leur dites «vous n’avez pas le droit d’avoir la nationalité française», c’est une honte.
Ce que j’ai fait pour la France, je ne l’ai pas fait pour le Sénégal, en considérant les guerres. C’est comme ça qu’on est partis en France. Nous avions l’obligation de rester 6 mois chaque année là-bas pour disposer de notre allocation minimum vieillesse de 950 euros (623 mille francs Cfa). On était obligés ainsi de faire des allers-retours en payant à chaque fois 1000 euros (655 mille F Cfa), en permanence. On menait une vie difficile en France. Vivre sans ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat auquel t’es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire les courses. On te donne une chambre avec chauffage, mais dehors le froid te tue.
Retour définitif au pays
Nous sommes heureux de rentrer, nous sommes 13, il y en a quatre qui ne sont pas venus. Les deux sont à Dakar et les deux autres en France. Je suis très heureux à mon âge d’être là ; comme ça, si je meurs, je serai entouré de ma famille. Dieu seul sait quand ce sera. C’est une joie indescriptible que d’être entouré de ses fils et petits-fils. Avant d’embarquer, le Président Macron nous a reçus. Il nous a dit : «Vous rentrez, mais n’oubliez pas que vous êtes Français. Œuvrez à raffermir les liens entre les deux pays. Quand vous êtes malades, revenez pour vous soigner, vous avez vos cartes et vous serez pris en charge. Ce départ, nous ne voudrions pas que ce soient des adieux, mais un simple au revoir pour que vous puissiez revenir assez souvent pour partager vos connaissances avec nos enfants.» Je lui ai dit : «Si vous continuez votre politique comme ça, vous allez perdre le Sénégal et ce sera un point très douloureux. C’est ce que je dirai aussi à Macky Sall.» Les manuels scolaires qui parlent des anciens combattants ne sont pas sortis en France, au Sénégal non plus. Ce devait être le cas depuis longtemps.
Il faut que les gens apprennent l’histoire des tirailleurs, ce qu’a été leur mission, ainsi de suite. Il y a eu des morts à Dardanelles en Turquie, des Sénégalais ont combattu à Dardanelles lors de la 1ère Guerre et beaucoup y ont trouvé la mort. Y’a à Verdun, ceux qui ont combattu lors de la bataille du Chemin des Dames, et dans d’autres champs de bataille en France.
Accueil à Diass
On a été très bien accueillis, il y avait la musique des Forces armées. C’est après qu’on a rencontré le Président. Je lui ai parlé de mon service, de ma démission de l’Armée française. Le Président Macky Sall a dit qu’il a entendu nos paroles et nous a félicités. Il a dit qu’il va veiller sur nous, afin que notre retour se passe dans les meilleures conditions. A la sortie, on a eu la couronne qui nous élève à l’Ordre de dignitaires de l’Etat, et la pendante en vert et un disque argent et or, c’est notre médaille nationale. Quand tu reviens avec des faits d’armes importants, on te célèbre. On nous a célébrés à notre arrivée. Il y a cependant une chose que l’on attend. A ma retraite, je ne gagnais pas beaucoup, donc c’était difficile de gérer les charges familiales alors que j’étais Adjudant-chef. Y’en a parmi les anciens combattants qui perçoivent moins de 50 mille francs. Cette situation doit être réglée. S’ils n’étaient pas allés en France, ils allaient mourir, et rien que la misère morale les aurait tués. On a perdu beaucoup de camarades à cause de la misère morale.
Prise en charge, un autre défi
Je crois que le Président est en train de se pencher sur le problème des anciens combattants. Lors de l’accueil, il a demandé au ministre des Forces armées de s’occuper de nous, de tous nos besoins. Depuis lors, on attend. On s’est rencontrés hier (l’entretien s’est déroulé samedi passé), nous ne sommes plus des bébés car le moins âgé d’entre nous à 90 ans. On a pris un rapporteur pour harmoniser nos positions et interpréter les choses clairement. Nous avons dit que ce qui nous intéresse, c’est notre installation au pays. Chacun a ses besoins et nous voulons les porter de vive voix au Président. Deuxièmement, notre prise en charge sanitaire, car les cartes que nous avons ramenées sont valables juste en France, et on voudrait que la prise en charge soit des meilleures, compte tenu de notre état de santé. On veut que le gouvernement nous délivre des cartes pour qu’on puisse aller dans les meilleures cliniques du pays, parce que nous avons des maladies qui ne sont pas contagieuses mais qui sont devenues des tares, qui donnent des invalidités, y en a parmi nous qui ont le diabète ou la dysenterie, et il faut donc une bonne prise en charge sanitaire compte tenu surtout de leur âge.
Nous sommes aussi tous prostatiques, d’ailleurs beaucoup d’anciens combattants sont morts avec l’ablation de la prostate. En France, il n’y a aucun problème pour ce genre d’opérations. Nous devons être questionnés sur nos besoins moraux et penser à nos autres frères anciens combattants qui sont dans l’embarras continuel. Donc nous avons écouté le président de la République, il a dit au ministre de nous prendre en charge. Nous sommes venus le 28 avril, le 3 mai, le Président ne nous a pas appelés, mais il nous a mis en rapport avec le ministre des Forces armées pour qu’il nous reçoive et nous écoute, et jusqu’au 12 mai, on n’a rien vu. C’est pourquoi on a dit qu’il fallait se lever. On lui (ministre des Forces armées) a dépêché un émissaire par le biais de son aide de camp et son chef de bureau et ils nous ont dit qu’ils vont nous écrire, mais rien jusque-là. Ce que nous voulons désormais, c’est une audience exceptionnelle avec le Président Macky Sall pour exposer nos problèmes et ceux de tous les anciens combattants. Certes nous avons besoin de rencontrer le ministre des Forces armées, mais nous avons plus besoin de rencontrer le président de la République.»
Enfance à Dagana
«Je porte le nom de mon grand-père et je suis né le 8 juillet 1928 à Dagana, où j’ai entamé mon cursus scolaire en 1935. A l’éclatement de la (2ème) Guerre mondiale en 1939, les instituteurs ont été mobilisés pour faire la guerre, c’étaient des Français. De 39 à 44, il n’y a pas ainsi eu d’études. Ça a redémarré avec le retour des instituteurs quand la guerre a commencé à finir. On était alors âgés de 15 ans et on devait faire l’entrée en 6ème. Après l’entrée en 6ème, j’ai été admis à l’Ecole des chemins de fer de Thiès pour suivre une formation comme ingénieur en chemin de fer. Quand j’y suis allé, l’école n’a pas marché et je suis allé à Saint Louis, où vivait mon oncle. J’ai alors demandé à mon oncle de m’inscrire dans une école privée. Je suis allé à l’école Bruyère et j’ai fait la 6ème et la 5ème, j’avais entre 17 et 18 ans. J’avais l’ambition à ce moment de poursuivre mes études en France et je me demandais comment faire pour y arriver. Je suis issu d’une famille de chefs. Mon père était chef de canton, c’est un promotionnaire de Ngalandou Diouf, il s’appelle Pierre Chimère. Son père s’appelle Yoro Diao dont il est le fils aîné, derrière 28 filles. Yoro Diao Boly Mbodji est en fait un historien, un égyptologue que presque tout le monde connaît au Sénégal.
