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Après avoir exercé contre l'insurrection algérienne de 1871 les représailles les plus inhumaines, dans la continuité d'une politique génocidaire à l'égard d'une population musulmane irréductible, la France pensait en avoir fini avec tous les indigènes récalcitrants, imprévisibles, fanatiques et patriotes. Depuis 1830, le Pouvoir colonial aura tout essayé : L'Extermination, les dépossessions, l'internement arbitraire, les déportations, l'acculturation, l'assimilation. Le peuple algérien fut même menacé d'extinction. (1) Avec son âme fracturée, déchiquetée, concassée par une France qui espérait la liquéfier dans son projet civilisationnel mystificateur, le Peuple algérien attendait patient et résolu le moment venu. C'est ce qu'il fera pendant très longtemps : attendre le moment venu. « Nous appartenons a une race qui sait attendre, répétaient-ils, et de se redire entre eux ce que les Hachem avaient dit a Bugeaud en 1841 : Ce continent est le pays des Arabes, vous n'y êtes que des hôtes passagers. Y resteriez-vous trois cents ans comme les Turcs, il faudra que vous en sortiez! » (2)
De 1830 à 1962, l'Algérien aura affaire à une « Justice d'exception » qui sera incroyablement vile et impitoyable. Le Peuple algérien sera dépouillé de ses biens, de sa dignité et de sa liberté. Cette même Justice se chargera d'exercer de féroces représailles lors de chaque insurrection, révolte ou à la moindre désapprobation vigoureuse de la part des insurgés algériens.
Depuis 1830 , non satisfait d'avoir littéralement laminé toutes les tribus indigènes au moyens de ses «exceptionnelles» Lois foncières, son terrible «Séquestre» avec son cortège de dispositions infamantes ( Punitions collectives, expropriations , amendes, contributions de guerre, internement , déportations , assignations à résidence) , le Pouvoir colonial innovera comme de coutume en soumettant le Peuple algérien à un Code Pénal bis plus connu sous le Code de Indigénat ou Code de la matraque , adopté le 28 juin 1881, il ne sera abrogé qu'en 1946. Censé être provisoire, ce régime d'exception aura quand même duré une éternité. «Avec l'indigénat, la violence coloniale se trouvait inscrite dans le droit. Légitimée, elle était banalisée.» (3)
Face à des situations exceptionnelles qui ébranlent son pouvoir, la France s'est toujours arrogé un Droit d'inventer une Justice d'exception. Elle emploiera des méthodes inusitées, fortement réprouvées et ignominieuses.
A peine une année après le déclenchement de la Révolution algérienne, une France affolée, au pouvoir comme toujours chancelant et prêt à tous les compromis, mettra en place des stratagèmes juridiques inédits dont personne ne pouvait imaginer les conséquences et qui finiront par menacer le Gouvernement français lui-même. Cette Justice bizarre ouvrira la voie aux pratiques criminelles les plus abjectes qui se dérouleront dans l'opacité et l'impunité les plus totales. François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, proclamera le 1er décembre 1954: « L'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne. ». Une idéologie coloniale immuable et fidèle à elle-même depuis les débuts de la colonisation. En 1873 face au mouvement insurrectionnel le plus violent que la France aura à affronter depuis les batailles de l'Emir Abdelkader, le Garde des Sceaux de l'époque, en s'adressant au ministre de la Guerre le 25 mars 1873, dira « La répression doit intervenir afin d'apprendre aux indigènes que la Justice de la France sait saisir et frapper les vrais coupables, sur tous les points du territoire ». (4) En 1954 , pour une France qui considérait qu'il ne pouvait y avoir de guerre sur son propre territoire, un état de siège aurait été un signe de désaveu qu'elle voulait éviter à tout prix car cela supposait de transférer la totalité des pouvoirs à l'armée tout en conférant aux révolutionnaires algériens une certaine crédibilité sur le plan militaire, «alors qu'il importait de les présenter comme des délinquants et des criminels passibles des tribunaux, pour leur enlever toute légitimité ». (5) En déclarant, une dizaine de jours après le déclenchement de la Révolution algérienne, que « Les hommes qui commettent ces attentats contre les personnes et les biens ne sauraient en aucun cas être considérés comme ayant un caractère militaire », le Ministre de l'Intérieur François Mitterrand, faisait parvenir un message très clair : la justification de tous les traitements les plus inhumains que la France fera désormais subir aux Moudjahidines et à toutes les personnes sympathisantes de la cause algérienne.
