«Nous Tempêtes anonymes
Evadées des poubelles de l’histoire
Chargées de tous les rires
De toutes les lumières
Nous réclamons
L’écho de notre voix.» Noel Ebony
Plus rien, absolument plus rien, ne sera plus comme avant le 8 Mai 1945, en Algérie. Malgré l’ampleur des massacres commis, notamment à Sétif, Guelma, Héliopolis et à Kherratta, par l’armée coloniale française, renforcée pour la circonstance par les tirailleurs sénégalais ainsi que les tabors marocains et soutenue par les milices formées essentiellement de colons, malgré les arrestations massives, malgré la torture, malgré la terreur imposée au peuple algérien durant tout le printemps 1945, malgré le simulacre de reddition organisée à Melbou, les Algériens n’ont jamais renoncé à leur idéal indépendantiste.
Au contraire, toutes les couches sociales ont compris que le colonialisme
e, pour qu’il soit vaincu, nécessite plus qu’un sursaut d’orgueil, plus qu’une révolte circonstancielle, mais une action politico-militaire d’une grande ampleur, un soulèvement général. Il s’agit en fait de mettre en place une toute autre stratégie en phase avec le contexte de l’époque. Hocine Ait Ahmed résume ainsi l’impact du 8 Mai 1945 sur le mouvement national : «Mai 1945 va ouvrir une nouvelle étape historique à laquelle devaient correspondre des formes de lutte et d’organisation neuves.»
Pour montrer justement l’ampleur du bouleversement généré par les massacres de mai 1945, et avant d’évoquer ce qui s’est passé à Sétif, Guelma et Kherratta, il est nécessaire de revenir tout d’abord sur le contexte qui a précédé les tueries du Constantinois.
L’opération Torch et le débarquement des Alliés en Afrique du Nord.
Le 8 novembre 1942, les alliés débarquent sur les côtes algériennes, plus précisément à Meslmoun (à quelques encablures de Cherchell) ensuite à Alger. Ce débarquement a eu, selon Hocine Aït Ahmed, un impact direct sur l’opinion des Algériens : «On peut dire, souligne-t-il dans ses Mémoires, que l’opinion dans son ensemble a basculé dans le camp des alliés.»
Ce n’était pas, précise-t-il, pour rejoindre le camp des vainqueurs, la guerre n’étant pas encore finie et tout n’étant «pas encore joué», mais par principe : l’aspiration à la liberté. A l’époque, dans les milieux nationalistes algériens, on considérait, justement, que le nazisme et le fascisme sont des formes majeures du colonialisme.
Le fait le plus important, après le débarquement allié, reste l’émergence d’une nouvelle vision au sein du champ politique algérien de l’époque. Vision qui sera incarnée d’une manière effective et d’une «façon spectaculaire», par le Manifeste du peuple algérien. Catalyseur de cette vision, ce document historique est porté par Ferhat Abbas. Lorsqu’il le rend public le 10 février 1943, ce manifeste est signé par pratiquement tous les élus algériens, y compris les partisans de l’administration.
Le Manifeste du Peuple Algérien qui, selon Hocine Ait Ahmed, « constitue un événement considérable à l’échelle nationale», se voulait un document fondamental dans lequel les représentants du peuple algérien posent leurs conditions quant au soutien à l’effort de guerre des alliés. Ces conditions se résument notamment à permettre aux Algériens, une fois la guerre terminée, de se prononcer «librement et démocratiquement sur leur avenir, sans distinction de race ni de religion», et ce, en vertu du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe adopté, faut-t-il le rappeler, dans le cadre de la Charte de l’Atlantique.
