Gaza est de loin l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant et les décès d’enfants dus à la maladie dépasseront probablement ceux causés par les bombardements en l’absence d’un cessez-le-feu, a averti mardi le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
Le manque de nourriture, d’eau, d’abris et d’installations sanitaires continue de mettre en danger la vie des enfants qui souffrent des frappes aériennes incessantes et n’ont aucun endroit sûr où aller, a déclaré le porte-parole de l’UNICEF, James Elder, qui est récemment rentré de l’enclave.
Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir pour se prononcer sur une résolution qui devrait appeler à une pause dans les combats pour faciliter l’accès de l’aide, M. Elder a déclaré aux journalistes à Genève que « chaque enfant subit ces dix semaines d’enfer et aucun d’entre eux ne peut s’échapper ».
« Comme me l’a dit un parent d’un enfant gravement malade, ‘notre situation est une pure misère... Je ne sais pas si nous allons nous en sortir’ », a-t-il raconté.
Selon les autorités sanitaires de Gaza, plus de 19.400 Palestiniens ont été tués dans l’enclave depuis le début des représailles israéliennes contre les attaques terroristes meurtrières du Hamas le 7 octobre dernier, dont environ 70 % sont des femmes et des enfants.
Plus de 52.000 Palestiniens ont été blessés et leur accès aux soins vitaux est extrêmement limité. L’agence des Nations Unies pour la santé, l’OMS, a déclaré mardi que seuls huit des 36 hôpitaux de la bande de Gaza fonctionnaient au moins partiellement.
Les hôpitaux sont débordés par les enfants et leurs parents, qui portent tous « les horribles blessures de la guerre », a déclaré M. Elder. Il a souligné que lors de son séjour dans la bande de Gaza, il avait rencontré de nombreux jeunes amputés. Environ 1.000 enfants de Gaza ont perdu une jambe ou les deux, a-t-il précisé.
De son côté la porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Margaret Harris, a ajouté que le personnel de l’OMS à Gaza a déclaré qu’il ne pouvait même pas marcher dans les salles d’urgence « de peur de marcher sur des personnes » allongées sur le sol « en proie à de graves douleurs » et demandant de la nourriture et de l’eau.
Elle a qualifié la situation d’« inadmissible » et a déclaré qu’il était « inconcevable que le monde permette que cela continue ».
Hôpital bombardé
Au cours des dernières 48 heures, le plus grand hôpital de Gaza, l’hôpital Al Nasser de Khan Younis, dans le sud, a été bombardé à deux reprises, a indiqué M. Elder.
Cet hôpital « abrite non seulement un grand nombre d’enfants qui ont déjà été gravement blessés lors des attaques contre leurs maisons, mais aussi des centaines de femmes et d’enfants en quête de sécurité », a souligné le porte-parole de l’UNICEF, faisant référence à ceux qui ont dû fuir en raison des hostilités et des ordres d’évacuation.
On estime à 1,9 million le nombre de personnes déplacées à Gaza, soit la grande majorité de la population de l’enclave.
Les enfants blessés qui doivent faire face à la perte d’un être cher ont été contraints de déménager encore et encore, a déclaré M. Elder.
« Où vont les enfants et leurs familles ? Ils ne sont pas en sécurité dans les hôpitaux. Ils ne sont pas en sécurité dans les refuges. Et ils ne sont certainement pas en sécurité dans les zones dites ’sûres’ », a-t-il insisté.
« Aucun endroit n’est sûr »
Le porte-parole de l’UNICEF a expliqué que lesdites « zones de sécurité » étaient « tout sauf sûres » parce qu’elles avaient été désignées unilatéralement par Israël seul et qu’elles ne disposaient pas des « ressources suffisantes pour survivre » : nourriture, eau, médicaments, protection.
Elder a décrit ces zones comme « de minuscules parcelles de terre aride, ou des coins de rue, ou des bâtiments à moitié construits, sans eau, sans installations, sans abri contre le froid et la pluie et sans assainissement ».
« Dans les conditions de siège actuelles, il est impossible d’approvisionner ces zones de manière adéquate », a-t-il déclaré, ajoutant que lors de son récent séjour à Gaza, il avait fait l’expérience directe de cette réalité.
Diarrhée et malnutrition
Le porte-parole de l’UNICEF a mis l’accent sur le manque criant d’installations sanitaires adéquates, soulignant qu’à Gaza, il n’y a en moyenne qu’une toilette pour 700 personnes. Les cas de diarrhée chez les enfants sont supérieurs à 100.000 et, combinés à une malnutrition galopante, ils peuvent s’avérer de plus en plus mortels.
Aussi, plus de 130.000 enfants de moins de deux ans ne bénéficient pas d’un « allaitement maternel vital et d’une alimentation complémentaire adaptée à leur âge ».
Le cessez-le-feu est la seule solution
L’acheminement de l’aide est « une question de vie ou de mort » pour les enfants de Gaza, a déclaré M. Elder, et les conditions pour fournir cette aide « ne sont pas remplies ».
Le nombre de camions d’aide autorisés à entrer dans la bande de Gaza reste « bien inférieur à la moyenne quotidienne de 500 camions » qui entraient chaque jour ouvrable avant le 7 octobre, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).
Dimanche, OCHA a indiqué que 102 camions transportant des fournitures humanitaires et quatre camions-citernes de carburant étaient entrés à Gaza par le point de passage de Rafah, en provenance d’Égypte, et que 79 camions étaient entrés par le point de passage de Kerem Shalom, en provenance d’Israël, pour la première fois depuis le début de l’escalade.
Le Dr Harris, de l’OMS, a souligné qu’au-delà de l’acheminement des fournitures via la frontière de l’enclave, il était difficile d’acheminer l’aide là où elle était nécessaire, en raison des hostilités en cours, mais aussi des dégâts considérables causés aux routes.
« Un cessez-le-feu humanitaire immédiat et durable est le seul moyen de mettre fin aux meurtres et aux blessures d’enfants, ainsi qu’aux décès d’enfants dus à la maladie, et de permettre l’acheminement urgent d’une aide vitale dont on a désespérément besoin », a déclaré M. Elder.
La faim, l’autre ennemi des enfants de Ghaza
r micheldandelot1 dans Accueil le 24 Décembre 2023 à 14:44
Dans une œuvre à multiples facettes, au rythme des soubresauts de l’histoire de son pays natal, Assia Djebar a mis la lumière sur la vie des femmes algériennes et porté leurs voix. Elle a aussi dénoncé sans relâche les méfaits du colonialisme. Le tout lui a valu une pluie de critiques.
