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Alger, 1957 : la routine sanglante du « lieutenant Marco »
Chaque nuit ou presque, deux mois durant, Jean-Marie Le Pen se rend au domicile d’un « suspect », accompagné d’une escouade de parachutistes. Ses victimes, quand elles ont survécu, ou leurs proches, ont témoigné au fil des années des tortures subies. Rappel.
Les récits dont on va lire une synthèse sont ceux de victimes et/ou de témoins oculaires. Ils sont tirés du périodique Résistance algérienne (1957), cité par Hafid Keramane dans La Pacification (1960) et Vérité-Liberté (1962), du Canard enchaîné (1984), de Libération (1985), du film de René Vautier À propos de… l’autre détail (1985), du livre de Hamid Bousselham Torturés par Le Pen (2000), du journal Le Monde (2002), du livre de Florence Beaugé Algérie, une guerre sans gloire (2005) et enfin du film de José Bourgarel, La Question : Le Pen et la torture (2007).
Presque tous leurs auteurs ont témoigné plusieurs fois, sans varier, et sont venus le faire en France sous serment lors de multiples procès intentés par Jean-Marie Le Pen dans les années 1980, 1990 et 2000.
Le quotidien de l’officier opérant comme Le Pen au niveau d’une section durant la « bataille d’Alger » nous est connu. Chaque nuit ou presque, sur la base d’un renseignement obtenu d’un interrogatoire réalisé par lui ou par d’autres, ou encore d’une fiche des Renseignements généraux, il se rend au domicile d’un « suspect », accompagné d’une escouade de parachutistes.
Un parachutiste français surveille le marché Clauzel à Alger le 3 février 1957.
Puis il se livre, souvent accompagné d’un mouchard cagoulé (un bou shkara, disent les Algériens), à une « arrestation » qui a tout d’un enlèvement et dont bien des familles algériennes ont conservé le souvenir : entrée au domicile avec une violence ostentatoire, brutalités et insultes à l’égard des proches, fréquents saccages des lieux souvent accompagnés de vols, absence d’explications sur le motif de l’arrestation comme sur le lieu de détention du « suspect ».
La famille n’a généralement plus aucune nouvelle, pendant quelques mois ou des années, parfois pour toujours.
Telle fut la routine du lieutenant Le Pen. C’est ce que disent de façon circonstanciée et parfaitement crédible plusieurs témoins directs, principalement des victimes de ses « interrogatoires ». Ils dessinent la chronologie et la géographie, nécessairement partielles mais parfaitement cohérentes avec ce que nous savons par ailleurs, des agissements de Le Pen à Alger.
Lorsqu’il a tenté de les réfuter, Le Pen a prétendu qu’il n’avait pu intervenir dans tous les lieux où ils affirment l’avoir vu opérer, car beaucoup étaient hors de « son secteur ». C’est faux. Des secteurs d’occupation d’Alger sont en effet répartis entre les différents régiments de la 10e division parachutiste. Mais la plus grande souplesse dans l’action leur est recommandée, au nom de l’efficacité. La recherche de « suspects » les conduit nécessairement à faire preuve d’une grande mobilité et à mener des raids dans toute la ville.
Des dizaines de victimes en deux mois
Deux vastes et belles villas algéroises réquisitionnées, dotées de grands jardins, servent de centres de « tri » principaux au 1er REP de Le Pen, c’est-à-dire qu’on y enferme des « suspects » pour les interroger : la villa Sésini, PC du régiment, et la villa Les Roses à El Biar, où cantonne l’unité de Le Pen. La caserne de Fort-L’Empereur, également située sur les hauteurs de la ville, est aussi utilisée à cette fin. Mais les unités engagées se partagent au gré des besoins des dizaines d’autres centres de torture disséminés dans la ville et sa périphérie, où ils s’échangent fréquemment les « suspects ».
Selon Le Pen, les accusations de torture à domicile portées contre lui par certains témoins seraient invraisemblables. Il n’en est rien. Les parachutistes subissent alors de la part de leur commandement une forte pression pour faire à tout prix du chiffre. Et l’interrogatoire doit être réalisé au plus vite, si possible sur-le-champ, pour empêcher d’éventuels complices dénoncés d’avoir le temps de s’enfuir.
En janvier 1957, l’armée quadrille les quartiers algériens et y multiplie les démonstrations de sa puissance, tout entière mobilisée sur un objectif : empêcher le succès de la grève générale de huit jours annoncée par le Front de libération nationale (FLN), en dissuadant la population d’y participer. Déclenchée le 28 janvier, violemment réprimée, la grève est pourtant massivement suivie, mais elle fournit aux militaires parmi les grévistes de nouveaux « suspects » à interroger.
Si plusieurs témoins ont eu affaire à Le Pen durant les mois de février et mars 1957, il faut noter qu’aucun ne dit l’avoir croisé en janvier. En effet, le député est alors rentré « en permission » à Paris durant une quinzaine de jours, afin d’y faire campagne lors d’une législative partielle.
Février 1957
Nous retrouvons donc Le Pen pour la première fois dans la nuit du 2 au 3 février, veille du dernier jour de la grève, dans trois récits recueillis en avril 2002 par la journaliste du Monde Florence Beaugé.
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