Les résistants algériens, n'ayant pas le statut de prisonniers de guerre qui leur accordait le droit de bénéficier des Protections des conventions de Genève, seront traités comme de vulgaires criminels de la manière la plus féroce. C'est ce que les « Pouvoirs Spéciaux » entameront dès 1956.
La condamnation à mort par la guillotine à la place d'un peloton d'exécution sera l'un des exemples les plus symboliques de l'affront que cette Justice d'exception pensera faire subir aux Moudjahidines. «Fusiller, c'est presque comme si vous étiez au combat. Quand on est fusillé on est debout, c'est une grande différence. La guillotine, c'est le mépris, la hogra, portés au premier degré », dira le Moudjahid Abdelkader Guerroudj. Le Gouvernement français optera en 1955, pour la création d'un régime d'exception, d'un état d'urgence. Un dispositif qui « dote les autorités de larges pouvoirs tout en leur évitant de recourir à l'état de siège, seule alternative existant au droit commun du temps de paix » (6) En 1954 , le mouvement révolutionnaire algérien avait atteint une maturité politique et idéologique qui lui permettaient enfin d'affronter un pouvoir colonial qui se pensait inébranlable , un mouvement révolutionnaire lucide , aguerri , organisé et fortement conscient de tous les sacrifices auxquels il devait consentir , un mouvement révolutionnaire qui prouvera à la France pendant ses fêtes de la Toussaint que l'indigénat touchait à sa fin. Face à cette insurrection de grande ampleur. Le Gouvernement français se sentant démuni et en «insuffisance des moyens de droit «, en décidant de voter l'«Etat d'urgence», devait forcement par la suite se résoudre à adopter une série de Lois qui allaient installer en Algérie une longue période d'instabilité politique, de terreur et de chaos. La France mettra en place ce en quoi elle excelle le mieux : une «Justice d'exception» et des «Pouvoirs spéciaux» qu'elle confiera à l'Armée, décision qu'elle regrettera amèrement. Cette singulière armée, consciente du désarroi du Gouvernement et prédisposée davantage à servir les intérêts des colons, usera désormais de ces «Pouvoirs spéciaux» selon des méthodes si violentes et indubitablement criminelles que celles-ci allaient ternir définitivement l'honneur de la république. Ce Monstre Juridique et militaire mettra en péril le Gouvernement français lui-même. «Un pays de tradition libérale peut-il voir en quelques années ses institutions, son armée, sa justice, sa presse, corrodées par la pratique de la torture, par le silence et le mensonge observés autour de questions vitales qui mettent en cause la conception même que l'Occident affirme se faire de l'homme ?» (7)
On aura beau prêté attention à tous les débats philosophico-juridiques et anthropologiques qui s'évertuent à expliquer doctement les circonstances qui ont induit ces régimes d'exception et l'enfermement de l'indigène dans une catégorie de sujet subalterne, rien ne pourra jamais justifier l'inexplicable injustice que subira l'indigène, une injustice consubstantielle à l'idéologie coloniale elle-même. Sa légendaire Justice d'exception sera plutôt la seule norme qui prévaudra. «L'organisation d'une justice répressive spéciale aux musulmans est l'une des manifestations les plus éclairantes du fait colonial, de l'ordre colonial» (8) Ce régime de l'Etat d'urgence voté (9) en 1955, pour pallier le manque de possibilités fournies par l'arsenal législatif, autorisera toute une série de mesures d'exception permettant de lutter contre l'action du FLN. « L'état d'urgence, avec son cortège de mesures permettant de contrôler l'espace, les idées, les individus, est alors créé pour répondre à la spécificité de cette situation» (10), dira l'historienne française Sylvie Thénault. Une année plus tard, une autre Loi (11), formulée plus habilement, accordera au Gouvernement « Les pouvoirs les plus étendus pour prendre toute mesure exceptionnelle commandée par les circonstances en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ». Jusque là, en dépit de la panoplie de dispositions liberticides, tout peut paraître relativement normal pour un régime d'état d'urgence. Durant cette période les Autorités civiles détenaient encore les pouvoirs qui leur étaient dévolus.