AssiaAssia Djebar voulait des broderies dorées spécifiques sur son habit d’académicienne. Attachée à son héritage culturel, l’écrivaine algérienne avait demandé que les motifs reproduisent ceux du karakou de mariage de sa mère, cet habit de fête de velours et de fil d’or traditionnel, typique de la région d’Alger. Mais la secrétaire perpétuelle de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse, y a mis un veto, invoquant une logistique trop complexe.
Cette demande n’est pas surprenante, tant l’Algérie imprègne Assia Djebar, qui a mené paradoxalement une grande partie de sa vie et de sa carrière en dehors de sa terre natale. Jennifer Dumont, qui fut son assistante lorsqu’elle enseignait aux États-Unis, à la New York University, au début des années 2000, se souvient d’une personnalité chérissant les espaces indéfinis.
« Elle m’a raconté un jour que les meilleures architectures de ses romans étaient nées dans les salles d’attente, une fois passés les contrôles de sécurité dans les aéroports. » Là, dans ces lieux de transit entre la France, l’Algérie et les États-Unis, les trois pays où s’entremêlent ses chemins.
Le sujet géographique est épineux pour Assia Djebar, sa vie ponctuée d’allers-retours depuis et vers l’Algérie qu’elle a explorée sous toutes ses facettes, jusqu’à en faire la toile de fond de tous ses ouvrages.
Quelques années après l’indépendance algérienne, Assia Djebar est poussée à émigrer en France. En 1965, alors qu’elle enseigne l’histoire moderne et contemporaine à l’université d’Alger, elle démissionne : l’enseignement de l’histoire doit désormais s’effectuer en arabe, ce qu’elle considère comme une erreur car l’essentiel des sources de ses cours est en français, « sa langue marâtre » mais la seule qu’elle écrit.
« Nous imposer l’arabe était condamner à mort cette école historiographique algérienne que j’avais commencé à mettre sur pied avec une quinzaine d’étudiants. J’ai toujours pensé que c’était important pour un pays fraîchement indépendant de prendre en charge sa mémoire collective et de repenser son histoire »,dira-t-elle dans un entretien à l’occasion de la sortie de son ultime roman, Nulle part la maison de mon père, paru en 2007.
Cette obsession de la mémoire est consubstantielle au travail d’Assia Djebar depuis Les Enfants du nouveau monde (1962). Jennifer Dumont a ainsi connu une écrivaine méticuleuse, « dotée d’une force de travail impressionnante » lui permettant de se concentrer des heures durant sans discontinuer, de se plonger dans des montagnes d’archives pour nourrir ses ouvrages. Tel Le Manuscrit inachevé, jamais achevé et publié sous forme de fac-similé par Mireille Calle-Gruber et Anaïs Frantzen 2021, qui devait porter sur saint Augustin, une figure tutélaire pour l’écrivaine.
Emprunter les chemins de l’histoire relève de l’évidence pour celle qui tenait à faire honneur à sa formation d’historienne. À l’École normale supérieure, elle excelle en philosophie mais choisit l’histoire, à rebours des conseils de ses professeurs.
Ne pas parler à la place des femmes
« Je pense qu’Assia était très consciente que les vainqueurs écrivaient l’histoire, analyse la chercheuse Mireille Calle-Gruber. C’est pour cette raison qu’elle a fait des recherches poussées, dépouillé des journaux de soldats français pour les démonter et les confronter à des témoignages d’Algériens et d’Algériennes qui montrent une autre face de l’histoire. »
Elle tient surtout à remettre au centre les grandes oubliées de l’histoire, les femmes. Mireille Calle-Gruber se rappelle qu’Assia Djebar jugeait ingrat le Front de libération nationale, le FLN. « Elle était extrêmement en colère du comportement des maquisards à l’endroit des femmes. Elle disait d’eux qu’ils les avaient violées et brisées en les renvoyant au foyer et en les privant de parole. Et ce, alors qu’elles ont pris des risques et le relais pour faire vivre les familles. Les bases arrière ont été assurées par les femmes. C’est pour ça que c’était tellement important pour elle de faire ces enquêtes auprès d’elles pour les réhabiliter. »
Pour la chercheuse, le fait qu’Assia Djebar se qualifie elle-même de « scripteuse » au lieu d’écrivaine démontre la force qu’elle accorde à la parole de ces femmes. Elle n’ambitionnait pas de parler pour elles de manière surplombante. Elle fuyait plutôt les rapports dissymétriques et ne se voyait pas comme l’autrice face aux femmes analphabètes. L’enjeu était de faire passer leurs propres voix, avec leur consentement.
Amel Chaouati l’a constaté dans ses lectures. Psychologue et présidente du Cercle des amis d’Assia Djebar, un club informel de passionné·es qu’elle a initié en 2005, elle a commencé son voyage en terre djébarienne avec Loin de Médine (1991). Ce roman entremêle histoire, à travers les sources islamiques, et fiction. Assia Djebar dépeint les premières années de l’islam après le décès du prophète Mohammed. Elle met en scène l’effacement progressif des femmes, notamment à travers la figure de Fatima, sa fille, cantonnée à son statut de mère des jumeaux Hassan et Hossein.
Fascinée par les allers-retours entre le passé et le présent, Amel Chaouati s’est réconciliée avec l’histoire en lisant Assia Djebar. « Celle qui m’a été enseignée en Algérie était de l’endoctrinement, avec un discours peu attrayant. Les professeurs tenaient un discours révolutionnaire qui glorifiait les héros de la guerre, rien de plus. »
Avant de rencontrer l’œuvre d’Assia Djebar, et c’est le plus déterminant selon elle, Amel Chaouti ne réalise pas que les femmes sont effacées du roman national, à quelques exceptions près comme les deux Djamila, Boupacha et Bouhired, ou Hassiba Ben Bouali. « Et encore, elles ont été transformées en icônes avec une image figée complètement dévitalisée et c’est dommage. J’ai eu beaucoup de transmissions de mes aïeules, et j’en suis fière, mais ça ne suffit pas. J’ai aussi besoin aussi d’identification extérieure à mon monde intime. Je ne veux pas seulement croiser des statues d’hommes dehors. »
Cette attention portée aux femmes confère à l’œuvre d’Assia Djebar une perception faussée. Elle est à tort réduite à des romans autobiographiques ou à une exploration poussée de l’intime, inoffensive et dénuée de toute portée politique. Son premier roman, La Soif (1957), a précisément été vilipendé pour cette raison (lire le premier volet de notre série).