Engagement dans l’Armée coloniale
Je ne pouvais donc pas avoir peur d’intégrer l’Armée. Mes cousins y sont allés et me chambraient en me disant «t’es un moins-que-rien» ; c’est ce qui m’a poussé à vouloir intégrer l’Armée. Le Conseil de décision m’a dit que j’étais trop faible et ne pouvais pas être militaire, lorsque je me suis présenté au recrutement. Je suis revenu l’année suivante et la même chose m’a encore été signifiée. Voulant coûte que coûte intégrer l’Armée, j’ai alors fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai été admis à l’hôpital de Saint-Louis. A ce moment, les infirmiers faisaient une formation de deux ans. Moi, j’ai opté pour la partie chirurgie et j’ai fait 3 ans avec un brevet d’infirmier. Donc l’Armée aura forcément besoin de moi. Quand je suis venu en 1950 (pour le recrutement), je leur ai dit que voici mon diplôme et dès qu’ils l’ont vu, ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de mon profil. Ils m’ont sur le champ dit que je devrais aussi aller en Indochine. C’est comme ça que j’ai fait trois mois à Dakar-Bango, puis on m’a amené au Mali en début d’année 1951 pour parfaire mon service militaire et en fin d’année, j’ai été dirigé au détachement devant aller en Indochine. Je suis allé ainsi en France, où j’ai fait 6 mois, et en début d’année 1952, on a quitté la France pour l’Indochine. C’était une guerre de pacification, pas de domination, parce que l’Indochine était une colonie française.
Guerre en Indochine
En Indochine, j’étais au 2ème Bataillon du 24ème Régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais. Nous n’étions pas stationnaires, nous ne faisions que marcher. Où qu’on soit, on y reste juste un moment avant de progresser. Y’a eu le passage à la frontière de la Chine avec Tonkin, où qu’on soit, c’est pour des manœuvres. Quand il y a une sécurisation, si des rebelles, aidés par les Japonais et les Russes, attaquent un poste, nous allons au secours. Si c’est à 100 km, nous y allons. En 1953, c’était mon baptême du feu, notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour, et la moitié a été transportée par mon équipe de brancardage. Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes face à des rebelles qui étaient lourdement armés. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure. Le séjour en Indochine, c’était pour deux ans, mais beaucoup de mes camarades ont été blessés et d’autres morts. Le séjour était terminé, mais la guerre non. J’y suis donc resté jusqu’en 1955, 4 ans donc. On a pris le bateau de Saigon à Marseille. Je suis retourné au pays cette même année. Après un congé de cinq mois, je suis allé à Thiès, puis à Saint-Louis où on m’a informé que je devais aller en Algérie. C’est comme ça que je suis allé en Algérie en 1956, mais j’avais le grade de Sergent (décroché en 1953) à mon retour d’Indochine.
Passage de diplômes en pleine guerre
J’ai travaillé dur pour passer Officier, mais dans l’infanterie, avec une certification dans l’infanterie. J’ai été affecté à la frontière entre l’Algérie et le Maroc comme Sergent au 22ème Régiment d’infanterie coloniale (Ric). Je suis venu avec mes décorations d’Indochine et on n’était pas nombreux dans ce cas au niveau de la compagnie. Un chef m’a remarqué et m’a dit que dans mes papiers, il est marqué infirmerie, donc que je devais aller rejoindre les hôpitaux. Il m’a dit que je ne pouvais même pas démonter un fusil 36.
C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis venu à la capitale (Alger) au Centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le Certificat inter arme (Cia), B1 et B2 pour passer Officier. Je passais la nuit dans la salle pour étudier. C’est comme ça que je suis retourné à mon bataillon à la frontière, avec tous mes diplômes et disposant de toutes les connaissances de guerre et sur les armes. On a aussi perdu beaucoup de camarades. En partant en Algérie, on nous disait que ce n’était pas une guerre, mais une opération de maintien de l’ordre. Toutes les guerres se valent. Pendant la guerre d’Indochine, les militaires qui se battaient contre nous étaient lourdement armés. Le Jom sénégalais nous a maintenus dans nos actions. Chaque fois que c’était compliqué, on pensait toujours aux tirailleurs sénégalais qui ont un comportement exemplaire au combat comme en dehors du combat. C’est pourquoi on a eu beaucoup de morts et de blessés. On se battait pour la France, mais aussi pour faire honneur à notre pays, le Sénégal. On n’a pas de pension de l’Armée française ; j’y ai fait 9 ans, car je n’ai pas continué, parce que mon pays avait besoin de moi. J’avais des possibilités pour être Officier dans l’Armée française, mais j’ai quitté pour l’Armée sénégalaise.
Armée sénégalaise
Je suis retourné au Sénégal en 1958, on m’a affecté à Thiès et nommé Sergent-chef en 1958-1959, la Fédération du Mali a été créée et ils ont demandé qui voulaient la rejoindre. La France a mis à la disposition de la Fédération, des délinquants récupérés de prison qu’on a mis dans l’Armée de la Fédération. Je me suis rendu chez l’adjoint de Modibo Keïta et lui ai dit que tous les soldats qui ont été envoyés sont des délinquants qui viennent de prison. Modibo l’a dit à Senghor, précisant que c’est un certain Yoro Diao qui le lui a dit, et ils ont tous été renvoyés. Ma première médaille, je l’ai reçue d’ailleurs de Senghor en 1964. A l’éclatement de la Fédération, on a dit que ceux qui veulent retourner en France peuvent le faire. Je me suis porté volontaire pour servir la nouvelle Armée du Sénégal. Mes chefs dans l’Armée française ont voulu me retenir. Le Sénégal avait besoin de moi, donc je suis revenu dans l’Armée. Ceux qui sont restés dans l’Armée française gagnent plus de 2000 euros par mois (1 million 310 mille), moi j’ai touché 150 mille francs par mois. J’ai bien servi mon pays, je me suis sacrifié pour notre Armée. Je n’ai jamais demandé une pension d’invalidité et j’étais asthmatique. A ma retraite, une note venant de la France en 1986 nous est parvenue pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge. Des types qui se sont battus pour la France, vous leur dites «vous n’avez pas le droit d’avoir la nationalité française», c’est une honte.
Ce que j’ai fait pour la France, je ne l’ai pas fait pour le Sénégal, en considérant les guerres. C’est comme ça qu’on est partis en France. Nous avions l’obligation de rester 6 mois chaque année là-bas pour disposer de notre allocation minimum vieillesse de 950 euros (623 mille francs Cfa). On était obligés ainsi de faire des allers-retours en payant à chaque fois 1000 euros (655 mille F Cfa), en permanence. On menait une vie difficile en France. Vivre sans ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat auquel t’es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire les courses. On te donne une chambre avec chauffage, mais dehors le froid te tue.
