Pourquoi, au moment où nous écrivons ces lignes, la Belgique ou la France n’ont-elles pas encore mis en place une politique ambitieuse d’accueil des réfugié·es humanitaires gazaoui·es, comme elles l’ont fait pour les réfugié·es ukrainien·nes ? Si l’Union européenne et ses États membres entravent ce droit fondamental des gazaouis à l’asile, ils se rendent complices du massacre en cours. Rappelons-le à nos dirigeant·es.
Les audiences accablantes de la Cour internationale de Justice conduiront peut-être un jour à qualifier de génocide le massacre qui se déroule sous nos yeux à Gaza.
« Sous nos yeux » ne constitue pas d’ailleurs l’expression idoine : de nombreux journalistes locaux, ainsi que leurs familles, ont été assassinés par les forces israéliennes. Les images et informations nous parviennent avec parcimonie parce que les moyens techniques font défaut.
Le drame en cours ne fait même plus la Une. La radio y consacre au mieux, juste avant les actualités sportives, trente secondes pour égrainer le décompte sinistre ou pour une brève information factuelle, comme le passage d’un convoi humanitaire.
Depuis vendredi dernier, Israël semble avoir coupé la bande de Gaza de ses accès à internet et au téléphone. C’est donc à l’abri des regards du monde que, suite aux bombardements intensifs qui ont frappé Khan Younes, l’hôpital Nasser a dû être évacué. En pleine nuit, dans le plus grand des chaos, des milliers de personnes, équipes médicales, malades, blessé.e.s et familles qui y avaient trouvé refuge ont pris la fuite.
Mais où vont les gazaoui.e.s ?
Pourquoi, au moment où nous écrivons ces lignes, et que le nombre de morts à Gaza a atteint 25.000, dont la majorité sont de femmes et d’enfants, pourquoi la Belgique ou la France n’ont-elles pas encore mis en place une politique ambitieuse d’accueil des réfugié.e.s humanitaires gazaoui.e.s, comme elles l’ont fait pour les réfugié.e.s ukrainien.ne.s ?
La plupart d’entre nous sommes convaincu.e.s que c’est parce que les gazaoui.e.s sont « enfermé.e.s » dans leur territoire, sans possibilité d’échapper à l’enfer.
S’il est vrai que sortir de Gaza demeure compliqué en pratique, en réalité - et pour utiliser la métaphore de Theo Angelopoulos - les gazaouis traqués, terrorisés, épuisés, gardent un pied suspendu, à l’instar de la cigogne, prêt à se poser dans un pays qui acceptera de leur ouvrir sa porte... et ces portes demeurent désespérément closes.
On peut entendre que, compte tenu des risques d’extension régionale du conflit, certains États du Proche-Orient craignent d’accueillir, parmi les réfugiés palestiniens, des membres du Hamas. Au Canada ou au Royaume-Uni, où la question est posée et débattue de manière ouverte, les arguments invoqués sont « le risque d’une arrivée massive de réfugiés » (quelle différence avec l’Ukraine ?), le soutien implicite que représenterait l’accueil de gazaouis à la politique de terre brûlée que pratique Israël, le danger d’accueillir des terroristes.
Le Canada a pour sa part décidé d’accueillir les membres de la famille « élargie » de canadiens. Mais qu’en est-il des pays membres de l’Union européenne ?
Le Conseil européen des affaires étrangères du 13 novembre 2023 s’est prononcé en faveur de trêves et de couloirs humanitaires, a réfléchi à des scénarios d’ « après-conflit » pour une paix durable.