Bien sûr, il est impossible de nier que la littérature djébarienne est imprégnée d’anecdotes et d’observations personnelles, mais l’y cantonner serait lui dénier sa complexité d’œuvre à l’architecture parfaitement pensée.
Dans un entretien publié à l’occasion de la sortie de son roman-testament, Nulle part la maison de mon père, paru en 2007, l’autrice explique sa démarche : « Ce livre n’est pas une autobiographie, parce que pour moi une autobiographie est une accumulation de multiples notations sur le passé à partir desquelles l’écrivain peut relater ce que fut sa vie. Pour ma part, j’ai tiré de mon enfance et de mon adolescence uniquement les éléments qui me permettent de comprendre le sens de cette pulsion de mort [sa tentative de suicide dans la vingtaine – ndlr] qui a fondé ma vie d’adulte. Il s’agit plutôt d’une auto-analyse. »
Gratter « l’immense plaie » du colonialisme
Pendant longtemps, l’autrice s’interdit de parler d’elle-même, en partie à cause de sa culture arabe où ce genre littéraire n’est ni valorisé, ni dans les usages. Et encore moins naturel. La première fois, elle s’y essaie dans L’Amour, la fantasia (1985), « une quête personnelle, intime autant que collective ». La chercheuse en littérature Beïda Chikhi, enseignante à Paris-Sorbonne, explique qu’Assia Djebar s’est lancée dans cette œuvre « sans doute pour relever un défi ». En effet, « une partie de son public réclamait à l’historienne une contribution plus soutenue à l’histoire de l’Algérie ».
Elle s’y astreint mais non sans mal. Littéralement. La romancière raconte dans Ces voix qui m’assiègent (1999) qu’elle souffre d’une tendinite, la maladie des passionné·es de tennis, sport qu’elle ne pratique pas. Pendant plusieurs mois, elle souffre sans se soigner. « Comme si, intérieurement, je savais que j’étais en train de payer le prix… de quoi ? De la publication d’un livre autobiographique ? Je finis par me soigner ; il me fallut ensuite plus de six mois pour guérir et retrouver un bras normal… »
Le résultat est à la hauteur de l’investissement moral, intellectuel et émotionnel. Le roman est « une puissante évocation historique » dotée d’une « belle créativité poétique », selon les mots de Beïda Chikhi. Ni l’histoire ni la littérature n’ont souffert de cette entreprise créative. Au contraire, le roman est même un essai clinique réussi de mise en adéquation du passé et de l’écriture romanesque.
Cette pudeur initiale ne constitue désormais plus un frein pour raconter l’Algérie et ses murmures, Assia Djebar a trouvé sa tonalité. La multiplication des récits et des voix lui permet de brouiller les pistes et de noyer sa vie au milieu de celle de ses compatriotes.
Je suis féministe parce que je suis algérienne. Je veux dire, en Algérie même une pierre devient féministe devant l’oppression.
Assia Djebar
Un jour, dans la moiteur d’un hammam, un secret de femmes se perce sous ses yeux. Elle le raconte dans Vaste est la prison. Une voisine doit rentrer chez elle et se plaint de le faire si tôt, à cause de « l’edou », soit l’ennemi en arabe, ici utilisé comme synonyme de mari. Assia Djebar comprend alors un versant jusque-là invisible des vies maritales algériennes, fruits de contraintes et d’accommodements.
Tout un champ s’ouvre à elle, et elle continuera à ouvrir son oreille pour donner vie à des paroles invisibles de femmes. Amel Chaouati a été surprise de découvrir ce passage sur l’ennemi dans ce roman. « J’ai toujours entendu ce terme employé autour de moi. Je sentais que c’était un secret, quelque chose qu’il ne fallait pas dire en présence des hommes, comme une espèce de complicité féminine. Le voir écrit noir sur blanc m’a remuée. »
Assia Djebar n’a jamais aimé la facilité, ni ne s’est préoccupée de devenir une autrice grand public, au grand dam de ses éditeurs. Elle n’hésite jamais aussi à gratter « l’immense plaie » du colonialisme des guerres dont elle a été témoin. Celle pour l’indépendance entre 1954 et 1962 et la guerre civile des années 1990.
Pêle-mêle, avec Femmes d’Alger dans leur appartement (1980), elle est l’une des premières à évoquer en littérature le sort des anciennes moudjahidates, les femmes combattantes reléguées dans l’oubli dans l’Algérie indépendante. Sujet qu’elle continuera d’évoquer dans La Femme sans sépulture (2002) qui raconte le destin de Zoulikha, montée au maquis en 1956 pour arracher l’indépendance de l’Algérie et évanouie dans les montagnes. Comme dans un puzzle, pièce après pièce, Assia Djebar fait parler les filles de la disparue, ses voisines, pour reconstituer ce destin invisibilisé.
Son féminisme, jamais brandi en étendard, s’exprimait ainsi. Assia Djebar n’a jamais cheminé intellectuellement ou amicalement avec des féministes, mais il est indéniable que son œuvre l’est, d’un « féminisme instinctif », considère Mireille Calle-Gruber.
Dans un entretien, interrogée sur son féminisme, Assia Djebar offre une réponse qui ne souffre aucune remise en question. « Je suis féministe parce que je suis algérienne », dit-elle, comme si cette réponse se suffisait à elle-même. Elle marque toutefois un temps d’arrêt, et précise : « Je veux dire, en Algérie même une pierre devient féministe devant l’oppression. »
Assimiler la colonisation à un viol ou parler des enfumades qui sont mises sous le tapis, rend difficile d’être célébrée en France. Elle l’a été tardivement avec l’Académie française
Sakina Imalhayène
L’Amour, la fantasia (1985), son chef-d’œuvre reconnu, celui qui lui ouvre le succès, peut de prime abord désarçonner dans sa construction, avec cette alternance de voix à l’identité parfois nébuleuse. Mais le roman est remarquable dans sa reconstitution de la violence de la conquête de l’Algérie en 1830 et de la guerre d’indépendance. Dans ce texte précurseur, l’autrice dénonce les viols de la guerre d’indépendance et ose l’écrire. Elle raconte avec force détails la prise d’Alger en 1830 et les enfumades du général Saint-Arnaud dans le centre ouest algérien.
