En guise d'Introduction aux Récits palestiniens de André Chenet
(à venir prochainement sur Danger Poésie)
"Derrière le mur" (2013), scène dans la vieille Jérusalem. De Nabil Anani, artiste palestinien
“A force de tout voir on finit par tout supporter...
A force de tout supporter on finit par tout tolérer...
A force de tout tolérer on finit par tout accepter...
A force de tout accepter on finit par tout approuver.”
Saint Augustin
Avec sa suite de poèmes commencée en octobre 2023, débutant par Retour en Palestine, dont je découvre les poèmes-témoignages hyper réalistes, Christophe Peschoux, ancien-haut fonctionnaire du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, décrit très exactement le piège infaillible et apparemment sans issue qui s'est refermé impitoyablement sur le peuple palestinien depuis les accords totalement illégitimes (puisque sans la participation des représentants de la population sémite concernée) de Sykes-Picot (1916) , et qui sont à l'origine de ce qui devait devenir pour les palestiniens l'équivalent de la Shoah (l'anéantissement, l'enfer des camps, rafles - 1941/1945) pour les juifs. La Nakba de 1948 (jusqu'à aujourd'hui) signifie catastrophe, exode, désastre,destruction, massacre, terreur, génocide dans la durée d'un peuple de paysans, de bergers, d'artisans, de nomades et de poètes parmi les plus pacifiques et tolérant d'un XXe siècle toujours en guerre (guerres coloniales occidentales, économiques, idéologiques, et/ou impériales avec leurs boucheries successives pour de fausses causes patriotiques ou humanitaires. Je sais d'ores et déjà que peu de poètes façonnés par le politiquement correct qui prévaut dans les institutions internationales ne chercheront même pas à comprendre la tragédie en cours puisqu'il est désormais de bon ton pour nos poètes qui veulent délimiter leur territoire médiatique dérisoire, marquer de leurs empreintes les murailles de l'histoire de la littérature tout en évitant, par soucis de virtualité je suppose, de se compromettre dans les affaires d'un monde dont la démence surpasse tout ce que l'humanité n'a jamais souffert, jusqu'à assassiner sa mère sacrée, la terre sous prétexte de CO2, de déréglement climatique ou de fanatisme civilisationnel, de" soft power" comme disent les stratèges de l'ingénue ingénierie sociale à la solde des banques et des industries criminelles. Comme il semble loin maintenant le temps où des poètes pourtant très populaires osaient encore jeter leurs grains de gros sel dans la soupe sans saveur des soi-disant sauveurs de l'humanité.
Chers lecteurs rarissimes, vous avez le choix, la liberté de lire ou non ces écrits inexorables, véridiques qui proviennent du même état d'esprit dépité et sans rémission avec lequel j'ai entrepris moi-même, depuis le 7 octobre 2023, de transcrire des récits vécus que peu d'occidentaux, en ce mois de janvier 2024, ont envie d'entendre. Les nuages passent, les orages grondent, les éclaircies illuminent, le sang coule, les fleuves vont à la mer, les petits oiseaux de moins en moins nombreux asphyxiés par pollution et pesticides chantent toujours les joies et le désir de vivre, les artistes spéculent au poker menteur des coeurs à vendre, les philosophes s'entretiennent gravement en d'interminables colloques, les poètes de chez nous pullulent et publient en toute conscience avec de grands sourires béats, comme si rien d'autre n'avait d'importance que ce leurs petits chefs d'oeuvres destinés à améliorer le monde, en s'auto célébrant afin d'imposer leur présence nécessaire parmi nous, les abrutis définitifs, doux rêveurs de pacotille, antisémites christiques, complotistes à abattre.
André Chenet, le 7 novembre 2024
"Le Conseil de Sécurité de l'ONU appelle à la fin des bombardements sionistes afin que les gazaouis puissent rentrer chez eux! N'est-ce pas choquant et ne démontre-t-il pas la collusion criminelle des organisations internationales sous tutelle occidentale (US, UE, Commonwealth, Israël)?"
G. Hadey, poète et rédacteur du magazine Désobéissance civile
1 – Retour en Palestine
Je découvris, ébloui
Par le hublot de l’avion
Les ocres roses et bleues
Des monts nus de pierre
Qui sertissent le creux de la Mer Morte
Et les scintillances d’argent
Des rivages de Gaza…
Première vision à l’aube
Des terres de Palestine
Dont les vallées, les collines
Semblaient parcourues
Par un long serpent gris
Qui ondulait entre elles…
A moins que ce ne soit
La rivière Jourdain
Dans les eaux de laquelle
Dit-on
Fut baptisé le jeune Jésus…
*
Mais de retour sur la terre
De la Terre dite Sainte
– Comme si toutes les terres
N’étaient pas saintes ! –
Je découvris en parcourant
Ses paysages de pierres
Inondés de lumière
Que ce que j’avais pris
Pour un long serpent gris
Ou la rivière Jourdain
Etait bien pire…
C’était un long mur de honte
Muraille de haine
Hérissé de crocs d’acier
De caméras, de senseurs
De miradors blindés
Et de tours fortifiées…
Une longue plaie béante
Purulente et sinueuse
Lacérant les collines
Au sommet desquelles
Se dressaient, arrogantes
Sous protection de l’armée
De l’occupation
Et de la dépossession
Les colonies du déshonneur
Des usurpateurs
Des pillards de la terre
Et de la féroce ignominie…
*
Je me souviens de ce vieux libraire
A la barbiche d’or
Dans la Jérusalem Orientale
A qui je demandais
S’il existait un Guide
Culturel de la ville…
Le vieillard me regarda, surpris,
Par dessus ses lunettes
Et me dit en français
En haussant les sourcils :
« Mais Monsieur, vous ne savez donc pas ?