Difficile d’imaginer qu’il n’a pas aussi envisagé une politique concertée d’accueil pour les gazaouis, comme il l’avait fait pour l’Ukraine. Dans le communiqué de presse, on doit pourtant se contenter de lire que pour Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité : « Il ne doit pas y avoir de déplacements forcés de la population palestinienne en dehors de Gaza. Il ne doit pas y avoir d'expulsion de Palestiniens, dans l'espoir qu'ils seront mieux accueillis ailleurs... »
Cette déclaration serait « justifiée » par l’appel à accueillir les familles gazaouies qu’ont adressé conjointement à la communauté des nations deux parlementaires israéliens - l’un de la majorité et l’autre de l’opposition –, appel suspect de participer à un « déplacement forcé » de la population gazaouie. Pourtant nul besoin de contraindre les gazaouis à l’exil. Après plus de cent jours de bombardements presqu’ininterrompus, la plupart des familles, privées de tout logement, d’eau, de nourriture, de soins, n’aspirent qu’à échapper à l’enfer et trouver asile dans un pays d’accueil.
Mais, à côté de filières clandestines très onéreuses, c’est l’obtention d’un visa qui constitue le sésame, la condition sine qua non pour pouvoir quitter Gaza.
Or, pour introduire une demande de visa pour la Belgique ou la France, il faut se rendre en personne à un poste diplomatique. Mais le poste de Gaza, bombardé, est fermé, et les gazaouis n’ont aucune possibilité de sortir de leur territoire pour introduire une demande de visa en Égypte ou à Jérusalem, demande rendue dès lors « techniquement » impossible.
Entre la position de la Hongrie et de l’Italie, ouvertement hostiles à l’accueil de ressortissants de pays arabes, la montée de l’extrême droite, la proximité des prochaines élections européennes, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne auraient-ils fait choix, dans le plus grand silence démocratique, de tolérer les pratiques d’obstacles « techniques » à l’octroi de visas humanitaires pour les gazaouis ?
La Cour de Justice de l’Union européenne a considéré qu’une telle exigence pouvait constituer une entrave au droit au regroupement familial (droit reconnu par l’Union, mais qui ne concerne que le conjoint et les enfants du demandeur) si, en pratique, les possibilités de se déplacer vers les postes consulaires compétents sont considérablement limitées (arrêt Afrin C-1/23).
Suite à cette décision, la Belgique a autorisé l’introduction d’une demande par mail pour le regroupement familial.
Mais cette possibilité ne concerne pas les demandes de visa humanitaire, ni-même le regroupement d’une famille élargie. On attend l’issue d’un recours formé par des avocat.e.s belges pour élargir la possibilité de demande par mail à d’autres situations.
La France suit un raisonnement analogue à celui de la Belgique, et Mediapart a relayé la situation de « proches » qui, à défaut de remplir les conditions du regroupement familial, sont morts à Gaza.
De plus, sur le territoire belge, de nombreuses personnes palestiniennes sont en attente d'une décision sur leur demande de protection internationale. En l’absence d’une reconnaissance de leur statut de réfugié, elles ne disposent d’aucun moyen de faire évacuer leur famille proche.
On peut lire, sur le site du Parlement européen : « Toute personne qui fuit la guerre et les persécutions dans son pays a le droit d’introduire une demande de protection internationale. Le droit d’asile est un droit fondamental. Octroyer l’asile aux personnes qui remplissent les critères de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés est une obligation en vertu du droit international pour les États parties, qui comprennent les États membres de l’Union européenne. L’Union européenne a incorporé les conditions à remplir pour pouvoir obtenir une protection internationale dans son ordre juridique propre, tout en élargissant le concept en créant une catégorie de bénéficiaires de la protection internationale autre que les réfugiés, à savoir les bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire. »
La protection subsidiaire est accordée aux étranger qui ne remplissent pas les conditions d'obtention du statut de réfugié et qui prouvent qu'ils sont exposés dans leur pays, notamment, à une menace grave et individuelle contre leur vie ou leur personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.
Si l’Union européenne et ses États membres entravent ce droit fondamental des gazaouis à l’asile, ils se rendent complices du massacre – voire du génocide - en cours. Rappelons-le à nos dirigeant.e.s.
Pascale Vielle, Professeure à l’UCLouvain et Delphine Noels, Réalisatrice
- 19/01/2024 11:58
- PAR GERARMICH
Les commentaires récents