Les choses prendront une autre tournure lorsque le Gouvernement votera les « Pouvoirs Spéciaux ». Ceux-ci verront leurs larges attributions confirmées par une série de textes annonciateurs d'une nouvelle ère où la Justice et le Droit cesseront d'exister pour laisser place à la terreur systématique.
Notes :
(1)_ Le mot terrifiant de « Disparition », on l'entendra souvent prononcer par les autorités coloniales militaires et civiles, par des parlementaires et des Historiens, à propos d'un Peuple algérien qui connut les pires calamités que l'on puisse subir : génocide colonial (Spoliations, extermination) et les catastrophes naturelles (famines, épidémies, sécheresse, sauterelles). Auguste Warnier, Préfet et député d'Alger (1870/1871) , auteur de la célèbre et funeste Loi qui porte son nom, dira : « La population arabe est condamnée à disparaître dans un court espace de temps ». à lire Mahfoud Kaddache, « L'Algérie des Algériens, de la Préhistoire à 1954 » EDIF, 2000, p.655.
- Les avis des Historiens (André Nouchi, Djillali Sari, Gilbert Meynier, C.R.Ageron ), sont partagés sur ce sujet, néanmoins la tragédie demeure indescriptible. L'Historien André Nouschi écrira : « En 1880, les Algériens ont perdu plusieurs millions d'hectares à cause de la guerre et des crises démographiques, la population a diminué d'un quart à un cinquième par rapport à son niveau de 1830. Leur niveau de vie se détériore de jour en jour ». à lire André Nouschi, « La dépossession foncière et la paupérisation de la paysannerie algérienne » « Histoire de l'Algérie à la période coloniale », Sous la direction de Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault Ed. La Découverte, Paris, 2014 pp.282-286, - Le démographe algérien Djilali Sari estimera à 820 000 le nombre de morts liés à la Famine, sur une population qu'il estime à 4,2 million en 1866. A lire Djilali Sari, Le Désastre démographique de 1866-1867, Alger, SNED, 1982.
(2)_ Charles-Robert Ageron «Histoire de l'Algérie contemporaine - De l'insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération (1954)», P.U.F, Paris, 1979, p.32
(3)_ Sylvie Thénault, «Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence.», Odile Jacob, Paris, 2012, p.10
(4)_ A.N, BB24 791, dossier 3441/73. Le Garde des Sceaux au ministre de la Guerre, 25 mars 1873.
(5)_ Sylvie Thénault, L'état d'urgence (1955-2005).De l'Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d'une loi », Le Mouvement Social 2007/1 (N° 218), pages 63 à 78 , Éd. La Découverte
(6)_ Ibid.
(7)_ Pierre Vidal-Naquet, «La Torture dans la République», Ed.de Minuit, Paris, 1972, p.11
(8)_Claude Collot, «Les Institutions de l'Algérie pendant la période coloniale», Ed. du CNRS, 1987
(9)_ Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (J.O. N°85 du 07 Avril 1955)
donnait lieu au contrôle et l'interdiction de réunions, de spectacles, de la presse, de la circulation, elle autorisait également l'instauration d'un couvre-feu, les perquisitions de nuit et l'assignation à résidence de tout suspect susceptible de porter atteinte à l'ordre et à la sécurité.
(10)_ Sylvie Thénault, « L'état d'urgence : une loi coloniale, un outil de la répression politique. », Hugo Touzet; Marie Grillon. État d'urgence démocratique, Éditions du Croquant, p. 29-34, 2016. hal-02356513
(11)_ Loi N° 56-258 du 16 mars 1956 (J.O. N°65 du 17 Mars 1956), autorisant le Gouvernement à prendre toutes mesures exceptionnelles en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire.