Retour définitif au pays
Nous sommes heureux de rentrer, nous sommes 13, il y en a quatre qui ne sont pas venus. Les deux sont à Dakar et les deux autres en France. Je suis très heureux à mon âge d’être là ; comme ça, si je meurs, je serai entouré de ma famille. Dieu seul sait quand ce sera. C’est une joie indescriptible que d’être entouré de ses fils et petits-fils. Avant d’embarquer, le Président Macron nous a reçus. Il nous a dit : «Vous rentrez, mais n’oubliez pas que vous êtes Français. Œuvrez à raffermir les liens entre les deux pays. Quand vous êtes malades, revenez pour vous soigner, vous avez vos cartes et vous serez pris en charge. Ce départ, nous ne voudrions pas que ce soient des adieux, mais un simple au revoir pour que vous puissiez revenir assez souvent pour partager vos connaissances avec nos enfants.» Je lui ai dit : «Si vous continuez votre politique comme ça, vous allez perdre le Sénégal et ce sera un point très douloureux. C’est ce que je dirai aussi à Macky Sall.» Les manuels scolaires qui parlent des anciens combattants ne sont pas sortis en France, au Sénégal non plus. Ce devait être le cas depuis longtemps.
Il faut que les gens apprennent l’histoire des tirailleurs, ce qu’a été leur mission, ainsi de suite. Il y a eu des morts à Dardanelles en Turquie, des Sénégalais ont combattu à Dardanelles lors de la 1ère Guerre et beaucoup y ont trouvé la mort. Y’a à Verdun, ceux qui ont combattu lors de la bataille du Chemin des Dames, et dans d’autres champs de bataille en France.
Accueil à Diass
On a été très bien accueillis, il y avait la musique des Forces armées. C’est après qu’on a rencontré le Président. Je lui ai parlé de mon service, de ma démission de l’Armée française. Le Président Macky Sall a dit qu’il a entendu nos paroles et nous a félicités. Il a dit qu’il va veiller sur nous, afin que notre retour se passe dans les meilleures conditions. A la sortie, on a eu la couronne qui nous élève à l’Ordre de dignitaires de l’Etat, et la pendante en vert et un disque argent et or, c’est notre médaille nationale. Quand tu reviens avec des faits d’armes importants, on te célèbre. On nous a célébrés à notre arrivée. Il y a cependant une chose que l’on attend. A ma retraite, je ne gagnais pas beaucoup, donc c’était difficile de gérer les charges familiales alors que j’étais Adjudant-chef. Y’en a parmi les anciens combattants qui perçoivent moins de 50 mille francs. Cette situation doit être réglée. S’ils n’étaient pas allés en France, ils allaient mourir, et rien que la misère morale les aurait tués. On a perdu beaucoup de camarades à cause de la misère morale.
Prise en charge, un autre défi
Je crois que le Président est en train de se pencher sur le problème des anciens combattants. Lors de l’accueil, il a demandé au ministre des Forces armées de s’occuper de nous, de tous nos besoins. Depuis lors, on attend. On s’est rencontrés hier (l’entretien s’est déroulé samedi passé), nous ne sommes plus des bébés car le moins âgé d’entre nous à 90 ans. On a pris un rapporteur pour harmoniser nos positions et interpréter les choses clairement. Nous avons dit que ce qui nous intéresse, c’est notre installation au pays. Chacun a ses besoins et nous voulons les porter de vive voix au Président. Deuxièmement, notre prise en charge sanitaire, car les cartes que nous avons ramenées sont valables juste en France, et on voudrait que la prise en charge soit des meilleures, compte tenu de notre état de santé. On veut que le gouvernement nous délivre des cartes pour qu’on puisse aller dans les meilleures cliniques du pays, parce que nous avons des maladies qui ne sont pas contagieuses mais qui sont devenues des tares, qui donnent des invalidités, y en a parmi nous qui ont le diabète ou la dysenterie, et il faut donc une bonne prise en charge sanitaire compte tenu surtout de leur âge.
Nous sommes aussi tous prostatiques, d’ailleurs beaucoup d’anciens combattants sont morts avec l’ablation de la prostate. En France, il n’y a aucun problème pour ce genre d’opérations. Nous devons être questionnés sur nos besoins moraux et penser à nos autres frères anciens combattants qui sont dans l’embarras continuel. Donc nous avons écouté le président de la République, il a dit au ministre de nous prendre en charge. Nous sommes venus le 28 avril, le 3 mai, le Président ne nous a pas appelés, mais il nous a mis en rapport avec le ministre des Forces armées pour qu’il nous reçoive et nous écoute, et jusqu’au 12 mai, on n’a rien vu. C’est pourquoi on a dit qu’il fallait se lever. On lui (ministre des Forces armées) a dépêché un émissaire par le biais de son aide de camp et son chef de bureau et ils nous ont dit qu’ils vont nous écrire, mais rien jusque-là. Ce que nous voulons désormais, c’est une audience exceptionnelle avec le Président Macky Sall pour exposer nos problèmes et ceux de tous les anciens combattants. Certes nous avons besoin de rencontrer le ministre des Forces armées, mais nous avons plus besoin de rencontrer le président de la République.»
Ils ont donné leur énergie au combat sous les couleurs de l’armée française et ont, en retour, peiné à acquérir les droits inhérents à leur statut. Eux, ce sont les derniers tirailleurs sénégalais en vie qui ont remporté une dernière bataille avec la suppression de la résidence alternée qui les obligeait à rester au moins la moitié de l’année en France pour ne pas perdre l’allocation minimum vieillesse.
la faveur d’une dérogation spéciale de l’État français, arrachée suite à une longue lutte, ces vétérans de guerre ont désormais la latitude de rester auprès de leur famille en recevant l’intégralité de leur allocation vieillesse de 950 euros par mois.
Neuf sur la vingtaine encore en vie ont ainsi quitté les modestes résidences sociales de Bondy, dans la banlieue Nord-Est de Paris, pour venir s’installer pour de bon au pays. « Heureux à mon âge d’être là... comme ça si je meurs ce sera entouré de ma famille ; Dieu seul sait ce sera quand », s’est enthousiasmé Yoro Diao, rencontré au domicile d’un de ses neveux, à Kounoune dans le département de Rufisque (30 km de Dakar).
« On menait une vie difficile en France. Vivre sans sa femme, ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat dans lequel tu es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire des courses. On te donne une chambre avec chauffage mais dehors le froid te tue », a poursuivi le vétéran de 95 ans ayant participé aux guerres en Indochine et en Algérie.
