Le chef de guerre du Panchir, assassiné le 9 septembre 2001, a progressivement été repeint en Che Guevara afghan, francophile et admirateur de De Gaulle.
Ahmad Massoud, fils du légendaire commandant et qui rêve d’incarner aujourd’hui, à son tour, la résistance aux talibans, avait à peine 12 ans… Il n’a fallu que quelques heures, le dimanche 9 septembre 2001, pour que la rumeur se répande comme une traînée de poudre. Son père, Ahmed Chah Massoud, 48 ans, aurait été gravement blessé lors d’un attentat commis dans son fief du Panchir, au nord-est de l’Afghanistan. Les informations les plus contradictoires circulent.
Les ruines fumantes du World Trade Center
Son porte-parole Waisuddin Salik promet qu’il n’est que légèrement blessé, son frère comme son bras droit Yunes Qanouni le disent « vivant, blessé mais conscient », tandis que l’agence russe Itar-Tass ou le département d’État américain ne font plus de mystère sur sa mort, dans un hélicoptère en route vers un hôpital de Douchanbé, la capitale tadjike.
Jusqu’au vendredi suivant, l’entourage du commandant laissera planer l’incertitude, alors que le monde entier a les yeux tournés vers les ruines fumantes du World Trade Center, à New York, et que Washington désigne l’Afghanistan comme le sanctuaire abritant Oussama Ben Laden, commanditaire présumé des attentats du 11 Septembre. Les talibans contrôlent les deux tiers du territoire afghan et encerclent le Panchir, cette vallée de montagnes et de rivières d’où le commandant Massoud avait repoussé plusieurs offensives de l’armée soviétique et gagné ses galons de stratège.
Message à George W. Bush
Quelques mois avant sa mort dans l’explosion d’une ceinture bourrée de TNT portée par le faux cameraman Bouraoui El-Ouaer, un Tunisien résidant en Belgique, le chef de guerre afghan effectuait une tournée européenne à la recherche de soutiens financiers et militaires.
Au Parlement européen ou en France, il fait des déclarations prophétiques sur la menace représentée par al-Qaida et Oussama Ben Laden, prêts selon lui à attaquer l’Occident, États-Unis en tête. Lors d’une conférence de presse, le « lion du Panchir » s’adresse même directement au président états-unien : « Mon message à George W. Bush est le suivant : les problèmes auxquels nous faisons face seront bientôt ceux des Américains et du reste du monde. »
Comment racketter un empire entier, une grande puissance et lui soutirer d’énormes sommes d’argent avant de le faire fuir de la jungle indomptée ? Comme pour un personne : par le biais lent de ses croyances et mythes fondateurs. Aller dans le sens de ses désirs, les exciter, les rendre plausibles et réalisables, puis soutenir la conviction qu’il faut une petite participation à l’effort de la réalisation. Une participation de plus en plus grande, jusqu’à ce que le désir de lucidité soit impossible à envisager, douloureux et refusé par le pourvoyeur. On sait tous que l’espoir rend fou les joueurs addicts et les entraîne dans la surenchère contre l’abîme. Le lien à l’actualité ? En Afghanistan, les langues se délient sur la faramineuse facture financière pour “civiliser” un morceau de désert parsemé de mines et d’adversités : les journalistes arrondissent à 1 000 milliards de dollars en deux décennies. Une fable astronomique, un total composé de chiffres et de l’infini, une échelle entre galaxies. De quoi se payer un continent, une conquête de Mars, une invention contre la gravité ou même la semi-immortalité..., etc.
Mais quelles ont été les croyances de l’empire occidental qui l’ont mené au compromis avec la réalité lunaire de ce pays, à la faiblesse, puis au pari affolé et enfin au déni et à la débâcle ? En voici quelques-unes : la démocratie, la possibilité d’exporter la civilisation par conteneurs, l’illusion de la puissance, l’universalisme. L’Occident voulait croire en lui-même, encore plus, en croyant pouvoir rééditer la civilisation, et donc ses croyances ailleurs, sur le rocher du moment zéro, dans un désert absolu. La civilisation ayant besoin de céder (et nourrir) à l’universalisme pour ne pas perdre foi. Et l’empire le paya. Selon des comptes rendus médiatiques, depuis une décennie et plus, des voix alertaient inutilement sur la corruption titanesque qui siphonnait l’aide “civilisatrice” en Afghanistan mais en vain. La lucidité se heurtait, d’un côté, à la vanité du prêcheur et, de l’autre, à la ruse du “partenaire”, du guide indigène, sa méfiance ou, surtout, son profond rejet de la greffe. Des analystes désignent cet effet par l’expression le “Wishful thinking” (posture consistant à prendre ses désirs pour la réalité), lu dans un autre article. L’envie de croire, d’y croire et de payer les factures de l’effet spécial mental.
En d’autres termes ? On ne pouvait pas aller si loin pour revenir les mains vides et les cercueils pleins. Mais surtout, on ne voulait pas déchiffrer le sens réel de cette corruption colossale : plus qu’une envie de richesse facile pour des clients locaux, c’est le symptôme d’un refus profond, d’un rejet du projet, d’un rire sous cape d’une mentalité presque collective. Lire le compte-rendu Les brouillards de la guerre d’Anne Nivat, la journaliste canadienne sur le “front”, permet de tirer mille conclusions : même militarisée à l’extrême, la mission civilisatrice semble encore avoir des airs naïfs d’un touriste trop idiot et trop riche. Ce qui se jouait en Afghanistan, selon certaines conclusions, n’était pas la cupidité contre la naïveté d’ailleurs, mais deux univers dont l’un était une embuscade, une stratégie d’escamotage, une patience infinie devant la corne d’abondance.
On est tenté de croire qu’il ne s’agit même plus de corruption car celle-ci suppose de greffer le prix d’une chose qui existe. Là, il s’agit de racket pur, d’une dîme sur la présence, d’un cachet pour jouer le jeu. C’était un saignement. Et, au fond, de tous les acteurs de ce désert sanguinaire, peut-être seuls les talibans étaient “sincères” : ils voulaient le pays à leur image et non pas donner l’image d’un pays selon les désirs de l’empire.
Le pays, encore si inconnu, malgré les effets de loupe et de serre des médias, est difficile à comprendre et à extraire aux clichés, mais il illustre parfaitement le lien qui prévaut depuis des millénaires entre un empire et ses périphéries clientes ou récalcitrantes : d’un côté, la conversion d’une désir de puissance en désir de “civilisation”, de “romanisation”, de l’autre, un discours de jérémiades et de suppliques et de quémandeurs qui ont conclu que jouer aux convertis de la civilisation est plus rentable que l’effort de construire la civilisation chez soi. Une telle pratique (au-delà des bonnes volontés) est coutumière de l’histoire et des noces entre nations.
À une échelle plus réduite, loin des 1 000 milliards armés ou parachutés en Afghanistan, dans les pays du “Sud”, des pans entiers d’élites autochtones rêvent de recycler ce lien et de l’investir autour des ambassades des puissances, services culturels et autres antennes de fondations et d’ONG. Les donneurs d’ordres et financiers de l’argent occidental le savent, mais ont-ils d’autres choix pour entretenir le canal du dialogue et la fréquentabilité et l’espoir de voir les territoires de la marge se convertir à la civilisation ? Que faire d’autre, sinon payer ou guerroyer ? Un véritable engineering est même développé par des “militants pour la démocratie”, des journalistes, des experts “internationaux”, des “artistes” et des correspondants d’ONG pour vivre de cette “ceinture”, faire vivre leurs proches et descendants. On le sait tous.
Ceux qui payent et ceux qui jouent le jeu de ce versant rentier de la démocratisation. Bien sûr, il reste toujours quelque chose qui aide à croire qu’on va vers un monde meilleur, un effet qui aide à faire émerger des générations et des vocations dans les pays en difficulté, quelque chose qui percole au-delà des faux passeurs et des préleveurs sur cette aide à la civilisation, quelque chose qui donne des fruit, malgré la tendance à l’exil vers l’Occident de ceux qui ont bénéficié de son argent pour aider à recréer la “civilisation” en terres arides, et tout cela permet de garder espoir. Mais parfois, le coût est au-delà des bénéfices et les détournements prennent le dessus sur les buts. Alors, d’autres débâcles seront là à vivre et qui feront désespérer. Dix mille petites chutes de dix mille petits Kaboul ont été, et seront, vécues ça et là.
Des débâcles militaires, culturelles, économiques, de coopérations, d’aide internationales et de dopages de figurants locaux. Parce qu’on a cru trop naïvement, parce qu’on a cru que l’argent soulève des montagnes comme des manteaux légers, parce qu’on a confondu clients et convaincus, parce qu’on a fermé les yeux sur le racket au nom de l’adhésion, parce qu’on a cru aux croyances et parce qu’il le faut. C’est ainsi.
Des dialogues sanglants entre empires et barbaries, culpabilités et victimaires, histoires et héritages, fixeurs et prêcheurs, sang et sueurs, cupidité et arnaques, prêcheurs et saints. Une dialogue à moitié sourd, à moitié aveugle, mais profondément nécessaire entre la “civilisation” sous forme de projection freudienne, et la ruse ou la foi du guide indigène, les deux sous le parasol d’un projet de démocratisation naïve. Nécessaire malgré les échecs et les tarifs ? Oui. Car si le “Wishful thinking” est parfois indépassable ; son contraire, “la lucidité complète, c’est le néant”, écrivait Cioran le magnifique.
Ils en rêvaient. Les talibans l’ont fait. Pour les groupes armés djihadistes au Sahel, la déconfiture occidentale en Afghanistan est la preuve qu’une victoire est possible, et même proche. « Félicitations à l’émirat islamique », victorieux après « vingt ans de patience », exulte dans son prêche audio du 10 août Iyad Ag Ghali, le fondateur et chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié depuis sa création, en 2017, à la fois à Al-Qaida et à l’émirat taliban. Il en profite pour souligner « l’échec cuisant de la France au Sahel », ajoutant : « Nous sommes en train de l’emporter, notre heure est venue ».
l y a fort à parier que les chefs de l’autre mouvance djihadiste sahélienne — l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), affilié plutôt à Daech — sont sur un même petit nuage, depuis que Kaboul et l’ensemble des villes afghanes sont tombées comme des fruits mûrs, quasiment sans combats ; et que Paris — las de faire le ménage quasiment tout seul dans les confins sahéliens -– a annoncé une transformation et surtout une réduction drastique de son dispositif militaire dans la région. Une exaltation qui contraste avec l’atonie de l’actuel pouvoir malien — qui semble ne pas se relever du double coup d’État fomenté par sa propre armée, « grand corps malade » de la région (1) ; ou l’attentisme des autres pays sahéliens, qui — bien qu’également menacés par les groupes djihadistes — ont bien d’autres défis à relever.
Un dossier tirant les leçons de la débandade américaine en Afghanistan sera à lire dans Le Monde diplomatique de septembre, en kiosques mercredi 1er.
L’opinion au Sahel a pourtant été saisie, plus qu’ailleurs sans doute, par les images de débandade et de folie sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul le 15 août, diffusées dans le monde entier. « Retrait annoncé de la force française sur le sol malien : faut-il s’attendre au même scénario qu’à Kaboul ? », titrait le 18 août, à Bamako, le journal Le Soir.
Chez les politiques, une des rares réactions à contre-courant aura été celle de l’ancien ministre malien des affaires étrangères, Tiébilé Dramé, qui demande qu’on tire les leçons de « l’échec afghan » tant qu’il en est encore temps : « Quel message nous envoient les images de l’aéroport de Kaboul ? Depuis des années, des activistes réclament régulièrement le départ des troupes étrangères, reprenant, ce faisant, les demandes des chefs de guerre. Mais il faut voir la réalité en face : les troupes étrangères font un travail utile. Nous devrions sérieusement réfléchir aux conséquences d’un départ précipité non coordonné », conseille-t-il.
« La démoralisation — ou au mieux le doute —, au sein des cercles officiels, civils et militaires, est patente, diagnostique de son côté l’ancien diplomate mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, président du Centre 4s, qui a été (entre autres) représentant du secrétaire général des Nations unies en Afrique de l’Ouest. Avec le retrait précipité et chaotique des troupes américaines et alliées d’Afghanistan, un nouvel élan émerge au profit des groupes armés au pire moment pour le Sahel et toute la région ».
Ces deux diplomates émérites expriment leur « peur du vide », au moment où l’exécutif français annonce le retrait progressif de ses forces, à commencer par ses garnisons au nord du Mali (Kidal, Tessalit, Tombouctou). Dans un livre prémonitoire, paru en 2015, l’économiste et expert français en développement Serge Michailof voyait dans le Sahel une zone d’immense fragilité, comparable à l’Afghanistan du début des années 2000, lorsque l’effondrement de l’agriculture, la corruption de l’État et son absence dans les zones rurales avaient une première fois « ouvert un boulevard aux talibans » (2) .
Michailof estimait dans ce livre que la sécurité du Sahel, essentiellement assurée par Paris, ne pouvait être durablement confiée à des forces étrangères, comme le prouvait déjà l’exemple afghan. Il suggérait de faire du sauvetage de ces pays une priorité dans le cadre d’un « plan Marshall pour le Sahel », sans se focaliser sur le seul antiterrorisme.
Malgré une pluie de milliards, le sauvetage n’a pu être mené à bien. D’ailleurs, n’avait-on pas, côté français, grossi intentionnellement le danger djihadiste au Mali en 2012-2013, pour mieux justifier une intervention militaire devenue en quelques années, sous les patronymes de « Serval » puis de « Barkhane », la principale opération française depuis la fin de la guerre d’Algérie ? (3)
Double défaite
Le parallèle entre les processus en Afghanistan et au Sahel est bien sûr tentant :
• dans les deux cas, des guérilleros en sandales et à moto, peu nombreux mais insérés dans la population, et recourant aux techniques terroristes, qui défient des soldats européens et des armées locales sous tutelle étrangère, suréquipées, mais peu motivées, et gangrénées par la corruption : c’est le combat « asymétrique » type ;
• les djihadistes dans les deux zones cherchent à instaurer des émirats, à établir la loi religieuse (charia), à chasser les étrangers ;
• c’est une double défaite, côté américano-occidental en Afghanistan, côté français au Sahel — bien que, dans ce dernier cas, il n’est pas question d’un désengagement total ;
• l’interventionnisme économique, même sous la forme de projets de développement supposés non lucratifs, est déstabilisant, pour ces pays à États faibles, manquant de cadres, où les services publics ont déserté les secteurs les plus reculés, comme les zones-frontières ;
• il en découle une augmentation des risques de corruption, la multiplication des effets d’aubaine, la mise à l’écart des communautés locales, etc.
