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Les secrets de la cigogne. Autobiographie de Aïcha Bouabaci. Papyrus Editions, Alger ( ?), Saïda ( ?) 2023, 306 pages, 1.200 dinars
Portraits, souvenirs, émotions..., le tout d'une manière très très personnelle. Voilà donc une autobiographie qui sort de l'ordinaire, en ce sens que l'auteure nous raconte sa vie et celles des autres au temps de son enfance et de sa jeunesse.
Une ville, Saïda, une ville-garnison avec des casernes et des légionnaires et des appelés plus tard. Un espace de vie limité (emprisonné ?) de tous les côtés par les casernes. Une ville (coloniale et colonisée) avec une population d'origine européenne (surtout d'après ce que j'ai compris, des Alsaciens et des Espagnols et d'anciens militaires retraités) de condition moyenne, mis à part quelques gros fermiers.
Dans ces conditions, tout particulièrement avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, la vie (du point de vue d'un (e) enfant) s'écoule presque (pas toujours !) sans problèmes avec même une certaine «cohabitation» pacifique ; l'innocence enfantine et le plaisir des jeux prenant le dessus. Il est vrai que par la suite, à Saïda, on a découvert que pas mal de «pieds-noirs» avaient supporté le combat nationaliste (Charles Koenig, maire de la ville en 1960 n'a-t-il pas eu, après 1962, une responsabilité au sein de l'Exécutif provisoire).
Mais là n'est pas l'intérêt à apporter à cet ouvrage, assez original, en ce sens (et, c'est, je crois, le premier du genre à placer même avant «Ce que le jour doit à la nuit») qu'il nous décrit, simplement, directement, sans amour mais sans haine le monde «d'avant» -un monde qui a bel et bien existé et dont les traces sont encore là - avec détails et avec franchise, sans pourtant occulter les discriminations alors existantes, qu'elles aient été visibles ou non. Une autre manière d'écrire l'histoire ! Pourquoi pas ?
L'Auteure : Née à Saïda en 1946. Formée d'abord à l'Ecole normale des institutrices d'Oran puis d'Alger. Etudes de droit au Pays-Bas. Études à la Faculté des lettres et sciences humaines d'Alger (Dea en art, langue et littérature). Enseignante de français dans plusieurs pays et fondatrice-animatrice d'un Café littéraire à Saïda (2013-2015). Membre du Parlement des écrivaines francophones.
Extraits : «Les manuels scolaires officiels et les ouvrages d'historiens ne racontent pas ces vies profondes, ces mémoires individuelles qui charrient tous les détails; ceux de leurs propres vies; c'est certainement ces mémoires qui doivent se dérouler pour dire l'histoire authentique qui ne mérite pas, tant son passé est dense, que des fragments de vies disparaissent, soient occultés car ce sont ces fragments de vie qui nourrissent les mémoires de ceux qui suivent» (pp 13-14), «On ne conte que la nuit; oser conter le jour c'était courir le risque de devenir teigneux ! Du moins, c'est ce que racontaient les grandes personnes !» (p 73), «Maman m'a toujours rappelé que lorsque l'on se rendait au chevet de malades dits contagieux, il ne fallait pas avoir peur de la contagion; il fallait être pénétré du doux sentiment d 'apporter un moment de réconfort et de partager son fardeau» (p 136), «Aujourd'hui, je m'étonne de ces réactions enfantines innocentes, qui n'avaient absolument rien de méchant quand on pense au comportement actuel des enfants dans les établissements scolaires et de la terrible pratique du harcèlement» (p 250).
Avis - Pour une autobiographie, c'en est vraiment une ! Tous les détails, même les plus anodins, sont fournis. Une très belle couverture qui attire.
Citations : «Dans mes pensées d'alors, je savais dessiner le soleil, la lune, les étoiles et la montagne ! Dans mes pensées d'aujourd'hui, je ne sais, je ne peux que dessiner leur souvenir éteint, enfermé dans le visages connus comme dans un médaillon ancien que l'on craint d'ouvrir de peur de l'abîmer ! Mais je reste forte pour poursuivre le chemin vers les profondeurs de cette mémoire» (p 173), «J'ai souvent médité sur la capacité des adultes, trop sûrs de leur expérience et protégés par leur maturité acquise, à briser l'élan des enfants, victimes quelquefois de leurs intuitions et de leurs mots et gestes spontanés» (p 256).