« Nous sommes heureux de rentrer chez nous et de voir nos fils et nos petits-fils. Désormais nous n’aurons plus l’obligation de faire des navettes entre la France et le Sénégal et c’est très important », confie de son côté Ousmane Sagna, enchanté de vivre ses derniers jours dans son Kolda natal (Sud du pays).
Engagement dans l’armée
Né en 1931, Ousmane Sagna a été séduit par les séances de levée de couleurs et s’est, dès son plus jeune âge, vu en homme de tenue. « En route pour l’école, je voyais les gardes de la résidence de l’administrateur colonial qui faisaient monter les drapeaux. Je restais là et je voyais comment ils faisaient avec leurs tenues. Ça m’a plu et j’ai dit que quand je serais grand il faut que je fasse l’armée », se rappelle-t-il.
La guerre d’Indochine qui a éclaté des années plus tard et pour laquelle l’armée coloniale française a fait appel aux autochtones pour s’engager a été une occasion rêvée pour l’adolescent d’alors de réaliser son rêve. « Je me suis alors porté volontaire pour aller en Indochin e », a-t-il dit, rappelant que malgré son enrôlement en 1953, il n’a finalement pas été de la campagne dans ce pays asiatique.
Tout le contraire de Diao qui y a étalé ses faits d’armes. « En Indochine j’étais au 2ème bataillon du 24ème régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais », a avancé le nonagénaire ayant intégré l’armée en 1950.
Issu d’une famille de militaires, il n’a eu donc qu’à suivre cette tradition familiale en intégrant les rangs. Recalé à ses deux premières tentatives au niveau de la commission d’enrôlement basée à Saint Louis (Nord), Diao s’est payé une parade impeccable pour franchir le mur que représentait sa petite corpulence.
« J’ai fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai fait 3 ans pour décrocher un brevet d’infirmier partie chirurgie. Donc quand je suis revenu en 1950 armé de mon parchemin, j’ai été engagé sur le champ », se remémore-t-il, notant que son voyage pour l’Indochine intervenu en 1952 était acté dès ce jour.
Le vétéran n’a pas manqué d’évoquer des souvenirs de cette campagne lors de laquelle il a perdu plusieurs de ses camarades. Le plus vivace dans sa tête étant assurément la première opération vécue dans la fournaise d’Indochine.
« En 1953 j’ai eu le baptême de feu ou notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour et la moitié a été transportée par mon équipe », a expliqué l’infirmier militaire qui dirigeait une équipe de brancardage à l’occasion.
« Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure », indique le militaire revenu en 1955 d’Indochine avec le grade de sergent.
« Opération de maintien de l’ordre »
En Algérie, ça a été tout aussi éprouvant pour les tirailleurs sénégalais. « On nous disait que ce n’était pas une guerre mais une opération de maintien de l’ordre », se souvient Ousmane Sagna qui a foulé le sol algérien le 25 mars 1956 avec ses camarades du 3e bataillon du 22e régiment d’infanterie coloniale (RIC), à la frontière algéro- marocaine.
« Vous êtes des musulmans et vous venez combattre vos frères musulmans nous disaient les Algériens », se rappelle Sagna. « Nous sommes un pays colonisé comme vous l’êtes. C’est la France qui a décidé de nous envoyer ici on n’y peut rien », répondaient les tirailleurs sénégalais.
« A ma première opération on a perdu trois de nos camarades ; on était tombé dans une embuscade », raconte encore le soldat ayant fait un stage de six mois à Alger, décrochant un certificat d’aptitude technique afin de participer aux combats, n’ayant pas fait le service militaire.
Même malade, il n’était pas question de répit et Sagna a vécu l’expérience. « Il m’arrivait quand on partait en opération que je sois malade avec des maux de ventre atroces. J’étais obligé de quitter les rangs à chaque instant pour aller aux selles », dit-il évoquant une dysenterie amibienne contractée en Algérie.
Infirmier en Indochine, l’insatiable Yoro Diao part en Algérie l’année suivante avec la soif de se faire une place dans l’armée coloniale. « C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis allé à la capitale (Alger), au centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le certificat inter arme (Cia), le B1 et le B2 pour passer officier. J’ai travaillé dur pour passer officier mais dans l’infanterie », note-t-il, affirmant s’en être sorti des deux guerres sans aucune blessure.
« C’est de la baraka », lance l’homme aux nombreuses croix de guerre et étoiles accrochées à son boubou blanc. « Que de camarades perdus hélas », regrette-t-il toutefois
« Ceux qui ont fait 14-18 ne sont plus là, c’est presque le cas pour ceux de 39-45 et parmi nous, peu sont encore en vie. C’est un devoir que la vraie histoire des tirailleurs soit enseignée aux nouvelles générations. Les manuels scolaires ne les évoquent même pas et ceci est à corriger », dit-il.
La réhabilitation, le long combat hors des tranchées
A l’accession à l’indépendance du Sénégal, Diao a répondu à l’appel de sa patrie après 9 années passées sous les couleurs de l’armée française, à l’instar de la plupart de ses camarades.
« Notre chef de compagnie voulait que je reste car disait-il j’étais un bon élément mais j’ai préféré rentrer pour servir mon pays », note-t-il. Un choix qui l’a acculé à un traitement différent de celui réservé aux militaires français aux côtés desquels ils a été au front.
Une loi votée en 1959 au Parlement français sous l’appellation de cristallisation a bloqué les montants des pensions, retraites et allocations aux anciens combattants issus des colonies à des seuils inférieurs. La décristallisation n’étant intervenue qu’en 2007.
« On a été au front ensemble et les militaires français n’ont pas été plus braves ou courageux que nous », assène-t-il.
Le combat porté par les vétérans est appuyé par des organisations et personnalités dont la plus en vue est Aissata Seck, femme politique française et présidente de l’association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais créée en 2008.
« En 2016 j’ai lancé une pétition pour que ces anciens qui avaient fait la demande de nationalité française puissent l’obtenir. Jusque-là, ils étaient confrontés à un certain nombre de démarches administratives complexes comme par exemple fournir l’acte de naissance des parents alors qu’on sait que dans ces pays d’origine, il n’existait pas », a ainsi rappelé la conseillère régionale d’Ile de France dans une déclaration à Francetvinfo. Une pétition ayant récolté plus de 60 mille signatures.
« C’est au milieu des années 80 qu’une note est venue de France pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge », explique Diao qui est retourné en France en 2005 avant qu’il ne soit finalement naturalisé en 2017 comme ses autres camarades.
« L’Etat français n’a pas voulu respecter ses engagements consistant à amener à notre chevet en France nos familles respectives restées au pays comme promis lorsqu’on a été naturalisés », regrette Sagna de son côté.
« On t’exige de rester 6 mois en France et si tu pars au Sénégal, en dépassant un seul jour, on défalque sur ton allocation vieillesse », note Diao, se réjouissant du soutien immense dont ils ont fait l’objet pour cette belle victoire qu’est la levée de la résidence alternée obligée, ultime étape du combat des tirailleurs en vie âgés entre 88 et 95 ans.
