ÉCRANS
LES MILLE ET UNE VIES D’UNE CAPITALE MÉDITERRANÉENNE
Nichée dans sa baie, Alger «la Blanche», Alger «la Radieuse» ofre un patrimoine culturel riche et varié qui témoigne de son histoire, à la fois tumultueuse et luxueuse.
par Samia Ouidir
Au pied d’une colline dominant la Méditerranée, El Bahdja (« la Radieuse ») se déploie en amphithéâtre. Capitale de l’Algérie, elle est la ville la plus peuplée et le cœur économique et institutionnel du pays. Fondée au VIe siècle av. J.-C., elle est d’abord punique puis numide et devient Icosium sous la domination romaine. Au Xe siècle, la cité est baptisée Aldjazair Banou Mazghanna – le sens demeure obscur – par le fondateur de la dynastie ziride, Bologhine ibn Ziri. Capitale de l’Algérie à partir de 1516 sous la régence ottomane, elle le reste sous la domination française en 1830 et prend pour nom Alger. Les cent trente-deux ans de présence française en ont fait une cité à dominante occidentale dont le paysage est largement occupé par l’architecture de la période coloniale. Greffées à la casb a h ( l a c i t a d e l l e ) , l e s constructions coloniales se sont dressées en partie sur la structure de la médina (la vieille ville) puis se sont éten-
M o C k. C T o S fo T o E A g - www. L E k N R U L E A h C I M
NUANCIER. Vue casbah, avec la mosquée Ketchaoua (construite en 1436 et église Saint-Philippe de 1832 à 1962), la mosquée el Djedid et le port.
dues sur les collines qui l’entourent. Les deux millénaires d’histoire d’Alger en ont fait un musée à ciel ouvert, offrant un parcours riche en découvertes et en surprises.
La vieille ville
La place des Martyrs est l’une des plus grandes et des plus connues d’Alger. Ancienne « place d’Armes » ou « place du Gouvernement », elle a été aménagée par les militaires français dans la partie basse de la casbah. De part et d’autre se dressent deux édifces emblématiques de la ville : la Djamaa el-Kebir (la « Grande Mosquée »), construite au XIe siècle, et la Djamaa el-Djedid («mosquée de la Pêcherie »), bâtie en 1660. Non loin de là s’élève le palais des Raïs. Datant du XVIe siècle, cet édifice de 4000 mètres carrés témoigne de la première période ottomane. Il est en fait constitué de trois palais et de six petites maisons, dites « maisons des pêcheurs ». Le palais abrite aujourd’hui le Centre des arts et de la culture du palais du Raïs. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, la vieille ville, ou Al-Mahroussa (« la Bien-Gardée »), est fondée sur les ruines de la cité romaine. La superfcie des maisons à patios et la richesse de leur décoration intérieure variaient selon l’aisance fnancière des propriétaires. Quant aux palais, construits par des dignitaires ottomans, ils ont autant servi de résidences que de lieux d’exercice du pouvoir durant la régence ottomane. La casbah cache des trésors d’architecture typiques du Maghreb central. S’aventurer dans ce labyrinthe, c’est arpenter de petites ruelles bordées de hauts murs percés aux étages de minces ouvertures. Les façades extérieures, sobres et dénuées intérêt, cachent de vastes espaces intérieurs richement décorés. Le Corbusier, qui visite la casbah pour la première fois en 1931, se montre impressionné par la situation de la ville et l’organisation de l’habitat traditionnel. Il décrit le quartier comme «l’un des lieux les plus beaux d’architecture et d’urbanisme». Le quartier a été longtemps une source d’inspiration pour les plus grands architectes et recèle des splendeurs, comme la villa Aziza (Dar
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TROIS SIÈCLES D’HISTOIRE. 1. Le Mémorial du martyr, sur les hauteurs d’Alger, a été érigé en 1982 pour le 20e anniversaire de l’indépendance. 2. La basilique Notre-Damed’Afrique, de style romanobyzantin, s’élève sur un promontoire dans le quartier de Bologhine et a été consacrée en juillet 1872. 3. Emblématique de l’Alger française, la Grande Poste, de style néo-mauresque, est l’œuvre des architectes Jules Voinot et Marius Toudoire. Elle est située en centre-ville, à l’intersection des grands axes de la cité moderne. 4. Dans le quartier de la casbah, la mosquée El-Djedid, surnommée la « mosquée de la Pêcherie », a été bâtie en 1660 sous la régence turque.
