Vingt et un civils palestiniens demandent à l’Union européenne des sanctions contre Benyamin Nétanyahou et quatre de ses ministres en raison de « violations des droits humains » en Cisjordanie. Certains des plaignants témoignent auprès de Mediapart.
Le monde entier s’inquiète d’une intervention massive de l’armée israélienne à Rafah, déjà pilonnée par les bombes israéliennes tandis que s’y pressent plus de 1,4 million de Gazaoui·es dans des conditions humanitaires atroces.
Mais pendant que ce massacre se déploie sous nos yeux, un autre front de la guerre suscite lui aussi l’inquiétude.
Depuis le 7 octobre et les attaques du Hamas, plus de 380 Palestiniens ont en effet été tués par des colons ou des soldats israéliens en Cisjordanie occupée, et 4 200 autres blessés, selon le ministère de la santé palestinien. L’armée israélienne affirme par ailleurs avoir arrêté 3 000 Palestiniens en Cisjordanie en quatre mois.
Une flambée de violences si préoccupante que les États-Unis, le Royaume-Uni et, cette semaine, la France, ont annoncé des sanctions personnelles contre certains colons extrémistes.
De telles sanctions pourraient aussi être prises au niveau de l’Union européenne (UE). « Nous continuons de condamner fermement la violence des colons et de demander que les responsables soient tenus de répondre de leurs actes, indique une porte-parole de l’Union européenne, contactée par Mediapart. Les colonies sont illégales au regard du droit international. [...] Les travaux préparatoires concernant les propositions d’adoption de mesures restrictives à l’encontre des colons israéliens sont en cours. » Mais elles requièrent l’unanimité des États, un objectif semble-t-il impossible à atteindre à ce jour en raison de l’opposition de plusieurs pays, comme la Hongrie ou la République tchèque.
Malgré ce contexte politique européen peu favorable, vingt et un Palestiniens et Palestiniennes de Cisjordanie occupée, défendu·es par Sarah Sameur, une avocate parisienne, ont adressé une requête au haut représentant de la diplomatie européenne, Josep Borrell, pour exhorter l’Union européenne à adopter des sanctions en réaction aux « attaques violentes, arrestations arbitraires, tortures et mauvais traitements » qui ont explosé depuis le 7 octobre en Cisjordanie.
Des faits qui, comme l’ont documenté de façon répétée les Nations unies et de nombreuses ONG, se produisent depuis des années, à mesure que les colonies israéliennes illégales se sont multipliées au mépris du droit international.
« La dimension abyssale des crimes commis à Gaza a masqué nombre d’autres crimes commis en Cisjordanie [...] dans le contexte de l’apartheid et de la persécution de la population palestinienne », détaille la requête de 60 pages envoyée le 11 février à Josep Borrell, que Mediapart a pu consulter. Elle décrit une « vague inouïe d’attaques et de violations flagrantes des droits humains » des Palestiniens de Cisjordanie, qui « constituent des crimes contre l’humanité et, possiblement, un génocide ».
Figures de l’extrême droite au pouvoir en Israël, Ben-Gvir et Smotrich, tous deux eux-mêmes colons extrémistes, sont ouvertement opposés à la présence palestinienne en Cisjordanie et proposent d’évacuer les Palestinien·nes de Gaza. Quant au ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, il a qualifié les habitant·es de l’enclave d’« animaux humains ». Des propos relevés, avec ceux d’autres dirigeants israéliens, par les défenseurs de l’Afrique du Sud qui ont plaidé devant la Cour internationale de justice (CIJ) qu’un génocide était en cours à Gaza.
« Cibler les colons aurait eu un impact extrêmement limité, explique l’avocate Sarah Sameur à Mediapart. Nous voulions une action rapide, car il y a urgence. Par ailleurs, nos clients nous ont demandé de viser très haut car les dirigeants israéliens sont les véritables responsables politiques et juridiques. Ce sont eux qui donnent les ordres et les directives, en faisant fi de toutes les déclarations de la communauté internationale ou encore de la décision de la Cour de justice internationale », qui a considéré comme « plausible » la possibilité d’un génocide en cours à Gaza.
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Pour l’heure anonymes, afin de protéger leur sécurité, ces plaignants et plaignantes vivent à Jénine, Ramallah ou Naplouse. Comme Mediapart a pu le constater en discutant en visioconférence avec plusieurs d’entre eux jeudi 15 février, ils et elles sont journalistes, fonctionnaires, femme au foyer. Ils vivent près de colonies illégales et expliquent avoir subi, depuis le 7 octobre ou auparavant, des arrestations, des brimades ou des violences de la part de soldats et/ou de colons israéliens. Certains ont vu leur maison détruite, dans le cadre de raids de l’armée, des opérations détaillées par des ONG depuis des années.
Raids et arrestations arbitraires
Le 6 février 2023, plusieurs mois avant les attaques du 7 octobre, une des plaignantes – Mediapart n’a pas pu recueillir son témoignage directement – a vu deux de ses fils se faire tuer dans un de ces raids de l’armée israélienne dans un camp de Cisjordanie.
« Les auteurs ont gardé le corps des victimes, la privant de la possibilité de les enterrer », précise la requête adressée au haut représentant de l’UE. Le même jour, d’autres proches, y compris son mari, ont été selon ses dires arrêtés et battus, et les femmes ont été interrogées dans une salle à part. Depuis ce raid, sa maison aurait été inspectée « cinq fois » par les soldats israéliens.
Mathieu Magnaudeix
15 février 2024 à 20h07
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