De novembre 1929 à janvier 1932, le futur général et président de la France a vécu au Liban. Depuis, outre une maison à l'abandon dans Beyrouth et la nostalgie d'une époque, il lègue une vision que certains aimeraient raviver.
Charles de Gaulle (au centre) et sa femme Yvonne (à droite) lors d'une excursion près de Beyrouth au Liban, en 1929. Photo Fondation Charles de Gaulle
Quand on se plonge dans les archives de L'Orient-Le Jour couvrant la période du court séjour de Charles de Gaulle au Liban, de novembre 1929 à janvier 1932, on ne trouve rien. À l'époque, il n'était encore personne. La Seconde Guerre mondiale et l'appel du 18 Juin 1940 étaient encore lointains. Affecté à l'état-major des Troupes du Levant à Beyrouth, Charles, 38 ans, grade de commandant, dirige les 2e et 3e bureaux : le renseignement militaire et les opérations. Ce service est son premier contact direct avec cet « Orient compliqué », explique Karim Bitar, co-directeur, avec Clotilde de Fouchecour, du livre Le Cèdre et le Chêne – De Gaulle et le Liban, les Libanais et de Gaulle (éditions Geuthner, 2015).
Et il sera significatif : « C'est au Liban que de Gaulle a appris à comprendre la région : par la suite, ses positions politiques en seront marquées », affirme celui qui sera président de la séance « Ce que le Liban peut apprendre du général de Gaulle », de la conférence « Charles de Gaulle et le Liban : leçons d'une relation passionnelle », organisée jeudi 20 juin par l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, à l'occasion des 84 ans de l'appel du 18 Juin. L'occasion aussi, pour L'Orient-Le Jour, de revenir sur les années libanaises de Charles de Gaulle et de s'interroger sur le legs du général dans cet Orient toujours aussi compliqué.
Une symbiose entre l'homme et le Liban
En novembre 1929 donc, alors que notre rédaction avait cinq ans, Charles de Gaulle débarque à Beyrouth et s'installe dans une ancienne bâtisse du quartier actuel de Zokak el-Blatt avec sa femme Yvonne et ses enfants, Philippe, Élisabeth et Anne. C'est cette dernière qui sera la raison pour laquelle Charles choisit le Liban : « Sa plus jeune fille était porteuse de trisomie 21. Il pensait qu'on prendrait soin d'elle ici beaucoup mieux qu'ailleurs, et a été frappé par l 'attention qui lui était prodiguée », raconte Karim Bitar. Désormais à l'abandon, la haute maison à la façade jaune porte les stigmates du temps qui passe et témoigne des difficultés à conserver le patrimoine au Liban, tandis que le projet d'en faire le musée du général de Gaulle, en 2015, a été avorté après maintes péripéties administratives : « Personne ne peut rien faire sans l'accord de la famille propriétaire », explique Georges Nour, président de la Fondation de sauvegarde du patrimoine du général de Gaulle au Liban.
Pour retracer le séjour plus personnel du commandant de Gaulle au Liban, cette même fondation avait lancé il y a dix ans un appel à témoins, invitant les Libanais à faire part de ce qu'ils auraient conservé de lui. Des dizaines de livres, de photos et d'effets personnels ont alors refait surface. Des anecdotes aussi, des légendes jamais authentifiées surtout. Ainsi, lors de la rédaction de son ouvrage, Karim Bitar tombe sur des biographes attribuant à Charles « une aventure libanaise. » L'auteur reçoit alors une quinzaine de lettres : « Des tas de Libanais étaient persuadés que leur grand-mère était la fameuse aventure de De Gaulle ! » Puis, dans un grand hôtel de Zahlé, lors d'une visite du commandant, une simple réservation de chambre tourne à la panique : Charles mesure 1m93. Le lit est trop petit. L'établissement en fera fabriquer un sur mesure, sur-le-champ.
Certains parlent d'une symbiose, d'une alchimie entre le commandant et le Liban. Pour Karim Bitar, celle-ci peut découler de son éducation catholique, de son attachement aux valeurs familiales, de son sens de l'entraide et de la solidarité. « Il y avait une vraie compatibilité entre ses valeurs et celles qui prédominaient à l'époque au sein d'une certaine société libanaise qu'il fréquentait : les élites francophones attachées à la France et à un catholicisme social. » Laissant une forte impression partout où il passe, « toutes les communautés voient en lui une figure amie du Liban », lui-même jugeant la France comme « une puissance mandataire qui n'a pas encore bien vu par quel bout il convenait de prendre son mandat ».
Une nostalgie du général
Aujourd'hui encore, il existe au Liban une forte présence de l'homme d'État qu'est ensuite devenu de Gaulle. « Mais cela prend davantage la forme d'une nostalgie plutôt que d'une volonté de tirer les leçons des messages qu'il a passés », nuance Karim Bitar. Son discours à la jeunesse libanaise, le 31 juillet 1931 à l'Université Saint-Joseph, semble en ce sens « prophétique » et montre « qu'il avait compris le cœur du problème libanais », assure l'auteur. Prenant la parole en tant que simple représentant de son supérieur hiérarchique, n'étant « pas encore devenu le mythe de Gaulle », Charles marque les esprits de ces jeunes diplômés. C'est à eux qu'il « appartient de construire un État solide et impartial », déclare-t-il. Pour cela, l'énergie et les aptitudes ne suffisent pas : « Il faut du dévouement. » Le commandant enjoint cette jeunesse à faire preuve d'abnégation, car « la splendeur et la puissance d'un ensemble exigent que chaque partie s'absorbe dans l'harmonie du tout. »
Plus de 90 ans après ce discours, dans un Liban en crise multidimensionnelle, de l'aveu de Georges Nour, le plus grand défi est aujourd'hui de raconter de Gaulle aux jeunes, « de transmettre ses idées à ceux qui gouverneront notre pays demain ». Pas un, mais des dirigeants, car il existe « des Libanais vivant dans l'idée qu'il nous faudrait un homme providentiel, un sauveur, à la de Gaulle. Un tel homme ne nous sortirait pas de notre situation aujourd'hui », tranche pourtant Karim Bitar. Pour de Gaulle, construire un État fort ne pouvait se faire qu'avec une idée partagée par tous du bien commun et de l'intérêt général, garanties de l'autorité, de la justice et de l'ordre. Comme un testament pour le Liban, tout résidait selon lui dans le fait de bâtir des institutions qui survivent aux hommes.
Le jeudi 20 juin 2024 à 17h se tiendra la conférence « Charles de Gaulle et le Liban : leçons d'une relation passionnelle » au campus des sciences sociales de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, rue Huvelin.
OLJ / Par Lisa GOURSAUD, le 18 juin 2024 à 13h40
https://www.lorientlejour.com/article/1417567/les-annees-libanaises-de-charles-de-gaulle.html
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