« Mieux vaut tard que jamais », s’est réjoui Aissata Seck, femme dont l’engagement sur ce dossier laisse entrevoir un crépuscule calme et chaleureux aux vétérans qui ne demandaient qu’un traitement à hauteur de leur engagement ; un droit assurément.
Tirailleurs, le film de l’intouchable Omar Sy crève les écrans. Il pose le problème central de ce qu’est la Mémoire par rapport à l’Histoire.
La Mémoire, c’est l’Histoire triée au temps présent. Et ce tri dépend de celui qui trie. Dès lors, comment a évolué le temps présent pour la mise en lumière des tirailleurs de nos armées françaises ?
En 1996, il y a 27 ans, dans un colloque consacré aux troupes coloniales dans la Grande Guerre, j’ai présenté les monuments en hommage aux combattants de la Grande France.
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Tirailleurs, le film de l’intouchable Omar Sy crève les écrans. Il pose le problème central de ce qu’est la Mémoire par rapport à l’Histoire.
La Mémoire, c’est l’Histoire triée au temps présent. Et ce tri dépend de celui qui trie. Dès lors, comment a évolué le temps présent pour la mise en lumière des tirailleurs de nos armées françaises ?
En 1996, il y a 27 ans, dans un colloque consacré aux troupes coloniales dans la Grande Guerre, j’ai présenté les monuments en hommage aux combattants de la Grande France.
Ces monuments sont la parfaite illustration de la mémoire, c’est-à-dire de l’Histoire triée au temps présent. De 1918 à 1950 ces monuments, rares, traduisent d’abord la volonté d’assimilation des troupes coloniales dans une mémoire régimentaire que corrige à la marge une reconnaissance identitaire à travers, en particulier, les symboliques funéraires.
De 1950 à 1975 les monuments vont refléter les tentatives de sauvegarde et de rupture de la décolonisation. Tentatives de sauvegarde de l’empire en particulier avec l’inhumation au Mont Valérien d’un tiers de héros coloniaux sur les 17 combattants inhumés. Tentative de sauvegarde également à travers le transfert de Félix Eboué au Panthéon. Tentative de rupture avec la matérialisation du souvenir des tirailleurs massacrés en 1940 par les armées allemandes sur le territoire français.
De 1975 à 2000, la rupture est consommée. Les tirailleurs ne sont plus que les dernières buttes témoins d’un temps où les nations africaines deviennent fières de leur indépendance. C’est le temps de la cristallisation des pensions (voulue, on l’oublie trop souvent, par les gouvernements africains eux-mêmes); c’est le temps du regroupement des tombes des « Morts pour la France » « Chrétiens » dans les Pays d’Afrique du Nord (et de l’abandon des tombes musulmanes et animistes); c’est le temps de la nostalgie, portée en particulier par les rapatriés concernant l’armée d’Afrique.
Et puis est venu le temps des films Indigènes et Tirailleurs, celui de la repentance, du surdimensionnement du rôle des tirailleurs et de la dénonciation de la colonisation.
C’est le temps du présent.
Au Souvenir Français, plus qu’en toute autre association, nous avons l’impérieux devoir de sauvegarder la mémoire des tirailleurs des armées françaises. Toute leur mémoire. Mais nous avons aussi l’impérieux devoir de respecter l’Histoire.
Les tirailleurs dits ‘sénégalais’ sont des soldats africains reconnaissables à leur chéchia rougeDepuis la sortie du film "Tirailleurs" de Mathieu Vadepied en janvier 2023 porté à l’écran par Omar Sy et Alassane Diong, on parle beaucoup des tirailleurs sénégalais.
L’histoire de ces soldats africains envoyés au front pour combattre l’ennemi n’est pas méconnue mais peu racontée.
"Je n’ai pas d’explications, je ne sais pas pourquoi ni pour quelles raisons on ignore encore cette partie de l’Histoire, je sais juste qu’on n’en entend pas souvent parler. Mais je me dis qu’on perd du temps à se demander pourquoi, et qu’il est primordial aujourd’hui de la raconter, c’est tout. On a fait ce film pour cela", a souligné dans un entretien Omar Sy, acteur et coproducteur du film.
Si "Tirailleurs" est une fiction qui se déroule en 1917, l’histoire de ces hommes est bien réelle.
Les tirailleurs sénégalais ont également été mobilisés dans des conflits qui ont opposé la France à ses colonies en Indochine, en Algérie, à Madagascar.
CRÉDIT PHOTO,MICHEL LAURENT/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES
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Dans plusieurs poèmes, l'écrivain et homme politique Léopold Sédar Senghor évoque les tombes fleuries de soldats inconnus, des "Tirailleurs à la peau noire"
Dans l’un de ses poèmes dédiés aux tirailleurs sénégalais, Léopold Sédar Senghor évoque les tombes fleuries de soldats inconnus de "Tirailleurs à la peau noire".
"Cette histoire de tirailleurs m’importe dans la mesure où je n’aurais pas voulu que mon père soit une personne anonyme dans un cimetière", précise le professeur d’histoire qui réside en France.
CRÉDIT PHOTO,GASPARD MBAYE
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Enrôlé très jeune dans l’armée coloniale, Louis Antoine Mbaye a fait la guerre d’Indochine entre 1950 et 1953
"De cette guerre, il [mon père] n’en a jamais parlé. Tous les éléments que j’ai pu tirer proviennent de son carnet militaire", confie-t-il.
Gaspard Mbaye estime que "Tirailleurs est un outil pédagogique pour comprendre une histoire complexe".
Le film interroge le rapport de la France à ses anciennes colonies.
"L’enjeu du film était de "rendre hommage aux tirailleurs sénégalais et plus largement, à tous les hommes issus des ex-colonies françaises qui ont combattu, sans avoir eu la reconnaissance de leur sacrifice", a déclaré le réalisateur dans un entretien en amont de la sortie du film.
"A tous les hommes issus des ex-colonies françaises qui ont combattu, sans avoir eu la reconnaissance de leur sacrifice".
Le film nous ramène à une période sombre de l’Histoire.
Il nous replonge dans une époque pendant laquelle l’Afrique est colonisée, une époque où des hommes sont enrôlés de force dans l’enfer des tranchées et une époque qui impose un si grand sacrifice à ces soldats noirs venus des anciennes colonies. C’est une histoire collective et universelle.
Le fil narratif du film repose sur l’épopée à la fois historique et intimiste d’un Sénégalais nommé Bakary Diallo. Ce personnage qui s’exprime en langue peule s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre son fils de 17 ans, recruté de force.
Dans "Tirailleurs", Omar Sy incarne Bakary Diallo, enrôlé dans l’armée française pour rejoindre son fils de 17 ans, recruté de force.
Nous sommes en France, en 1917, alors que la 1ère guerre mondiale fait rage.
En trame de fond, les tranchées, la mort à bout de bras.