• dans les deux cas, des couches sociales plus occidentalisées, souvent favorisées, font face à un petit peuple démuni, qui a difficilement accès à l’emploi, aux services publics, à l’éducation et constitue un inépuisable bassin de recrutement pour les groupes armés.
Menace lointaine
Mais les problématiques apparaissent très différentes, en termes d’enjeux et de volumes :
• la taille des dispositifs militaires est sans comparaison : jusqu’à 100 000 soldats américains en Afghanistan en 2012, épaulés par 50 000 étrangers sous drapeau OTAN et — sur le papier au moins ! — par près de 300 000 soldats afghans (à comparer aux 5 100 soldats français de Barkhane, 14 500 casques bleus de la Minusma, 10 000 hommes de la force du G5 Sahel) ;
• même disparité dans les volumes d’investissement : en Afghanistan, les Américains évoquent le chiffre de mille milliards de dollars ; au Sahel, on les compte sur les doigts d’une main ;
• pour les États-Unis, la situation en Afghanistan est une menace lointaine, non vitale, si ce n’est pour venger et empêcher que ne se reproduisent des attentats comme ceux commis à New York et Washington le 11 septembre 2001 ; alors que, pour les Européens, la situation au Sahel et au Maghreb, aux portes de la Méditerranée, a un retentissement immédiat : insécurité, flux migratoires, routes de la drogue ;
• les groupes armés n’ont pas les mêmes ambitions et capacités : les talibans ont eu l’expérience du pouvoir, un embryon d’État, un semblant de diplomatie ; les djihadistes sahéliens, à l’exception de quelques mois de sultanat dans plusieurs localités du Nord-Mali, n’ont jamais contrôlé de territoire, d’État, ni négocié d’accords, etc.
Château de cartes
Pour les États sahéliens, en tout cas, la bascule de Kaboul fait l’effet d’un électrochoc : ils étaient habitués à vivre sous un parapluie sécuritaire assuré par une France qui, en fait, n’a jamais quitté le Sahel depuis l’indépendance, mais dont la présence militaire ne sera pas éternelle, comme le laisse prévoir la dissolution de « Barkhane ». Le propos du président Biden, assurant — exemple de Kaboul à l’appui, et pour se défendre d’en être l’irresponsable ordonnateur ! — qu’un désengagement ne peut se passer sans casse, n’a pu que les inquiéter un peu plus.
Les groupes djihadistes de leur côté, qui ont pris de sérieux coups ces dernières années, doivent se sentir regonflés à bloc : le parallèle avec l’Afghanistan leur ouvre à nouveau les voies de l’espoir, du possible ; ils ont une vengeance à assouvir, après avoir été chassés en 2013 des villes du nord du Mali par les militaires français (appuyés par les Tchadiens) ; ils tenteront d’exploiter les fragilités anciennes et nouvelles de leurs adversaires, dans un contexte où ces derniers manquent plutôt de confiance et de moyens (4).
Quant aux Français, occupés à redessiner leur modèle de présence tout en taillant dans les effectifs, ils se demandent — à quelques mois d’une échéance électorale capitale dans l’Hexagone — comment se dégager au moins partiellement du Sahel, et y laisser une empreinte militaire plus légère, sans perdre totalement la main… et sans laisser le champ libre aux djihadistes, comme ont semblé le faire les Américains en Afghanistan. Et comment éviter — en cas de drame, de sortie précipitée de cette poudrière sahélienne — l’écroulement du château de cartes régional, avec des
répercussions probables dans toute l’Afrique de l’Ouest et centrale, et jusqu’au Maghreb — aux portes de l’Europe.
(3) Lire l’article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans Le Monde diplomatique de septembre 2021, en kiosques le 1er.
(4) Ainsi, le gouvernement tchadien vient d’annoncer qu’il retirait la moitié de son contingent déployé, au titre du G5 Sahel, dans la zone stratégique des « trois frontières » (Mali, Burkina, Niger). Il a besoin de renforts face aux rebelles au nord du Tchad, et aux attaques de Boko Haram à l’ouest.
Une armée occidentale ne peut pas être vaincue. Sa défaite est nécessairement provoquée par des politiciens sans colonne vertébrale et par des auxiliaires locaux qui détalent sans combattre. Depuis plus d’un siècle, ce mythe du coup de poignard dans le dos a nourri les ruminations des va-t-en-guerre ainsi que leur désir de revanche (1). Laver un affront signifie préparer l’affrontement qui suit. Pour effacer le « syndrome du Vietnam » et surtout le traumatisme de l’attentat ayant tué 241 soldats américains à Beyrouth le 23 octobre 1983, le président Ronald Reagan envahit la Grenade deux jours plus tard. Qu’en sera-t-il avec les images de l’aéroport de Kaboul, humiliantes pour les États-Unis, terrifiantes pour ceux qui les ont servis ?
« C’est la plus grande débâcle de l’OTAN depuis sa création », a observé M. Armin Laschet, l’homme que Mme Angela Merkel aimerait voir lui succéder à la chancellerie allemande. La guerre d’Afghanistan a en effet représenté la première intervention de l’Alliance atlantique aux termes de l’article 5 de sa charte fondatrice : un État membre avait été attaqué le 11 septembre 2001 (mais pas par des Afghans) ; les autres signataires du traité ont alors volé à son secours (lire « Tout était pourtant écrit »). L’expérience aura eu pour mérite de rappeler que, lorsque Washington et le Pentagone conduisent les opérations militaires, leurs alliés sont traités comme des vassaux auxquels leur suzerain concède le droit de combattre — et de mourir —, pas celui d’être consultés sur l’arrêt des hostilités. Même Londres, pourtant rodé à ce genre de camouflet, s’est rebiffé contre tant de mépris. On doit à présent espérer que le fiasco afghan ne va pas conduire l’Alliance à raffermir ses rangs flageolants en suivant les États-Unis dans de nouvelles aventures. En faisant front, par exemple, à Taïwan ou en Crimée, contre la Chine ou la Russie…
Le danger est d’autant plus concevable que les désastres provoqués par les néoconservateurs en Irak, en Libye et en Afghanistan ont à peine ébréché leur pouvoir de nuisance. Après tout, les dégâts humains sont payés par d’autres qu’eux : en Occident, les guerres sont de plus en plus livrées par des prolétaires. La plupart des Américains qui ont combattu en Afghanistan venaient ainsi des comtés ruraux de l’Amérique profonde, très loin des cénacles où les guerres se décident et où se peaufinent de belliqueux éditoriaux. Aujourd’hui, quel étudiant, quel journaliste, quel dirigeant politique connaît personnellement un soldat mort au combat ? La conscription avait au moins le mérite d’impliquer l’ensemble de la nation dans les conflits que ses représentants avaient déclenchés.
Quand ils s’expriment… Depuis septembre 2001, le président des États-Unis, sans aval préalable du Congrès, peut lancer l’opération militaire qu’il souhaite au prétexte de lutter contre le terrorisme. L’ennemi n’est pas désigné, l’espace géographique et la durée de la mission non plus. Il y a quatre ans, les sénateurs américains ont ainsi découvert que huit cents de leurs soldats se trouvaient au Niger uniquement parce que quatre d’entre eux venaient d’y périr. Un groupe de parlementaires des deux partis a entrepris, avec l’accord de M. Joseph Biden, de révoquer ce chèque en blanc donné à l’exécutif. La guerre ne devrait pas relever du fait du prince, surtout quand on prétend la livrer au nom des valeurs démocratiques.
Cela vaut aussi pour un pays comme la France, dont l’armée est engagée en Afrique. Tout justifierait qu’on y discute intelligemment de géopolitique, d’alliances, de stratégie d’avenir. Surtout après l’Afghanistan. Mais, s’il faut en juger par les derniers commentaires de plusieurs candidats à l’élection présidentielle d’avril prochain, ce ne sera pas le cas. M. Emmanuel Macron a relancé le bal de la démagogie sécuritaire en assimilant les Afghans qui fuient le totalitarisme taliban à des « flux migratoires irréguliers importants ». Transformer ainsi les réfugiés d’une dictature en terroristes putatifs lui vaudra, espère-t-il, les faveurs des électeurs conservateurs. Les deux candidats de droite Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ont bien entendu surenchéri sur ce terrain, Mme Pécresse ajoutant même qu’« une partie de la liberté du monde » se jouerait à Kaboul. Quant à la maire socialiste de Paris, Mme Anne Hidalgo, elle a préfacé son analyse de la déroute occidentale par une phrase vraiment redoutable : « Comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée. » D’où, sans doute, sa conclusion qu’« il nous faudra d’une manière ou d’une autre reprendre le chemin de Kaboul » (2).
Il ne reste donc plus à Mmes Hidalgo et Pécresse qu’à réclamer aux Russes et à l’Alliance atlantique les recettes de leur dernière marche triomphale sur la capitale afghane.
(1) En réalité, l’armée afghane a subi des pertes vingt-sept fois plus élevées (66 000 soldats tués) que celles de l’armée américaine (2 443 morts), ce qui n’a pas empêché Washington de négocier directement avec les talibans l’année dernière, sans se soucier du gouvernement afghan.
«Cette terre, là-bas, est la vôtre. Vous y retournerez un jour parce que votre combat va triompher. Vous retrouverez alors vos maisons et vos mosquées. Votre cause est juste. Dieu est à vos côtés.» (Zbigniew Brzezinski, Conseiller du président James Carter, s’adressant aux moudjahidine)
Ça y est ! bis repetita, les Afghans sont rentrés à Kaboul un quart de siècle après une première fois, vingt ans après en avoir été chassés et à quelques semaines du 11 Septembre qui fut la cause de leur bataille contre les États-Unis. On dit que l’Afghanistan est, depuis des siècles, le «cimetière d’empires» qui s’y sont frottés sans succès. Sans remonter jusqu’au XIXe siècle, ce sera l’empire soviétique à partir de 1979, période à laquelle Oussama Ben Laden, aidé par les Américains, put harceler l’URSS avec les fameux missiles Stinger qui firent des ravages sur les blindés. C’était l’époque bénie où les moudjahidine afghans avaient pignon sur rue à New York, choyés par un certain Brzeziński. À partir de 2001, les Afghans eurent comme adversaire l’Amérique qui les chassa en quelques semaines parce que coupables d’avoir hébergé un certain Oussama Ben Laden. Nouvelle alliance, la Russie et la Chine se mettent sur les rangs pour aider les Afghans. Si la Chine s’intéresse à l’Afghanistan, ce n’est pas seulement parce que Joe Biden y a trébuché. Ce pays abrite de grandes quantités de lithium et de terres rares — personne, cependant, n’a de certitude —, les matières premières des batteries pour voitures électriques, des portables... L’Afghanistan, c’est «l’Arabie saoudite du lithium», avait analysé le département de la Défense américain. À Bien des égards, l’entrée des talibans le dimanche 15 août 2021 ressemble, à s’y méprendre, mutatis mutandis, à la «Blitzkrieg» (guerre éclair) déclenchée par l'Allemagne qui prit ainsi rapidement le contrôle de presque toute l'Europe. C’est pratiquement l’affolement dans les chancelleries occidentales qui essuient ensemble un affront, «la coalition», censée civiliser les Afghans, est prise de panique et tente de sauver la face en évacuant d’abord les nationaux, ensuite ceux qui les ont aidés durant la guerre depuis vingt ans. «Une débâcle stupéfiante. Un château de cartes. Les talibans se sont emparés, en dix jours, de toutes les grandes villes afghanes, la déroute est d'autant plus spectaculaire qu’ils ont eu affaire à très peu de résistance, entre désertion de régiments entiers et reddition de gouverneurs. Les talibans auront donc conquis l'ensemble du pays avant même la date très symbolique marquant le vingtième anniversaire des attentats du 11 Septembre 2001 qui avaient poussé les États-Unis à les renverser.»(1) Corentin Pennarguear de l’Express écrit : «De Bush à Biden... l'Afghanistan, cauchemar des quatre derniers présidents américains, la plus longue guerre de l'histoire des Etats-Unis, aura été un fardeau pour chaque président. La chute de Kaboul, dimanche 15 août, met fin à la «guerre contre la terreur» lancée au lendemain du 11 Septembre par les États-Unis. Les talibans sont de retour dans le palais présidentiel (…). Moins d'un mois après le 11 Septembre 2001, les premières frappes américaines résonnent en Afghanistan. George W. Bush lance une «opération» contre le groupe terroriste Al-Qaeda et ses protecteurs, les talibans. En déroute, ces derniers quittent le pouvoir. Bush promet ‘’une nouvelle ère des droits de l'Homme’’ aux Afghans et un ‘’plan Marshall’’ pour développer le pays. La guerre en Irak, en 2003, fait passer Kaboul au second plan pour les Américains. Les investissements promis n'arrivent pas, et le conflit s'enlise. Candidat pacifiste, Barack Obama hérite des guerres en Irak et en Afghanistan. Poussé par le Pentagone, il double la présence américaine à Kaboul dès sa première année, qui atteint 100 000 soldats sur le front. Obama quitte le pouvoir en laissant 10 000 hommes pour épauler l'armée afghane (…) Donald Trump, l'ancien magnat de l'immobilier, décide finalement, à partir de 2018, de négocier directement la fin de la guerre avec les talibans, sans même convier le gouvernement afghan aux discussions. Après quatre ans d'isolationnisme, Joe Biden déclare : ‘’Je ne transmettrai pas cette guerre à un cinquième président.’’ Le gouvernement Biden a choisi d'honorer cet accord par peur que la situation ne se détériore. En moins d'un mois, l'Afghanistan s'est écroulé (…)»(2)
Les réactions suite à la victoire des talibans Pour le président Macron, la guerre déclenchée en 2001 était juste. «Notre combat était juste et c’est l’honneur de la France de s’y être engagé.» Il ne parle plus de démocratie mais se veut être gendarme du monde sur instruction de l’empire. «Nos interventions militaires n’ont pas vocation à se substituer à la souveraineté des peuples ni à imposer la démocratie de l’extérieur, mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité.» Pour sa part, le Premier ministre britannique Boris Johnson a appelé lundi 16 août 2021 à organiser une rencontre virtuelle des dirigeants du G7. Enfin M. Stoltenberg, SG de l’Otan, prévient : «L’Otan a les moyens de faire face aux futures menaces terroristes venant d’Afghanistan.» Wait and see… «Le président américain Joe Biden, écrit Veronique le Billon, tient une ligne ferme : il ne remet en question ni le départ des troupes américaines, ni sa date, prévue le 31 août. Une année de plus, ou cinq années de plus de présence militaire américaine n'aurait pas fait de différence si l'armée afghane ne peut ou ne veut pas tenir son propre pays. Donald Trump a dénoncé un ‘’chaos tragique’’, tandis que le chef de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a pointé ‘’un désastre prévisible’’.»(3)
Et les autres acteurs ? «Si les ambassades de nombreux pays occidentaux, notamment ceux appartenant à l’Otan, ont fermé leurs portes, ce n’est pas le cas de celles de la Russie et de la Chine… qui continuent à fonctionner normalement : Dans un entretien donné à la chaîne de télévision Rossia 24, le 15 août, Zamir Kabulov a laissé entendre qu’il préférait traiter avec les talibans plutôt qu’avec le désormais ex-gouvernement afghan, qu’il a qualifié de «fantoche» Quant à la Chine, alliée, elle a anticipé la nouvelle donne à Kaboul. Fin juillet, une délégation de talibans, emmenée par le mollah Baradar, a ainsi été reçue à Tianjin [nord de la Chine], l’objectif étant de nouer des «relations de bon voisinage». Pour les autorités chinoises, il importe d’avoir un environnement régional stable pour que puisse se déployer le projet des nouvelles routes de la soie… et de sécuriser les intérêts miniers en Afghanistan tout en évitant toute déstabilisation de la province du Xinjiang, à majorité musulmane. (…) «La défaite militaire et le départ des États-Unis d’Afghanistan doivent se transformer en opportunité pour établir la sécurité et une paix durable dans ce pays», a ainsi commenté le président iranien, Ebrahim Raïssi, ajoutant que Téhéran «tenait aux relations de bon voisinage avec l’Afghanistan»(4).