Aziza), bâtie entre 1666 et 1672 par le bey de Constantine pour sa femme, Aziza. Elle servait aussi de lieu de réception pour les invités du dey (titre porté par le chef de la régence d’Alger de 1671 à 1830), puisqu’elle fait partie de la Djenina, l’ancien siège de la régence d’Alger, parti en fumée lors de l’incendie de 1844. Durant la c o l o n i s a t i o n , D a r A z i z a deviendra le siège de l’archevêché d’Algérie. Après l’indépendance, elle abritera le siège de l’Agence nationale d’archéologie et de la protection des sites et monuments historiques.
La «porte du ruisseau»
En 1794, les autorités ottomanes reconstruisent la mosquée Ketchaoua. Elle est alors réhabilitée en un édifice monumental et devient l’une des plus grandes mosquées de la ville. En 1832, après la conquête, elle se mue en cathédrale (SaintPhilippe). À partir de 1845 et pendant plus d’un demisiècle, elle subit des transformations qui vont lui donner son aspect actuel. Elle retrouvera sa fonction initiale en 1962. Bab elOued (la « porte du ruisseau ») est l’une des six portes du VieilAlger. Mal fréquentée, cette partie de la vieille ville où s’installaient des émigrants en provenance de toute la Méditerranée devient au fl des ans un village. Ici, les arrivants trouvaient non seulement le gîte, mais aussi un moyen de subsistance : la Cantera (« carrière»), d’où était extraite la p i e r r e u t i l i s é e d a n s l a construction de la ville, leur d’Afrique. Construite de 1858 à 1872, de style byzantin, cette basilique accueille toujours les fdèles. Elle est également ouverte au public, qui s’y rend pour admirer la richesse de son ornementation. Symbole d’une tolérance aujourd’hui disparue, cette incantation se lit sur l’un des murs: «NotreDamed’Afrique, priez pour nous et les musulmans. » Au début du XXe siècle, une nouvelle génération de Fran
Au début du XXe siècle naît un nouveau style architectural qui puise son inspiration dans les traditions locales : le néo-mauresque
fournissait des emplois. Aujourd’hui, Bab elOued est l’un des quartiers les plus animés de la capitale. Venus de t o u t e l a v i l l e , l e s g e n s affluent à l’esplanade de Kettani, qui surplombe la mer : de là, on peut admirer la baie, les jardins alignés jusqu’aux hauteurs d’ElKettar ainsi que NotreDameçais née en Algérie développe une identité propre, une certaine « algérianité ». Un engouement naît alors pour l’architecture néomauresque. Ainsi, à Alger, à partir de 1913, sont construits la Grande Poste, œuvre des architectes Voinot et Tondoire, la préfecture et le musée d’Art moderne d’Alger (MAMA), d’Henri Petit. Classé monument historique en 2008, le MAMA accueille au début du XXe siècle le grand magasin Galeries de France. Après l’indépendance, il sera rebaptisé « Galeries algériennes ».
Opération reconversion
Il a été ensuite cédé au ministère de la Culture, qui en a fait un musée consacré à l’art contemporain, lequel fut inauguré en 2007 à l’occasion de l’événement «Alger, capitale de la culture arabe ». L’opération de reconversion de ce grand lieu commercial en un point de rencontre artistique et culturel a été une grande réussite. Cette expérience a servi d’exemple pour d’autres projets qui voient le jour afn de redonner vie aux nombreux édifces et bâtisses d’exception que compte Alger. La Grande Poste, monument emblématique de la ville, est un repère pour tous les Algérois. Construite en 1913, elle illustre la volonté du gouverneur de l’époque de renouer avec le style local, auquel les architectes ont emprunté les caractéristiques ornemen
Où dOrmir?
Hôtel Saint-George C’est le plus vieil établissement de standing de la ville. Au cœur d’Alger, ce joyau 5 étoiles se dresse au milieu d’un luxuriant jardin botanique. Il est bâti sur un ancien palais du dey datant de 1516. Réhabilité en 1889 en pensionnat de jeunes flles, il est transformé en hôtel à la demande de l’ambassadeur britannique. Il devient alors le SaintGeorge et accueille Édith Piaf, Simone de Beauvoir, Churchill, Eisenhower et bien d’autres. Cet hôtel de style mauresque, chargé d’histoire, marie authenticité, modernité et luxe. Hôtel El-Aurassi Inauguré en 1975, il est surnommé « le Climatiseur » par les Algérois. Ce gros cube de béton installé sur les hauteurs d’Alger témoigne de l’époque socialiste de l’Algérie indépendante. Ce 5-étoiles, rénové en 2011, offre l’une des meilleures vues sur la baie d’Alger. Hôtel El-Djazaïr Cet établissement propose un large choix gastronomique, avec trois restaurants : Le Saint-George (cuisines algérienne et française), La Pagode de jade (cuisine chinoise) et le snack-bar El Yasmine. Le Saint-Georges comprend également un bar lounge, Le Dey, et une discothèque huppée. Hôtel Es-Safr Ce 4-étoiles situé en bord de mer, à deux pas du centre-ville, est un vestige de l’époque coloniale. Anciennement Hôtel Alleti, ce chef-d’œuvre Art déco fut inauguré en 1930 (l’année du centenaire de la conquête française) par Charlie Chaplin. Il faisait partie des
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Le Saint-George.