Mais alors comment ces hommes, des Africains, ont-ils été projetés dans la Grande Guerre, une guerre entre puissances européennes ? Comment ont-ils été recrutés ?
Trois soldats africains d'une unité du Bataillon Tirailleurs Sénégalais de l'Infanterie Coloniale de l'armée française avec leurs fusils en1915
Le premier bataillon de tirailleurs a été créé en 1857.
Le corps des tirailleurs sénégalais a joué un rôle majeur dans la constitution de l’Empire colonial français.
Le film Tirailleurs revient sur le destin de ces hommes venus d’Afrique combattre pour la France notamment lors de la première guerre mondiale.
Ces fameux tirailleurs dits ‘sénégalais’ sont des soldats africains reconnaissables à leur chéchia rouge ‘recrutés’ plus ou moins de force pour soutenir l’effort de guerre et renforcer les régiments de France métropolitaine qui subissent de lourdes pertes.
On estime que près de 200 000 tirailleurs sont montés au front, 30 000 seraient morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre, et nombreux sont revenus blessés ou invalides.
Ils étaient Sénégalais, Guinéens, Maliens, Burkinabés, Ivoiriens, Mauritaniens et bien d’autres encore.
À la fin de la guerre, beaucoup espéraient qu’ils seraient compensés et récompensés pour leur service.
L’histoire en a voulu autrement.
CRÉDIT PHOTO,ARCHIVES/AFP VIA GETTY IMAGES
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Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’armée française a de nouveau fait appel aux tirailleurs sénégalais pour défendre le territoire français.
Le principe d'égalité
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que "la loi doit être la même pour tous".
Le principe d'égalité n’a pourtant pas été appliqué aux tirailleurs sénégalais, ces anciens combattants, titulaires de pensions militaires et ressortissants de pays autrefois sous souveraineté française – c’est-à-dire Français au moment des combats.
Malgré leur engagement dans l’armée française, malgré les combats menés et les traumatismes causés, les tirailleurs n’ont pas été traités comme leurs frères d’armes. Ils ont dû faire face à des inégalités de traitement et souffrent encore aujourd’hui d’un manque de reconnaissance.
Ces inégalités dénoncées depuis tant d’années par les familles et les associations d’anciens militaires sont vécues comme une discrimination et accroissent le sentiment d’injustice.
Il faudra attendre 2010 pour qu’une décision du Conseil Constitutionnel censure partiellement des dispositions relatives aux pensions des anciens soldats des ex-colonies afin que celles-ci soient identiques pour les bénéficiaires français et étrangers résidant dans le même pays.
CRÉDIT PHOTO,GASPARD MBAYE
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Le mémorial du tirailleur de Menton en hommage aux tirailleurs morts et inhumés dans les fosses communes du cimetière de cette ville du sud de la France
Cette décision coïncidait avec la sortie du film "Indigènes" de Rachid Bouchareb.
La sortie du film Tirailleurs il y a quelques semaines a également été marquée par un geste symbolique. Le Ministère français des Solidarités a annoncé que les derniers tirailleurs sénégalais pourront désormais rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant de toucher le minimum vieillesse.
Cette mesure ‘trop politique’ pour certains, ‘trop tardive’ pour d’autres, ne concerne qu’une poignée de dossiers, des hommes de plus de 90 ans qui devaient obligatoirement passer à minima six mois en France pour percevoir leur allocation de 950 euros.
Gaspard Mbaye considère pour sa part que "c’est une bonne chose" pour les personnes et les familles concernées, "même s’il y a beaucoup de retard à cette reconnaissance financière".
Les régiments de tirailleurs sénégalais ont été définitivement supprimés entre 1960 et 1962 mais le travail de reconnaissance est généralement un travail de longue haleine.
CRÉDIT PHOTO,GASPARD MBAYE
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L'AMTS a répertorié quelque 1137 tirailleurs inhumés dans les fosses communes du cimetière du Trabuquet, à Menton, dans le sud de la France
Une démarche historique
L'Association Mémoire du Tirailleur Sénégalais (A.M.T.S) a été créé en 2008 "pour rendre honneur et sortir de l’anonymat plusieurs centaines de tirailleurs inhumés dans les fosses communes du cimetière du Trabuquet à Menton", explique Mr Mbaye.
Menton est une ville située à l'extrême sud-est de la France, a une trentaine de kilomètres de Nice.
Au cours de la Première Guerre mondiale, plusieurs milliers de tirailleurs sénégalais, entre autres, sont passés par les hôtels de la ville de Menton transformés en hôpitaux militaires.
De nombreux tirailleurs s’y trouvaient en convalescence et beaucoup ont succombé aux blessures et maladies contractées au front.
"Menton concentre le plus grand nombre de tirailleurs inhumés sur la côte d’azur", constate Mr Mbaye.
CRÉDIT PHOTO,GASPARD MBAYE
Légende image,
Le travail de Gaspard Mbaye et de son équipe a contribué à la mise en oeuvre du memorial du tirailleur de Menton, inauguré le 12 novembre 2012
"S'il est vrai que le premier tirailleur, NKY Dembélé, mort à menton, le 11 décembre 1914, y fut inhumé avec les honneurs de la ville, il est par ailleurs triste de constater que c'est par centaines que les Tirailleurs, furent par la suite enfouis dans des fosses communes, sans aucune identification", indique-t-il sur le site de l’association.
"On ne reportait que le nom du dernier soldat inhumé alors que dans une même fosse, il y avait plusieurs corps, six ou sept parfois. Notre travail a été ‘d’exhumer’ tous ces noms à travers les archives pour sortir de l’anonymat ces personnes enterrées et de mettre sur des plaques nominatives tous les noms des tirailleurs sénégalais inhumés à Menton", continue-t-il.
"On est arrivé à un tirage définitif qui établit 1137 tirailleurs inhumés sur le site du Trabuquet".
"Aujourd’hui, on continue à maintenir la mémoire des tirailleurs
PARIS-MAGHREB. Tous les quinze jours, une histoire qui résonne d’un côté de la Méditerranée à l’autre. Cette semaine, à l’approche du Nouvel An berbère du 12 janvier, la question de l’identité amazigh. Occultée par les Etats du Maghreb fraîchement indépendants, elle a été ravivée, notamment en France, par un milieu militant très actif.
La scène, filmée au smartphone lors de la Coupe du Monde de football au Qatar, se passe quelques minutes avant le début du match Maroc-Croatie, le 23 novembre. Des supporters marocains sont bloqués par un agent de sécurité à l’entrée du stade Al-Bayt, à Al-Khor. La raison ? Le drapeau tricolore bleu, vert, jaune, frappé d’un sigle rouge, qu’ils ont en main. L’objet du délit est confisqué. L’incompréhension règne. L’agent, pas très sûr de lui, pense-t-il qu’il s’agit de la bannière arc-en-ciel LGBT + bannie des tribunes et des pelouses ?