Le Manifeste du Peuple Algérien
Ferhat Abbas, qui a donc réussi à convaincre les élus à parapher la charte revendicative (qu’il intitule L’Algérie devant le conflit mondial. Manifeste du peuple algérien) décide de la remettre au Gouverneur général de l’Algérie, Peyrouton. Selon certains historiens, ce document est très imprégné du programme politique et social du Parti du Peuple Algérien, le PPA. En effet, ce manifeste revendique explicitement la fin du colonialisme et le droit au peuple algérien à disposer de lui-même. Voici les principales revendications contenues dans Le Manifeste du Peuple Algérien :
La condamnation et l’abolition de la colonisation c’est-à-dire, de l’annexion et de l’exploitation d’un peuple par un autre peuple. Cette colonisation n’est qu’une forme collective de l’esclavage individuel du moyen-âge. Elle est, en outre, une des causes principales des rivalités et des conflagrations entre les Grandes Puissances.
L’application pour tous les pays, petits et grands, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
La dotation de l’Algérie d’une Constitution propre garantissant :
La liberté et l’égalité absolues de tous ses habitants sans distinction de race et de religion.
La suppression de la propriété féodale par une grande réforme agraire et le droit au bien-être de l’immense prolétariat agricole.
La reconnaissance de la langue arabe comme Langue Officielle au même titre que la langue française.
La liberté de la presse et du droit d’association.
L’instruction obligatoire et gratuite pour les enfants des deux sexes. La liberté du culte pour tous les habitants et l’application à toutes les religions du principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
La participation immédiate et effective, des musulmans algériens, au gouvernement de leur pays, ainsi que cela a été fait par le gouvernement de Sa Majesté Britannique et le général Catroux en Syrie, et par le gouvernement du Maréchal Pétain et les Allemands en Tunisie. Ce gouvernement pourra seul réaliser dans un climat d’unité morale parfaite la participation du peuple algérien à la lutte commune.
La libération de tous les condamnés et internés politiques à quelque parti qu’ils appartiennent. Après la soumission de ce document, un additif intitulé, Le Projet de réformes, a été présenté par les délégués musulmans le 26 mai 1943. Lequel additif met en exergue, d’une façon claire et précise, l’idée d’un Etat doté d’une constitution propre et d’une Nation algérienne.
Très vite, cette feuille de route, qui a pour objectif dans un premier stade l’autonomie interne du territoire algérien, va gagner la sympathie et l’adhésion massive des Algériens. Certaines sources avancent le chiffre de 500 000 adhérents enregistrés en moins d’une année. Sur la base donc de ce document, est né l’un des mouvements unitaires les plus importants en Algérie, à savoir Les Amis du Manifeste et de la liberté, les AML.
Cheville ouvrière de ce projet, Ferhat Abbas, après avoir obtenu l’assentiment pratiquement de toutes les personnalités politiques locales telles que les délégués financiers et les conseillers municipaux, va rallier les oulémas avant de rendre visite à Messali Hadj, le leader du PPA, dans sa résidence forcée de Ksar Chellala, ex-Reibell. Cette rencontre des deux leaders qui a eu lieu le 23 décembre 1944 va se traduire ensuite par la structuration des AML à tous les niveaux et par l’organisation du premier congrès de ce mouvement les 2, 3 et 4 mars 1945.
Le Congrès des AML
Ce congrès qui s’ouvre à Alger va réunir tous les représentants des courants et de l’opinion algérien à l’exception du Parti communiste algérien. Etant malade, Ferhat Abbas est représenté par Dr Saadane. Sont présents également, Cheikh El Bachir El Ibrahimi, chef de file des Oulémas, ses compagnons ainsi que les délégués du PPA. Le PPA, lui, est représenté par une «délégation dynamique», pour reprendre la formule d’Ait Ahmed, à savoir Lamine Débaghine et Hocine Asselah.
Epaulés par d’autres représentants du parti, tels que Messaoud Boukadoum, les membres de la direction du PPA seront «les véritables meneurs de jeu du congrès». D’ailleurs, les résolutions finales du congrès témoignent de l’influence des thèses nationalistes défendues par le PPA.