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https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5330910
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Le réveil d'un monstre qui s'était légèrement assoupi allait s'en prendre à tous les Algériens. Une terreur diffuse, sournoise et inquantifiable. «Une guerre totale, sans distinction entre civils et militaires » (12), dira l'Historienne française Raphaëlle Branche.
On y verra la résurgence d'un modus operandi séculaire qui « s'inscrivait dans la continuité d'une logique typiquement coloniale: celle de la responsabilité collective des « indigènes », au nom de laquelle la répression frappait bien au-delà du cercle des individus engagés dans la résistance à la colonisation et la lutte contre la tutelle française. » (13) Le Décret (14) relatif à la création des « Pouvoirs spéciaux » permettra à cette « Justice d'Exception » de monopoliser quasiment tous les pouvoirs qui se traduiront par l'exécution dans une continuité diabolique d'une série de procédures (arrêter les suspects, les traduire directement sans instruction, enquêter, interroger, juger, condamner par les tribunaux permanents des forces Armées crées à cet effet).
Les attributions de cette Justice militaire déjà absolues seront renforcées par un autre Décret (15) et une nouvelle Loi (16) qui confirmeront la restriction des possibilités de recours contre les décisions des juridictions d'instruction militaire. Quant aux pourvois en cassation contre les jugements au fond, ils seraient portés devant un tribunal militaire de cassation. « La Justice, évoluant dans un environnement exceptionnel, n'y a pas fonctionné comme en métropole. S'inscrivant dans ce long passé colonial, le système de répression instauré après le 1er novembre 1954 en est l'héritier » (17) Ce n'est pas à travers ces textes juridiques, aussi exhaustifs et inquiétants qu'ils soient, que l'on puisse réellement prendre conscience de la tragédie qui allait se déployer. Ces Lois ne donnent pas la recette de l'horreur qui s'abattra sur les Algériens par la suite. Une fois les « Pouvoirs spéciaux » opérationnels, le Pouvoir militaire mettra en place avec une dextérité inouïe un maillage d'Unités diverses aux activités connexes qui avaient pour objectif principal la neutralisation de la Révolution par la systématisation de la terreur. Parmi ces Unités, on pourra citer à la tête de cet édifice le Centre de Coordination Interarmées (CCI) et tout autour une nuée de structures dévouées. Parmi les plus féroces et les plus impitoyables, on citera les Dispositifs Opérationnels de Protection, les fameux DOP « Ces organismes sont à tel point tenus secrets et ont changé de nom si souvent qu'il est parfois difficile de s'y retrouver. Une chose au moins est claire : pour les musulmans, le sigle D.O.P est synonyme de torture».(18) Véritables instruments de la guerre contre-révolutionnaire, ils évolueront jusqu'à la fin de la guerre dans la semi-clandestinité , certains de leurs membres rejoindront les rangs de l'O.A.S.
Il y aura bien évidemment d'autres services tels les Dispositifs de Protection urbaine (DPU), les Centres de renseignements et d'action (CRA) et autres unités «d'action psychologique » opérant en milieu urbain et rural, des unités opérationnelles de recherche (U.O.R.). On verra surgir au sein de cette armée de l'ombre des Officiers formés pour la sale besogne à laquelle ils seront destinés. Dans son livre sur La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie (1954-1962) (19) , l'historienne française Raphaëlle Branche décrira l'officier de renseignements (L'O.R) comme «l'homme clé de la guerre », spécialiste des pratiques d'interrogatoires musclées , endoctriné à agir selon le fameux principe de «l'urgence de renseignement qui prime toute autre considération » dans une « guerre contre-révolutionnaire » qui produit sa « propre légitimité et sa légalité implicite ». Elle ajoutera «C'est moins la loi qui guide la guerre que la guerre qui dicte sa loi ». Bien évidemment, ce dispositif sera intimement connecté à des lieux de détention et d'internements dont beaucoup hanteront à tout jamais la mémoire des victimes et plus tard des tortionnaires eux-mêmes : Centre de triage et de transit, Centre d'Hébergement, Camp militaire d'internement. C'est au milieu de cette toile d'araignée, de ces lieux secrets connus seulement par les DOP (caves, villas, fermes, Centres ) que se jouera le sort de milliers d'Algériens.