Pour sa sœur Sakina Imalhayène, Assia Djebar, au-delà de son féminisme patent, est « sans concession » avec la mémoire algérienne et française. Cet engagement littéraire entrave la reconnaissance dans son pays d’abord et complique son adoubement en France, pense-t-elle.
Par ses écrits et ses films, elle réveillait leur « mauvaise conscience » vis-à-vis de l’oppression coloniale, de ses méfaits durables et de la guerre d’Algérie. « Assimiler la colonisation à un viol ou parler des enfumades qui sont mises sous le tapis, rend difficile d’être célébrée en France. Elle l’a été tardivement avec l’Académie française. »
Assia Djebar reconnaissait elle-même son étonnement, car elle savait son œuvre méconnue en France. À 69 ans, le 16 juin 2005, elle est élue au fauteuil 5 de l’Académie française, succédant à Georges Vedel. Elle y est reçue le 22 juin 2006 et prononce comme le veut l’usage un éloge de son prédécesseur avant de glisser sur une veine autobiographique plus personnelle et historique.
Un fragment ne passe pas dans ce discours éminemment lucide : « Le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres […] a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont récemment rouvert la mémoire, trop légèrement et par calcul électoraliste. » L’autrice fait référence à un débat qui a secoué la classe politique et médiatique l’année précédente. L’article 4 de la loi du 23 février 2005 en faveur des rapatriés et des harkis stipulait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Il sera finalement abrogé.
Tout au long de son texte, Assia Djebar convoque l’histoire et profite de la tribune qui lui est offerte pour dénoncer ensuite la violence de l’entreprise coloniale, celle qui lui a fait croire que ses ancêtres étaient gaulois…
Deux jours plus tard, le journaliste Pierre Assouline publie un billet dévastateur, comme le raconte la sociologue Kaoutar Harchi dans cet article. « Elle n’a évoqué la France que pour la dénoncer sans nuance, faisant fi de tous les débats historiens qui ont récemment défrayé la chronique », lui reproche-t-il. Avant de regretter ce discours expéditif « résumant 130 ans de présence française en Algérie à une trace de sang… » D’autres protestations, comme celle d’une association de rapatriés d’Algérie, se joindront à ce concert de reproches.
Outre l’histoire, Assia Djebar se saisit aussi du moment présent pour créer. Meurtrie dans sa chair par le terrorisme islamiste qui sévit dans son pays natal dans les années 1990, elle réalisera un magnifique tombeau littéraire, Le Blanc de l’Algérie (1995), paru dans l’urgence, alors que d’autres voix sont stérilisées par la peur et l’horreur. L’autrice y rend hommage aux morts de l’Algérie, cette terre qui suinte le sang.
Elle raconte, à sa manière, la mort d’écrivains célèbres comme Albert Camus, Jean Amrouche, Frantz Fanon, Jean Sénac, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine. Elle y rend, entre autres, hommage au dramaturge Abdelkader Alloula, frère de son deuxième époux, le poète Malek Alloula, mortellement blessé à Oran en 1994. Ou au journaliste et écrivain Tahar Djaout assassiné un an plus tôt.
L’entreprise mémorielle est audacieuse, surtout dans l’urgence du moment. Mais à cette époque, Assia Djebar ne peut faire autrement qu’écrire. Sa sœur Sakina Imalhayène se souvient qu’à l’époque, elle lui dit que ces morts lui parlent. « Assia n’a jamais vraiment eu les pieds sur terre, elle pouvait être excessive parfois mais là je me suis dit qu’elle était en train de décompenser. Elle m’a inquiétée alors je lui ai suggéré d’écrire ce que ces fantômes lui disaient. Ça a été son déclic. »
Son amie Mireille Calle-Gruber, spécialiste de l’œuvre d’Assia Djebar, considère le résultat comme « extraordinaire », elle qui a échangé avec elle lors de l’accouchement de ce texte. Extraordinaire parce que bien qu’écrit à chaud, il possède une distance littéraire suffisante qui ne le rend jamais obsolète et le transforme « en œuvre d’art ».
Assia Djebar, née en Algérie en 1936 et décédée à Paris en 2015, est la figure féminine majeure des lettres algériennes. Première femme du Maghreb à entrer à l’Ecole normale supérieure et à l’Académie française, elle n’a eu de cesse de raconter l’Algérie et ses soubresauts, avec sa plume ou sa caméra, à travers le regard et la vie des femmes. Elle dénonce une double oppression, celle de la colonisation et de la condition féminine. Plusieurs fois pressentie pour recevoir le prix Nobel de littérature, Assia Djebar a été la scripteuse de son temps. Parcours de son œuvre en quatre volets et un documentaire.
Première fille à aller à l’école dans sa famille en Algérie colonisée, première femme maghrébine à intégrer l’École normale supérieure puis l’Académie française, la romancière algérienne Assia Djebar (1936-2015) s’impose comme une figure majeure de la littérature française. Itinéraire en quatre volets d’une pionnière.
LeLe 3 mars 1999, Fatma Zohra Imalhayène soutient une thèse à l’université Paul-Valéry-Montpellier 3. Son titre est le suivant : Le roman maghrébin francophone entre les langues, entre les cultures : quarante ans d’un parcours : Assia Djebar 1957-1997.
L’intitulé n’a rien d’étonnant, ni même le thème. À cette époque, Assia Djebar est une autrice installée et une (la ?) figure majeure de la littérature contemporaine algérienne.
Le destin de l’écrivaine s’entrelace avec celui du pays. De la colonisation à la guerre d’indépendance, en passant par les années noires du terrorisme des années 1990, Assia Djebar a tout vécu, tout subi, tout raconté, tout sublimé et transcendé.
L’autrice a produit une œuvre foisonnante, complexe, avec plusieurs facettes à décomposer roman après roman. Quant à Fatma Zohra Imalhayène, elle est la personne la mieux placée pour réaliser cette exégèse puisqu’elle et Assia Djebar forment une seule et même personne.
Le dernier est le nom de plume de la première, emprunté pour ne pas embarrasser sa famille lorsque est paru, en 1957 aux éditions Julliard, son premier roman, La Soif. Mais nous y reviendrons. Assia signifie « consolation » et djebar, « intransigeance ».