L’Afghanistan, le cimetière des empires Une rétrospective du feuilleton occidental en Afghanistan nous permet, avec les auteurs Grégoire Lalieu, Michel Collon et Mohamed Hassan, de mieux comprendre l’entêtement de l’Occident à imposer sa vision du futur des pays faibles dans le strict objectif de servir ses intérêts. Nous lisons : «Les talibans ont pris Kaboul, mettant fin à la guerre lancée il y a vingt ans par les États-Unis. Ce n’est pas la première fois qu’une grande puissance se casse les dents sur les montagnes afghanes. Dans La Stratégie du chaos, Mohamed Hassan remontait l’histoire de ce cimetière des grands empires, depuis les expéditions britanniques pour protéger la colonie indienne ou le bourbier dans lequel ont plongé les Soviétiques en passant par les alliances troubles de la CIA avec les moudjahidine et Ben Laden…»(5)
Les intérêts économiques avant tout On l’aura compris, l’ADN des pays forts aussi bien de l’Ouest que de l’Est est de s’emparer des richesses des pays faibles. Ce qui explique les animosités entre «grands». «Il faut bien garder en mémoire, poursuivent Grégoire Lalieu, Michel Collon, Mohamed Hassan, que l’eldorado des pays colonialistes à cette époque est l’Inde et ses richesses contrôlées par les Britanniques. Or, l’impérialisme russe se renforce. Il bat l’Empire ottoman en 1840 et prend le contrôle du Caucase et de l’Asie centrale. Les troupes russes se dirigent alors vers l’Inde. Du coup, la Grande-Bretagne prend peur et veut protéger sa colonie. Ainsi éclate la première guerre anglo-afghane de 1838 à 1842. Les Britanniques ont utilisé les Afghans contre les Russes. La Grande-Bretagne envahit l’Afghanistan. Leur défaite est cuisante. Seuls trois cents soldats parviendront à quitter le pays ! Cent soixante ans plus tard, c’est tout l’Occident qui bat en retraite.»(5) «(…) Une nouvelle guerre anglo-afghane est menée par Sir Durand, un gouverneur britannique. Sir Durand va finalement se retirer. Mais en utilisant la traditionnelle stratégie britannique ‘’diviser pour régner’’, il sépare le territoire pachtoune en deux. Cette ligne Durand sera la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, une frontière que les Pachtounes ne reconnaissent toujours pas.» (…) Les Afghans veulent leur indépendance totale, mais 14-18 permet un saut qualitatif dans l’art de la guerre. Le pétrole est devenu pour la première fois un élément décisif dans les combats. La Grande-Bretagne avait rassemblé 740 000 hommes. Malgré cette supériorité en nombre et en armes, la Grande-Bretagne sera vaincue, surprise par la stratégie de guérilla des Afghans. L’indépendance est enfin acceptée. En 1919, Londres ouvre une ambassade et instaure des relations diplomatiques avec son ancien ennemi. L’Empire de Russie a disparu et l’Union soviétique se met en place (…) L’Afghanistan indépendant sera un membre fondateur de la Société des Nations en 1919, puis de l’ONU en 1945. Bien plus tard, les États-Unis qui ont remplacé les Anglais définitivement rentrent en jeu. Les auteurs écrivent : «(…) Avec l’incursion des Américains qui avaient aussi un compte à régler avec l’URSS, l’empire du mal, selon l’expression du président Reagan, avant même que l’URSS ne soit entrée en Afghanistan pour soutenir le gouvernement, les États-Unis ont utilisé les Afghans. (…) Les États-Unis ont tendu un piège à l’URSS. Oui, et d’ailleurs, Zbigniew Brzezinski, qui gérait alors la politique internationale des USA sous la présidence de Jimmy Carter, s’en est vanté plus tard… Les États-Unis venaient de subir une lourde défaite au Vietnam après deux décennies de guerre coûteuse et impopulaire. Brzezinski développa la théorie du ‘’piège à ours’’ : profiter de l’occasion pour enliser l’URSS dans son Vietnam à elle. Les Étasuniens ont donc envoyé les ‘’moustiques’’ pour aller déranger l’ours.»(5)
L’Occident voulait la guerre L’Occident traversait une grave crise économique depuis 1973. Pour s’en sortir, il cherchait à ouvrir de nouveaux marchés et à battre l’Union soviétique. De plus, les États-Unis venaient de perdre le contrôle de l’Iran en 1979. Pour toutes ces raisons, ils devaient donc se montrer très agressifs. Il existait à l’époque un front anticommuniste mondial. Tous les partis chrétiens-démocrates européens ainsi que des ONG comme Médecins Sans Frontières. Mais un rôle majeur a été joué par les Saoudiens qui voulaient répandre leur contre-révolution islamique. L’ennemi à abattre était l’Union soviétique. (…) L’URSS quitte l’Afghanistan en 1988, les communistes proposent un gouvernement de coalition, que les moudjahidine refusent. … (…) Les États-Unis, après s’en être servis, ont jeté les seigneurs de guerre comme un préservatif usagé. Les impérialistes n’ont pas anticipé la création d’Al-Qaïda. Ils n’ont vu que ce qu’ils voulaient voir : leurs intérêts immédiats. Aujourd’hui, les États-Unis combattent les talibans mais en 1996, l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright avait salué leur arrivée au pouvoir comme «un pas positif»… Cela nous rappelle l’ignoble phrase de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères français, pour qui l’organisation terroriste Al Nosra fait du bon boulot en Syrie. «C’est dans ce contexte, concluent les rédacteurs, que les talibans ont émergé, soutenus par différents acteurs. La Première ministre pakistanaise Benazir Bhutto résumait l’opération ainsi : ‘’L’idée était anglaise, le financement saoudien, la supervision pakistanaise et l’armement américain. Tandis que les États-Unis pensaient installer un pipeline entre le Pakistan et l’Afghanistan (...) Les talibans ont donc refusé les plans préparés par d’autres’’.» (5)
2 261 milliards de dollars : le coût de la démocratie aéroporté en Afghanistan «Les Américains, écrit Philippe Robert, n'ont pourtant pas lésiné sur les moyens pour entraîner et équiper les soldats afghans. Depuis 2001, plus de 88 milliards de dollars ont été alloués par les États-Unis au profit des forces de sécurité (armée et police) du pays. Une facture abyssale au vu de son efficacité... Selon des chercheurs de l'université Brown, les États-Unis ont déboursé 2261 milliards de dollars entre 2001 et 2021. (…) Une grande majorité des fonds a servi aux opérations militaires. Dans son dernier rapport, le Département de la Défense a indiqué que le coût direct de celles-ci s'était élevé à plus de 815 milliards entre 2002 et 2020. Mais 143 milliards ont été engagés pour reconstruire le pays, à travers des projets d'infrastructures ou de lutte contre le narcotrafic.(…) Cette vertigineuse facture de 2261 milliards de dollars va continuer à gonfler. Les chercheurs de l'université Brown ont relevé que les dépenses de soin par les Etats-Unis en faveur des vétérans de l'Afghanistan et de l'Irak pourraient s'élever entre 600 et 1 000 milliards dans les prochaines décennies.»(6)
Quand les djihadistes étaient nos amis C’est par ces mots que Denis Souchon décrit l’ambivalence de l’Occident vis-à-vis des peuples faibles. Selon le scénario de l’empire que les vassaux mettent en application sans état d’âme, on peut les faire paraître comme des anges ou des démons. : «Héroïques hier, barbares aujourd’hui. C’est par ces deux phrases que Denis Souchon énumère les récits à géométrie variable visant à magnifier le combat des moudjahidine (talibans) quand il fallait combattre l’empire du mal.» Quelques morceaux d’ontologie en commençant par BH Lévy dont l’imposture est notoire. Il déclare au journal télévisé du 29 décembre 1981 : «Il faut penser, il faut accepter de penser que, comme tous les résistants du monde entier, les Afghans ne peuvent vaincre que s’ils ont des armes, ils ne pourront vaincre des chars qu’avec des fusils-mitrailleurs, ils ne pourront vaincre les hélicoptères qu’avec des Sam-7, ils ne pourront vaincre l’armée soviétique que s’ils ont d’autres armes (...) En Espagne, il y avait un devoir d’intervention, un devoir d’ingérence. (...) Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes.»(7) Mieux encore, Jean Daniel, qui fut à une époque plus lucide, va dans le même sens. Il glorifie le combat des moudjahidine dans un article du Nouvel Observateur du 16 juin 1980 : «Il y a l’opposition, indirecte et perfide, de ceux qui se demandent si les résistants valent mieux que les occupants : si leur islam n’est pas “primitif et barbare”. C’est à cette démission qu’on nous convie de toutes parts tandis que les Afghans se font tuer et appellent à l’aide. Devant leur SOS, il faut alors proclamer bien haut que la résistance des Afghans contre les occupants soviétiques est juste comme toutes les guerres de libération. (...) Outre que leur islam vaut bien le communisme à la soviétique, il est scandaleux de s’interroger sur leur civilisation au moment où ils la défendent avec le plus d’héroïsme.» Enfin, écrit Denise Souchon, le 15 janvier 1998, Le Nouvel Observateur demande à M. Brzezinski s’il «ne regrette pas d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes». Sa réponse : «Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?»(7)
La leçon afghane : pourquoi l'Occident entame son déclin Pour l’histoire, après la débâcle vietnamienne et la mise en coupe réglée de l’Irak, ce fut le tour de l’Afghanistan et des talibans qui, dans une stratégie précédente, étaient les meilleurs alliés des États-Unis contre l’empire soviétique, au point qu’ils avaient des bureaux de recrutement aux États-Unis pour «l’Internationale islamiste». L’avènement de Bush a correspondu dans le sillage du 11 Septembre, avec la nécessité, en 2001, d’aller délivrer les Afghanes des talibans accusés d’héberger Ben Laden. Il y eut même un clip de l’armée américaine invitant les Afghanes à enlever leur burqa.(8) Il est hors de doute que nous sommes véritablement à un tournant où, pour la première fois, l’Otan est en sourdine et que la «communauté internationale», dans le jargon de l’Occident, qu’il faut traduire l’empire et ses vassaux, paraît désemparée et tente de sauver les meubles en donnant l’impression qu’elle a les cartes en main. En fait, ce que nous vivons est la conséquence. Le «Déclin de l'Occident» a été pour la première fois décrit dans un essai d'Oswald Spengler. Ouvrage traduit en français par son ami le philosophe algérien Mohand Tazerout en 1948 : Comment la suprématie occidentale s'est-elle construite ? Tout est parti magister, dixit des anciens ou de l'actuelle doxa occidentale réputée infaillible. Cela va même plus loin, la religion chrétienne est convoquée et mise au service de l'entreprise coloniale. Lisons ce morceau d'anthologie attribué au roi des Belges qui recommande aux missionnaires de l’inculquer aux Noirs du Congo : «Vous veillerez à désintéresser les sauvages de leur richesse dont regorgent leur sol et leur sous-sol. Votre connaissance de l'Évangile vous permettra de trouver facilement des textes recommandant aux fidèles d'aimer la pauvreté. Par exemple : «Heureux les pauvres car le royaume des cieux est à eux» ; «Il est difficile aux riches d'entrer aux cieux». Vous ferez tout pour que les nègres aient peur de s'enrichir. Apprenez aux jeunes à croire et non à raisonner...»(9) «Prenant la relève d'un Orient et d'une civilisation islamique sur le déclin, et au nom de la règle des trois C — christianisation, commerce, colonisation —, des peuples furent mis en esclavage. Pendant cinq siècles, au nom de ses ‘’droits de l'homme’’, l'Occident dicte la norme, série, punit, récompense, met au ban des peuples qui ne rentrent pas dans la norme. Par le fer et par le feu, les richesses du Sud épuisées furent spoliées par les pays du Nord.»(10) «Bien plus tard et après l'implosion de l'empire soviétique, ce fut la fin de l'histoire, selon le mot de Fukuyama, avec une pax americana qui paraissait durer mille ans. Une étude du Pnac (Programme for New American Century) recommandait de chercher un motif pour relancer l'hégémonie américaine d'une façon définitive. L'arrivée du 11 Septembre fut du pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l'Islam. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives que l'on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et la mort. Cependant, les signes d'un craquement de l'hégémonie occidentale commencèrent à poindre à l'horizon. Des voix inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magistère occidental. Même la CIA a publié un rapport : Le monde en 2025. On constate une prise de conscience d'une nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et pour la première fois, les Américains reconnaissent qu'ils ne seront plus les maîtres du monde !»(9) Pourtant et malgré cela, «l'Empire» ne se laisse pas faire. Les tenants de la «théorie de l'empire global» considèrent les événements politico-économiques internationaux survenus depuis 1989 comme témoins de la transition de l'humanité vers un «empire global», un ordre mondial polarisé autour d'une seule puissance : les États-Unis. À l'autre bout du curseur concernant l'avenir du monde, le besoin d'équilibre et la multiplicité des visions, nous trouvons l'analyse lumineuse de l'ambassadeur singapourien, Kishore Mahbubani, qui décrit le déclin occidental : recul démographique, récession économique et perte de ses propres valeurs. Ce que Mahbubani attaque, c'est l'anomalie absurde d'un pouvoir mondial occidental envahissant et persistant dans un monde sujet à des changements fondamentaux à la marche vers la modernité, devant le repli dans des forteresses et le triomphalisme occidental, Mahbubani reproche à l'Europe sa myopie, son autosatisfaction et son égocentrisme. Pour lui, «le moment est venu de restructurer l'ordre mondial», que «nous devrions le faire maintenant». L'Occident est dans l'incapacité à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu'il a créées. Et la moralité avec laquelle il se comporte sape les structures et l'esprit de la gouvernance mondiale.(9) (10) Bunot Déniel-Laurent donne le point de vue de Régis Debray qui parle des élites européennes fascinées par l'Amérique : «(...) il est clair que nos décideurs ‘’européistes’’ ont depuis longtemps accepté leur sujétion, le monopole de l'idéologie occidentale sur la formation des élites internationales : (...) Cette DRH planétaire peut sortir à tout instant un Karzaï de sa poche. Un Palestinien de la Banque mondiale, un Italien de Goldman Sachs, un Libyen formé au moule ou un Saakachvili géorgien. Mais il suffit que l'Otan passe du soft power au hard power, et nos fiers-à-bras de l'Union européenne, toujours prompts à dénoncer chez eux les méchants souverainistes et autres bolcho-gaullistes, se feront tout petits face au grand frère yankee. En définitive, pour Régis Debray, l'Occident n'a plus le moral de sa morale, ni la vaillance de ses valeurs : tel est ainsi l'Occident en ses métamorphoses : à la fois amnésique et sentencieux, impérial et puéril, haï et singé, omniprésent et invisible. Nourri au lait hyperprotéiné, Goliath est désormais devenu douillet.»(11)
