J'aime, de la nuit, le prélude, lorsque vous venez,
Main dans la main et me prenez lentement, strophe après strophe, dans vos bras.
Vous m'emportez, tout là-haut, sur vos ailes. Amis, restez, ne vous hâtez pas
Et dormez contre mes flancs pareils aux ailes d'une hirondelle fatiguée.
Votre soie est chaude. À la flûte d'attendre un peu
Pour polir un sonnet lorsque vous me trouverez secret et beau
Comme un sens sur le point de se dénuder. Ne parvenant à y arriver
Ni à s'attarder devant les mots, il me choisit pour seuil.
J'aime, de la poésie, la spontanéité de la prose et l'image voilée,
Dépourvue d'une lune pour l'éloquence :
Ainsi lorsque tu t'avances pieds nus, la rime abandonne
L'étreinte des mots et la cadence se brise au plus fort de l'essai.
Un peu de nuit auprès de toi suffit pour que je sorte de ma Babylone
Vers mon essence – ma fin. Point de jardin en moi
Et tu es toute, toi. Et, de toi, déborde le moi libre et bon.
In Le lit de l'étrangère, © Actes Sud, 2000 – trad. Elias Sanbar
Photographie d'une oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest réalisé en l'honneur de Mahmoud Darwich, en Palestine
On t'oubliera
Comme si tu n'avais jamais été
On t'oubliera, comme si tu n'avais jamais été
On t'oubliera comme la mort d'un oiseau,
comme une église abandonnée,
comme un amour passager
et comme une rose dans la nuit ... on t'oubliera
J'appartiens à la route ... D'autres pas
ont précédé mes pas.
D'autres que moi ont dicté leurs visions
à mes visions,
d'autres ont répandu le verbe
afin qu'il intègre le récit
on éclaire pour celui qui suivra,
trace lyrique ... et intuition
On t'oubliera ... comme si tu n'avais jamais été
homme ou oeuvre ... on t'oubliera
J'avance guidé par la vision. Le récit sera peut être
plus personnel. Car les mots
me gouverne et je les gouverne.
Je suis leur forme
et ils sont la libre transfiguration
Mais ce que je dirai a été dit.
Un futur antérieur me précède.
Je suis le roi de l'écho.
Je n'ai de trône que les marges. Et le chemin
est la méthode. Les Anciens ont peut être
oublié de décrire
quelque chose, pour que j'y réveille
mémoire et sensations.
On t'oubliera comme si tu n'avais jamais été
acte ou trace ... on t'oubliera
J'appartiens à la route ...
Quelqu'un pose ses pas
dans mes pas, qui me suivra jusqu'à ma vision,
quelqu'un qui déclamera des vers de louanges
aux jardins de l'exil, devant la maison,
des vers délivrés de l'adoration du passé,
délivrés de ma métonymie et de ma langue,
et je témoignerai
que je suis vivant
et libre
quand on m'oubliera !
Extrait de "Ne t'excuse pas", in Anthologie (1999-2005) Mahmoud Darwich - Edition Babel -
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