En 1980, Assia Djebar a refusé d’assister à la soutenance de la thèse d’une étudiante consacrée à son œuvre pour ne pas assister, « vivante », à sa « propre autopsie ». Elle a préféré tenir le scalpel et explorer elle-même son chemin littéraire. Dans le compte-rendu de sa thèse, il est souligné que ce travail, « en sa démarche, n’obéit ni à une structure ni à un discours canoniques ».
Plus loin, il est présenté « comme visant à éclairer pas à pas l’aventure de l’écriture djébarienne à la lumière des expériences et des conflits idéologiques ou existentiels que la femme, la citoyenne, l’écrivaine a eu à résoudre au cours des quarante années de son parcours ».
Cette entreprise universitaire n’est pas mue par un ego hypertrophié de l’autrice. Loin de là. Tout part d’une nécessité administrative. Pour enseigner aux États-Unis, il était préférable pour Assia Djebar de posséder un doctorat. L’autrice saisit cette occasion pour raconter comment une petite fille, née indigène, selon la terminologie de l’époque en Algérie colonisée, a embrassé l’écriture et pourquoi.
Même si cette question confine parfois à l’interrogatoire de justice, regrette-t-elle dans Ces voix qui m’assiègent (Albin Michel, 1999), ouvrage réflexif nourri par ce travail universitaire introspectif.
« Le petit miracle »
Fatma Zohra Imalhayène, d’ascendance berbère, comme la sonorité de son nom le laisse deviner, est née à Mihoub, dans la wilaya de Médéa, le 30 juin 1936, selon l’année communément évoquée – à moins que ce ne soit un an plus tôt, comme l’indique son acte de naissance. Les ancêtres maternels, les Berkani, se sont rebellés contre l’armée française lors de la conquête de l’Algérie dans les années 1830.
En 1871, la résistance s’organise contre l’armée française coloniale sous la férule du caïd des Beni Menacer, qui meurt au combat. Assia Djebar rendra hommage à cette frange révoltée de sa famille dans un documentaire-fiction, La Nouba des femmes du mont Chenoua.
Son père, Tahar, instituteur à Mouzaïa, une petite ville de la Mitidja, jouera un rôle important dans la vie de sa fille. À tel point que la figure paternelle traversera l’œuvre djébarienne. En 1939, Assia intègre l’école élémentaire, où son père « audacieux » enseigne, noyée par la majorité de garçons arabes de la classe. L’incipit de son chef-d’œuvre, L’Amour, la fantasia, paru en 1985, démarre sur cet événement fondateur, acte transgressif dans l’Algérie coloniale, à la politique de scolarisation erratique. Le roman commence par une image. « Fillette arabe allant pour la première fois à l’école, un matin d'automne, main dans la main du père. Celui-ci, un fez sur la tête, la silhouette haute et droite dans son costume européen, porte un cartable, il est instituteur à l'école française. »
Dans un discours prononcé à Francfort en 2000, Assia Djebar évoque, reconnaissante, l’attachement de son père à ce qu’elle poursuive des études. « Il est clair, en effet, que je n’aurais jamais été écrivain si, à 10 ou 11 ans, je n’avais pu continuer mes études secondaires ; or ce petit miracle fut rendu possible grâce à mon père, instituteur, homme de rupture et de modernité face au conformisme musulman qui, presque immanquablement, allait me destiner à l’enfermement des fillettes nubiles. »
Tahar Imalhayène, né en 1911, est « un enfant de montagnard » scolarisé sur le tard, retrace Sakina Imalhayène, la sœur d’Assia Djebar. Il a 9 ans lorsque l’instituteur de sa ville de Cherchell – jadis Césarée – convainc son père analphabète et pauvre de le laisser fréquenter l’école, quitte à l’aider à rattraper son retard. Ce qu’il fera si bien que Tahar intégrera l’école normale de la Bouzaréah, pépinière des instituteurs « indigènes », selon la terminologie en vigueur à l’époque.
Ces « hommes-frontières », comme le racontait l’anthropologue Fanny Colonna, seront condamnés leur vie durant à un entre-deux inconfortable, instruments d’une stratégie de scolarisation aux objectifs ambigus. Émanciper mais pas trop, pour éviter que les indigènes ne se retournent contre la mécanique coloniale discriminatoire.
Convaincu de l’apport de l’école, Tahar Imalahyène apprendra aussi à lire et à écrire le français, la langue parlée par la famille, à son épouse analphabète, « niveau certificat d’études ».« On a eu un père exceptionnel toutes les deux »,juge encore Sakina Imalhayène. Une autre décision capitale prise par l’homme va infléchir la vie d’Assia Djebar, toujours Fatma Zohra Imalhayène.
Je savais que mon succès était important, très important. Parce que je suis la première Arabe à entrer à l’ENS et que je représente, que je dois représenter notre peuple.
Assia Djebar en 1955
La sœur cadette de l’autrice raconte à Mediapart la trajectoire de celle qu’elle appelle toujours Assia. Elle se souvient d’une lycéenne déjà studieuse, interne la semaine à Blida. « Le week-end, elle s’enfermait dans une chambre et elle ne faisait que lire et écouter de la musique. » Assia Djebar nourrissait alors une passion pour les auteurs russes. « Je ne sais pas pourquoi, peut-être que cette société pouvait rappeler la nôtre, tiraillée entre le traditionnel et la modernité. Ou alors c’est son côté un peu dramatique qui lui plaisait. » Elle nourrit aussi une grande admiration pour Colette.
Ses études au lycée se déroulent à merveille. « Elle était brillante, et quand elle a passé son bac, les enseignants ont dit qu’elle avait toutes les chances de réussir l’École normale supérieure. Nous sommes allés à Alger, j’étais en CM2, pour qu’elle intègre la prépa littéraire du lycée Bugeaud. En première année, le directeur convoque mon père pour lui dire qu’il n’a jamais eu de réussite à Normale sup à partir de la prépa d’Alger. Il a ajouté : “Si vous avez le courage de l’envoyer à Paris, au lycée Fénelon, son dossier sera accepté.” »
Tahar Imalhayène, « contre l’avis de la famille », envoie sa fille, seule, à Paris. Assia Djebar est admise du premier coup à l’École normale supérieure (ENS) de Sèvres, première femme maghrébine à intégrer le prestigieux établissement. Déjà pionnière. Plusieurs décennies plus tard, en 2005, elle ouvrira encore une voie en faisant son entrée à l’Académie française.
Dans une lettre datée de juin 1955, publiée par la spécialiste et amie de l’autrice Mireille Calle-Gruber dans Le Manuscrit inachevé (Presses Sorbonne Nouvelle, 2021), Assia Djebar s’ouvre à ses parents juste après ce succès scolaire.