Que faut-il en conclure ? «À en croire le prétendant de la CDU à la succession de Madame Merkel, c’est le chaos et la débâcle de l’Otan. Pour la première fois après le Vietnam, les pays occidentaux partent en catastrophe et laissent un pays en miettes avec des hommes et des femmes qu’ils ont ‘’utilisés’’ à la merci des nouveaux dirigeants. On comprend alors Alastair Crook quand il écrit : ‘’Le déclin de l’Occident a commencé avec la chute du communisme en 1989’’», écrit le philosophe politique John Gray. «Nos élites triomphantes ont perdu le sens de la réalité et, dans une succession de tentatives pour refaire le monde à leur image [… elles ont abouti] au résultat que les États occidentaux sont plus faibles et plus menacés qu’ils ne l’étaient à aucun moment de la guerre froide.» La décomposition de l’Occident, souligne Gray, n’est pas seulement géopolitique ; elle est aussi culturelle et intellectuelle. Les pays occidentaux abritent désormais de puissants groupes d’opinion qui considèrent leur propre civilisation comme une force pernicieuse unique. Dans cette vision hyper-libérale, fortement représentée dans l’enseignement supérieur, les valeurs occidentales de liberté et de tolérance ne sont plus qu’un code pour la domination raciale blanche.(12) C'est de fait potentiellement le début de l'effondrement de l'hégémonie occidentale. Dans tous les cas de figure, c'est loin d'être un phénomène ponctuel. On a l’impression de vivre en accéléré l’émergence d’un monde multipolaire qui aura accouché dans la douleur. Cela nous conforte plus que jamais dans la suspicion que nous devons avoir à l’endroit des donneurs de leçons en Occident, sûrs de leur bon droit de dicter la norme du bien et du mal. La presse et les intellectuels auto-proclamés en Occident à l’unisson vibrent à la fréquence des oukases de l’empire, cela veut dire qu’il n’y a pas de morale, en l’occurrence pour eux, tout doit être fait pour créer le chaos chez les faibles en fonction des intérêts des puissants. Le barycentre du monde penchera, à coup sûr, du côté de l’Asie. Les analyses du diplomate singapourien Kishore Mahbubbani dans son fameux ouvrage The New Asian Hemisphere : The Irresistible Shift of Global Power to the East sont d’une brillante actualité. Il écrivait notamment : «Pendant plusieurs siècles, les Asiatiques, qu’ils soient chinois, indiens, musulmans ou autres, ont été ignorés dans l’histoire du monde. Maintenant, ils sont prêts à jouer un rôle dans la conduite des affaires du monde. Les Asiatiques ont finalement compris, absorbé et implémenté les bonnes pratiques de l’Ouest dans plusieurs domaines comme l’économie de marché, les sciences et la technologie, la méritocratie et le respect de la loi. Ils sont aussi devenus inventifs par leur propre génie créant ainsi de nouvelles voies de coopération inconnues dans le monde occidental. La bonne nouvelle est que l’Asie ne veut pas dominer mais coopérer avec l’Ouest. L’histoire nous apprend que les tensions et les conflits sont plus visibles quand de nouveaux pouvoirs émergent.»(13) Assurément, le monde va mal. L´expédition d’Afghanistan ne fera qu’élargir le fossé entre un monde musulman qui tarde à faire son aggiornamento pour séparer le bon grain de l’ivraie et un Occident plus dominateur que jamais, qui dicte encore et toujours la norme. L’Occident qui ne lâche rien sera de plus en plus cruel avec un comportement imprévisible au fur à mesure que les matières premières et surtout l’énergie viendraient à lui manquer, notamment avec ce nouvel adversaire, le changement climatique. Il est à espérer les prémices d’une nouvelle recomposition du monde dans le sens d’un basculement vers un multilatéralisme, le continent asiatique pouvant jouer le rôle d’une puissance tranquille au service du bien commun dans ce XXIe siècle de tous les dangers. Les peuples faibles ont plus que jamais la difficile mission de gérer le court terme mais se projeter sur le temps long pour préparer l’avenir des générations futures. C. E. C.
1. Yves Bourdillon 15 août 2021 https ://www .lesechos .fr/monde/asie-pacifique/lafghanistan-presque-entierement-aux-mains-des-talibans-1338806 2. Corentin Pennarguear 17/08/21 https ://www .lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/de bush -a-biden-l-afghanistan-cauchemar-des-quatre-derniers-presidents americains_2156685.html 3. Véronique Le Billon 16 août 2021 https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/afghanistan-une-crise-a-haut-risque-pour-joe-biden-1338785 4. http://www.opex360.com/2021/08/16/afghanistan-la-victoire-des-talibans-va-t-elle-dans-le-sens-des-interets-de-la-chine-de-la-russie-et-de-liran/ 5. Grégoire Lalieu Michel Collon/Mohamed Hassan https://www.investigaction.net/fr/de-la-grande-bretagne-aux-etats-unis-en-passant-par-lunion-sovietique-lafghanistan-le-cimetiere-des-empires/ 17 Août 2021 6. https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique /2261-milliards-de-dollars-le-cout-vertigineux-de-l-intervention-americaine-en-afghanistan_2156682.html 7. Denis Souchonhttps://www.monde-diplomatique .fr/2016/02/SOUCHON/54701 8. Chems Eddine Chitour https://www.lexpression. dz/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/y-a-t-il-un-plan-b-75217 01 03 2010 9. C.EChitour http://www.mondialisation.ca/ index.php?context=va&aid=18575 10. K.Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the East, septembre 2008 11. Bruno Deniel-Laurent 14 Février 2013 http: //www.marianne.net/L-Occident-se-meurt-il%C2% A0_a226256.html 12. AlastairCrooke https:// lesaker francophone .fr/cette-ere-touche-t-elle-a-sa-fin 9 Août 2021. 13. Chems Eddine Chitour https://www.l expressiondz .com/index.php/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/etat-des-lieux-dune-planete-en-plein-chaos-199338
Par Pr Chems Eddine Chitour École polytechnique, Alger
Je viens d’être condamnée à 72 coups de fouet pour avoir donné ou reçu, je ne sais plus, un coup de fil de la part de quelqu’un de sexe opposé et qui n’avait avec moi aucun lien de parenté…
Chaque coup porté est une plaie qui s’ouvre et ne se referme jamais… dans l’esprit et dans la chair.
Mon infraction par rapport à la religion est double : non seulement j’ai souillé ma condition de femme destinée au foyer mais j’ai surtout incité d’autres à en faire autant.
J’ai été un contre exemple qui méritait un châtiment exemplaire… 72 coups de fouet pour me signifier que l’homme n’est pas un jouet… avec lui, il ne peut y avoir d’autre lien que des liens sacrés par le village, le voisinage ou le mariage.
La vidéo qui fut réalisée à mon insu pour me ridiculiser est devenue virale, elle a fait le tour du monde pour servir de propagande contre les Talibans et leur dictature présumée ou annoncée.
Une femme haut placée a réussi à me joindre et m’a gentiment proposer de m’aider pour quitter au plus vite ce pays qui ne va pas tarder à devenir l’enfer pour toute femme qui se respecte.
Elle a été scandalisée de me voir décliner son offre. Et pour cause : je me sentirais pas plus respectée, ni plus respectable si je quittais mon pays.
Je lui ai dit, vous savez en Afghanistan, il y a comme partout des oiseaux de malheur, mais il y a aussi et surtout des hommes d’honneur qui ne font qu’appliquer la Loi à la lettre , la lettre susceptible de nous rendre meilleurs… inspirée par Dieu et dictée par les hommes, elle consiste à dire que nous n’avons rien à craindre et tout à espérer si nous bannissons toutes les figures du vice…
Dans toute propagande il y a toujours quelque chose d’immonde parce qu’elle vernit ou ternit une image sans tenir compte de la vérité mais seulement du désir du plus fort, du plus armé, du plus favorisé.
Je préfère encore mourir que de trahir mon pays. Socrate a ressenti à quelque chose près tout ce que j’ai ressenti lorsqu’on m’a suggéré de fuir
Peut-on se fuir ?
Telle est la question.
Autre son de cloches
J'ATTESTE CONTRE LA BARBARIE...
En hommage aux femmes afghanes
Poème de Abdellatif Laabi, poète marocain vivant en France; prix Goncourt de la poésie en 2009 et Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française en 2011.
J’atteste contre la barbarie
J’atteste qu’il n’y a d’être humain que celui dont le cœur tremble d’amour pour tous ses frères en humanité
Celui qui désire ardemment plus pour eux que pour lui-même liberté, paix, dignité
La première puissance militaire du monde a été boutée hors d'Afghanistan par des combattants d'un pays pauvre, sous-développé, armés seulement et pour l'essentiel de leurs convictions. Une leçon qui sera difficile à digérer par les états-majors des nations développées et moins développées.
La narco-économie1, désorganisée, profondément pénétrée par la corruption et l'iniquité, minée par des luttes intestines qui s'appuient sur le clientélisme féodal et les liens complexes entre chefs de guerre, chefs de tribus et multiples intervenants publics et privés étrangers, rappelant les « guerres de l'opium (de la Chine contre la GB au milieu du XIXème siècle), la « guerre des Boxers » (1899-1901) et le bourbier vietnamien, a fini par voler en éclats.
Liz Cheney, élue républicaine, a bien résumé la déroute de son pays, s'inquiétant qu'elle ne dégrade durablement l'image de l'Amérique, n'inspirant plus ni crainte à leurs adversaires ni confiance à leurs « alliés ».
« C'est inexcusable. C'est catastrophique. Et cela est porteur de conséquences pas seulement pour l'Afghanistan, pas seulement pour la guerre contre le terrorisme, mais de façon globale pour le rôle de l'Amérique dans le monde ». La défaite américaine signifie « que les rivaux de l'Amérique [sous-entendu la Russie et la Chine] savent qu'ils peuvent nous menacer, et nos alliés s'interrogent ce matin sur le fait de savoir s'ils peuvent compter sur nous pour quoi que ce soit » (D. 15 août 2021).
La portée de cet événement est encore difficile à mesurer. Quoi qu'il en soit, il n'était pas nécessaire d'attendre l'inéluctable retrait des armées américaines d'Afghanistan pour constater et anticiper une redistribution des rapports de forces à l'échelle mondiale, avec les pays occidentaux en difficulté dans des domaines où ils dominaient sans partage.
La gestion de la pandémie en cours a montré les déficits considérables des Etats-Unis hors d'état de faire face à ce défi. Ordinairement prompts à venir au secours du monde, ils se sont avérés incapables de résoudre leurs propres problèmes.
D. Trump avait même interdit que le moindre masque, test ou vaccin soit exporté, fût-ce vers un pays allié. Il s'est même permis de détourner vers son pays, sur un tarmac chinois, fin mars 2020, des articles destinés à la France.
Heureusement, les autorités françaises, alliées fidèles, ne sont pas rancunières...
En Afghanistan, en ce 16 août 2021, s'est joué plus qu'une défaite militaire occidentale infligée à une coalition dirigée par la première puissance de la planète.
CHRONOLOGIE D'UNE FAILLITE MORTIFÈRE
Quelques dates seraient bien insuffisantes pour résumer la guerre la plus longue que les Etats-Unis aient entreprise hors de leur territoire. Ci-après quelques repères.
11 septembre 2001 : effondrement des twin-tower à Manhattan, abattues par deux avions de ligne, provoquant la mort de 2 977 personnes.
14 septembre 2001. Les États-Unis et le Royaume-Uni désignent ouvertement Oussama Ben Laden comme responsable. Ils exigent des Talibans son extradition.
18 septembre 2001. Le Conseil de sécurité des Nations unies demande aux Talibans d'appliquer la résolution no1 333 et d'extrader Oussama Ben Laden devant les autorités compétentes.
Les Américains nationalisent la guerre contre les Talibans et la placent sous leur contrôle exclusif. Ils refusent ainsi à l'ONU le droit de la diriger et même de la surveiller (notamment grâce à un amendement permettant d'empêcher que des soldats américains puissent être déférés devant la Cour Pénale Internationale à laquelle les Etats-Unis ne reconnaissent aucune aptitude à juger leurs ressortissants qui relèvent de leurs seules lois nationales).
07 octobre 2001 : Déclenchement de la guerre en Afghanistan. Une armada déferle sur l'Afghanistan par terre, air et mer (ainsi qu'il en sera de l'Irak moins de deux plus tard). Bombardements aériens (par des B1 et B52) et tirs de missiles de croisière (BGM-109 Tomahawk). 4 porte-avions sont mis à contribution avec de nombreux bâtiments accompagnés de sous-marins. Faite de bric et de broc, une alliance du nord disparate dont l'efficacité et la réputation surfaite en Europe, apporte un concours relatif qui n'a qu'une valeur politique. 2
Une armée de près de 100 000 soldats au plus fort de la présence américaine en 2011.
13 novembre 2001 : Chute de Kaboul.