Le congrès des Amis du Manifeste et de la liberté va cristalliser ainsi le temps d’une rencontre de trois jours, la prise de conscience nationale. Conscience qui sera incarnée ensuite non seulement par les élites algériennes mais aussi par tout le peuple algérien jusqu’aux massacres du 8 Mai 1945.
Hocine Aït Ahmed va résumer plus tard les répercussions immédiates de ce congrès sur la scène politique algérienne, comme suit : «L’enthousiasme populaire qui en est résulté devait donner un impact extraordinaire à l’organisation des sections à travers tout le pays. Le climat de panique suscité et orchestré par la grosse colonisation au lendemain du congrès en attestait la portée politique, mais il allait, hélas, aboutir aux tragiques événements du 8 mai 1945.»
Ainsi, la réussite de ce congrès est couronnée par l’adoption d’une ligne de conduite qui va dans le sens de l’affirmation de l’idée nationaliste. Désormais, relève Mohamed Harbi, il n’est plus «question de république fédérée mais d’un parlement et d’un gouvernement algérien».
Cette évolution, il est évident, n’est guère du goût de l’administration coloniale qui va réagir immédiatement. D’abord, elle prend la décision d’éloigner celui que le congrès a reconnu comme «leader incontestable du peuple algérien», Messali Hadj, le 19 avril 1945 de sa résidence forcée de Chellala à El Goléa. Certaines sources avancent toutefois d’autres raisons concernant l’éloignement de Messali.
En effet, la veille, le 18 avril, quatre militants sont arrêtés à Ksar Chellala où le préfet d’Alger Perillier préside le congrès annuel des Achabas, suite à de violents incidents provoqués par des militants du PPA. Les 4 militants arrêtés ont été délivrés de force par 200 autres, bousculant les forces de l’ordre et, surtout, portant un grave coup au respect de l’autorité coloniale en la personne du Préfet dont la voiture a été endommagée.
Mohamed Harbi se basant sur le témoignage du premier concerné par l’affaire de Ksar Chellala, à savoir Messali Hadj, donne une autre version des faits : «Selon Messali, souligne-t-il, quelques jours avant ces événements, il a reçu la visite de Hocine Asselah et du Dr Lamine Debaghine qui l’ont entretenu d’un projet d’insurrection auquel il a donné son accord. Bennai Ouali était chargé de son évasion. Un gouvernement algérien devait être proclamé et la ferme des Maïza, prêt de Sétif, lui servir de siège. Le scénario ne se déroula pas comme prévu. Messali est interrogé par la Police et transféré à El Goléa. »
En tous les cas ce climat de troubles qui prévalait alors à Chellala est symptomatique d’une atmosphère pré-insurrectionnelle caractérisant la quasi-totalité du territoire algérien. Atmosphère soutenue par une intense activité des militants du PPA dont les cadres, nous dit encore Harbi, «préparent, d’une manière désordonnée, les masses à l’idée d’insurrection.» Et dans ce contexte, le 23 avril 1945, Messali Hadj est assigné à résidence à Brazzaville en Afrique équatoriale.
En dépit de l’éloignement de Messali, l’administration coloniale mobilise «les nervis de la police» pour infiltrer d’une manière insidieuse les sections des AML à travers tout le territoire algérien. Ces nervis de la police, des anciens déserteurs, des repris de justice des petits mafieux de quartiers vont davantage rajouter de la confusion à la confusion à tel point que la situation atteigne un degré «de tension jamais égalée», selon Redouane Ained Tabet. Il y a lieu de souligner que ces nervis de la police seront ensuite responsables de plusieurs meurtres qu’ils commettront notamment à Sétif le 8 mai. C’est dans ce climat électrique que vont se dérouler les préparatifs des manifestations du 1er mai 1945.
Le 1er Mai prélude de la tragédie du 8 mai
Les manifestations du 1er mai 1945 célébrant la fête du travail sont préparées avec rigueur et enthousiasme par la direction et les cadres du PPA. Dans leur esprit, il s’agit d’organiser des manifestations «purement musulmanes» afin de démontrer l’appui et soutien populaire dont jouissait leur démarche patriotique.
