À l’heure où la bande de Gaza meurt de faim, les organisations humanitaires appellent les États, prompts à parachuter des colis alimentaires ou à promettre un port flottant tout en continuant à vendre des armes à Israël, à réclamer d’abord un cessez-le-feu.
« Les États ne peuvent se cacher derrière les largages aériens et un corridor maritime pour créer l’illusion qu’ils répondent adéquatement aux besoins à Gaza. » Dans un communiqué commun, 25 associations de droits humains et organisations humanitaires appellent les gouvernements « à exiger en priorité un cessez-le-feu et un acheminement de l’aide humanitaire par voie terrestre » dans l’enclave palestinienne assiégée et bombardée sans discontinuer depuis cinq mois.
À l’heure où la catastrophe sanitaire et alimentaire ne cesse de s’aggraver, Israël ayant recours, en plus des bombes, à l’arme de la famine, les ONG renvoient les États à leur « principale responsabilité » : « empêcher la perpétration de crimes atroces et exercer une pression politique efficace afin de mettre un terme aux bombardements incessants et aux restrictions qui empêchent l’acheminement sécurisé d’aide humanitaire ».
Parmi les signataires, des ONG présentes sur place qui ne cessent de témoigner de l’impossibilité d’exercer leur mandat humanitaire, notamment Médecins sans frontières (MSF), tant elles font face à des entraves multiples de la part des autorités israéliennes.
Cette prise de parole intervient alors qu’une coalition internationale emmenée par l’Union européenne, les États-Unis et les Émirats arabes unis a annoncé, vendredi 8 mars, l’ouverture prochaine d’un corridor maritime entre l’île de Chypre et la bande de Gaza (distantes de 380 kilomètres) pour acheminer l’aide humanitaire dans l’enclave où 2,4 millions de personnes survivent dans des conditions épouvantables et où plus de 31 000 Palestinien·nes ont été tué·es, majoritairement des civils, en l’occurrence des femmes et des enfants.
« Après avoir enduré cinq mois de bombardements incessants dans des conditions de vie déshumanisantes, les enfants, les femmes et les hommes de Gaza ont droit à davantage qu’une charité insuffisante jetée depuis le ciel, réclament les vingt-cinq ONG. Bien que toute aide humanitaire arrivant à Gaza soit la bienvenue, les voies aérienne et maritime doivent être considérées comme un complément au transport terrestre, et ne peuvent en aucun cas remplacer l’aide délivrée par les routes terrestres. »
Des colis aux Palestiniens, des armes aux Israéliens
Les signataires pointent, comme de nombreux acteurs et observateurs, l’aberration opérationnelle d’un port flottant sur la rive de Gaza qui nécessite plusieurs semaines de construction et sera, selon eux, « sans aucun effet réel sur la situation humanitaire catastrophique », alors qu’il suffit de contraindre l’État hébreu à ouvrir les points de passage terrestres bloqués par son entremise (Rafah, Kerem Shalom/Karam Abu Salem, Erez/Beit Hanoun et Karni) pour laisser passer les centaines de camions remplis de nourriture et de médicaments, qui attendent depuis des semaines.
Les ONG préviennent également que « les envois depuis Chypre vers les points de distribution autour de Gaza seront confrontés aux mêmes obstacles que rencontrent actuellement les convois d’aide en provenance de Rafah : une insécurité persistante, un taux élevé de refus d’accès par les forces israéliennes et des temps d’attente excessifs aux postes de contrôle israéliens ».
Elles citent le cas notamment des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. « Les États ne doivent pas exploiter l’aide humanitaire pour contourner leurs responsabilités et obligations en vertu du droit international ; y compris la prévention de crimes atroces. Pour que les États remplissent leurs obligations prévues par le droit international, ils doivent cesser tout transfert d’armes risquant d’être utilisé pour commettre des crimes internationaux. »
Dans le journal La Presse, François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH), professeur à l’université du Québec à Montréal, abonde dans leur sens et parle de poudre aux yeux au sujet du projet de port temporaire, « alors que des centaines de milliers de civils se font massacrer ».
« Pour l’Occident, qui sous-estime les conséquences du drame à court terme, mais surtout à long terme, il s’agit d’une tentative politique pour démontrer qu’on “essaie quelque chose”, comme s’il ne pouvait rien faire d’autre, écrit-il. En somme, c’est une manière de gagner du temps pour l’Occident, incapable d’exiger d’Israël de cesser de massacrer des personnes civiles au nom de l’autodéfense. »
Emblématique est le cas des États-Unis, dont le président, Joe Biden, est sous pression d’une partie de son électorat à quelques mois de l’élection présidentielle, et qui livrent bombes, munitions et soutien financier à Israël, s’opposent par veto au Conseil de sécurité de l’ONU aux demandes de cessez-le-feu et, dans le même temps, lancent la construction d’une jetée temporaire à visée humanitaire au large de la bande de Gaza.
Le rôle déterminant des États-Unis
Une enquête du Washington Post, publiée début mars, révèle l’envoi en toute discrétion de « plus de 100 cargaisons d’armes à Israël depuis le début de la guerre à Gaza, équivalant à des milliers de munitions à guidage de précision, de bombes de petit diamètre, de bombes antibunkers et d’armes légères ». Soit une « implication massive de Washington » qui, dans le même temps, durcit le ton de ses critiques envers la stratégie guerrière du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
« La campagne militaire israélienne ne pourrait pas se maintenir sans ce niveau de soutien américain », assure dans cette enquête Jeremy Konyndyk, ancien haut responsable de l’administration Biden et actuel président de l’ONG Refugees International. Si l’armée israélienne est dépendante des États-Unis, l’inverse est aussi vrai : les intérêts stratégiques américains au Proche et au Moyen-Orient passent par Israël.
Les deux seules ventes officielles de matériel militaire américaine à Israël depuis le 7 octobre 2023 représentent, la première, un montant de 106 millions de dollars pour des obus de chars, la seconde, 147,5 millions de dollars pour des composants nécessaires à la fabrication d’obus de 155 mm. L’administration Biden avait alors invoqué « des pouvoirs d’urgence » et autorisé la vente sans l’aval du Congrès.
« Le cynisme des États-Unis est au plus haut. Ils cherchent à masquer leurs responsabilités politiques pour ne pas avoir à se positionner de manière plus frontale vis-à-vis d’Israël malgré l’alerte de la Cour internationale de justice quant au risque de génocide, malgré la famine intentionnelle », réagit Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde, ONG signataire du communiqué. Il dénonce « la rhétorique humanitaire des États qui leur permet de dépolitiser le contexte et de se contenter d’une aumône humanitaire plutôt que d’apporter des réponses politiques ».
Dans La Presse, le chercheur François Audet rappelle combien « les expériences de cette nature par l’armée américaine en Afghanistan ou en Irak se sont avérées de vastes échecs logistiques et sécuritaires et auront à jamais laissé des cicatrices sur la nature impartiale des opérations humanitaires ». « C’est aux organisations humanitaires de gérer les distributions aux populations civiles, pas à l’armée », assène-t-il.
Les vingt-cinq ONG ne disent pas autre chose dans leur communiqué : « Les organisations humanitaires ont la capacité logistique d’aider les Palestiniens à Gaza : il ne manque que la volonté politique des États pour faire respecter l’accès. »
Rachida El Azzouzi
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