05 décembre 2001 : Conférence internationale à Bonn où sont exposés les buts de guerre. Désormais, l'Afghanistan va subir un programme de modernisation, de démocratisation, de pacification dans le cadre d'un « Nouveau Moyen Orient » que les Etats-Unis et leurs alliés se proposent d'entreprendre. Ce « nation building », dans les cartons depuis longtemps, échafaudé par les « faucons » qui gravitaient autour des décideurs à Washington3, allait enfin prendre forme. Samuel Huntington et sa guerre des civilisations4 retrouvaient là une conception ancienne de la colonisation bienfaitrice et civilisatrice qu'un Jules Ferry n'aurait pas reniée.
En Irak, deux ans plus tard, le laboratoire allait ouvrir une succursale et de nouvelles horreurs expérimentales allaient être conduites. Les « filiales » allaient se multiplier à Abou Ghraïb, à Guantanamo et dans de nombreux pays qui ferment les yeux sur ce qui se passe chez eux...
Viendra un jour où tous ces crimes seront jugés. Au moins devant le tribunal de l'histoire.
11 août 2003 : En prenant le commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) à Kaboul, l'Otan entame sa première opération hors des frontières européennes en 54 ans d'existence. L'Organisation change de dimension et se place à l'échelle mondiale. Mais l'important ici tient au poids des images et des mots-clé : les Etats-Unis avaient le besoin de construire et de crédibiliser une « communauté internationale » nécessaire à la conduite de sa politique, aussi bien à l'attention de ses ennemis qu'à celle de sa propre opinion publique, toujours rétives aux interventions militaires à l'étranger. La guerre du Vietnam a laissé des traces indélébiles.
L'écrasante majorité des moyens matériels et humains est américaine. Le reste des figurants est là surtout pour la com'.
31 décembre 2014. Le retrait des forces de combat de l'Otan s'achève.
29 février 2020. Après plusieurs mois d'échanges discrets, les talibans signent avec les États-Unis l'Accord de Doha, fixant les conditions du retrait des troupes occidentales dans les quatorze mois (avec des clauses secrètes).
Les Talibans ont assuré (mais sans aucune garantie) que ceux qui ont travaillé pour le régime et l'occupation étrangère ne seront pas inquiétés. Ils se sont aussi engagés à protéger les étrangers humanitaires et non militaires. Là aussi sans aucune garantie.
Remarque : J. Biden, lundi 16 août, pour expliquer la défaite de son pays, a mis sur le dos du gouvernement afghan et de son armée (« pourtant soutenue et financée par Washington »), leur inaptitude et leur incapacité de former une autorité capable de faire face aux Talibans.
Il oublie que les Etats-Unis ont négocié leur retrait avec les Talibans à Doha à l'insu et en l'absence du gouvernement afghan. Comment pouvait-il espérer mieux, avec un tel mépris pour les fantoches installés à Kaboul.
Tous les procédés similaires (vietnamisation, irakisation, afghanisation...), cosmétiques à l'usage des opinions publiques, de ce type de conflit ne présentent la moindre alternative à une mauvaise guerre et à une inévitable et piteuse retraite.
S'il y a deux pays, dans l'histoire des deux ou trois derniers siècles, qui ont subi les plus affreuses guerres que l'Amérique ont engagées contre d'autres pays, si l'on excepte les abominations nucléaires commises contre le Japon en 1945, car elles appartiennent à une autre catégories de monstruosités, ce serait bien le Vietnam (libéré le 30 avril 1975) et l'Afghanistan.
Il y a bien des différences entre ces conflits, notamment le fait que la guerre du Vietnam et celle de Corée participaient d'une guerre froide opposant deux camps idéologiquement et mondialement antagonistes, mais ils sont identiques sur au moins un point : une seconde défaite humiliante pour la première puissance militaire de l'histoire de l'humanité.
Un record que Hollywood se gardera de glorifier. Rien d'extraordinaire.
Aucune nation ne commémore ses déroutes : les Français oublient très vite Azincourt, Aboukir, Trafalgar, Waterloo, Sedan, Mers el Kebir... Les historiens embeded se chargent de trier ce qu'il convient d'enseigner aux enfants.
Les gagnants et les perdants
L'Afghanistan, les supplétifs abandonnés à leur sort, l'image de l'Amérique et plus largement de l'Occident vont y laisser, chacun pour ce qui le concerne, des plumes. Cette guerre-là des règlements de comptes n'est évidemment pas achevée.
Le sort des « fixeurs » n'est pas encore fixé.
On (sous-) estime à 18 000 les auxiliaires Afghans (53 000 avec leurs familles) au service des occidentaux coalisés à divers titres : milices, traducteurs, administratifs, informateurs, guides...
L'ex-général David Petraeus5 déclarait dans le Washington Post lundi 28 juin qu'il était du devoir moral des Etats-Unis d'organiser un pont aérien pour leur accorder l'asile. Ce serait le minimum que ces gens, pour la plupart d'entre innocents de tout crime, seraient en droit d'attendre.
Or, les visas ne sont pas délivrés et le budget a été minoré pour les assister. L'idée de les placer en transit sur l'île de Guam en attendant de régler leur situation administrative reste à l'état de projet et vient buter contre les controverses autour de la politique migratoire des Etats-Unis, entre les promesses électorales de J. Biden et l'intransigeance toujours active de D. Trump.
Les Français usent d'un « hub » sur une base militaire à Abu Dhabi pour opérer discrètement leur tri.
Paris accorde 1000 visas pour ceux, déclare la ministre de la défense française sur franceinfo le lundi 16 août, « qui ont rendu d'éminents services à notre pays en nous aidant au quotidien, et par ailleurs faire le maximum pour mettre en protection des personnalités qui ont défendu les droits, les droits de l'Homme, des journalistes, des artistes, tous ceux qui sont engagés pour ces valeurs que nous continuons de défendre partout dans le monde ».
1000 visas, une goutte d'eau. L'Allemagne annonce dix fois plus. Même si, compte tenu du format de leur engagement, les Etats-Unis se chargent de la plus grande part.
Abandonnés, jetés après usages. Personne ne s'embarrasse des outils indigènes qui ont épuisé la pertinence et l'opportunité de leur utilité. A l'exception de petits débrouillards et de filous qui réussissent à passer entre les mailles du filet, la plupart de ceux qui ont servi sont livrés à leur sort. Les scènes observées sur les pistes de l'aéroport de Kaboul renvoient à celles de films catastrophe tels « War World Z » (Marc Forster, 2013) et renforce l'imaginaire de barricadés entretenu en Occident, un îlot civilisé entouré d'un océan de barbares, un cliché qui remonte au moins jusqu'à Hérodote.
La majorité de ceux qui parviennent à rejoindre les rives de la « civilisation », sont parqués comme les harkis en 1962, dans des « camps de transit et de reclassement » dans le sud de la France où ils resteront en transit et reclassement perpétuels.
Les moins oublieux se souviennent de la fuite éperdue des Américains par la terrasse de leur ambassade via des hélicoptères, alors que les Vietnamiens qui ont servi leur cause tentaient en vain de franchir avec leurs familles les grilles d'une forteresse assiégée.
Cela permet par la suite de laisser couler quelques larmes de crocodiles sur le sort des supplétifs exécutés par leurs frères ou recyclés dans des camps de « rééducation » et de dénoncer les régimes « terroristes » qui leur ont succédé.
A l'évidence, tous ceux qui seraient tentés par une carrière d'« auxiliaires » devraient mesurer la confiance très relative que leur témoigneraient leurs employeurs si les affaires tournent mal ou lorsque la « mission » est achevée. Encore une raison qui explique le silence de la fuite.
Le gouvernement afghan, sous prétexte de pandémie, avant son évaporation, avait fermé le bureau des passeports justement pour éviter un exode massif des Afghans vers l'étranger.
Le président E. Macron, en campagne pour sa réélection, dans son allocution télévisée du lundi 16 août a très vite souligné le risque migratoire avec les menaces qu'il ferait peser sur la sécurité de l'Europe sur celle des malheureux qui se lanceraient dans cette aventure, comme on l'observe pour les migrants sahéliens ou proche-orientaux qui traversent la Méditerranée.
La Turquie met une touche finale à son « Mur » et tous les pays de la région se tiennent prêts. Le Pakistan a annoncé très tôt être disposé à fermer ses frontières en cas de mouvement massif de population.
Les autres supplétifs.
L'Otan s'est engagée très tôt (août 2003), au nom de l'article V (clause de défense collective) aux côtés des Etats-Unis en Afghanistan. C'est ainsi, au nom de la défense de l'Occident, menacé par le « terrorisme islamiste » que les gouvernements européens ont fait avaler à leurs opinions publiques leur participation à leur campagne afghane. 38 pays ont collaboré à cette guerre américaine en Afghanistan.
Contrairement à ce qui est affirmé sur tous les médias, ce n'est ni à D. Trump, ni à J. Biden que l'initiative de retrait devrait être attribuée. Dès 2010, B. Obama l'avait projetée. La question alors n'était pas le retrait, mais l'afghanisation du pays après le départ des troupes de l'OTAN (sous commandement américain, est-il besoin de le rappeler).
22 juin 2011. Obama annonce le retrait de milliers de soldats américains.
En sorte qu'en 2021, il ne s'agit plus de décision de retrait, mais de décision « d'accélération » de ce retrait.
Or, les « alliés » de Washington, au même titre d'ailleurs que les Afghans, n'ont été associés ni à cette décision de retrait, ni à son accélération, ni même à son calendrier.
Ils ont juste été informés après coup... comme d'habitude.
Il n'y a eu aucun débat à l'Assemblée nationale en France, ni ailleurs.
Certains auraient peut-être voulu des explications sur ce retrait humiliant. Après tout une centaine de soldats français y ont laissé la vie...
N'aurait-il pas été pertinent de se demander non pas pourquoi les Occidentaux s'en vont, mais plutôt pourquoi ils y sont allés et guerroyé 20 ans durant ?
Fut-ce seulement à cause de Ben Laden (au reste exécuté sans jugement au Pakistan) ?
Le plus cocasse en cette affaire d'« alliés » est qu'au moment de la déclaration de retrait unilatéral américain, les troupes sur le terrain étaient plus américaines mais dans leur majorité, européennes.
Les Etats-Unis sont aux manettes et contrôlent les opérations (comme ailleurs, en Libye ou au Sahel, par exemple) via les capacités critiques, les clés de la décision stratégique et tactique (la logistique, l'information décisive) qu'ils sont seuls à posséder.
Les Américains fixent les objectifs, déterminent le chemin à suivre et distribuent les rôles en y mettant (mais pas toujours) la forme qui convient. Les autres exécutent.
Mais cette guerre n'est pas perdue pour tout le monde. Il y a d'autres comptes à régler.
Le monde de la finance et le système militaro-industriel poussent régulièrement à la guerre inventant à chaque fois que nécessaire de nouveaux ennemis et un nouvel « empire du mal ».
En 2010, alors que la pacification du pays et la lutte contre les talibans marquaient le pas, l'USGS (United States Geological Survey) révélait l'existence de ressources minières, pétrolières et gazières d'une valeur minimum de 1000 milliards de dollars, dont près de 1,3 millions de tonnes de terres rares et 3,48 millions de tonnes de minerais de niobium... (https://www.geostrategia.fr, 13 février 2018)
Selon des chercheurs de l'université Brown, les Etats-Unis ont déboursé 2261 Mds$ entre 2001 et 2021. Les budgets du Département de la Défense et du Département d'État se sont ainsi alourdis de 1435 Mds$. Les dépenses de soin pour les vétérans ont, quant à elle, coûté 296 Mds$. Et les 530 derniers Mds$ ont été nécessaires pour payer les intérêts des emprunts contractés par les Etats-Unis pour financer cette guerre.
Entre 2001 et 2050, si on élargit aux interventions au Pakistan et en Irak, les Américains devraient verser 6 500 Mds$ d'intérêts sur les sommes empruntées pour les financer. Une montagne de dollars qui semble avoir été investie en pure perte.6
La Banque Mondiale évalue en 2020 à un peu moins de 20 Mds$ le PIB annuel de l'Afghanistan (36 millions d'habitants), soit un peu plus de 500 dollars par hab. Cela signifie que les Etats-Unis ont dépensé (sans tenir compte des créances à venir) l'équivalent de 113 PIB annuels de ce pays pour tenter officiellement de le pacifier.
Naturellement, ces sommes ont servi à bien d'autres buts qu'à la quiétude, à la prospérité et à la civilisation des Afghans. Tant d'armements commandés. Tant d'expériences « intéressantes » réalisées dans ce laboratoire in vivo... pour ainsi dire...
Certes, les Etats-Unis, notamment via le dollar et Wall Street, se débrouillent toujours pour recycler leurs dettes en les faisant endosser par le reste du monde. Il n'en demeure pas moins qu'outre les pertes géopolitiques occasionnées par cette sombre campagne, il reviendra au peuple américain de demander au bénéfice de qui réellement ces dépenses ont été ordonnées en son nom...
C'est contre ces dérives et ce « système » que naguère le général-président D. Eisenhower (qui parlait d'expérience) prévenait les Américains dans son discours de fin de mandat le 17 janvier 1961. Il ne semble pas que son avertissement ait porté.
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »
Nouveau contexte géostratégique régional : l'axe du monde bascule.
Croire que le retour des Talibans aux affaires est un retour aux conditions initiales, serait une grave erreur. Il arrive à l'histoire de bégayer, mais c'est seulement pour permettre aux vaincus de relancer une guerre perdue (déjà la « femme afghane opprimée » devient l'objet principal des tabloïds et des « une ») ou pour couvrir l'ignorance de ceux qui ont besoin d'analogies commodes pour paraître savants.
Les Etats-Unis, en l'espace de deux interventions militaires en moins de deux ans, ont rendu un immense service à l'Iran, le débarrassant de deux irréductibles ennemis : le régime de Saddam Hussein à l'ouest (ainsi fabriqué pour faire front à la Révolution de 1979) et celui des Talibans à l'est.
Le nouveau régime victorieux de l'Amérique qui triomphe à Kaboul ne sera sûrement pas dans les mêmes dispositions que celui que les Américains ont chassé en 2001. Téhéran en a pris la mesure dès le 16 août par la voix de son président tout nouvellement élu. Les Russes et les Chinois ont, depuis longtemps, pris leurs dispositions en vue l'inévitable défaite de Washington.
Désormais, il n'y a plus d'alliés de l'Occident autour de l'Afghanistan, à l'exception peut-être des ambiguës anciennes républiques socialistes soviétiques (Ouzbékistan et le Tadjikistan) qui tentent de se ménager des libertés de manoeuvre sur tous les tableaux.
