T. Q. dans mensuel 856
daté avril 2018
Photo : ECPAD - Les généraux Zeller, Challe, Salan et Jouhaud, auteurs d’une tentative de putsch à Alger, avril 1961.
À partir de 1960, les fractures apparaissent de plus en plus nettement dans l'armée française. La « semaine des barricades », en janvier 1960, constitue un premier avertissement, lorsque les Européens d'Algérie activistes élèvent des barricades dans Alger. Mais ils n'obtiennent qu'un soutien très relatif de l'armée. Le procès du réseau Jeanson et le « manifeste des 121 », signé notamment par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir en septembre 1960, légitiment quant à eux la désobéissance contre la guerre d'Algérie. La rupture au sein de l'armée apparaît avec le putsch des généraux, en avril 1961. Les militaires partisans de l'« Algérie française » prennent le pouvoir en Algérie et tentent de renverser le régime. Néanmoins, les activistes ne trouvent pas le soutien escompté au sein de l'armée, notamment auprès des appelés du contingent, dont certains entravent l'action des putschistes. De plus, ces conscrits sont soutenus par le général de Gaulle qui appelle, dès le 23 avril, à empêcher les putschistes d'agir. La fin de la guerre se fait dans une tension croissante entre les partisans de l'Organisation armée secrète (OAS), favorables à la poursuite de la guerre pour garder l'« Algérie française », et les loyalistes, qui soutiennent le gouvernement et regroupent la majorité des appelés. À partir du cessez-le-feu du 19 mars 1962, l'OAS considère même l'armée française comme une force d'occupation. Quelques jours plus tard, elle assassine six appelés.
« Il y a des cons instruits ! »
« Le sous-lieutenant responsable du bureau des problèmes humains qui était absent depuis mon arrivée à l'escadron est de retour. C'est un appelé, ingénieur dans le civil. Quand je me suis présenté à lui, j'ai eu droit à un discours sur la défense des valeurs de la civilisation occidentale. Il m'a affirmé que les habitants de Sidi El Ghézali comme la population musulmane dans son ensemble étaient avec l'armée française. Ce n'est pas le point de vue de l'infirmier qui fait des tournées au village, même si lui-même y est très estimé. Le sous-lieutenant a pourtant fait des études... Il y a des cons instruits ! »
> Lettre de Bernard Bourdet, le 11 avril 1961. Bernard Bourdet, dans son Journal, montre que la question de la défense de l'Occident et de l'« Algérie française » transcende les catégories, puisque l'officier qui lui tient ce discours est un appelé du contingent. De plus, celui-ci se trompe totalement sur l'état de la situation : le village dont il est question se révélera totalement noyauté par le FLN et tout acquis à l'indépendance...
Vivre le putsch d'Alger, heure par heure...
« Ma Colette que j'aime, quelle curieuse journée. Ce matin, je mets Radio Alger : silence. Je me suis tout de suite dit qu'il y avait quelque chose puis : "Événement grave à Alger". Quoi penser après une journée de mutinerie d'une toute petite fraction de l'armée et de quatre guignols sur le retour d'âge et de la raison (ce qui est plus grave). Je ne sais pas si tu prends Radio Alger mais ils ont créé un état-major prenant toutes les responsabilités et ont passé des discours des quatre grands ! Ici, la réaction a été considérable, les pieds-noirs ont crié "Hourrah !", sauf ceux qui raisonnent un peu. Ici, la grosse majorité considère que c'est une grosse connerie. Attendons. »
> Lettre de Jean-Pierre Desffontaines, 21 avril 1961.
Les conscrits face au putsch des généraux (21 avril 1961)
« Écoute des informations à "Radio France" [il s'agit en fait de Radio Alger, contrôlée par les putschistes, NDLR]. Ils nous engagent à ne plus obéir au gouvernement français. Le travail se réduit à la présence des hommes. Commentaires divers sur la situation. L'atmosphère est tendue. Les prises de position commencent : beaucoup ont décidé de cesser tout travail. En fin de matinée, un avion espagnol de l'Aviaco se présente à l'EAM. En descendent [...] Salan et Susini. Le colonel de la base les accueille à bras ouverts. Un capitaine donne l'accolade à Salan. Sous le hangar du 3/62, sous-officiers et hommes de troupe regardent sans rien dire, avec une attitude de réprobation. Les officiers tentent de les disperser. [...]. Les bérets rouges se sont révoltés la veille au soir contre leurs officiers. [...]. Ce sont pour la plupart des soldats du contingent. [...] Le soir : situation calme, cependant très lourde.