C’est une manière de maintenir la pression sur l’administration coloniale pour qu’elle cède face aux revendications nationalistes. Cette fête du travail, dans l’esprit des nationalistes du PPA, constitue donc une occasion historique qu’il fallait saisir pour réaffirmer, en dépit des revendications socioéconomiques, les aspirations du peuple algérien à son émancipation du joug colonial.
Organisées principalement dans les grandes villes, notamment à Alger, Oran, Bejaia, Tlemcen, Constantine, Mostaganem, Guelma, Relizane, Sétif, Batna, Biskra, Aïn Beiïda, Khenchella, Sidi Bel Abbès, Souk Ahras, Cherchell, Skikda, Miliana, Oued Zenati, Saïda, Annaba, Tébessa, Sour El Ghozlane, ces manifestations ont été marquées par l’engouement des masses algériennes dans les cortèges où l’on a brandi des banderoles et on a scandé haut et fort les mots d’ordres : «Libérez Messali !», «Algérie Indépendante !»
C’est à Alger que ces manifestations étaient particulièrement massives et tragiques à la fois. Deux cortèges y sont organisés. Le premier s’ébranle de Belouizdad, ex-Belcourt, et le second à partir de la Casbah. Ces deux cortèges devaient ensuite converger vers la Grande Poste avant de prendre le chemin du Palais du gouvernement général. Mais la police coloniale a tout fait pour que la jonction des deux cortèges ne soit pas établie.
Débordée sur ses flancs par les manifestants, la police charge et tire dans le tas. Les premières victimes de mai 1945 tombent alors à Alger. On a alors déploré 4 victimes selon certains, 7 selon d’autres, parmi lesquelles le jeune Mohamed Belhaffaf de la Casbah. Des dizaines de blessés ont été également enregistrés dont certains ont été grièvement touchés, c’est le cas des militants Abdelkader Ziar, Laimèche et Boughmalah.
La répression violente des manifestations du 1er Mai 1945 à Alger annonce ainsi les massacres du 8mai de Sétif, Guelma, Héliopolis et Kherratta où la répression va atteindre un degré de cruauté « jamais atteint depuis le début du siècle. »
8 Mai 1945, le massacre !
Le 8 mai 1945, dans toutes les capitales et les grandes villes du monde entier (excepté le Japon), on manifeste dans la joie et l’allégresse la fin d’un cauchemar qui a duré six longues années, celle d’un conflit mondial dévastateur. On célèbre en fait la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie qui a capitulé la veille.
En Algérie, des manifestations avec des slogans : «Libérez Messali», «Vive l’Algérie indépendante», «Vive l’Algérie», sont organisées sur tout le territoire. «Il n’y a pas de mot d’ordre d’insurrection», les manifestations sont pacifiques. Les militants des AML et du PPA chargés d’encadrer les cortèges veillaient au grain en fouillant systématiquement les manifestants pour vérifier s’ils ne détenaient pas des armes blanches ou des gourdins, avant de rejoindre leurs carrés.
A Sétif, la manifestation qui devait être une occasion pour les algériens de rappeler, dans le calme, à la France et aux alliés l’aspiration du peuple algérien à l’indépendance, se transforme en une véritable boucherie. Une horrible hécatombe commise par la France coloniale.
Auteur de deux livres remarquables sur le 8 Mai 1945, Sétif, la fosse commune et Massacres de mai 1945 en Algérie, la vérité mystifiée, Kamel Beniaiche revient avec force et détails sur ce qui s’est passé durant les quelques heures qui ont précédé le carnage à Sétif en de cette matinée fatidique : «Mardi est un jour de marché à Sétif. Dès la matinée, une foule joyeuse et enthousiaste s’apprête à participer à l’événement.