« Mais c’est un drapeau amazigh ! Je le jure ! », proteste en arabe un des supporters. Ce jour-là, le drapeau a finalement été autorisé. Comme à chaque match que les Lions de l’Atlas ont disputé, cet étendard, emblème des populations berbères (ou amazighs) d’Afrique du Nord, a été déployé crânement dans le public. Des joueurs l’ont également porté à la fin des rencontres.
La sélection marocaine, qui a réalisé la prouesse historique de devenir la première équipe du continent africain à atteindre une demi-finale d’un Mondial, a été célébrée comme une nation africaine, arabe, mais aussi berbère. Elle a fait entrer dans les stades du petit émirat du Golfe et sur les écrans de la planète cette identité, longtemps occultée, mais présente au cœur du bassin méditerranéen depuis la plus haute Antiquité.
Le gardien remplaçant du Maroc Munir Mohamedi, le drapeau amazigh autour de la taille, avec son coéquipier Achraf Hakimi après leur victoire contre l’Espagne en huitièmes de finale du Mondial, sur la pelouse du stade Education City, à Al-Rayyan (Qatar), le 6 décembre 2022. (AYMAN AREF/NURPHOTO VIA AFP)
Loin des projecteurs, le drapeau amazigh qui porte en rouge la lettre Z de l’alphabet tifinagh (un trait vertical coupé de deux arcs inversés) est régulièrement exhibé dans les rues nord-africaines. On l’a vu en Algérie, lors du « hirak », le soulèvement populaire de 2019-2021, où l’agiter pouvait pourtant coûter la prison. En octobre 2016, il a été brandi au Maroc, dans le Rif, la principale région berbère,pendant les marches de protestation organisées après la mort d’un vendeur de poisson écrasé dans une benne à ordures. Les insurgés libyens l’ont eux aussi fait claquer au vent à bord des pick-up récupérés à l’armée de Mouammar Kadhafi, lors du « printemps arabe » de 2011.
Partout, les trois couleurs qui représentent la mer, les montagnes boisées et le désert des paysages d’Afrique du Nord ont été le symbole d’une résistance lourde de frustrations sociales. Une résistance plurimillénaire incarnée par des héros et des héroïnes tels que les souverains Massinissa, Jugurtha, La Kahina, la cheffe de guerre Lalla Fatma N’Soumer ou encore le chanteur kabyle Matoub Lounès. Une résistance souvent écrasée mais parfois triomphante.
L’histoire oubliée de Lalla Fatma N’Soumer, résistante kabyle à la colonisation en Algérie
Le 12 janvier, le Nouvel An berbère, Yennayer, sera célébré. Pour les Imazighen (« les hommes libres »), c’est l’occasion d’échanges de vœux (on se souhaite « Assegwas ameggaz ») et de réjouissances culinaires. Les plus attachés aux traditions s’adonnent à des rites mystérieux pour accueillir les bons esprits et se protéger du mauvais sort. Inscrit à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel depuis 2020, Yennayer est également fêté dans plusieurs villes en France sous l’impulsion de nombreuses associations franco-berbères.
Cette date correspond au premier jour du calendrier julien basé sur le cycle solaire, proche du cycle des saisons agricoles, utilisé dans la Rome antique.Cette célébration, qui marquera le passage à l’année 2973, est néanmoins une création récente. Elle sort de l’esprit d’un militant berbère qui, en 1984, cherchait un fait historique pour en faire le point zéro du calendrier berbère, un équivalent de la naissance du Christ pour les chrétiens ou de l’exil du prophète Mahomet vers Médine pour les musulmans. Le 12 janviercommémore donc l’accession au trône d’Egypte, vers 950 avant notre ère, du roi libyque Sheshonq Ier auquel on prête de vagues origines berbères. Ce général, parmi les plus puissant de l’Egypte pharaonique et dont le nom est gravé sur le Grand Sphinx du musée du Louvre, est le fondateur de la XXIIe dynastie qui régna deux siècles durant.
Panarabisme
Au-delà de l’aspect festif, cette célébration à caractère laïc est aussi l’occasion d’exprimer une forme de revendication identitaire qui passe par la culture, les traditions et la langue pour une trentaine de millions de berbérophones dans le monde. Obtenu après des décennies de lutte contre le pouvoir, le Nouvel An berbère est depuis 2018 une fête nationale chômée et payée en Algérie, qui compte 10 millions de berbérophones, environ un quart de la population. La majorité vit en Kabylie, à l’est de la capitale Alger. Au Maroc, où plus de la moitié de la population revendique un héritage amazigh, de nombreuses voix réclament de rendre férié ce jour du Nouvel An dans le royaume – ceux des calendriers musulman et grégorien le sont déjà.
Les Berbères, qui occupaient jadis un vaste territoire allant de la vallée du Nil aux îles Canaries, ont une place à part au Maghreb. Minoritaires et longtemps marginalisées, ces populations originelles ont été soumises à la domination depuis la nuit des temps, de Carthage et Rome jusqu’à la colonisation française en passant par la conquête arabe du VIIe siècle et l’Empire ottoman. Au prix d’une lutte constante, et malgré l’arabisation progressive de l’Afrique du Nord, leur culture, transmise oralement, a survécu à travers les siècles.
Célébrations du Nouvel An berbère à Ath Mendes, dans la région de Tizi-Ouzou, à l’est d’Alger, le 12 janvier 2018. (RYAD KRAMDI / AFP)
Paradoxalement, les décolonisations n’ont pas favorisé l’émergence de la spécificité berbère. Elles ont marqué, au contraire, son effacement du champ social et culturel. Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les pays nord-africains ont demandé l’aide des nations du Moyen-Orient contre le colonialisme français et enterré les aspirations de pluralisme linguistique. « Le prix à payer exigé par l’Egypte et la Ligue arabe pour les assister politiquement, idéologiquement et militairement a consisté à ce qu’ils se placent sous la bannière du nationalisme arabe », écrit Pierre Vermeren, historien spécialiste du Maghreb, dans l’ouvrage collectif qu’il a dirigé « Comment peut-on être Berbère ? Amnésie, renaissance, soulèvements » (Editions Riveneuve, 2022).
D’autre part, les dirigeants nationalistes des nouveaux Etats ont adopté la conception jacobine de l’unité nationale telle qu’elle a été élaborée en Europe. L’Algérie indépendante en 1962 ne reconnaît ainsi que l’identité arabo-islamique et fait de l’arabe la seule langue nationale et officielle. « Nous sommes des Arabes, des Arabes, 10 millions d’Arabes. […] Il n’y a d’avenir pour ce pays que dans l’arabisme », avait clamé dans sa première allocution publique en 1963 Ahmed Ben Bella, le jeune président de la République algérienne.