Elle formule dans ce courrier une sorte de « serment de fidélité » aux siens, qu’elle remercie de l’avoir portée là. Être reçue à l’École normale supérieure à Paris l’a rendue « heureuse ». Mais elle ajoute : « Dans ma joie il n’y avait aucune satisfaction d’amour-propre ni d’orgueil. Non, je sentais que mon succès vous causerait de la joie ; je savais que mon succès était important, très important. Parce que je suis la première Arabe à entrer à l’ENS et que je représente, que je dois représenter notre peuple. »
Elle promet ensuite de se « perfectionner » et de se « surpasser », pour que les siens soient « fiers » d’elle, « et aussi parce que ce sera [s]a façon à [elle] de mieux être arabe, profondément arabe ».
La jeune étudiante est consciente, un an après le début de la guerre d’Algérie, qu’elle appartient à un « peuple qui souffre, qui crève de misère », et promet de servir son pays.
La lettre, d’une remarquable maturité, laisse entrevoir ce qui guidera Assia Djebar toute sa vie. Elle perçoit très vite les implications de cet événement personnel, la réussite à un concours sélectif, à une échelle plus large, qui la dépasse presque. Elle lie enfin sa vie, sa carrière à l’Algérie et à son histoire, imbriquées comme elles le seront toujours.
Les soubresauts de la guerre d’Algérie (1954-1962) percutent la vie de Fatma Zohra Imalhayène. L’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), liée au Front de libération nationale (FLN), appelle le 19 mai 1956 à la grève illimitée des cours et des examens en France. Elle invite les jeunes à rejoindre « le combat libérateur ».
Assia Djebar décide de répondre à l’appel, ne passe pas ses examens de licence. Elle est exclue de l’ENS. Avec son fiancé de l’époque, Ahmed Ould-Rouis, dit « Walid Garne »,qu’elle épousera en 1958, « il y a une espèce de jeu », raconte Assia Djebar dans un entretien en 2008 à la BPI : on peut écrire un roman en un mois, « un roman superficiel ».
Ce qu’elle fait. Le roman s’appelle La Soif. Il raconte l’histoire de Nadia, une jeune étudiante de vingt ans, issue de la bourgeoisie algérienne, qui s’ennuie beaucoup un été. Elle a rompu ses fiançailles deux mois plus tôt, à la surprise générale. Un jeune homme, Hassein, est amoureux d’elle mais elle ne sait que faire de ses avances, les repousser ou non.
Françoise Sagan de l’Algérie musulmane
Au même moment, elle retrouve une amie du lycée, Jedla, perdue de vue et qui la fascine. Celle-ci est mariée avec Ali, un journaliste prometteur voulant fonder un journal bilingue à Alger. Déterminée à sortir de sa torpeur, Nadia entreprend de séduire Ali, avec le soutien inespéré de Jedla.
Le roman continue de mettre en scène les péripéties de ce carré amoureux. L’autrice manifeste une volonté patente de tisser une intrigue fine, et dénonce l’inanité de la bourgeoisie sclérosée contre laquelle l’héroïne s’élève. La Soif reste assez classique, comme l’est une œuvre de jeunesse écrite en quelques semaines. Sa forme et son style, malgré quelques indices, ne rendent pas justice au talent qu’Assia Djebar déploiera un peu plus tard.
En 1957, le fiancé d’Assia Djebar soumet le manuscrit aux éditions Julliard, qui acceptent de le publier. Les mêmes qui publient Françoise Sagan, à laquelle Assia Djebar sera forcément comparée, qualifiée par les chroniqueurs littéraires de l’époque de « Françoise Sagan de l’Algérie musulmane ».
Une note précisant le caractère fictif de l’œuvre est ajoutée dans le roman : « Dans une atmosphère à la fois tendre et pure, où la franchise n’est que le revers de la tendresse, ce roman n’a rien d’autobiographique, bien que l’auteur appartienne au monde qu’elle dépeint. »
Cette publication, presque inopinée, met mal à l’aise Assia Djebar, qui confiera avoir eu des difficultés à en faire la promotion. Et ce même si elle écrit depuis toute petite. Une inquiétude la tiraille : la réaction de sa famille face à ce roman d’amour. « Sur le chemin pour aller signer mon contrat, je me disais surtout : pourvu que mon père ne sache pas que c’est moi. »
Sakina Imalhayène raconte le regard paternel qui finalement découvre l’œuvre de sa fille. « Elle pensait qu’il serait choqué qu’elle écrive un roman d’amour. Qu’elle écrive, ça lui paraissait normal. Mais il s’imaginait qu’elle publierait des livres d’histoire. Il était très sensible à la forme, même si elle avait déjà une très belle écriture et qu’on voyait la graine d’écrivain en elle, mais à ses yeux, c’étaient presque des romans de gare. »
Les femmes de la famille soutiennent davantage l’incursion littéraire d’Assia Djebar. « Moi, j’étais en sixième ou cinquième à sa parution et je l’ai lu, ça m’avait plu,se remémore encore Sakina Imalhayène. Ma mère était, elle, plus partagée. Elle vient d’un milieu plus austère. Mais elle était quand même fière qu’on mette sa fille sur le même plan que Françoise Sagan. Pour sa vanité personnelle, c’était quelque chose. »
Rétrospectivement, Assia Djebar, qui dit avoir une « haute idée de la littérature », aurait préféré « sortir quelque chose qui [lui] aurait demandé trois ou quatre ans d’efforts. […] [S]on entrée en littérature s’est faite par la petite porte ».
Sitôt paru, alors que la guerre d’indépendance entre dans sa quatrième année, deux auteurs et intellectuels de renom, Malek Haddad et Mostefa Lacheraf, jugent ce roman décalé, eu égard aux préoccupations d’alors des Algérien·nes. Il parle d’amour alors que le sang coule pour leur liberté. Assia Djebar, dans Ces voix qui m’assiègent, sait qu’on attend d’elle qu’elle écrive « des essais nationalistes », pas des romans « qui semblaient gratuits ».