Le rassemblement s’effectue devant la mosquée Abou Thar El Ghifari du faubourg de la gare, où l’effervescence est à son comble. Constitué de militants du groupement des AML, des partisans de Ferhat Abbas, des scouts, des Oulémas et de membres du PPA, le service d’ordre veille au grain, invite les paysans à déposer leurs cannes et leurs bâtons. Vers 8h30, la marée humaine s’ébranle. Elle est précédée par un groupe de jeunes scouts, suivis par deux militants : Bella Slimane (plus connu sous l’appellation de Hadj Slimane) horloger de son état, et Belaya Saïd, bourrelier, tous deux porteurs de gerbes de fleurs.»
Le cortège avance dans un ordre certain. Les manifestants déployant les drapeaux des alliés ainsi que des banderoles portant des inscriptions telles que «Libérez Messali», «A bas le colonialisme» et autres, brandissent ensuite allègrement l’emblème nationaliste (probablement le même drapeau que l’actuel emblème national). C’est un jeune scout de 22 ans, «peintre de profession», Saal Bouzid qui a eu l’honneur de porter cet emblème.
Lorsque les manifestants arrivent à hauteur du Café de France où se trouvait le commissaire Valère depuis 9h, le chef de la brigade mobile Oliviéri demande que l’on retire le drapeau algérien. Un refus net lui a été opposé par le porteur du de l’emblème. Oliviéri appelle vite ses collègues à la rescousse. Et là l’irréparable se produit. L’inspecteur Laffont intervient brutalement. Il tire sur Saal Bouzid qui s’écroule littéralement sur le sol pour ne plus se relever.
A jamais ! Ce meurtre prémédité va provoquer un déchaînement de violence inégalée non seulement à Sétif mais dans tout le Constantinois où des mains expertes en matière d’épuration ethnique procéderont tout au long du mois de mai au massacre. La Police coloniale, l’armée coloniale et les milices vont tuer froidement l’algérien, homme femme, enfant et vieillard. A partir du 9 mai, l’état d’urgence est proclamé et la loi martiale entre en vigueur.
Le Gouverneur général accorde les pouvoirs de police au commandant de la division territoriale de Constantine, le général Duval. Ce dernier engage aussitôt ses troupes. Selon Redouane Ainad Tabet, environ 2000 hommes «bien entraînés, encadrés, armées et motorisés», tirailleurs sénégalais, tabors marocains, légionnaires, soldats français passe à l’action tout d’abord à Sétif et les régions environnantes. La répression est alors déclenchée. «Elle sera féroce, précise Mohamed Harbi, et nouera avec les procédés qui ont caractérisé la conquête du pays.»
Le dispositif militaire de Duval qui était, faut-il le souligner, appuyé par l’aviation, les bâtiments de la marine, les gendarmes, les forces de police et la milice des colons, va semer la terreur et la destruction dans les villages et les mechtas du Constantinois. En plus des dizaines de milliers de morts, plus de 10000 algériens sont arrêtés. Ils sont parqués dans des camps de barbelés, dans des casernes et dans des cachots insalubres.
La répression militaire a donné lieu, selon Ainad Tabet, «à tous les abus : tirs à vue sur tout groupement d’indigènes, assassinats sans sommation ni interrogatoire, meurtres de prisonniers, viols, pillages, incendies. Toutes les armées participent en même temps : le croiseur Duguay-Trouin fait pleuvoir des obus sur les régions de Guergour, de cap Aokas, Ziama-Mansouria, Kherratta et ravage le village de Tararest. Les avions mitraillent à basse attitude, lâchent des roquettes ou bombardent aussi.» Ce dispositif militaire répressif va frapper sans relâche pendant plusieurs semaines durant lesquelles les populations civiles algériennes vivront un véritable enfer sur terre.