En ville, rien de spécial. La majorité des nôtres écoutent Europe 1, Monte Carlo, Luxembourg ou Paris Inter.
À 20 heures, allocution du général de Gaulle. De ce discours, nous retenons l'ordre de ne pas obéir aux chefs insurgés quelles que seront les missions demandées : opérationnelles, maintien de l'ordre ou administratives, ceci afin d'éviter de pénibles traîtrises.
Nous avons d'ailleurs confirmation de cette hypothèse le lendemain. Chacun se sent soulagé d'avoir enfin un ordre certain qui fixe la ligne de conduite. Discussions dans les chambres, dans les foyers, etc. Chacun organise la journée du lendemain. »
> Jacky Schweitzer, dimanche 23 avril. Jacky Schweitzer nous a aimablement communiqué quatre pages dactylographiées, sur lesquelles ses camarades de régiment et lui ont tapé ce qu'ils ont vécu sur la base aérienne de Maison Blanche, près d'Alger, lors du putsch du 21 avril 1961.
Un sous-off sans illusions
« Notre sous-lieutenant s'étant cassé la cheville en sautant l'autre jour de l'hélicoptère, le commandement de la section est passé à l'adjudant de compagnie. Moins distant, moins prétentieux, ce rempilé nous plaît davantage. Il a plus d'expérience, ayant "fait l'Indo" ; et puis il est plein de sagesse, sans illusion : "Vivement que cette guerre finisse." Il ne se croit pas obligé de faire fouiller le chargement des Kabyles qu'on rencontre avec leurs ânes : « À quoi bon ? » Dans le maquis on se contente de chercher un passage entre les épines sans ratisser. »
> Jean-Claude Widmann, Port-Gueydon [auj. Azeffoun], le 4 mars 1962.
La révolte des appelés du contingent
« Le capitaine et les gradés du 4e escadron ne s'en tiennent plus à la propagande. Ils viennent d'installer [...] un commando OAS, commandé par un ancien adjudant-chef de la Légion. »
5 mars 1962
« Le poste de Reyder et l'escadron sont un véritable noyau OAS [...] Le sous-lieutenant de Reyder (un appelé pourtant !) est tous les jours "sur le terrain". Il a réclamé avant-hier à l'infirmier des pansements individuels, des seringues, des médicaments, pour les emporter. L'infirmier a refusé de donner quoi que ce soit [...]. »
12 mars
« Les habitants de Dar El Beïda savent qu'il y a un commando de l'OAS non loin d'ici. Les bergers ne s'aventurent plus dans le djebel. Le soir, on met la fourche derrière la porte, et les sentinelles de l'autodéfense, cette fois, sont vigilantes. Après 7 ans de guerre, la peur est encore présente. [...]. La nuit dernière la tour radio de Reyder a été harcelée par un tir de mitrailleuse. Les deux radios l'ont échappé belle. Le tir avait sans doute été repéré pendant le jour [...]. »
15 mars
« L'attaque de la tour radio de Reyder a bien été faite par l'OAS, pour donner un avertissement aux appelés qui avaient refusé de faire les vacations. Une patrouille a retrouvé les étuis de la mitrailleuse. C'étaient les munitions que l'escadron avait lui-même transportées. Pendant le harcèlement, le sous-lieutenant de Reyder ordonnait aux harkis de tirer en l'air. Quant à la riposte au mortier, les obus étaient tombés dans l'oued. À l'escadron, hier, les appelés criaient : "OAS assassins ! Fascistes au poteau !" Le sous-lieutenant qui remplace le capitaine ("à l'hôpital") a sèchement déclaré : "Si vous continuez ainsi, je vous préviens qu'il vous arrivera ce qui est arrivé aux radios de Reyder." »
> Journal de Bernard Bourdet. Après le putsch, l'OAS s'implante en Algérie. Elle s'assure d'abord le soutien de la population pied-noire puis se lance dans des actions terroristes à partir du début de l'année 1962. Enfin, elle commence à organiser des maquis, surtout dans l'Ouest algérien. Cet extrait montre la tension qui règne entre les militaires français et les soldats déserteurs de l'OAS. Il révèle aussi que quelques appelés se rangent à leurs côtés...
https://www.historia.fr/10-vers-une-scission-de-larm%C3%A9e-guerre-dalg%C3%A9rie-paroles-de-soldats
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