Or ces parenthèses littéraires lui offrent « un espace de légèreté imaginative » et la changent « de [s]a gravité alors d’étudiante algérienne puis de [s]es silences de femme exilée ». Les critiques la poursuivront longtemps. Dans le même ouvrage, Assia Djebar raconte : « Autre souvenir : en 1976, un poète à la radio algérienne attaquait encore avec hargne le non-engagement politique (et le succès éditorial) de mon premier roman publié... en 1957 ! »
Avec le recul, elle analyse ce « dénigrement hâtif » comme la manifestation d’un sexisme frappant toute « expression féminine novice au Maghreb ».
La chercheuse en littérature Beïda Chikhi raconte, dans son ouvrage Assia Djebar, histoires et fantaisies (Pups), que ces critiques ont blessé l’autrice, la forçant à désavouer quelque peu ce premier roman, le ravalant à un simple « exercice de style ». Elle développe : « Sensible au tribunal de l’opinion, Assia Djebar a dû, pendant de longues années, dissimuler sa grande tendresse pour son premier roman, attendant de nouvelles générations de lecteurs capables de comprendre que “pour le personnage de La Soif, la découverte du corps est aussi une révolution importante”. »
Longtemps introuvable, ce roman a été republié en 2017 par les éditions Barzakh, en Algérie seulement, et suivi d’une postface de Beïda Chikhi retraçant les péripéties du texte.
Ali Ammar (alias La Pointe) est un héros et martyr algérien qui a contribué à la Grande Révolution algérienne dans les années 1950. Cette vidéo est une plongée profonde dans son histoire/personnage, asseyez-vous, détendez-vous, prenez du pop-corn et rejoignez-moi dans ce voyage historique.
Elias Sanbar, traducteur du poète de Palestine Mahmoud Darwich, revient, textes à l’appui, sur le secours et la force de mobilisation d’un verbe arabe à nul autre pareil : espoir au creux de la désolation, amour au cœur des combats, terre natale et grand large…
22 décembre 2023 à 15h54
AucuneAucune trêve des confiseurs à Gaza, aucune « paix des braves » à l’horizon dans une guerre qui, depuis les massacres du 7 octobre, a vu Israël passer du droit de se défendre à la prérogative de se venger. L’objectif de détruire le Hamas semble être devenu, sous nos yeux, celui de réduire le peuple palestinien.
Face à une telle situation, qui réjouit les cyniques et désespère les autres, Mediapart a voulu, avant les « fêtes » ou prétendues telles, se hisser jusqu’à des sommets de lutte et de beauté : la poésie de Mahmoud Darwich (1941-2008). Né en Palestine alors mandataire, au nord-ouest de la baie de Haïfa, dans un village de la plaine d’Acre nommé Al-Birwa, Darwich n’aura cessé d’écrire sur les ravages de la dépossession – qui ne sauraient pour autant avoir le dernier mot : « Jamais nos exils ne furent vains, jamais en vain nous n’y fûmes envoyés. »
Nous avons eu le désir d’entendre son traducteur, Elias Sanbar, que Darwich appelait le « poète parallèle » tant fut féconde leur amitié littéraire et politique. Cet entretien donne idée de l’archipel spirituel et combatif que constitue l’œuvre d’un rhapsode palestinien cultivant des chants à même de restaurer le « moi » collectif d’un peuple outragé, d’un peuple brisé, d’un peuple martyrisé, mais d’un peuple un jour libéré : « Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens. »
Conçue tel un viatique en des temps effroyables, notre conversation avec Elias Sanbar, sur l’art et la manière de Mahmoud Darwich, se voudrait torchère dans les ténèbres : « Toi l’éclair, éclaircis pour nous la nuit, éclaircis donc un peu. »
En Cisjordanie occupée, les attaques de colons contre des Palestiniens se multiplient ainsi que les raids israéliens contre des localités arabes. Selon une récente enquête, le soutien au mouvement islamiste a considérablement augmenté.
JénineJénine (Cisjordanie occupée).– De la boue, des morceaux de bitume arrachés, des fils électriques qui pendent… Dans le nord de la Cisjordanie occupée, les abords du camp de Jénine ressemblent à un champ de bataille.
Partout, des impacts de balles. Impossible de savoir de quand ils datent. Cela fait plus de vingt ans que les murs sont les témoins de violents combats. Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, les raids israéliens meurtriers se multiplient dans ce camp de réfugiés où s’entassent 18 000 personnes.
Le dernier, mi-décembre, a duré trois jours. Douze Palestiniens ont été tués et plusieurs dizaines d’autres arrêtés. Dans un communiqué, l’armée israélienne assure que cette incursion a permis la saisie d’armes et d’explosifs. Cette fois encore, les bulldozers israéliens ont détruit plusieurs rues. À chaque incursion, ces engins gigantesques écrasent les voitures sur leur passage et détruisent également les tuyaux de distribution d’eau et le système d’évacuation des eaux usées. « À croire qu’ils font également la guerre aux égouts ! », ironise un habitant.
Dans ce dédale de ruelles, un jeune combattant hâte le pas. Casquette noire vissée sur la tête, il parle peu. « Falloujah », c’est le surnom donné par les habitants à ce quartier, fief des groupes armés, en référence à la ville irakienne, théâtre d’affrontements particulièrement violents ces dernières années.
Les combattants du Hamas, du Djihad islamique palestinien et d’autres brigades locales vivent ici. Pour y pénétrer, il faut impérativement être accompagné. Plus que jamais, l’étranger est vu comme une potentielle menace. L’armée israélienne mène des raids meurtriers presque tous les jours dans ce labyrinthe.
Au fur et à mesure des années et des guerres, il est devenu le symbole de la lutte contre l’occupation. Dans certaines ruelles, de gigantesques bâches ont été tendues entre les maisons. Un ciel de toile noire qui permet aux groupes armés de se déplacer en échappant à la surveillance des drones israéliens.
« Il ne faut pas rester là, l’un des nôtres se cache ici », ordonne le combattant qui nous sert de guide. En quelques secondes, tout le monde remonte dans la voiture. Assis à l’arrière, le jeune Palestinien finit par lâcher quelques phrases. Arrêté par l’armée israélienne à 17 ans, il a été libéré l’été dernier après deux années en prison.
Sans emploi, privé d’éducation, il erre dans ce camp insalubre dont il n’a pas le droit de sortir. Jénine est devenu sa nouvelle cellule. Il a choisi de prendre les armes.
Sur son portable, il nous montre des images de lui tirant en l’air avec un fusil M4. Sur son écran cassé, les vidéos de propagande des groupes armés palestiniens défilent. «Tout le monde les regarde, ici », se réjouit le combattant. Sur les murs de « Falloujah », les portraits des « martyrs » sont partout. Tous sont morts lors d’affrontements avec des soldats israéliens. Tous sont jeunes, très jeunes parfois. Tous sont devenus des héros pour le quartier.
