Les décombres de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza, ce lundi 1er avril. (Dawoud Abu Alkas/Reuters)
A Gaza, la grande entreprise criminelle continue : l’hôpital Al-Shifa réduit à néant par l’armée israélienne. En se retirant de l’établissement de santé après deux semaines de siège, les forces armées israéliennes ont laissé derrière elles des corps en décomposition et d’immenses destructions.
Larguer de l’aide humanitaire sur la bande de Gaza tout en livrant des armes à Israël. Le paradoxe de la guerre qui se joue dans l’enclave assiégée se résume en une image, publiée ce lundi 1er avril par l’Agence France Presse. Une dizaine de colis suspendus à des parachutes viennent d’être lâchés par des avions occidentaux à quelques kilomètres de l’hôpital Al-Shifa, que l’armée israélienne vient de transformer en un gigantesque champ de ruines.
Après quatorze jours de siège, loin des regards des journalistes et des humanitaires, Tsahal a achevé ce lundi 1er avril son opération d’envergure dans le plus grand centre hospitalier de l’enclave, dans la ville de Gaza. Le 18 mars, elle avait lancé un assaut « ciblé » sur ce vaste établissement, accusé d’abriter des commandants du Hamas et du Jihad islamique. L’annonce du retrait a immédiatement provoqué un afflux de plusieurs centaines de personnes vers le complexe médical, qui a accueilli jusqu’à 50 000 déplacés. Ces femmes et ces hommes espéraient y retrouver leurs proches disparus ou récupérer des affaires abandonnées de manière précipitée lors de leur fuite.
« Tués ou morts de faim »
Au lieu de cela, les Gazaouis ont découvert des scènes d’apocalypse dignes de celles des batailles d’Alep ou de Mossoul. L’hôpital Al-Shifa, créé en 1946 pendant le mandat britannique et d’une capacité de 700 lits, a été réduit à néant par l’offensive terrestre et les frappes aériennes. Les bâtiments ont été détruits, calcinés ou pulvérisés. Des images montrent des cadavres en décomposition, dévorés par les insectes, qui gisent encore sur le sol au milieu des montagnes de gravats. Des hommes font des va-et-vient dans l’établissement avec des civières. D’autres hurlent leur douleur au milieu de la foule. Selon des médecins et des civils présents sur place, une vingtaine de corps ont été retrouvés, dont certains semblent s’être fait rouler dessus par des véhicules militaires.
Des témoins ont affirmé que certains individus avaient été menottés avant d’être tués. « Certains membres du personnel médical ont été tués, torturés ou détenus. Surtout, ils ont été assiégés pendant deux semaines sans aucun matériel médical, ni même de nourriture ou d’eau, a déclaré Raed al-Nims, porte-parole du Croissant-Rouge palestinien. Nous n’avons pas encore de chiffres définitifs, mais il ne fait aucun doute que de nombreux civils ont été tués soit directement par les forces d’occupation israéliennes soit morts de faim. » Dimanche, l’Organisation mondiale pour la santé indiquait que 107 patients dépourvus de soins médicaux, dont quatre enfants, se trouvaient encore dans l’hôpital Al-Shifa et que 21 autres étaient morts depuis le début du siège. Selon le gouvernement du Hamas, qui a appelé la Cour internationale de justice à enquêter sur ces « crimes », environ 400 Palestiniens ont été tués lors de cette opération. Parmi eux, la docteure Yusra Al-Maqadma et son fils Ahmed Al-Maqadma.
Le discours israélien est beaucoup plus élogieux. L’armée, qui assure avoir mené ce raid « tout en évitant de nuire aux civils, aux patients et aux équipes médicales », s’est félicitée d’avoir éliminé 200 « terroristes » et arrêté plus de 900 personnes, dont la moitié se sont révélées être affiliées au Hamas et au Jihad islamique. Précédemment, un porte-parole de Tsahal avait même qualifié l’opération de « l’une des plus réussies de la guerre jusqu’à présent » en raison des renseignements recueillis, ainsi que du nombre de personnes tuées et détenues. L’armée israélienne avait déjà mené en novembre un assaut de ce type contre l’hôpital Al-Shifa, affirmant avoir découvert un tunnel de 55 mètres utilisé par le Hamas sous le complexe médical.
Paralysie du système de santé
Après deux semaines de siège, l’établissement, qui représentait avant le 7 octobre environ 30% de la capacité du système de santé dans la bande de Gaza, n’est plus du tout fonctionnel. Il n’y a d’ailleurs plus aucun hôpital opérationnel dans la bande de Gaza en raison du manque de carburant, de personnel et de fournitures médicales, alerte l’OMS. Dans le Sud, le centre de santé Nasser de Khan Younès, le deuxième plus grand de l’enclave, est lui aussi complètement hors service. Pour éviter une paralysie complète du système de santé et face aux « attaques répétées » de la part d’Israël, le ministère de la Santé de Gaza a appelé ce lundi les Palestiniens à rester à l’écart des hôpitaux, à moins qu’ils ne soient malades ou blessés.
Alors que le dernier bilan de personnes tuées depuis six mois dans la bande de Gaza s’élève à près de 33 000 personnes, le Hamas a présenté pour la première fois, dans un communiqué sur Telegram, ses excuses aux Gazaouis pour les souffrances engendrées par la guerre. Tout en adressant un message de remerciement à la population, dont il reconnaît « l’épuisement », le mouvement islamiste a réitéré sa volonté de poursuivre la lutte qui permettra de parvenir à « la victoire et la liberté » des Palestiniens.
Guerre d’Israël à Gaza : le chaos et l’impasse
Six mois se sont écoulés depuis le 7 octobre 2023 et les massacres du Hamas en Israël. Depuis, l’État hébreu massacre les Palestiniens. L’espoir d’une solution politique n’a jamais semblé aussi lointain.
Trente-trois mille morts et soixante-quinze mille blessé·es à Gaza depuis le mois d’octobre. Mille cent morts le 7 octobre en Israël et 130 otages israéliens et étrangers, dont le sort est inconnu, aux mains de groupes palestiniens à Gaza.
La guerre d’Israël à Gaza ne connaît toujours pas de cessez-le-feu, malgré une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Benyamin Nétanyahou est toujours premier ministre : après tout, les dirigeants occidentaux ne font rien pour l’arrêter.
Quand cette guerre prendra-t-elle fin ? Est-elle en train d’embraser le Proche-Orient ? Quelle issue politique, s’il y en a une ?
Nos invité·es :
- Amélie Ferey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales, spécialiste de la guerre et du conflit au Proche-Orient ;
- Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient à Médecins du monde ;
- Stéphanie Latte Abdallah, historienne, chargée de recherche au CNRS, spécialiste de la société palestinienne et des factions palestiniennes ;
- Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, en duplex depuis Tel-Aviv.
SOURCE : Guerre d’Israël à Gaza : le chaos et l’impasse | Mediapart
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