La pluralité ethnique et la diversité linguistique sont alors considérées comme des facteurs de division qui menacent l’unité de la nation dont la construction devait reposer sur le socle arabo-islamique. Toute référence à la berbérité était tenue pour un instrument de déstabilisationau service de l’étranger et du néocolonialisme. Certains iront même jusqu’à affirmer que la « question berbère » n’est qu’une fabrication du colonialisme. Aux yeux de certains nationalistes, les berbérophones deviennent très vite illégitimes, suspects, voire considérés comme d’anciens auxiliaires des colons. Un système autoritaire panarabe s’instaureautour d’Ahmed Ben Bella, puis de son successeur Houari Boumediene (1965-1978), contesté par de rares partisansd’un Etat démocratique garant du pluralisme politique, culturel et linguistique, telHocine Aït Ahmed, l’un des chefs historiques de l’indépendance (décédé en 2015). Les pouvoirs successifs vont amplifier l’arabisation et produire, notamment par le biais de l’école, une forme d’exclusion des minorités berbères installées dans les zones les plus périphériques. Tout comme le colonisateur français avant lui, l’Etat délaisse ces territoires en matière d’infrastructures, d’éducation et de santé.
Cette arabisation, analyse Pierre Vermeren, a de plus été « amplifiée dans les années 1970 par la “réislamisation” des habitants d’Afrique du Nord, soutenue et financée par les fondamentalistes à la tête des monarchies du Golfe, soudainement enrichies par le pétrole, et par un salafisme devenu endogène dans ces sociétés, à rebours de leurs propres traditions religieuses ».
« Printemps noir »
Il faudra de nombreuses manifestations et grèves générales en Kabylie, et notamment le « printemps berbère » en avril 1980 qui aura des échos au Maroc, pour qu’un Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) soit créé en 1995. Puis la violente répression militaire du « printemps noir » en Kabylie qui fit 126 morts en 2001, pour que le berbère (et ses variants, tels le kabyle de Kabylie, le chaoui des Aurès ou le mozabite du M’zab) soit reconnu langue nationale en 2002, puis langue officielle au même titre que l’arabe en 2016.
A la suite de ces événements, au Maroc, le roi Mohammed VI ouvre lui aussi en 2011 la voie à la reconnaissance de la langue berbère, ce que son père avait toujours refusé. L’alphabet tifinagh est désormais utilisé dans les documents administratifs, dans l’enseignement et sur les bâtiments publics, en plus de l’arabe et du français.
En Libye, où les Berbères sont évalués à environ 10 % de la population totale (originaires notamment des montagnes Nefoussa), il a fallu attendre la mort de Mouammar Kadhafi – dont l’idéologie panarabe assimilait, là encore, la revendication berbère à une conspiration d’agents du colonialisme –, pour que cette identité s’impose, après des décennies de persécutions visant à l’éradiquer. Ainsi, la langue berbère était prohibée, les parents avaient interdiction de donner un nom berbère à leurs enfants.Le simple fait de parler la langue ou de brandir le drapeau pouvait entraîner la torture, la prison ou l’exécution. C’est donc tout naturellement que lecombat pour la langue berbère va s’inscrire dans la lutte générale pour les libertés démocratiques. Il sera relancé par le « printemps arabe » de 2011 qui, en Libye, mais aussi en Tunisie, entrouvrira la porte à une prise de conscience politique et culturelle d’une identité refoulée.
Renouveau culturel en France
L’exclusion de la langue et de l’identité berbères qui a prévalu en Afrique du Nord a eu pour conséquence de déplacer les activités militantes et artistiques vers la France, où les Berbères sont présents depuis le début du XXe siècle. L’Hexagone devient un espace de contre-pouvoir et un terrain privilégié pour la libre expression identitaire et les actions culturelles. A la fin des années 1960, l’Académie berbère est fondée à Paris. Cette enceinte intellectuelle va poser des jalons pour réinventer l’identité berbère. C’est elle qui proposera de placer le début de l’ère amazigh à la date du premier roi berbère d’Egypte. Elle aussi qui créera le drapeau amazigh et réhabilitera le vieil alphabet tifinagh des Touaregs. En 1979, les Ateliers de la culture berbère dispensent des cours de langue pour les enfants de familles immigrées. « Cette action, conduite en exil à Paris, participe d’un renouveau identitaire et culturel capital pour la suite, au moment où l’étau des régimes autoritaires allait se desserrer », écrit l’historien Pierre Vermeren.
Les événements du « printemps » de 1980 susciteront également un intérêt dans le champ académique français. Le sociologue Pierre Bourdieu, professeur au Collège de France l’année suivante, qui fit ses premières enquêtes de terrain en Kabylie, fait entrer l’anthropologie berbère à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS), avec l’aidede son ami, Mouloud Mammeri, romancier et anthropologue. L’université Paris-VIII devient à son tour un foyerde ce renouveau culturel, en formant une nouvelle génération de linguistes. L’anthropologue algérienne Tassadit Yacine crée, avec le même Mouloud Mammeri, la revue universitaire « Awal » (« la parole ») en 1985. Des chanteurs, à l’instar d’Idir, porteront haut, eux aussi, leurs origines et feront connaître au monde la langue des Berbères.
Des journalistes de Berbère Radio Télévision (BRTV, aujourd’hui Berbère Télévision), dans les studios du média à Paris, le 29 juin 2001, quelques mois après son lancement. (MARTIN BUREAU/AFP)
Plus récemment, des places et des rues ont été inaugurées en hommage à des personnalités berbères. Ainsi la rue Lounès-Matoub dans le 19e arrondissement de Paris, du nom du chanteur kabyle assassiné par les intégristes algériens en 1998, ou la place Slimane-Azem (poète et chanteur kabyle), dans le 14e arrondissement de la capitale. L’arrivée en 2000 dans le paysage audiovisuel français de médias berbères, alors inexistants dans les pays d’origine, comme Berbère Radio Télévision (BRTV, renommée ensuite Berbère Télévision), donne une meilleure visibilité de cette diaspora. « Cette expression est plus que jamais active, au sein d’une immigration berbère nombreuse, jeune et résolue, fondée sur une sensibilité particulière à la valorisation de sa culture, dans cette langue berbère choisie en option par nombre de candidats au baccalauréat et nouvellement insérée dans le cadre des “langues de France” », écrivait l’ethnologue Camille Lacoste-Dujardin en 2006 dans un article (« Un effet du “postcolonial” : le renouveau de la culture kabyle. De la mise à profit de contradictions coloniales ») de la revue « Hérodote ».
Ces efforts pour sortir de l’invisibilisation ont porté leurs fruits jusque dans les hautes sphères de l’Etat. Preuve de l’intérêt suscité chez les responsables politiques, l’ancien président François Hollande donne une interview à Berbère Télévision en 2021. Nicolas Sarkozy, son prédécesseur à l’Elysée, s’était lui rendu en 2012 au Centre culturel berbère de Drancy (Seine-Saint-Denis). Selon le Centre de recherche berbère de l’Institut national des Langues et Civilisations orientales (Inalco), le nombre de berbérophones en France est estimé à environ 2 millions de personnes.
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