Autour, il y a l'Iran, la Russie, la Chine, le Pakistan. Entre les quatre pays une coopération et des liens de plus en plus denses se tissent. Un peu plus loin, Ankara cogite et compute.
La Chine continue de tisser sa toile et de tracer ses « routes »...
En 2007, deux entreprises d'État chinoises, Metallurgical Corporation of China (MCC) et Jiangxi Copper Corporation (JCCL) ont investi 4,4 milliards de dollars dans le gisement de cuivre d'Aynak. MCC aurait proposé des investissements à hauteur de 10 Mds$ pour mettre en valeur le gisement. En plus de cela, China National Petroleum Corporation (CNPC) a sécurisé trois blocs pétroliers du champ de pétrole d'Amu Darya. À la suite de cet investissement, un accord de faisabilité a été signé avec le gouvernement afghan en 2012 pour la construction du segment afghan d'un pipeline allant d'Iran en Chine et passant par l'Afghanistan et le Turkménistan. (https://www.geostrategia.fr, 13 février 2018)
15 novembre 2020. Pékin célèbre en fanfare la conclusion du Partenariat régional économique global (RCEP), établissant sous son égide la zone de libre-échange la plus imposante de la planète, face à l'Europe et aux États-Unis toujours englués dans la pandémie. Le premier ministre Li Keqiang et 14 dirigeants des principales économies d'Asie-Pacifique ont signé, par vidéo interposée, un accord douanier spectaculaire facilitant les échanges entre plus de 2 milliards d'habitants, pesant un tiers du PIB mondial.7
La Chine a maintenant les mains plus libres pour exploiter l'amitié « proclamée » entre les deux pays à peine les troupes américaines parties. Il ne fait pas de doute que Chinois et Talibans étaient en contacts et en transactions approfondies bien avant la chute de Kaboul.
L'Inde est affaiblie, perturbée par ses désordres politiques internes, aggravés par la pandémie du Covid-19 où la dernière souche très contagieuse est née et avait pris son nom avant de devenir le « variant delta ». Acteur virtuellement majeur, sans dépourvue de moyens, elle est pour le moment écartée de l'essentiel.
L'autre nerf de la guerre.
Ne reste plus à l'Amérique que les leviers traditionnels en attendant...
Les Talibans ne pourront pas mettre la main sur les milliards de dollars de réserves de l'Afghanistan, largement détenus à l'étranger.
« Les actifs de la Banque centrale que le gouvernement afghan possède aux États-Unis ne seront pas mis à la disposition des Talibans», assurait lundi 16 août un responsable de l'administration Biden.
Au total, les réserves brutes de la Banque centrale afghane s'élevaient à 9,4 milliards de dollars fin avril, selon le Fonds monétaire international (FMI). La majorité de ces fonds sont détenus en dehors de l'Afghanistan.
Cet acte de brigandage est coutumier des pirates qui se paient sur la bête. Personne ne sait ce que sont devenus les capitaux irakiens à l'étranger après la chute de Baghdad en 2003 ou des milliards de dollars libyens après l'assassinat de M. Kadhafi en 2011. Combien ? Où ? Qui ?... « mystère et boule de gomme ».
Les États-Unis, qui dominaient l'Afghanistan militairement et financièrement depuis 20 ans, pourraient aussi tenter de bloquer l'aide prévue par le FMI et la Banque mondiale, comme ils l'ont fait avec d'autres pays dont ils cherchent à faire capituler les gouvernements, tel le Venezuela.
Réduire l'aide de façon drastique pour tenter de mettre à genoux le régime, est une tentation si... tentante. Et dire que les pays occidentaux critiquent la Chine l'accusant d'user des mêmes procédés destinés à fabriquer des obligés : endetter pour mieux astreindre...
Le FMI avait approuvé le 06 novembre 2020 un programme d'aide de 370 millions de dollars pour l'Afghanistan devant alors s'étaler sur 42 mois (trois ans et demi), avec un décaissement immédiat de 115 millions de dollars. Une seconde tranche d'aide d'un montant de 149,4 millions de dollars a été versée début juin. Il reste donc quelque 105,6 millions de dollars à verser dans le cadre de ce plan d'aide. (AFP, mardi 17 août 2021)
Chacun sait que le FMI et la Banque mondiale sont des instruments entre les mains du bellicisme américain, est un propos de complotiste.
Ce sont des institutions professionnelles, apolitiques et honorables, hors de toute inclination idéologique et qui s'acquitteront scrupuleusement de leurs obligations contractuelles...
Cette guerre a fait un peu plus de 3000 morts dans la coalition dirigée par les Etats-Unis et quelques dizaines de milliers de blessés. C'est surtout le contingent américain, en proportion de son engagement, qui en a été le plus affecté.8
Il a fait un nombre incalculable de victimes afghanes, des centaines de milliers de morts, comme d'habitude surtout parmi des civils.
En Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen, en Somalie, au Soudan... en Palestine...
Tout ça pour ça...
Notes :
1- Juillet 2000. Les Talibans avaient tenté d'éradiquer les champs de pavot en édictant une fatwa en ce sens. La production avait alors chuté de 90%. Vingt ans plus tard, l'Afghanistan est redevenu un pays totalement gangrené par la drogue. En 2020, le pays comptait 224.000 hectares de pavot, soit une hausse de 37% par rapport à 2019, selon l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC).
2- Le « commandant Massoud » figure de proue de cette coalition hétéroclite (le « Lion du Panshir ») a été éliminé dès le 09 septembre 2001. Aujourd'hui, son fils, Ahmed, reprend du service et lance un appel ce 16 août à la résistance (https://laregledujeu.org), faisant référence à l'Europe de 1940... Le 15 août il envoyait au Journal du dimanche une lettre adressée à « son ami Bernard-Henri Lévy », suppliant la France de soutenir l'armée afghane...
3- Cf. Lettre ouverte à B. Clinton du 26 janvier 1998 signée par 18 faucons poussant au renversement de S. Hussein.
4- Samuel P. Huntington (1996) : Le choc des civilisations. Traduction O. Jacob, 2000, 545 p.
5- Ex-commandant de la « Force internationale d'assistance et de sécurité » en Afghanistan entre 2010 et 2011 et directeur de la Central Intelligence Agency de 2011 à 2012. Il démissionne cette année-là pour une affaire d'adultère et, accessoirement, pour avoir détenu et transmis des informations secrètes.
6- L'Expansion-Express, le mardi 17/08/2021
7- Une gigantesque zone de libre-échange entre les 10 États de l'Asean - Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei - et la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Cela, malgré les difficultés crées par les Etats-Unis par l'entremise de l'Australie.
8- Pour éviter les « émotions » qui ont bouleversé l'Amérique lors de la guerre du Vietnam la rendant totalement impopulaire, Washington a pris deux décisions stratégiques : premièrement, l'armée sera composée de « professionnels » tarifés. Il ne s'agira plus que de soldats contractuels qui savent à quoi s'en tenir. Deuxièmement, aucun reporter « indépendants » n'accèdera au front s'il n'est pas scrupuleusement labellisé. Désormais, les guerres seront « clean », sans mort et sans images, sinon celles strictement triées par les « services compétents ».
[- 90 soldats français tués et 700 blessés : une guerre pour rien ?]
Alors que les Talibans viennent de reprendre le pouvoir en Afghanistan, rappelons que cette guerre a duré onze ans pour la France et ses soldats. Onze années durant, entre 2001 et 2012, au cours desquelles la France va perdre 90 soldats, 90 de ses fils et de ses défenseurs. Plus de 700 militaires auront également été blessés, parfois grièvement. Il s'agit du plus lourd tribut pour l'armée française depuis la guerre d'Algérie. La liste des 90 héros se trouve à la fin de ce poste
Parmi les soldats français tués, l'immense majorité sont morts au cours d'attaques ennemies. Mais d'autres ont perdu la vie différemment : mines artisanales, foudre, suicide, etc. Au moins trois soldats sont morts à cause de tirs amis. Le régiment le plus touché est le 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres, frappé de plein fouet lors de l'embuscade de la vallée d'Uzbin, en août 2008. Huit soldats issus de ce régiment ont perdu la vie en Afghanistan.
Mais d'autres unités sont également touchées : le 17e régiment du génie parachutiste, le 1er régiment de chasseurs parachutistes, le 2e régiment étranger de génie, le 2e régiment étranger de parachutistes et le 3e régiment d'infanterie de marine ont également été très touchés (cinq soldats tués pour chacune de ces unités). Au total, près de 40 régiments français ont perdu au moins un soldat au combat.
Le nombre total de militaires français engagés en Afghanistan sur toute la durée des opérations n'est pas connu, l'armée française n'ayant pas rendu cette donnée publique. Mais vraisemblablement autour de 70 000 soldats, dont jusqu'à 4000 en même temps.
Aujourd'hui, les Talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, 20 ans après en avoir été chassés par la Coalition internationale. Si pendant cette période, les progrès ont été nombreux (place des femmes, fin d'une justice autoritaire, développements des infrastructures, ...), la situation actuelle ne laisse que peu de doutes sur le futur de ce pays. Et une question, lancinante et douloureuse : si les progrès en Afghanistan ont été réels et que nos soldats ont contribué à tout cela, portant haut notre vision et nos valeurs, comment ne pas croire que tout ceci n'aura au final été un échec prévisible ?
Vous trouverez à la suite la liste de nos soldats morts en Afghanistan durant le conflit, entre 2004 et 2012
05/08/2013 - Adjudant Thomas Gwenaël - BA 123
07/08/2012 - Major Franck BOUZET - 13e BCA
09/06/2012 - Major Thierry SERRAT - GIACM
09/06/2012 - Adjudant Stéphane PRUDHOM - 40e RA
09/06/2012 - Maréchal des logis- chef Pierre-Olivier LUMINEAU - 40e RA
09/06/2012 - Brigadier-chef Yoann MARCILLAN - 40e RA
27/03/2012 - Chef d’escadron Christophe SCHNETTERLE - 93e RAM
20/01/2012 - Major Fabien WILLM - 93e RAM
20/01/2012 - Major Denis ESTIN - 93e RAM
20/01/2012 - Adjudant Svilen SIMEONOV - 2e REG
20/01/2012 - Maréchal des logis Geoffrey BAUMELA - 93e RAM
29/12/2011 - Major Mohammed EL GHARRAFI - 2e REG
29/12/2011 - Sergent-chef Damien ZINGARELLI - 2e REG
14/11/2011 - Caporal Goran FRANJKOVIC - 2e REG
07/09/2011 - Capitaine Valéry THOLY - 17e RGP
14/08/2011 - Capitaine Camille LEVREL - 152e RI
11/08/2011 - Sergent Facrou HOUSSEINI ALI - 19e RG
07/08/2011 - Caporal-chef Kisan Bahadur THAPA - 2e REP
Tous les portraits des soldats ne sont pas dans la photographie de ce poste. Il ne s'agit pas d'un choix, mais d'une difficulté technique de mettre 89 portraits.
Nous vivons une drôle et tragique époque, marquée par l'irrationalité et la montée des forces du Chaos. Ces guerres locales injustes, inefficaces et coûteuses devraient appeler à un ordre international plus juste, plus fraternel, dans l'intérêt et le respect mutuels.
Nous vivons une drôle et tragique époque
Un des grands paradoxes de notre temps, marqué par une forte accumulation des connaissances censées faire reculer les ténèbres, est l'extraordinaire résurgence des forces du Chaos, notamment le complotisme, l’hypocrisie, les mensonges et les instrumentalisations.
L'actualité fourmille de faits divers tragiques qui en disent long sur la tragédie que nous vivons, et donc l'impuissance des forces de l’Harmonie à nous guider vers la Lumière et le Bien souverain. Ainsi tout récemment, au Sénégal, un camionneur malien, dans un accident de la route écrasant un taxi, avait causé la mort de 4 personnes. Cet incident dramatique a été suivi de scènes horribles et condamnables de lynchage forçant les gouvernants sénégalais et malien à appeler à la retenue et au calme.
En Algérie, à la suite d'importants feux de brousse en Kabylie, avec au moins 71 morts. Un jeune homme, Djamel, soupçonné d'être pyromane, a été battu à mort et brûlé par une foule déchaînée. Par ailleurs la cagnotte, sur Leetchi, ouverte par l'écrivain Yasmina KHADRA, pour venir en aide aux malades du Covid-19 (achat d'oxygène), a été sabotée. Sur le plan politique on n'a pas compris que le président tunisien, M. Kaïs SAIED, en pleine crise grave du Covid-19, n'ait trouvé d'autre réponse que de suspendre le Parlement et remercier son premier ministre, ajoutant ainsi la crise à la crise. A Djibouti, un régime monarchique et sanguinaire, le nettoyage ethnique continue et cette période récente est marquée par des massacres, avec une grande indifférence de la communauté internationale. «Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir» disait mon arrière-grand-mère Dourma LY.
Depuis longtemps l'Occident prétend défendre la démocratie, les droits de l'homme et lutter efficacement contre les forces du Mal qui ne peuvent être que le fondamentalisme musulman. Or, cette prétention, particulièrement honorable, est largement contredite par les faits. En effet, l'Afghanistan a d'abord été le terrain d'affrontement entre l’Occident et le monde communiste, sans aucune prise en compte des intérêts de la population, et notamment des femmes. Dans ce bourbier, les Russes, vaincus, ont fini par déguerpir.
Depuis plus de 20 ans, quatre gouvernements américains (2 équipes Démocrates et 2 équipes de Républicains) s'y sont cassés les dents. Leur préoccupation majeure, ce n'était pas la défense de la démocratie ou des droits de la femme ; c'était bel et bien une opération de politique intérieure américaine punitive, après l'odieux attentat du 11 septembre 2001 (2753 morts). Il n'a échappé à personne que la majorité des membres de ce commando, ce n'était pas des Afghans, mais des Saoudiens : Oussama BIN LADEN (1957-2011) et ses acolytes. Mais c’est l’Afghanistan, un pays arriéré et encore féodal, qui est devenue le terrain de guerre. L'Arabie Saoudite, avec son Wahhabisme et son islam rigoriste, ainsi que le Qatar, sont les principales sources de financement du fondamentalisme. Mais comme ces pays sont du bon côté, celui du monde dit libre, comment séparer la bonne graine de l'ivraie ? Distinguer les «bons» et des «mauvais» islamistes, suivant leur orientation politique et leur docilité, est devenu la plus grande fumisterie de notre temps.
