Parmi les nombreuses excentricités de Javier Milei mises en scène et très fortement médiatisées, son rapport assez curieux avec le judaïsme n’est pas la moindre. Ainsi, lors de son premier voyage officiel comme président début février 2024, il s’est rendu en Israël où, outre l’annonce du déplacement de l’ambassade d’Argentine à Jérusalem, il s’est longuement fait photographier et filmer, le visage inondé de larmes, devant le mur des Lamentations.
Le sionisme de Javier Milei et son alignement sans le moindre recul ni critique sur les positions de Benyamin Nétanyahou ne peut guère surprendre. Globalement, Milei est proche de toutes les extrêmes droites du monde occidental. Cette posture idéologique vaut tant pour sa politique intérieure qu’internationale. Elle participe d’une stratégie pour la droite globale qui a été élaborée par l’un des plus influents conseillers de Javier Milei, Agustín Laje. Celui-ci vise, malgré les nombreuses contradictions entre les extrêmes droites argentines (étatiques contre libertariennes, entre autres), à coordonner les forces de droite. Le jeune auteur à succès dans l’ensemble du monde hispanophone d’extrême droite est aussi un « anti-woke » fanatique. Il résume ainsi son propos :
Une Nouvelle Droite pourrait se former dans l’articulation de libertaires non progressistes, de conservateurs non immobilistes, de patriotes non étatistes et de traditionalistes non intégristes. Le résultat serait une force résolue dans l’incorrection politique qui pourrait se traduire dans une opposition radicale à la caste politique nationale et internationale1.
L’EFFET DE MANCHE DU TRANSFERT DE L’AMBASSADE
Dès lors, rien de plus cohérent pour le très idéologique Milei que de chercher des alliances avec les dirigeants de toutes les formes d’extrême droite à travers le monde seulement « occidental ». Milei a par ailleurs un prisme anticommuniste directement hérité de la guerre froide et totalement étanche aux 35 années qui nous séparent de la chute du Mur de Berlin. Sa ferveur est telle que son administration a fragilisé les relations diplomatiques avec la Chine malgré des accords commerciaux essentiels pour l’Argentine avec la grande puissance asiatique. Ainsi, et quitte à froisser l’administration Biden, il a tenu à embrasser le candidat Donald Trump lors d’une assemblée du conservatisme nord-américain où il s’est rendu le 24 février 2024, dans l’État du Maryland2.
Dans ces conditions, rien de plus naturel pour Milei que de s’aligner sur Nétanyahou, voire sur les alliés les plus ultras de la coalition du premier ministre israélien. Notons au passage que l’annonce d’un transfert de l’ambassade argentine de Tel-Aviv à Jérusalem n’est qu’un effet de manche. La présidence argentine n’a pas le pouvoir d’organiser ce déplacement qui ne peut se faire que si les députés argentins y sont majoritairement favorables. Or, le parti de Milei est fortement minoritaire à l’Assemblée.
Le sionisme de Milei s’inscrit dans une idéologie d’extrême droite et il ne fait aucun doute qu’il est disposé à applaudir aux déclarations les plus extrêmes de dirigeants israéliens. Pour lui, même dans le contexte d’un massacre sans précédent à Gaza, la question palestinienne n’existe pas… puisqu’elle n’apparaît pas dans l’Ancien Testament.
UN JUIF EN DEVENIR
Venons-en à l’autre aspect — bien plus bizarre — du dirigeant argentin : la volonté de ce catholique de se convertir à la religion juive. Bien avant son élection, le candidat se revendiquait de courants jusqu’à récemment très marginaux en Argentine, comme l’ultralibéralisme, le libertarianisme ou l’« anarcho-capitalisme ». Néanmoins, ses alliances ne laissaient aucun doute sur son orientation très droitière. En particulier, il s’est rapidement lié à Victoria Villaruel (aujourd’hui sa vice-présidente), issue d’une famille militaire très ancrée dans l’extrême droite traditionnelle.
Or en Argentine, celle-ci se caractérise par un nationalisme identifiant l’identité nationale à un catholicisme traditionaliste, et donc excluant toutes les autres religions. En clair, il ne peut y avoir de vrais Argentins que catholiques pour ce nationalisme qui a toujours été fortement antisémite. D’ailleurs, au-delà de l’extrême droite, la nation argentine s’est longtemps définie par son catholicisme, si bien que jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1994, son président devait être catholique.
Dans ces conditions, la volonté affichée de Milei de se convertir au judaïsme peut apparaître comme une manière de couper court à toute dénonciation d’antisémitisme. Plus encore, cette conversion permet de fusionner diverses tendances de l’extrême droite, comme le soulignent Martín Vicente et Matías Grinchpun dans une enquête croisée sur le syncrétisme religieux et politique de la Libertad Avanza, le parti présidentiel3. Ainsi, outre Victoria Villaruel, le nouveau gouvernement argentin compte au moins un ancien néonazi en la personne de Rodolfo Barra, procureur général, qui est l’équivalent du ministre de la justice en France.
En réalité, Milei semble davantage intéressé par différents mysticismes dans un mélange plutôt new age que spécifiquement juif. Il a ainsi notamment fait un appel à une médium capable de communiquer par télépathie avec des animaux, y compris morts, ce qui permettrait à l’actuel dirigeant argentin de poursuivre un dialogue avec son chien décédé en 20174. C’est d’ailleurs depuis cette même période mystique que l’homme s’est rapproché de la religion juive.
Un peu comme l’économiste Milei, le « juif en devenir » Milei affirme son identité à travers d’obscurs (du moins pour les profanes) auteurs et citations censés expliquer ses positions. Quand il est question d’économie, dans ses très nombreuses interviews, Milei cite presque immanquablement un livre ou un article inconnu du grand public afin de soutenir l’une de ses positions, souvent considérées comme dangereuses et problématiques par la plupart des économistes. De même, il déstabilise souvent le public peu averti par des citations du Livre des Macchabées, soit pour expliquer une mesure, soit pour affirmer une religiosité judaïque dont il serait un bon connaisseur. Malgré les évidences qui le désignent comme un cancre, Milei tient toujours à se présenter comme un bon élève qui aurait bien révisé ses classiques avant l’examen. En économie comme en religion.
UN HOMMAGE AUX LOUBAVITCH
Il a ainsi affiché sa proximité idéologique avec la plus virulente branche du hassidisme contemporain5 : la communauté fondée par la dynastie Habad-Loubavitch. Ainsi, en novembre 2023, récemment élu (et pas encore investi), Milei s’est rendu à New York où il est allé se recueillir sur la tombe du dernier de la lignée des Loubavitch, Menachem Mandel Schneerson.
La secte loubavitch est, parmi les orthodoxes, probablement la plus favorable au colonialisme israélien. Considérant la Torah comme un cadastre, il s’agit de trouver les frontières d’un royaume étendu dont les contours seraient définis par les livres sacrés qui feraient office d’actes de propriété. La boucle est bouclée pour Milei, à la fois sioniste forcené et futur converti à un judaïsme fanatique. Le colonialisme messianique de la secte ne peut guère rebuter le président ultralibéral argentin pour qui la propriété privée est le droit le plus sacré, mais qui n’a jamais considéré la spoliation des peuples originaires du continent américain comme un crime.
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