Guelma, Achiary le bourreau du printemps
A Guelma où le sinistre sous-préfet Achiary était sur le qui-vive depuis le 14 avril, date de la constitution de sa «milice civique», attendaient avec ses sbires les manifestants du 8 mai au tournant d’une ruelle avant de les charger. Les premières victimes de Guelma tombent vers 17h en ce 8 mai 1945. Achiary ordonne ensuite la fermeture des cafés et des magasins, décrète le couvre-feu à partir de 21h30. Achiary dans sa stratégie répressive ne fait pas appel à l’armée et aux tirailleurs.
Il se base sur les milices avant de mettre en place des structures paramilitaires subversives. Il instaure un conseil de la milice, un tribunal illégal baptisé «le comité de salut public» dont la mission principal est d’envoyer à la mort les algériens. Juge et bourreau, Achiary n’a pas hésité d’ouvrir les prisons de Guelma aux détenus qui vont commettre les pires atrocités dans cette ville en toute impunité.
Selon Jean-Pierre Peyroulou, le préfet de Constantine et le sous-préfet de Guelma «sortirent de la légalité, y compris en matière répressive, et mirent sur pied un régime illégal, donnant l’onction, grâce à la légitimité de leur fonction, aux miliciens pour perpétrer des violences sur des civiles désarmés.
Leur action fut couverte par les élus locaux guelmois, Lavie, Champ, Garrivet le futur maire, rassemblés dans un comité de vigilance et au plan départemental dans la Fédération des maires dominée par le doyen de l’Assemblée consultative, Cuttoli, et au plan algérien par la puissante Fédération des agriculteurs représentant les colons et présidée par un d’entre eux, Abbo, qui défièrent le gouverneur et le ministre de l’intérieur.» Voilà qui explique la responsabilité française pleine et entière, à tous les niveaux, dans les crimes contre l’humanité commis à Guelma, à Sétif et à Kherratta au printemps 1945.
Ces crimes d’Etat qui demeurent impunis impliquent l’ensemble des responsables administratifs et militaire du plus petit conseiller municipal jusqu’au plus haut sommet de l’Etat à l époque, c’est-à-dire le général de Gaulle qui, à deux reprises, avait donné l’ordre de réprimer tout mouvement «séditieux» en Algérie.
La première fois, lorsqu’il a ordonné, au moment qu’il quitte Alger pour Paris en août 1944, au général Martin, d’empêcher, par tous les moyens, tout mouvement insurrectionnel en Afrique du Nord. La deuxième fois, lorsqu’il envoie un fax le 10 mai 1945, deux jours après le déclenchement des émeutes, dans lequel il ordonne au gouverneur général Yves Chataigneau de mater le mouvement du 8 mai. Un fax qui a coûté à l’Algérie 45 000 morts.
Pour ne pas conclure
Intervenant dans un contexte où le colonialisme était à bout de souffle, où le colonialisme avait frôlé ce que l’on appelle ses «paradoxes terminaux», le 8 Mai 1945 fut un catalyseur d’une nouvelle vision au sein du mouvement national. Malgré l’immense douleur et malgré l’énorme sacrifice, cette date historique va cristalliser toutes les luttes politiques et les résistances antérieures.
Il s’agit d’un moment fondateur, celui de l’émergence de la conscience nationale, qui va jeter les premiers jalons d’un nouveau processus, irréversible, qui s’inscrit résolument dans le sens de la restauration de la Nation algérienne.
Au-delà donc de ce que l’historien Charles-Robert Ageron appelle, lorsqu’il a évoqué le 8 Mai 1945, le «vaste règlement de compte racial», les massacres de Mai 1945 n’ont pas été envisagés comme aboutissement mais comme un commencement.
Un nouveau départ. La destruction programmée du nationalisme algérien, qui a certes été profondément ébranlé, n’a pas eu lieu. Il n’a pas été anéanti. Car, il renaîtra de plus belle un certain Novembre 1954… «Faut-il mourir pour vivre ?» se demandera, à ce propos, Kateb Yassine. H. A.
Par Hacène ARAB
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