La Reine oubliée, III : L’homme de Césarée de Françoise Chandernagor, Albin Michel, 2021, 430 p.
Françoise Chandernagor reprend le fil de sa quadrilogie romanesque consacrée à celle qu’elle appelle « la reine oubliée », la fille du Romain Marc-Antoine et de l’Égyptienne Cléopâtre.
Cléopâtre II Séléné (« La Lune », d’où, peut-être, le caractère mélancolique que lui prête la romancière), est née en 40 av. J.-C., des amours de sa mère, l’illustre reine d’Égypte Cléopâtre VII, avec le général et homme politique romain Marc-Antoine, un proche de Jules César, lequel avait été en son temps également l’amant de la souveraine. Ils avaient eu un fils, Ptolémée XV Philopator Caesar, surnommé Césarion qui, héritier des deux pays, aurait pu unir l’Orient et l’Occident, devenir l’homme le plus puissant de son temps. Un certain Octave, successeur officiel de Jules César et futur empereur Auguste, ne l’a pas permis.
Après avoir écrasé la flotte de Marc-Antoine et Cléopâtre à Actium en -31, et ses ennemis s’étant suicidés, on pense qu’il fit exécuter Césarion, son dangereux rival dans sa marche vers le trône. En revanche, concernant la jeune Cléopâtre, éphémère souveraine de Syrie, Octave fit preuve de plus de mansuétude. L’adolescente fut envoyée à Rome, élevée au sein même de la famille impériale comme une hôte de marque. C’est là qu’elle connut Juba, un Numide, fils du roi Juba Ier, partisan de Pompée, l’adversaire de César, vaincu à Thapsus en -46. Celui-là aussi, né en -40, fut élevé sur le Palatin, avant de rentrer dans son pays et de devenir roi de Maurétanie (Algérie-Maroc actuels). Il était aussi beau que sage, empreint de culture grecque, philosophe proche des épicuriens, écrivain, auteur notamment de traités d’esthétique, tous perdus hélas. C’est Auguste en personne qui organisa le mariage des deux jeunes princes, pour des raisons géopolitiques évidentes, leur union devant cimenter l’ordre romain sur l’autre rive de la Méditerranée, et jusqu’en Orient. On peut considérer qu’il a réussi son coup.
Si, d’après Françoise Chandernagor, Séléné, nostalgique de ce trône d’Égypte qui lui avait été ravi (selon la tradition des Pharaons, elle aurait dû s’unir à son demi-frère Césarion et régner à ses côtés), détestait Auguste et les Romains en général, complotant même contre leur domination, Juba, lui, fut un allié fidèle et loyal de Rome, un excellent administrateur. Qui, lorsqu’il guerroyait, n’hésitait pas à confier le gouvernement à son épouse, laquelle résidait essentiellement à Césarée (l’actuelle Cherchell, en Algérie, non loin de la Tipasa si chère à Albert Camus).
Son autre capitale était Volubilis, dans le Maroc actuel, non loin de Meknès. Ce qu’il y a d’unique, dans le couple Juba-Cléopâtre, c’est que leurs enfants possédaient un des patrimoines génétiques les plus mêlés et les plus méditerranéens qui soient. Qu’on en juge : berbères du côté paternel, mais hélléno-égypto-romains du côté maternel.
Ces éléments historiques sont importants, si l’on veut bien comprendre le contexte géopolitique de l’époque et du roman, ainsi que les chimères de reconquête de la jeune reine. Elle n’y parviendra pas, morte vraisemblablement en 5 ap. J.-C., son époux lui survivant jusqu’en 23. Mais cela, Françoise Chandernagor le contera peut-être dans Le Jardin de cendres, à paraître, qui achèvera sa quadrilogie. Pour le moment, L’Homme de Césarée est centré autour de Juba, et de sa vie, pas toujours facile, avec Cléopâtre. Histoire agitée, tumultueuse, guerres, séparations, mais aussi retrouvailles passionnées. Historienne, maître ès-roman historique depuis sa fameuse Allée du roi (Julliard, 1981), l’Académicienne Goncourt a évidemment bossé son sujet et sa période. Mais elle n’hésite pas, en toute liberté, à prendre la parole, à émettre un jugement, à mêler son grain de sel, commentant l’attitude de tel ou tel de ses personnages avec notre logique contemporaine. C’est érudit, savoureux, moderne, parfaitement réussi. Et, quoique volumineux, ça se dévore.
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