S E A G M tty I E /G I N I t S o A G E D
ÉCUMEURS. À la chute de l’Empire romain, Alger est détruite par les invasions. Elle renaît en 980 et devient par la suite une ville prospère grâce à la piraterie (ci-dessus au XVIIIe s.), dont le plus fameux représentant est Barberousse.
Vue de l’hôtel El-Aurassi.
tales. Le bâtiment se situe au carrefour des plus grands axes de la cité. À l’ouest, le boulevard Khmisti monte en gradin jusqu’au palais du Gouvernement, où le général de Gaulle a prononcé son discours du 4 juin 1958 et sa célèbre phrase : « Je vous ai compris. » Au nord, la rue Ben-M’Hdi, encore fréquemment appelée « rue d’Isly », conduit au musée d’Arts modernes. Au sud, la rue Didouche-Mourad – ex-rue Michelet –, qui mène à la faculté d’Alger, offre un itinéraire riche en commerces, restaurants et surtout en monuments, comme la cathédrale du Sacré-Cœur, le parc de Galland et le musée natio-
adresses incontournables de la haute société et a accueilli nombre d’hommes politiques – Nelson Mandela, Patrice Lumumba, François Mitterrand (lorsqu’il était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Pierre Mendès France en 1954-1955), Fidel Castro, Hassan II, mais aussi Caroline et Albert de Monaco, Charles Aznavour, Georges Brassens… Il a été rebaptisé « Es-Safr » en 1984. L’établissement est en phase de restauration et de réhabilitation. Les travaux s’achèveront en 2019. nal du Bardo. Classé monument historique en 1985, ce dernier, construit à la fn du XVIIIe siècle dans la banlieue algéroise, était à l’origine un djnan, une résidence d’été qui accueillait à la belle saison les notables ottomans. Transformé en musée en 1930 – à l’occasion du centenaire de la présence française en Algérie –, il abrite des collections préhistoriques et ethnographiques présentant des vestiges trouvés en Algérie. Parmi ceuxci, le squelette de Tin Hinan, reine des Touareg. Le quartier de Belcourt – du nom de l’entrepreneur français qui y a construit le premier quartier, au XIXe siècle – e s t a u j o u r d ’ h u i a p p e l é « Mohamed-Belouizded ». Il doit son nom à un martyr de la révolution, natif de ce quartier et tué lors des manifestations organisées en signe de soutien au FLN en décembre 1960. Aujourd’hui, Belcourt se vide : le bâti ancien, fragilisé par les années et les séismes, est délabré. Les autorités ont décidé de lui redonner vie en mettant sur pied un projet de réaménagement urbain qui permettra à terme de valoriser le potentiel touristique du quartier.
Le poumon d’Alger
Changement d’ambiance avec Dar Abdeltif. Classé au patrimoine national, le djenan Abdeltif fait partie des joyaux de l’époque ottomane. A p r è s 1 8 3 0 , l e d o m a i n e Abdeltif est confsqué par les autorités coloniales, qui en font un centre de convalescence pour la Légion étrangère. La demeure devient en 1922 un monument historique et un lieu d’accueil pour les peintres français, à l’instar de Léon Cauvy, Maurice Bouviolle, Marius Debuzon et Léon Carré. Situé en contrebas, le Jardin d’essai est un vrai musée végétal, considéré comme le poumon d’Alger. Ce paradis de 32 hectares trouve son origine au début de la colonisation. Son emplacement, sous la colline boisée où s’est installé le musée des BeauxArts, a été choisi en raison de son microclimat humide et presque tropical. Ainsi s’achève cette rapide promenade dans Alger, héritière des siècles passés et riche des promesses de l’avenir, dont le patrimoine fait bien d’elle une cité radieuse, El Bahdja…
from HSTORIA 856 2018 04
by alain benezra
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