Le prince héritier saoudien a annulé sa venue au G7 de Rome pour superviser le hajj. L’imam de La Mecque, lui, profère à nouveau de violentes critiques d’Israël.
Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane dans le sanctuaire le plus sacré de l’islam, la Grande Mosquée de La Mecque, en Arabie saoudite, le 12 février 2019. Photo AFP
La nouvelle a de quoi surprendre. Le prince héritier saoudien et dirigeant de facto du royaume wahhabite, Mohammad ben Salmane (MBS), a annoncé mercredi qu’il n’assisterait pas au sommet du G7 à Rome au cours de la même semaine en raison des « engagements liés à la supervision du pèlerinage » du hajj qui débute vendredi, selon l’agence de presse officielle SPA. Habituellement prompt à participer aux rencontres internationales et à conforter sa place d’interlocuteur privilégié au Moyen-Orient en s’affichant aux côtés d’autres dirigeants, l’homme fort du royaume a tenu cette fois à revêtir le costume du gardien des deux saintes mosquées, alors que plus de deux millions de pèlerins sont attendus à La Mecque.
MBS avait déjà annulé un voyage de quatre jours au Japon en mai pour rester au chevet de son père, le roi Salmane, hospitalisé il y a environ un mois pour une infection pulmonaire. Il est probable que la santé fragile du souverain de 88 ans ait motivé le choix du prince de s’absenter à Rome. Mais pas que. « L’environnement géopolitique actuel dans la région a pu pousser le prince héritier à sauter cette grande rencontre du G7, même si cela lui aurait permis de renforcer ses liens avec des dirigeants internationaux », suggère Omar Karim, chercheur à l’Université de Birmingham. Les relations entre l’Arabie et l’Italie sont d’ailleurs au beau fixe. Les deux pays ont signé en septembre dernier des accords visant à forger des relations économiques plus étroites, y compris dans le domaine de l’énergie. Mais en s’emparant du pèlerinage, tâche habituellement dévolue au ministère saoudien du Hajj et non à la couronne, MBS semble soucieux de soigner son image auprès de la oumma. La guerre à Gaza et les pourparlers de normalisation avec Israël ont en effet suscité une large colère dans le monde musulman, dont une partie se trouvait déjà irritée par les réformes d’ouverture sociétale introduites ces dernières années en terre d’islam.
« Ô Allah, vaincs les sionistes ! »
Depuis le début de l’offensive israélienne, qui a fait plus de 37 000 morts selon le ministère de la Santé du Hamas, le pouvoir saoudien joue l’équilibre entre satisfaire la communauté des croyants et préparer les esprits à une future normalisation avec Israël. Après avoir soutenu la reconnaissance de l’État hébreu, au nom de la soumission absolue aux dirigeants, le grand imam de La Mecque, Abderrahmane al-Sudaïs, a réintroduit ces derniers mois de virulentes critiques contre Tel-Aviv dans ses prêches « Ô Allah, vaincs les sionistes qui attaquent les innocents ! » a-t-il martelé dans une vidéo récemment partagée sur les réseaux sociaux. En novembre, il avait déjà qualifié Israël d’« agresseur sioniste occupant oppressif ».
Pour le chercheur d’Oxford Oussama al-Azami, le religieux n’aurait pu tenir de tels propos sans le feu vert du gouvernement. « Il est peu probable qu’il s’écarte des directives de l’État, ce qui pourrait refléter les tentatives de Riyad d’équilibrer l’horreur du public face à l’agression israélienne », écrivait-il en décembre dans Middle East Eye. « Dans une moindre mesure, il s’agit aussi de signaler aux Israéliens qu’ils ne doivent pas prendre pour acquis la normalisation avec l’Arabie saoudite, et aux Américains qu’ils devront satisfaire les exigences saoudiennes sur cette question (le pacte de défense et l’aide au développement d’un programme nucléaire civil, NLDR) », complète Omar Karim.
Police antiémeute
Si les discours bien encadrés du grand imam de La Mecque touchent des millions de fidèles dans le monde, l’Arabie saoudite a clairement indiqué qu’aucune manifestation de solidarité de la part du public envers la Palestine ne sera acceptée. Lors du petit pèlerinage de la Omra, fin octobre 2023, l’acteur et présentateur britannique Islah Abderrahman a ainsi déclaré avoir été arrêté par des militaires saoudiens parce qu’il portait un keffieh noir et blanc et une misbaha (chapelet musulman) aux couleurs de la Palestine, alors qu’il accomplissait le rituel avec sa famille, selon Middle East Eye. Le même Abderrahmane al-Sudaïs, qui voue Israël aux gémonies, a déclaré en février que les slogans politiques n’avaient pas leur place à La Mecque, alors qu’une femme avait brandi un drapeau palestinien devant la Kaaba, avant d’être rapidement appréhendée par les autorités. De son côté, le ministre saoudien des Pèlerinages religieux, Toufiq al-Rabiah, a prévenu la semaine dernière qu’« aucune activité politique » ne serait tolérée lors du hajj.
L’importante force de police en tenue antiémeute déployée pour le hajj cette année traduit-elle ainsi une certaine fébrilité de la couronne vis-à-vis des démonstrations de soutien à Gaza ? « Cette mobilisation extraordinaire ne fait pas sens, alors qu’aucune manifestation n’est en cours, juge Omar Karim. Finalement, il se peut que MBS ait décidé de rester sur place parce que le royaume veut éviter une politisation du hajj. S’il est à la barre, il pourra tout contrôler lui-même directement. »
OLJ / Par Amélie ZACCOUR, le 15 juin 2024 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1417373/mbs-joue-lapaisement-dans-un-monde-musulman-indigne-par-la-guerre-a-gaza.html
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