La cuillère et autres petits riens. Essaide Lazhari Labter (préface de Yasmina Khadra). Hibr Editions, Alger 2019, 128 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée en octobre 2019. Extraits pour rappel seulement. Fiche complète un www.almanach-dz.com/socité /bibliotheque dalmanach )
Lazhari Labter est un grand romantique. Poésie quand tu nous tiens ! Il est vrai qu'être originaire du sud du pays avec des racines nomades n'arrange pas les choses. Il nous a déjà gratifiés de belles œuvres où vers et prose, en tout cas de la belle écriture, se mélangent harmonieusement pour le plus grand plaisir des sens. D'autant qu'il y a, comme assaisonnement, des dessins de Arzeki Larbi, illustrant «Les œufs peints» (pp 106 et p 108) et «l'Arbre d'argent» (p 28). La cuillère, elle, sorte d'hommage au père, dessinée par le fiston, Amine Labter, qui avait illustré la Une des deux premières éditions algériennes, se retrouve en p 24, illustrant ainsi le texte de base.
Mais, il oublie (peut-être pas !) que ses lecteurs sont aussi poètes, quelque part. En tout cas, pour ceux d'un certain... âge (ou d'un âge certain), le romantisme et la nostalgie ne sont pas loin avec toujours cette propension à mythifier (ce qui n'est pas un tort, au contraire), à rendre encore plus beau son passé et à en glorifier tous les faits, les gestes et les espaces, tout particulièrement les plus anodins, ceux rattachés à l'enfance et à la prime jeunesse, celles qui ne voyaient que le bon côté de la vie. Des riens qui sont désormais tout. Souvenirs, souvenirs !
32 petits récits, 32 souvenirs de «riens» qui nous (re-) plongent dans un passé qui redevient brusquement, par la magie des mots, en fait, assez prenants, car simplement dits et bien ordonnés, plus que présent.
Des petits riens, les siens, les miens, les nôtres, les vôtres, les leurs.
En fait, pour moi, il n'y a que 31 petits riens. Car il y a un grand, un immense, un sublimissime grand «rien». Ce sont les pages consacrées à la belle Zohra, «comme une rose en son jardin». Zohra, la maman. Une maman bien de chez nous. Notre maman. Celle qui en a vu de guerres et des misères.
C'est bien écrit et, de plus, ça plongera nos écoliers dans ce qui fut (ou fait) notre «vraie vie». Une démarche qui devrait, aujourd'hui, être élargie à toute la littérature nationale, de toutes langues, tout en se dégageant de cet amour «immodéré» pour les textes d'autres temps et d'autres lieux. Sans pour autant ignorer les (très) beaux textes de la littérature universelle.
Extraits : «Somme de souvenirs et de vécus, mais aussi de «dits» de mon père, ces petits riens ne sont pas le fruit du hasard. Chaque petite histoire recèle une hikma, un enseignement, une sagesse «(p 21), «On l'appelait «carni cridi», le carnet de crédit. Tous les gens pauvres en avaient un chez l'épicier du coin. En ce temps-là, les épiciers étaient honnêtes et les carnets ne mentaient pas» (p 41), «A l'école, on me disait que mes ancêtres étaient des Gaulois. Dieu sait que je ne les avait jamais rencontrés. Et mon père non plus» (p 52).
L'Auteur : Poète, écrivain, journaliste, né à Laghouat en 1952. Editeur de 2001 à 2015 (Anep, Alpha, Lazhari Labter.). Auteur d'une vingtaine d'ouvrages (poésie, essais, témoignages, romans dont «Hiziya, princesse d'amour des Zibans» et «Laghouat, la ville assassinée ou le point de vue de Fromentin).
Avis - Un livre qui, selon le préfacier, «ne se lit pas; il s'égrène tel un chapelet d'ambre, se déguste comme une grappe de raisin»
Citations : «Il suffit d'un «rien» pour être heureux... .puisque le bonheur, parfois, est une question de mentalité» (Yasmina Khadra, préface, p 17).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 18 juillet 2024
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5331160
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