Il fallait bien que ce fut ici qu’il reposât.
D’ailleurs, il choisit lui-même son éternité, ainsi.
Un peu comme on se vêt de son nom, n’avait-il pas été
sanctifié « Marabout » de son vivant ?
« Ami Marabout » a rejoint aujourd’hui sa dernière demeure. Allongé près de sa mère, comme il ‘avait désiré, au cimetière de Miramar, ce cimetière marin à flots d’écumes où j’imagine que viennent, la nuit, brouter les cyclamens des veaux marins et peut-être, sur le marbre des tombes, danser des elfes et des sirènes ; ce cimetière où, tu me disais, rêvait de séjourner le général. Peut-être déjà me ferait-il l’offrande de m’y accueillir un jour pour toujours.
Marabout y est arrivé en palanquin vert. De ces verts mystiques qui boivent le soleil sans reflet. Le ciel était d’un bleu des premières chaleurs. Une immense procession où se confondaient tous les âges du quartier. Et ceux venus de là-bas. De Pointe Pescade jusque d’Aïn Benian. Se confondaient les accents de son Sidi-Aïch natal avec les gutturales des algérois. On aurait dit un secret patois.
« Ami Marabout » repose allongé le visage vers la mer, les yeux fermés sur l’îlot, ce lieu habité qui faut sans doute le dernier spectacle de ses vœux. Une ocre tombe, de cette couleur diaprée qui épouse la course du soleil, le bruit des vents ou l’embrun de la mer. Mais comme dit Camus :
« De la mort et des couleurs,
Nous ne savons pas parler »
Marabout a franchi le seuil de sa porte, cette porte bleue ombrée d’un figuier, sous les you-yous stridents des femmes. Je l’ai imaginé heureux, lui qui toute sa vie partagea celle de ses bêtes, dans un gourbi, de partir comme l’on quitte la scène, d’une maison en dur sur une terre immeuble, entouré par trois générations qu’il a vues naître ? Je vous associe à son bonheur de mourir ainsi.
Le palanquin avait failli manquer le tournant, au seuil de la demeure de Miramar près des Fontaines. Comme s’il hésitait à partir ou s’il voulait faire halte un moment, comme il le faisait souvent ici, avant de gravir le sentier. D’ailleurs, le palanquin déboula le chemin des Horizons bleus – mon voisin me fait remarquer que jamais il n’y eut autant de monde sur les parvis de terre battue de la mosquée – et il faillit rater la dernière prière debout comme le Tamaghart fait le Ahl El Lil des femmes et une plainte unique : « Hamdou lillahi ». Dieu à peine murmuré.
De tous les rituels anciens, le sien fut invisible et la rue formait une frontière entre ceux qui prièrent et ceux, dont moi, qui ne prièrent pas. A ce moment là, le vieux Dahmane ouvrant sa chemise tentait de me montrer, en riant, une cicatrice due au crochet du bras absent de Marabout ; il y a quarante ans.
Ainsi se sont passées les funérailles de « Ami Marabout », qui fut en quelque sorte l’ancêtre de ce quartier
Miramar, le 10 mai 1992,
Une heure après l’enterrement
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« Le Marabout », un sublime « Saint » local
(Photo : Vivianne Sylvander)
Le Marabout, personne ne sait d’où vient son nom. En fait, il s’appelait Akli. Mais tout le monde l’appelait « le Marabout ». Et effectivement, comme un Saint homme local, il était respecté et aimé de tous les gens du quartier de Raïs Hamidou, près d’Alger.
Pieux, paisible et simple, il saluait chacun avec intérêt et rendait la justice lorsque des différents opposaient deux personnes ou deux familles.
Il habitait un gourbi, maison de terre et de briques de paille, dans la colline au-dessus de la maison de mes grands parents.
Il cultivait avec art un demi hectare de terrasses, qui s’échelonnaient sur la colline et avait mis au point un système d’irrigation très élaboré, car il avait une vraie science de l’eau : bassin régulateur tout en haut et réseau complexe de rigoles qui faisaient mon admiration.
Eh bien, avec ce jardin luxuriant établi sur des pentes arides, il arrivait à nourrir une grande famille de plus de 10 personnes et il lui en restait pour aller au marché vendre son surplus et acheter l’indispensable.
On le voyait parfois descendre lentement le chemin jusqu’à la route en bas, avec son couffin de légumes ou remonter avec un outil qu’il venait de faire réparer. Il s’arrêtait chez mon grand père Octave dont il était un grand ami et ils évoquaient la guerre, qu’ils avaient faite ensemble. Ils y avaient tous les deux perdus leur avant bras, lui le droit et Octave le gauche ! Cette infirmité commune instaurait une complicité très profonde, que nous, enfants, pressentions et constations. Deux hommes aussi semblables, ça ne peut pas être l’effet du hasard.
Parfois, en évoquant son bras manquant, il me montrait les gestes à connaître absolument quand on manie le fusil à baïonnette : coup d’estoc en avant, coup de crosse en arrière ou vers le haut. Ça ne m’a pas beaucoup servi dans la vie, mais je m’en souviens au cas où.
Dès qu’Octave avait besoin de quelque chose pour la maison, pour le jardin ou pour ramener la paix dans le quartier, le Marabout était là. Sa parole était forte et jamais Octave ne la mettait en doute… Cela occasionnait pour nous des punitions bien senties, lorsque le Marabout n’était pas content de notre comportement et qu’il s’en plaignait à son ami (il arrivait aussi qu’il nous batte à coup de … rameau d’olivier !). Le marabout était-il devenu le « bras gauche » du grand père ? Ou ce dernier, son « bras droit » ?
Ses enfants étaient nos amis et on se respectait : Mouloud, le bricoleur, Mama, qui cousait, Slimane, mon compagnon de jeux, Abd El Hamid, qui s’occupait de la vache. Marabout, lui, élevait une chèvre qui habitait dans une grotte de la colline (voir photo !).
Le Marabout est mort en 1992, bien longtemps après Octave, disparu en 1961. Nous étions tous en France et n’avons pas pu aller à son enterrement. Heureusement, notre ami Nono a pu y assister. Allez lire son reportage ….
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