Il y a longtemps que la culture n’est plus là…
Ensevelie dans la haine et les cimetières
De trop de milliers de morts !
L’esprit sacré de la vie est mort
Etouffé sous le sang
Le joug de l’esclavage
Et du crime…
Et ce qu’il restait encore
De cet esprit, épris de justice
Et de liberté
S’en est allé vivre ailleurs
Ne pouvant plus respirer
L’abomination
A l’ombre des mensonges…»
« Si vous cherchez un manuel
De l’a-culture actuelle
Je vous conseille celui-ci
C’est un catalogue
De fabricants d’armes
D’apprentissage à tuer…
Et j’ai aussi celui-là :
Le Guide des Cimetières
Dans la Ville dite Sainte… »
*
Il chercha encore
Juché sur un tabouret
Sur la plus haute étagère
Un très fin fascicule
L’épousseta de sa manche
Et me le tendit…
« C’est la première édition
Dit-il
Publiée dans cette ville
D’un petit texte ancien
Que plus personne ne lit ici…
Je vous le donne pour presque rien
Tant il est déchiré, maculé
Brûlé, mutilé… »
J’en déchiffrais le titre
Presqu’effacé :
C’était « Le Cantique des Cantiques… »
Christophe Peschoux, Octobre 2023
***
2 – La boucle est bouclée
La boucle est bouclée
Les derniers masques du mensonge
Tombent avec les bombes
Sur Gaza, le plus grand camp
De concentration du monde…
L’Etat d’Israël qui se prenait
Pour la lumière universelle
Se livre, aux yeux du monde
A un génocide
En toute impunité…
*
N’ayons pas peur du mot
A l’extrême du mal
Qui s’applique, maux pour maux
Au déchiquètement
De milliers d’hommes et de femmes
Dont la moitié d’enfants
Enterrés vivants par les bombes
Sous les ruines et les décombres…
*
Selon les services mêmes
De l’armée israélienne
Douze-mille tonnes de bombes
En moins de trois semaines
Ont été déversées
Sur deux millions de prisonniers
Qui n’avaient nulle part où aller…
N’ayons pas peur des mots
Qui planent comme des corbeaux
Au-dessus de nos têtes
Mais de la noirceur des hommes
Qui trient parmi les victimes
Les bonnes et les mauvaises…
*
Banalité du mal
De la toute puissance
Génocide tranquille
Avec la bénédiction
De nos gouvernements
Qui en notre nom
Se réclament du droit
De la démocratie
Et des droits de l’homme
De la femme et l’enfant
Et qui donnent depuis trop longtemps
Des leçons de morale au monde entier
Au nom du droit du plus fort…
*
Oui, c’est un génocide
Ne craignons pas ce mot
Aux limites du dire
Des horreurs trop humaines
Commis par ceux-là mêmes
Qui sanctifient « la Shoah »
A laquelle il y a peu
Tant des leurs furent soumis
Des ghettos aux mouroirs
Et des camps à la mort…
*
Génocide en Palestine
Au nom des victimes
De la guerre nazie
Qui revinrent vivantes
De l’affreux cauchemar
Pour trouver asile
Sur la « terre promise »…
Cette terre « sainte »
Qu’ils s’approprièrent
Et d’où ils expulsèrent
Par la guerre, la terreur
Et la déportation
Quelques sept-cent mille
Hommes, femmes et enfants
Soit quatre vingt pour cent
De la population
Des terres de Palestine…
*
Actes fondateurs
Du nouvel Etat à naître :
Déportation, massacres
Viols, « nettoyage » ethnique
D’un peuple paysan
Qui depuis des mille ans
En cultive les terres
Et de son patient labeur
A fait jaillir de leurs sources
Les dattes, les citrons
Les tamarins, les oranges
Les raisins, les amandes
La rose et le jasmin…
Refrain :
« Tire toi de là, que je m’y mette
Et si tu refuses, je te casse la tête
A grands coups de botte…
Et si tu résistes
Et te lèves contre moi
Et oses t’insurger
Les armes à la main
Pour défendre tes biens
Tes enfants, ta femme
Ta terre et tes jardins
Ta vie et tes racines
Je t’écrase ta gueule
Sous ma semelle
Pour y imprimer
L’étoile de David
Sur fond de bannière
Etoilée de sang…
*
L’horreur est humaine
Humaine, trop humaine…
Il semble, à l’exemple
De ce nouveau naufrage
En terre palestinienne
Que les peuples n’apprennent
Que peu de leur histoire
Soixante-seize ans plus tard…
*
Il semble qu’il y ait
Chez certaines victimes
L’obscure mécanique
D’une soif de vengeance
Qui décrète, psychique :
« Qui a été battu, battra
Qui a été violé, violera
Qui a été torturé, torturera
Et tuera plus encore… »
*
La boucle est bouclée :
L’Etat d’Israël
Perpétue à son tour
Au nom de son droit à vivre
De son « espace vital »
Du droit de se défendre
Et de celui du plus fort
Une nouvelle « catastrophe… »
Lui qui a fomenté
Depuis sa fondation
Au forceps de la guerre
L’usurpation méthodique
Des terres mandataires
Pour étendre ses frontières
Du Nil à l’Euphrate…
*
Les derniers masques sont tombés
Des visages odieux
De nos gouvernements
Qui soutiennent, complices
Cette énorme tuerie
A ciel ouvert…
Et malheur à qui dit
Que les rois sont nus…
Christophe Peschoux, Novembre 2023
Ancien haut fonctionnaire du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
https://poesiedanger.blogspot.com/2024/01/de-la-shoah-la-nakba.html
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