Beaucoup vont affreusement disparaître. Dans des conditions indescriptibles, sous l'effet de la torture, jetés quelque part, exécutés lâchement lors de leurs fameuses corvées de bois et consignés sous l'intitulé « Fuyard abattu », balancés du haut d'un hélicoptère. « Sévices, disparitions et exécutions sommaires étaient l'une des façons de faire la guerre aux Algériens, par la terreur qu'ils impliquaient. » (20), écrira l'historienne Sylvie Thénault. C'est aussi au sein de cet enchevêtrement de lieux lugubres et secrets qu'atterriront des centaines de femmes algériennes, d'extraordinaires héroïnes qui subiront les traitements les plus barbares. Une indélébile flétrissure dans l'histoire de ce « colonialisme civilisateur et positif. ». La terrible question du viol des femmes, demeurera pour toujours un sujet fort complexe, un insondable tabou qui rend impossible toute enquête exhaustive et exacte. On saura seulement que ces odieuses pratiques commenceront dès le début de la colonisation, elles redoubleront de férocité durant la guerre de libération. Le pouvoir colonial utilisera intentionnellement le viol comme une arme, un procédé de déshumanisation, d'avilissement, une manière d'humilier et briser l'honneur et la fierté d'une population musulmane irréductible. « Gisèle Halimi, l'une des premières à avoir dénoncé pendant la guerre d'Algérie l'ampleur du phénomène des viols, estime, elle aussi, que neuf femmes sur dix étaient violées lorsqu'elles étaient soumises à un interrogatoire », odieuses pratiques indignes d'une République qui avait perdu depuis très longtemps son honneur. « Les viols ne s'arrêtaient presque jamais aux objets (bâtons, bouteilles) .Quant le processus était enclenché, il n'y avait pas de limites » (21)
On nourrira une entité Monstrueuse et quasi secrète qui n'avait de compte à rendre à personne et dont nul ne pouvait contrôler ou contester les décisions. Des officines supervisées d'une main de fer par les anciens de l'Indochine, des militaires haineux, aigris et revanchards.
«Outil de renseignement et d'humiliation» consubstantiel à l'ordre colonial, la torture a été élevée pour les besoins de la guerre en arme stratégique. Elle est devenue «un acte élémentaire de la guerre» et par conséquent «un des visages de la guerre d'Algérie » (22)
La Guillotine sera elle aussi l'un des aspects les plus terribles de cette folie coloniale sanguinaire. Un Gouvernement aux abois qui s'est mis à trancher les têtes de manière industrielle, hâtivement.
Une guillotine besogneuse et sourde à toutes ces injustices , parfois refusant même de faire son travail comme ce fut le cas avec le Chahid Ahmed Zabana, expéditive à l'image de cette justice d'exception qui refusera de reconnaitre depuis toujours en chaque insurgé qu'elle jugera un détenu politique ou un prisonnier de guerre. Une Guillotine derrière laquelle se cachait l'homme le plus ambivalent, comme la France a toujours su en produire : François Mitterrand, Ministre de la Justice, qui refusera d'accorder la clémence à 32 des 45 condamnés à mort entre février 1956 et mai 1957.
Ce même personnage qui allait vingt-quatre ans plus tard abolir la peine de mort et qui se taira à tout jamais sur cette période sombre de son passé, lui l'homme de gauche. (23)
« Les 40 exécutions capitales de l'année 1957 à Alger ont, en effet, été rendues possibles - après des condamnations prononcées par des tribunaux militaires dont les audiences ne duraient souvent qu'une vingtaine de minutes » (24) L'Algérie versera un lourd tribut face à cet ennemi implacable. 222 algériens seront guillotinés entre 1956 et 1959. Le Gouvernement français se résignera à utiliser le Peloton d'exécution, procédé moins infamant, qu'à partir de Juillet 1959. On y exécutera 100 condamnés à mort. Il y a d'autres lieux où la tragédie qui s'y déroulait, comme toujours à l'abri des regards, était plus violente que celle qui s'y passait ailleurs. Il s'agit de ces horribles Camps de regroupements, comparés à des camps de concentration, lieux horribles où on laissera s'installer un « Génocide » qui ne dit pas son nom. « Des espaces de vie sous étroit contrôle militaire où, en l''absence de toute infrastructure économique et sanitaire, les Algériens étaient voués à une misère extrême. La surmortalité infantile en fut l'indicateur le plus marquant ». (25)
Il y aura plus de 2000 Camps de regroupement pour enfermer définitivement 2,5 à 3,5 millions d'Algériens (soit entre un tiers et la moitié de la population rurale). Des centaines de milliers d'Algériens y périront dans ces Camps de l'enfer que la France essayera de présenter comme des villages modèles construits pour réaliser le développement économique et social de la paysannerie algérienne.