Par ailleurs, le premier président Afghan, Hamid KARZAI, comme Ashraf GHANI l'actuel président qui s'est vite sauvé, abandonnant lâchement son pays, sont des chefs d’Etat fantoches, qui ont installé une corruption généralisée. Les Talibans, et de longue date, pourtant musulmans, lapidant, coupant des mains ou exécutant à la moindre incartade, sont des barons de la drogue ; et personne n’a vraiment songé à mettre fin à cette entreprise criminelle.
Finalement, les Occidentaux, avec leur armada militaire et leurs milliards, refusant de se battre au sol, ont délégué cette mission périlleuse aux Afghans qui, eux-mêmes n'ont opposé qu'une faible résistance aux Talibans. Dans cette débandade générale et honteuse, certains Afghans s'étant accrochés, au péril de leur vie, aux ailes des avions ; ils se sont sentis trahis et abandonnés.
Dans les médias, on nous tympanise, à longueur de journée, sur le sort peu enviable des femmes en Afghanistan, mais aucun pays occidental ne s’empresse de les accueillir sur son territoire. Tout cela n’est qu’hypocrisie, des larmes de crocodile, et propagande politique creuse, à destination de l’opinion publique interne. Le président Emmanuel MACRON, déjà fortement lepénisé dans son orientation politique, a vu tout de suite le profit politique à tirer de la situation, en agitant les peurs irrationnelles. En effet le président MACRON s’inquiète d’éventuels «flux migratoires irréguliers» en provenance d’Afghanistan, et donc la nécessité pour la France de se «protéger contre les flux migratoires irréguliers importants».
Je l'ai souvent écrit, et je le redis encore au risque de me répéter, ces guerres locales, coûteuses, souvent sans mandat des Nations unies, sans objectifs atteignables, appellent de ma part plusieurs remarques :
1 - Abandonner le concept de démocratie ethnique avec ses indignations à géométrie variable.
Quand j'entends certains dire : «Notre démocratie, notre civilisation». Foutaises que tout cela ! Ils s’en fichent de la femme afghane ou Ouïghour ; ce qui les intéresse, ce sont les profits de la haute finance, leur petite soupe. Par conséquent, cette hypocrisie m'irrite au plus haut point, notamment après le matraquage des Gilets jaunes, des personnels hospitaliers et des retraités.
Les régimes dictatoriaux sont une calamité pire que la guerre ou les dérèglements climatiques pour les pays faibles. Or, tous les peuples de la terre ont droit au bonheur, à la paix, à la sécurité et donc à la démocratie et aux droits de l’Homme, des concepts universels, un combat de chaque instant.
Pour une paix durable, il faudrait bannir ces gouvernements fantoches qui se sauvent, avec le magot de guerre, à la moindre étincelle, abandonnant ainsi lâchement leurs concitoyens. Ces scènes à l'aéroport de Kaboul, de personnes désespérées, en disent long sur l'immoralité dans la conduite des relations internationales.
2 - Fonder les relations internationales sur un ordre juste,
à savoir sur des intérêts mutuellement avantageux, dans le respect mutuel, la justice et l'équité.
Des pays, jadis stables (Irak, Libye, Syrie, Somalie), ont été ruinés, et leurs populations sur le chemin de l'exil ou abandonnées dans la misère. Ainsi, Bachar Al-ASSAD, le président syrien, après plusieurs années de guerre, est toujours aux commandes d'un pays ruiné. Saddam HUSSEIN (1937-2006), en Irak et Mouammar KADHAFI (1942-2011), en Libye, ont été liquidés, fort injustement, et cela n'a fait qu'accroître l'insécurité dans le monde, avec son flot de réfugiés.
L'intervention désastreuse de la France au Mali n’a fait qu’empirer la situation. C'est quoi donc tous ces coups de menton, ces mensonges et instrumentalisations ?
3 - Bâtir un «Monde d'après», plus juste et plus fraternel.
Tout ce discours ronflant sur la démocratie, la lutte contre le terrorisme et l'islamisme et ces guerres locales meurtrières, ne visent qu'à occulter les grands problèmes de notre temps. Cette pandémie nous invite, plus que jamais, à réévaluer nos valeurs fondamentales.
Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, l’Humanité n’a jamais connu une si longue période d’accalmie. Auparavant, il y avait ces 4 siècles d’esclavage avec 40 millions de victimes, la colonisation et ses guerres perdues d’avance, avec le nombre de ses victimes qu’il faudra un jour évaluer.
En raison de la fin de la Guerre froide, tout ce qu’ont trouvé les pays riches, ce sont des guerres locales contre les faibles, souvent pour du pétrole ou une prétendue menace terroriste ou islamiste. Toutes ces guerres lamentablement ont échoué.
Les milliards dépensés dans des guerres inutiles, meurtrières et coûteuses, auraient pu servir à de nobles causes.
Dans les pays occidentaux, et notamment en France, sans vigilance des citoyens, je crois qu’après les élections présidentielles d’avril 2022, si par malheur les partisans du Chaos gagnaient, le chômage partiel sera immédiatement aboli, et toutes ces réformes scandaleuses (retraites, chômage) appliquées.
Pourtant ce ne sont pas les défis qui manquent : pouvoir d’achat, réindustrialisation et relocalisation des entreprises, grandes infrastructures pour les JO de 2024, et cette question du logement, avec ses pénuries récurrentes. Tous les maires de France sont envahis de demandes de logement, et dans certaines villes, les loyers ne cessent de grimper, amputant ainsi lourdement et injustement le budget des plus modestes.
Sur le front de la pandémie, qui est loin d’être finie, et au moment où des complotistes refusent de se faire vacciner, des personnes meurent, par milliers, faute de vaccins et d’oxygène en Afrique (Sénégal, Tunisie, Maroc, Algérie).
Un article signé Denis Souchon dans "le Diplo" de février 2016, énorme travail de compilation... 1980-1987 : le djihad afghan de la presse française dans tout ses états, à la fois croquignoles que, stupéfiant et très instructif !
Pendant une période comprise entre la défaite cinglante des Etats-Unis en Indochine (avril-mai 1975) et les craquements en chaîne dans les pays européens satellites de l’Union soviétique (notamment en Pologne, où l’état d’urgence est proclamé en décembre 1981), les Etats-Unis et l’Europe occidentale imaginent — ou font croire — que Moscou a lancé une grande offensive mondiale. En Afrique, l’Angola et le Mozambique, nouvellement indépendants, semblent lui tendre les bras ; en Amérique centrale, des guérilleros marxistes font tomber une dictature proaméricaine au Nicaragua ; en Europe occidentale, un parti communiste prosoviétique oriente pendant quelques mois la politique du Portugal, membre fondateur de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. L’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, en décembre 1979, semble marquer une fuite en avant de Moscou. Elle ouvre une nouvelle étape de la guerre froide entre les deux blocs. Le combat des moudjahidins (« combattants de la foi engagés dans le djihad ») afghans va apparaître comme providentiel pour contrer les ambitions hégémoniques prêtées à l’Union soviétique. Et, souvent, être célébré à la façon d’une épopée.
Peu importe que la quasi-totalité de ces combattants héroïsés soient des musulmans traditionalistes, intégristes, même. A cette époque, la religion n’est pas nécessairement perçue comme un facteur de régression, à moins qu’elle s’oppose, comme en Iran au même moment, aux intérêts stratégiques occidentaux. Mais ce n’est le cas ni dans la Pologne catholique couvée par le pape Jean Paul II, ancien évêque de Cracovie, ni, bien sûr, en Afghanistan. Par conséquent, puisque la priorité géopolitique est que ce pays devienne pour l’Union soviétique ce que le Vietnam a été pour les Etats-Unis, un récit médiatique quasi unique va, pendant des années, exalter les moudjahidines, présentant leur révolte comme une chouannerie sympathique, attachée à sa foi. Il dépeindra en particulier la place et la vie des femmes afghanes à travers le prisme essentialiste, naïf (et parfois enchanté) des traditions populaires.
Revenir trente-cinq ans plus tard sur ce discours général et sur ses images d’Epinal, pléthoriques dans la presse française — du Figaro Magazine au Nouvel Observateur —, permet de mesurer à quel point presque tout ce qui suscitait hier l’admiration quand il s’agissait de populariser le combat contre l’« empire du Mal » (l’Union soviétique selon Ronald Reagan) est devenu depuis source d’exécration et d’effroi. Entre 1980 et 1988, on applaudissait les exploits des « combattants de la foi » contre l’Armée rouge. A partir de la décennie suivante, leurs cousins idéologiques en Algérie (Groupe islamique armé, GIA), puis en Afghanistan (talibans), et plus récemment au Proche-Orient avec Al-Qaida et l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), ont été dépeints sous les traits de « fanatiques », de « fous de Dieu », de « barbares ».
Assurément, les moudjahidines des années 1980, qui ne commettaient pas d’attentats à l’étranger, se distinguent par plusieurs aspects importants des militants du GIA algérien ou des membres de l’OEI. Il n’en est pas moins vrai que l’Afghanistan a souvent servi de creuset et d’incubateur à leurs successeurs. Le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, considéré comme le « père » de l’OEI, y a débarqué au moment où l’Armée rouge s’en retirait et y est demeuré jusqu’en 1993. Oussama Ben Laden, fondateur d’Al-Qaida, a été dépêché par les services secrets saoudiens à Peshawar, au Pakistan, afin d’appuyer la lutte des moudjahidins. L’Algérien Mokhtar Belmokhtar, dont le groupe, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), vient de revendiquer l’attaque contre l’hôtel Le Splendid à Ouagadougou, au Burkina Faso, est parti lui aussi pourchasser les alliés afghans de l’Union soviétique à la fin des années 1980 ; il est ensuite revenu en Algérie pendant la guerre civile et a combattu avec le GIA (les Algériens ayant le même parcours étaient appelés les « Afghans ») avant de rejoindre Al-Qaida. Ceux-là, et beaucoup d’autres, ont été accueillis favorablement par l’Occident tant qu’ils servaient ses desseins stratégiques. Puis ils se sont retournés contre lui. L’image que la presse européenne ou américaine donna de leurs motivations, de leur extrémisme religieux, de leur férocité changea alors du tout au tout…
1. Alliés stratégiques de l’Occident
Le 3 février 1980, quelques semaines après l’intervention militaire de l’Union soviétique en Afghanistan (1), M. Zbigniew Brzezinski, conseiller pour les affaires de sécurité du président américain James Carter, se rend au Pakistan. S’adressant aux moudjahidins réfugiés de l’autre côté de la frontière, il leur promet : « Cette terre, là-bas, est la vôtre. Vous y retournerez un jour parce que votre combat va triompher. Vous retrouverez alors vos maisons et vos mosquées. Votre cause est juste. Dieu est à vos côtés. »
Le discours médiatique français relatif à l’Afghanistan va alors favoriser l’objectif géopolitique américain.
Devoir d’ingérence
« Il faut penser, il faut accepter de penser que, comme tous les résistants du monde entier, les Afghans ne peuvent vaincre que s’ils ont des armes, ils ne pourront vaincre des chars qu’avec des fusil-mitrailleur, ils ne pourront vaincre les hélicoptères qu’avec des Sam-7, ils ne pourront vaincre l’armée soviétique que s’ils ont d’autres armes (...) que celles qu’ils parviennent à ravir à l’Armée rouge, bref, si l’Occident, là encore, accepte de les aider. (...) Je vois que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui n’est pas très différente de celle de l’époque de la guerre d’Espagne. (...) En Espagne, il y avait un devoir d’intervention, un devoir d’ingérence. (...) Je crois qu’aujourd’hui les Afghans n’ont de chances de triompher que si nous acceptons de nous ingérer dans les affaires intérieures afghanes. » Bernard-Henri Lévy, journal télévisé de la nuit de TF1, 29 décembre 1981
Bernard-Henri Lévy appuiera avec la même ferveur l’intervention occidentale en Afghanistan consécutive aux attentats du 11 septembre 2001.
Comme au temps de la Résistance en France
« Pour permettre aux Afghans de parler aux Afghans, comme, pendant l’occupation en France, les Français parlaient aux Français, le Comité droits de l’homme a décidé d’aider la résistance afghane à construire une radio sur son territoire : Radio-Kaboul libre. Il y a un an et demi, le 27 décembre 1979 (...), l’une des premières puissances du globe venait d’envahir un pays voisin, faible et sans défense. (...) Les vieux fusils sortent des coffres, les pistolets de dessous les bottes de paille. Mal armée, la résistance se lève. »
Ici, Marek Halter renvoie à un vers connu du Chant des partisans, hymne de la Résistance française : « Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. »
Le combat de toutes les victimes du totalitarisme
« Le combat des Afghans est celui de toutes les victimes des totalitarismes communistes et fascistes. » Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980
« Comme à Berlin, comme à Budapest, l’Armée rouge a tiré »
« “Allah o Akbar” (“Dieu est le plus grand”), “Shuravi [les Russes] dehors” : musulmans et non communistes, les Kaboulis n’ont pas oublié. Le vendredi 22 février, ils entendaient manifester, drapeau vert de l’islam en tête, contre la présence de l’armée soviétique, jugée insupportable. Ce matin-là, comme jadis à Berlin-Est et à Budapest, l’Armée rouge a tiré. (...) Entre Marx et Allah, le dialogue apparaît impossible. » Jean-François Le Mounier, Le Point, 3 mars 1980
Se débarrasser de l’occupant soviétique, préserver une société d’hommes libres
« Un regard d’une fierté inouïe qu’on aurait du mal à rencontrer ailleurs dans le monde et qui donne une exacte mesure de la farouche volonté des Afghans de se débarrasser de l’occupant soviétique, même si leurs moyens peuvent paraître dérisoires. » Patrick Poivre d’Arvor, journal d’Antenne 2, 8 juillet 1980
« Ce qui meurt à Kaboul, sous la botte soviétique, c’est une société d’hommes nobles et libres. » Patrice de Plunkett, Le Figaro Magazine, 13 septembre 1980
Comme les Brigades internationales, les « Afghans » de l’Hexagone
Dans Le Monde du 19 décembre 1984, Danielle Tramard évoque quelques-uns des Français qui « travaillent avec les résistants afghans ». Nulle crainte à l’époque que ces combattants étrangers reviennent dans leur pays « radicalisés » par l’expérience de la guerre.
« C’est cela, l’amitié franco-afghane : un ami qui aide son ami. (...) François a appris le persan, comme Isabelle. Cet été, la frontière franchie, il a marché à pied pendant six jours, de jour et de nuit, parfois dans la boue, à un rythme assez soutenu. »
Claude Corse consacre à son tour un reportage du Figaro Magazine, le 19 décembre 1987, aux médecins, agronomes et ingénieurs français qui aident les Afghans. Avec une référence à la Résistance française.
