Le 12 juin 2024, le recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP), Chems Eddine Hafiz, a lancé un appel aux musulmans de France pour les exhorter à voter aux prochaines élections législatives en France. Il a invité les imams à sensibiliser leurs fidèles et à les appeler à la mobilisation contre l’extrême droite.
L’appel de Hafiz est intervenu au lendemain d’un long entretien qu’il a eu avec le président algérien, qui l’a reçu à Alger.
Des membres du Rassemblement national (RN) ont aussitôt protesté contre ce qu’ils ont qualifié d’«ingérence inacceptable» des autorités algériennes dans les affaires intérieures françaises. Aymeric Chauprade, ancien député européen, a tenu à rappeler au recteur de la GMP, «qu’il est tenu à un certain devoir de réserve sur le plan politique. On lui demande de s’occuper de la foi de ses fidèles, non de leur vote et encore moins de se comporter en relai d’un gouvernement étranger.»
Depuis qu’elle existe, la GMP a été impliquée dans diverses polémiques et débats. Certains ont concerné sa gestion interne, notamment des questions de transparence financière et de gouvernance. D’autres ont été liés à des controverses politiques, comme l’influence du gouvernement algérien sur ses activités ou les déclarations de ses représentants sur des questions sensibles telles que la laïcité et l’intégration des musulmans en France.
L’idée de la construction d’un lieu de culte musulman à Paris est née à la fin du XIXᵉ siècle avec le soutien du sultan Hassan Iᵉʳ (1873-1894) et du sultan ottoman notamment. La mosquée a finalement été construite dans les années 1920 comme un «geste de reconnaissance» envers les musulmans nord-africains qui avaient combattu aux côtés des Français pendant la Première Guerre mondiale et pour symboliser l’unité franco-musulmane. La GMP occupe une place emblématique au cœur de la capitale française, dans le Vᵉ arrondissement, non seulement en tant qu’institution religieuse et culturelle mais aussi en tant que monument à l’architecture de style marocain original surmonté d’un minaret de 33 mètres.
La GMP a été construite grâce à une subvention de l’Etat français, accordée en dérogation à la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État à la Société des habous et lieux saints de l’islam. Cette association, créée avec l’accord du sultan Moulay Youssef, du bey de Tunis et du mufti d’Alger, et présidée par Abdelkader (Kaddour) Benghabrit, fonctionnaire français d’origine algérienne, a été chargée de la construction et de la gestion de la mosquée.
L’inauguration a eu lieu le 15 juillet 1926 en présence du président français Gaston Doumergue et du sultan Moulay Youssef. Benghabrit a été nommé directeur de la mosquée et de l’institut musulman de Paris, fonctions qu’il a occupées jusqu’à sa mort en 1954.
Prise de contrôle par le gouvernement algérien
En l’absence de dispositions statutaires relatives à la désignation du directeur, le gouvernement français a nommé à ce poste Hamza Boubakeur. L’Institut musulman a été alors rattaché administrativement au ministère de l’Intérieur, soucieux de contrer l’activisme des nationalistes marocains et algériens. En 1982, Abbas Bencheikh El Hocine a succédé à Boubakeur.
À la même époque, après le retrait de la tutelle de l’administration française, l’Algérie s’est impliquée dans le financement du budget de la GMP, ce qui a permis au gouvernement algérien d’avoir un droit de regard sur la gestion de l’institution et la nomination de son directeur.
Les recteurs de la Grande Mosquée de Paris ont toujours été des algériens. Outre ceux qui ont été cités plus haut, se sont succédé à la tête de la mosquée Tedjini Haddam (1989-1992), Dalil Boubakeur (1992-2020) et enfin Chems-eddine Hafiz (depuis 2020).
Un recteur controversé
L’actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris, Hafiz, est une figure controversée. Sa personnalité et ses prises de position ont suscité des réactions variées au sein de la communauté musulmane et au-delà. Son «élection» en 2020 à la surprise générale et dans des conditions suspectes, qualifiées par ses détracteurs de «hold-up», à la suite de la démission de Dalil Boubakeur, a soulevé des interrogations y compris en Algérie où on lui a reproché ses liens avec l’ancien président Bouteflika. Plus récemment, au lendemain des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, il s’est attiré les foudres de la presse algérienne qui lui a reproché d’avoir renvoyé dos à dos l’agresseur et l’agressé. Des journaux proches du pouvoir ont fait état de la «convocation» à Alger du recteur et de son adjoint, un officier des services de sécurité algériens. Ils ont exprimé la crainte de voir cette importante institution religieuse échapper au contrôle du régime algérien.
Ancien avocat du Polisario, Hafiz est mal vu par la communauté marocaine. Ses déclarations politiques polarisantes, ses liens étroits avec Alger et son hostilité au Maroc ne le prédestinaient pas à diriger une institution symbolique de l’islam de France et à se positionner comme arbitre au-dessus des clivages entre les différentes communautés musulmanes. Il a révélé une autre face de sa personnalité en tenant des propos vulgaires à l’endroit d’un contradicteur sur un réseau social à la fin du mois de ramadan dernier.
Par-delà la personnalité de son recteur, la GMP est devenue au fil du temps un relais du système algérien et de ses services, qui en ont fait un outil d’influence au service de la politique algérienne en France. En décembre 2020, l’ambassadeur algérien à Paris déclarait sans ambages que «la Grande Mosquée de Paris est d’abord algérienne et ne sera jamais rien d’autre.»
De son côté, le Maroc semble avoir mis ce sujet en veilleuse .Ainsi, les cérémonies du 19 octobre 2022 commémorant le centenaire de la GMP ont eu lieu en l’absence de toute représentation marocaine. Interrogé le 17 décembre 1989 au sujet d’un éventuel litige, le défunt roi Hassan II a déclaré : «Cette Mosquée a été inaugurée en 1926 par mon grand-père. C’est le Maroc qui a donné les trois quarts des subsides pour que la mosquée soit payée sur les habous des trois pays : Algérie, Maroc, Tunisie. Et depuis que cette mosquée existe, jamais la direction n’est revenue au Maroc. Car si Kadour Ben Ghabrit, que Dieu ait son âme, était un Algérien, bien qu’il ait été fonctionnaire marocain détaché auprès de mon père en tant que chef du protocole.»
Hassan II était apparemment irrité de cette situation car il a annoncé dans la foulée qu’il comptait demander au maire de Paris, Jacques Chirac, «de nous vendre un terrain, et nous allons, par souscription, construire une mosquée où nous mettrons un imam marocain, sunnite.» Preuve de son dépit, le défunt souverain a ajouté «et vous verrez alors, à ce moment-là, comme lorsqu’il y a une meule de foin non égrené que le vent séparera de lui-même la bonne graine et que tout ce qui est paille et autres ira d’un autre côté. Vous verrez que tous les bons Musulmans viendront pour la plupart dans notre mosquée.»
En cas de victoire du RN aux prochaines élections, les relations officielles des autorités françaises avec la GMP et son recteur pourraient connaitre des tensions. L’extrême droite française n’a jamais vu d’un bon œil la présence d’une mosquée au cœur de Paris. En 1926, Charles Maurras a exprimé dans L’Action française ses réserves à ce sujet, considérant l’édification de ce «trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir…»
Ce texte, qualifié de «visionnaire», a été republié plusieurs fois depuis, récemment dans Résistance républicaine en 2015.
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https://www.barlamane.com/fr/la-mosquee-de-paris-algerianisee/
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