« Rien, dans la guerre d'Algérie, n'est aussi important que le problème des regroupements. Rien aussi n'a été plus tardivement et plus mal connu de l'opinion française » (26)
Agissant de manière assez étrange, la France restera terriblement indifférente aux incommensurables souffrances qu'elle causait indistinctement. Convaincue que ce « Mal » nécessaire contribuait à garantir la pérennité et la gloire de l'empire. Il était hors de question qu'elle fasse la moindre concession. L'Historienne Raphaëlle Branche décrira la Torture exercée par la France comme une méthode qui consistait « moins à faire parler (obtenir des renseignements) Qu'à faire entendre ». Assujettir et terroriser l'ensemble de la population en lui rappelant le Pouvoir de la France. Tel sera le seul but et le seul mobile. Elle imprimait dans le corps supplicié la puissance du pouvoir qui contrôle le temps, l'espace et la douleur. L'individu réduit à un corps souffrant n'avait plus d'autre identité que cette « forme permanente de son tourment » (27)
Notes
(12) Raphaëlle Branche, « La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie : 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, p.16
(13) Sylvie Thénault, « L'état d'urgence : une loi coloniale, un outil de la répression politique. », Hugo Touzet; Marie Grillon. État d'urgence démocratique, Éditions du Croquant, p. 29-34, 2016. hal-02356513
(14) Décret n° 56-268 (Journal Officiel N°67 du 19 Mars 1956) relatif à l'organisation, à la compétence et au fonctionnement de la justice militaire en Algérie en vue du rétablissement de l'ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire.
(15) Décret n° 56-269 (Journal Officiel N°67 du 19 Mars 1956) concernant la possibilité en Algérie de traduire directement devant les tribunaux permanents des forces armées les individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens.
(16) Loi n° 55-1080 du 7 août 1955 relative à la prolongation de l'état d'urgence en Algérie, (Journal officiel N°192 du 14 août 1955.)
(17) Sylvie Thénault, « Une drôle de Justice : Les Magistrats dans la guerre d'Algérie », Ed. La Découverte, Paris, 2004, p.22
(18) Pierre Vidal-Naquet, « La Torture dans la République », Ed.de Minuit, Paris, 1972, p.96
(19) Raphaëlle Branche, Op.Cit.,pp. 31-69-145
(20) Sylvie Thénault, « Violences ordinaires dans l'Algérie coloniale : Camps, internements, Assignations à résidence », Odile Jacob, Paris, 2012, p.296
(21) Florence Beaugé, « Algérie, Une Guerre sans gloire, Histoire d'une enquête », Chihab Editions, Alger, 2006, p.162
(22) Raphaëlle Branche, Op.Cit., pp.46/74
(23) Benjamin Stora et François Malye, «François Mitterrand et la guerre d'Algérie», Calmann-Lévy, 2010
(24) Gilles Manceron, « Les guillotinés de Barberousse en 1957 »
https://1000autres.org/les-guillotines-de-barberousse-
(25) Sylvie Thénault, Op.Cit., p.301
(26) Pierre Vidal-Naquet, La raison d'État. Textes réunis par le comité Maurice Audin. Ed.Minuit, Paris, 1962, p.204
(27) Raphaëlle Branche, Op.Cit., P.548
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par Mazouzi Mohamed
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5330938
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