« Barbes, turbans et même l’œil farouche : ces Afghans typiques sont des Français. Parmi eux, un marin breton spécialiste des vents de Polynésie, qui s’est fait agronome montagnard par goût pour un peuple qui vit vent debout ! (...) Précieuse ressource vivrière, cet arbre de vie [un châtaigner] symbolise l’espérance d’un peuple d’irrédentistes uni contre l’envahisseur communiste, comme les bergers corses de la Castagniccia le furent jadis contre les armées d’occupation. »
2. Exotisme et jolis paysages
Vaincre le communisme soviétique ne constituait pas un objectif universellement populaire en France. Pour que la cause des Afghans, patriotique mais aussi traditionaliste, dispose d’appuis plus nombreux, les grands médias l’associent à un désir d’aventure, à un paradis perdu. C’est d’autant plus facile que le combat afghan se déroule dans un cadre géographique enchanteur, avec des lacs purs qui accrochent le regard. Le pittoresque des paysages (et des traditions) de l’Afghanistan renvoie toute une génération occidentale devenue adulte dans les années 1960 au pays dont ont rêvé les routards et qu’ils ont parfois traversé pour se rendre à Katmandou. Retour à la nature, aux vraies valeurs, aux « montagnes cruelles et belles ». L’Afghanistan comme antithèse de la civilisation moderne, matérialiste et marchande.
« Ici Radio- Kaboul libre… », par Bernard-Henri Lévy, Le Nouvel Observateur, 12 septembre 1981.
« On oublie que c’est la guerre tellement c’est beau »
« Cela commence comme une histoire d’amour. Ils sont presque tous allés en Afghanistan. Dès le premier voyage, c’est l’attirance définitive. Ils décrivent “l’endroit par excellence où l’on est loin : pas de chemin de fer, pas d’industrie”. L’espace et la liberté : “Un Afghan ne vous regarde pas, ne vous importune pas.” Isabelle dit aussi : “Par moments, on oublie que c’est la guerre tellement c’est beau.” »
Danielle Tramard, Le Monde, 19 décembre 1984
« Les plus fertiles, les plus colorés, les plus éclatants »
« L’Hindou Kouch s’étire du nord-est au sud-ouest, surplombant de ses 5 000 mètres les vallées les plus fertiles, les fruits les plus beaux, les vêtements les plus colorés, les bazars les plus éclatants, et barre au nord et au sud des déserts de sable doré. »
Robert Lecontre, Le Figaro Magazine, 12 janvier 1980
« Leur barbe noire, leur nez busqué et leur regard
« Impressionnants avec leur barbe noire, avec leur nez busqué et leur regard aigu, ils font penser à des rapaces. Ce sont des guerriers-nés, indifférents à l’effort, au froid, à la fatigue. Ce sont des êtres à part, insensibles à la solitude, à la faim, à la mort. Armés de vieux fusils Enfield, modèle 1918, ils font mouche à 800 mètres. L’histoire a démontré qu’aucune armée venue d’ailleurs, ni même de l’intérieur, n’a pu les mater. (...)C’est cette accumulation de triomphes, c’est cette hécatombe des ennemis, c’est leur orgueil, c’est leur fierté qui, aujourd’hui, permettent encore à 17 millions d’Afghans de croire que, bientôt, tapis dans leurs repaires du Toit du monde, là où Kipling a fait vivre son Homme qui voulut être roi, leurs défenseurs seront encore triomphants. »
Jerôme Marchand [avec Jean Noli], Le Point, 21 janvier 1980
« Qu’est devenu ce cavalier enturbanné cheminant dans la neige ? »
« Que sont devenus ces caravaniers pachtounes, sirotant leur thé vert dans une maison de thé, leur fusil près d’eux ; ce berger de l’Hindou Kouch près d’un point d’eau ; ce cavalier enturbanné cheminant dans la neige ? (...) Les dunes géantes que le vent sculpte en vagues, les rues de Herat où l’odeur des roses que respire un vieillard vous entête, où les portes cloutées, d’un bleu paradis, des maisons des riches vous intriguent, où vous surprend inopinément le mollet gainé de blanc d’une femme complètement cachée sous le tchador plissé et dont le regard filtre à travers le grillage d’une broderie... »
Nicole Zand, Le Monde, 9 décembre 1980
« La ténacité qu’engendrent le froid sidéral, les vents de sable brûlants »
« Habitués à vivre durement, les Afghans ont la ténacité qu’engendrent les paysages austères, le froid sidéral, les vents de sable brûlants. (...) Il règne au sein de notre petite communauté une harmonie étonnante. Pendant des jours et des jours, les moudjahidins ne se quittent pas d’une semelle, et pourtant il n’y a presque jamais de frictions entre eux. (...) Le compagnonnage de la révolte bouscule les hiérarchies traditionnelles. (...) Celui qui a le cafard est vite ressaisi par la bonne humeur, l’humour et la chaleur du groupe. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
3. Des combattants qui ont la foi
Entre des Français de moins en moins religieux, souvent pétris de libéralisme culturel, et des Afghans traditionalistes, soutenus à la fois par l’Arabie saoudite et l’Iran, l’affinité ne va pas de soi. D’où l’importance de présenter les moudjahidines comme des gens simples qui ont la foi et qui tiennent à leurs coutumes ancestrales, à leurs solidarités villageoises. L’affrontement, souvent meurtrier, entre clans et tribus antisoviétiques est présenté à la manière du combat, sympathique et désordonné, des villages gaulois contre les légions romaines.
« Ces “Afghans” ? Des médecins et ingénieurs français », par Claude Corse, Le Figaro Magazine, 19 décembre 1987.
Un islam sans « politisation extrême comme en Iran, ni surchauffe »
« Ne mélangeons pas les genres. A Téhéran, l’intégrisme correspond à une folle libération du petit peuple des villes après vingt années de mégalomanie, de gâchis et d’occidentalisation criarde. En Afghanistan, il ne s’agit que de tradition, et rien que de tradition. Pas de politisation extrême comme en Iran, ni de surchauffe. La ferveur est de toujours. (...) Les montagnards et maquisards de Dieu ont la foi. »
Pierre Blanchet, Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1980
« Je crois que la révolution islamique de Khomeiny rend un mauvais service à la cause afghane. Mais la résistance afghane n’a pas la radicalité des mouvements révolutionnaires iraniens, et les courants qui présentent un caractère sectaire y sont très minoritaires. »
Jean-Christophe Victor, Les Nouvelles d'Alsace, Décembre 1983
Les « combattants de la guerre sainte »
« Les Afghans ont la pudeur et le fatalisme qu’implique une confiance absolue en la volonté d’Allah. On dirait qu’il n’existe pas de mode de vie plus attrayant ni d’occupation plus élevée que celle de combattant de la guerre sainte. Elle rapproche chacun de la vie du Prophète. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
Indisciplinés, vaniteux, bavards, mais courageux
« Comme hier, le moudjahid reste avant tout un paysan attaché à sa terre. Il saura la défendre avec ténacité, mais souvent perdra toute agressivité si elle n’est pas menacée. (...)Les défauts propres au caractère afghan — indiscipline, tendance à l’inflation verbale, difficulté à garder le secret — ne doivent pas faire oublier les qualités principales de ces hommes. Leur courage et leur capacité de souffrance sont réels et ils savent faire preuve, quand il le faut, d’une audace remarquable. »
Patrice Franceschi, Le Point, 27 décembre 1982
« Leur islam vaut bien le communisme à la soviétique »
« Il y a l’opposition, indirecte et perfide, de ceux qui se demandent si les résistants valent mieux que les occupants : si leur islam n’est pas “primitif et barbare” ; si, en définitive, il faut bien risquer de “mourir pour Kaboul”. C’est à cette démission qu’on nous convie de toute part tandis que les Afghans se font tuer et appellent à l’aide. Devant leur SOS, il faut alors proclamer bien haut que la résistance des Afghans contre les occupants soviétiques est juste comme toutes les guerres de libération. (...) Outre que leur islam vaut bien le communisme à la soviétique et que le premier est aussi “globalement positif” que le second, il est scandaleux de s’interroger sur leur civilisation au moment où ils la défendent avec le plus d’héroïsme. »
Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 16 juin 1980
Un journaliste du « Figaro Magazine » embrasse « de bon cœur » le Coran
« Avant toute attaque, la prière : une prière rapide par laquelle chacun recommande son âme à Allah. Les résistants passent ensuite sous un drapeau tendu dans lequel est déposé un petit Coran. Certains l’embrassent, d’autres s’inclinent en signe de ferveur. Anayatollah a insisté pour que j’accomplisse moi aussi le rituel. Je l’ai fait de bon cœur. C’est effectivement dans l’islam que ce peuple afghan maintient sa cohésion et puise la force morale qui lui permet de résister. Le djihad (guerre sainte) et le caractère islamique de cette résistance peuvent effrayer mais, à de rares exceptions près, on ne leur connaît pas de forme fanatique. »
Stan Boiffin-Vivier, Le Figaro Magazine, 5 décembre 1987
4. L’épineuse question des femmes
Résistance et courage, solidarités communautaires, exotisme et beauté ne permettent pas d’éluder indéfiniment la question, forcément épineuse — surtout pour des Français dont la conscience politique a été transformée par les combats féministes —, du statut des femmes afghanes. Cette difficulté peut d’autant moins être niée que les communistes afghans ont interdit le mariage des enfants et réduit l’importance de la dot. Mais l’obstacle est contourné grâce à une mise en garde contre une perception trop occidentale de la situation afghane. On explique alors que certains comportements et symboles changent de sens en changeant de pays. En soi, la chose n’est pas fausse. Mais un tel relativisme culturel n’aura plus cours sitôt que le combattant « qui ne nous ressemble pas » passera du statut d’allié à celui d’adversaire.
Image extraite du livre de Roland et Sabrina Michaud Mémoire de l’Afghanistan, éditions du Chêne, Paris, 1985.
L’« européocentrisme total » n’aide pas à comprendre la condition des femmes afghanes
« L’“oppression” de la femme n’est qu’une pièce dans ce système. Un européocentrisme total n’aide nullement à comprendre le fonctionnement de cette société, dans la mesure même où l’“oppression” pèse souvent autant sur les hommes que sur les femmes, dans le cas du mariage arrangé par les parents, par exemple. »
Emmanuel Todd, Le Monde, 20 juin 1980
Les femmes sont nécessairement soignées par d’autres femmes
« Jamais une femme afghane ne se laissera examiner par un médecin homme. (...) Sous les tentes munies du matériel nécessaire, les Afghanes, enroulées dans leurs voiles, continuent d’affluer, parce qu’elles sont accueillies, écoutées, soignées par des femmes, et elles amènent leurs enfants, souvent atteints aux yeux ou par des maladies de peau, ou de tuberculose. »
Françoise Giroud, première secrétaire d'État à la condition féminine en France, Le Monde, 25 janvier 1983
L’« armée des ombres de la résistance afghane »
« Lorsque j’évoque l’existence de combattantes armées dans d’autres pays musulmans, elles demeurent rêveuses. Il n’y a bien sûr aucune femme dans les rangs des moudjahidins. Mais il en est qui transportent des explosifs sous leur tchador ou qui servent d’agent de liaison, portant des messages en ville. (...)Les femmes sont l’armée des ombres de la résistance afghane. »
Catherine Chattard, Le Monde, 20 mai 1985
Ne pas les empêcher de vivre comme ils l’entendent
« Une Française, photographe, est parmi nous. Il n’y a pas d’autre femme. Pourtant, elle a été acceptée, sans problème, sans aucun voile, ce qui n’aurait jamais été admis dans les mêmes circonstances en Iran. Comme si, ici, l’islam n’était pas le moyen exacerbé d’une politique, comme en Iran, mais quelque chose de plus fondamental et de plus simple. (...) Au nom de quel progressisme empêcherait-on les Afghans de vivre comme ils l’entendent ? »
Pierre Blanchet, Le Nouvel Observateur, 5 juillet 1980
« Que valent nos critères dans une société que nous ne comprenons plus ? »
« Selon nos critères, on pourrait parler de l’aliénation des femmes en Afghanistan. Mais que valent nos critères dans une société que nous ne comprenons plus ? L’archaïsme des relations hommes-femmes en Afghanistan nous choque, mais il ne peut être remis en question que par une évolution qui doit se faire, là aussi, à son propre rythme et au moment que choisiront les femmes afghanes elles-mêmes. Et ce ne peut s’imposer de l’extérieur avec des soldats et des tanks. »
Annie Zorz, Les Temps modernes, juillet-août 1980
« Le système de la “compensation matrimoniale” à verser, dans beaucoup de sociétés du monde, en Asie comme en Afrique, avant de pouvoir épouser une jeune fille présente bien sûr de nombreux inconvénients, surtout pour les jeunes gens à marier. Pourtant, dans les sociétés rurales pauvres, il constitue indubitablement une certaine protection pour l’épouse. L’institution de la compensation matrimoniale était perçue en Afghanistan comme la reconnaissance de l’importance des femmes. Dans la société telle qu’elle était, la supprimer brutalement revenait à déprécier les femmes. C’était, pour les paysans, montrer du respect et de la considération envers sa fille et envers soi-même que de ne pas vouloir la donner pour rien à n’importe qui, sans que son avenir soit assuré. »
Bernard Dupaigne, Les Nouvelles d'Afghanistan, octobre 1986
« La polygamie est dans certains cas un moyen pour l’homme de gérer ses conquêtes et de répondre à un moment donné à des nécessités économiques. Mais c’est également une protection pour la femme stérile qui peut ainsi exister et être intégrée dans une famille et donc dans un tissu social. (...) La dot est dans certains pays, comme l’Afghanistan, une garantie pour la femme, car, le jour du divorce, elle peut la récupérer ainsi que tous les biens qu’elle avait engagés lors du mariage. (...) D’autres vous diront que le port du voile n’est pas en soi un comportement rétrograde, mais un moyen pratique d’être respectée et aussi une question d’honneur. (...) Là où les Occidentaux voient des signes d’oppression existe souvent en fait une réalité plus complexe. (...) Le rôle des femmes est donc très valorisant et très valorisé. »
Chantal Lobato, Autrement, décembre 1987
Epilogue (provisoire)
Le régime communiste afghan de Mohammed Najibullah survivra trois ans au départ, en février 1989, des troupes soviétiques. Puis, en 1996, après plusieurs années d’affrontements meurtriers entre clans anticommunistes rivaux, Kaboul tombe aux mains des talibans. Ils s’emparent de Najibullah, réfugié dans un bâtiment des Nations unies, le
torturent, le castrent, le fusillent et pendent son corps à un réverbère.
Le 15 janvier 1998, Le Nouvel Observateur demande à M. Brzezinski s’il « ne regrette pas d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ». Sa réponse : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »
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