Au détour d’une rue apparaissent les décombres de plusieurs maisons. Fin novembre, elles ont été en partie détruites au cours d’un raid israélien qui a duré plus de seize heures. Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien. Seulement deux canapés, recouvert de poussière, dont on devine encore leurs couleurs. Vert pour l’un, marron pour l’autre.
« C’est là que Mohamed Zubeidi a été tué », lâche notre jeune guide. Sur un mur qui tient à peine debout, une grande photo de celui qui est désormais « martyr » a été accrochée. À ses côtés, Hussam Hanoun, un membre du Hamas, lui aussi tué ce jour-là. Mohamed Zubeidi avait 27 ans, il était combattant pour le Djihad islamique palestinien.
Dans la maison familiale des Zubeidi défilent chaque jour des proches, des voisins venus présenter leurs condoléances. Un portrait du défunt est posé sur une table.
« Voilà Mohamed. Il a été tué le 29 novembre. Ce logo sur le côté, c’est celui de la compagnie d’électricité pour laquelle il travaillait », explique fièrement Jamal, le père. Assis sur un tabouret en plastique, le vieil homme enchaîne les cigarettes et les cafés.
Dans la pièce où il reçoit ont été accrochés une dizaine d’autres portraits d’hommes de la famille tués par l’armée israélienne. Une seule femme. « Elle a été abattue alors qu’elle traversait un checkpoint, lors de la première Intifada », raconte-t-il.
Neuf « martyrs » d’une même famille en trois décennies. « Pour la Palestine, rien n’est jamais trop, répète Jamal. C’est pour notre liberté. On fera tout pour arriver à libérer notre terre. Nous, on voudrait vivre comme tous les peuples du monde. Mais nous sommes obligés de prendre les armes. On ne nous a pas laissé le choix. » Plus de deux semaines après la mort de Mohamed, l’armée israélienne n’a toujours pas rendu le corps à son père, Jamal.
Un jeune garçon entre dans la pièce. Sur un téléphone, il joue à un jeu de course de voiture. Il a 12 ans. «Lui aussi il va devenir combattant et mourir en martyr,affirme son grand-père, Jamal. Nous lui avons donné le prénom de l’un de ses oncles, tué au combat. » Un autre enfant de 5 ans s’approche. Il porte un survêtement Nike bleu et pour lui aussi son aïeul promet un avenir fait de violences et d’armes.
Scène de liesse
Fin novembre, en Cisjordanie occupée, dans le cadre de l’accord conclu entre Israël et le Hamas, 240 détenus palestiniens ont pu sortir de prison, en majorité des femmes et des hommes âgés de moins de 19 ans, en échange d’otages kidnappés le 7 octobre. Des libérations accompagnées d’immenses scènes de liesse à Ramallah, Naplouse, Beitunia …
Dans la foule, des cris, des pleurs et partout des drapeaux des mouvements palestiniens. Verts pour le Hamas, noirs pour le Djihad islamique. Le 25 novembre 2023, sur les épaules d’un ami, Wael Bilal Mashy agite la bannière du Hamas. Ce jour-là, à Al-Bireh, près de Ramallah, des centaines de personnes sont venues pour acclamer cet ancien détenu, devenu lui aussi un héros. Le jeune homme crie « On dit oui à la résistance : que Dieu la protège ! C’est ainsi que nous voulons que les hommes soient ! Longue vie à la résistance, longue vie à ceux qui l’ont soutenue ! Longue vie aux brigades Ezzedine Al-Qassam. » Ce sont ces brigades, aile militaire du Hamas, qui étaient à la tête de l’attaque du 7 octobre sur Israël.
Selon une enquête d’opinion publiée le 13 décembre, le soutien au Hamas en Cisjordanie occupée a considérablement augmenté. 72 % des Palestiniens interrogés par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, principal institut de sondage palestinien, estiment que la décision du mouvement islamiste de lancer une attaque terrestre sur le sud d’Israël était appropriée.
85 % des personnes interrogées soutiennent l’action du Hamas depuis le début de la guerre contre Israël. Elles sont 10 % seulement à apporter le même soutien à l’Autorité palestinienne, et seulement 7 % à être encore derrière Mahmoud Abbas, au pouvoir depuis dix-huit ans.
Agé de 87 ans, l’actuel président de la Cisjordanie occupée semble donc avoir perdu le peu de légitimité qu’il lui restait. Le 19 octobre dernier, des centaines de Palestiniens sont descendus dans les rues de Ramallah en soutien à la bande de Gaza, mais aussi pour réclamer son départ.
Ce jour-là, quelques jeunes arborent déjà des bandeaux aux couleurs du Hamas. Parmi eux, Yazan, 19 ans. Pendant plusieurs heures, il va défier les soldats israéliens posté au checkpoint de Qalandia. « Nous n’avons peur de personne. Nous avons Dieu et le Hamas. Je les remercie de nous soutenir »,se vante le jeune palestinien avant de faire tourner agilement au dessus de sa tête son lance-pierre.
« L’ampleur des crimes israéliens et les discours de leurs responsables amènent ces jeunes à percevoir la lutte armée comme la seule voie possible », explique Johann Soufi, avocat spécialisé en droit international. « Le sentiment d’abandon de la “communauté internationale”, qui n’a pas la volonté ou la capacité d’imposer un cessez-le-feu, les conforte. C’est terrifiant, car nous allons assister dans les prochaines années à l’émergence d’une nouvelle génération, probablement bien plus violente et radicalisée que la précédente. Le Hamas ne sera pas vaincu par les armes, prévient le juriste. Pour chaque combattant tué à Gaza, deux ou trois rejoindront leurs rangs en Cisjordanie, à Gaza et dans les camps de réfugiés des pays limitrophes. C’est un cercle vicieux. »
Une violence sans fin
Depuis le 7 octobre, 310 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie occupée, selon le ministère de la santé palestinien. Plus que jamais, Ramallah, Naplouse, Jénine, Hébron vivent sous la pression de l’armée israélienne qui multiplie les arrestations. Près de 4 000, selon l’Autorité palestinienne et plusieurs ONG qui dénoncent également « des perquisitions et harcèlements massifs, des passages à tabac [...] en plus des sabotages et des destructions généralisés des maisons et de la confiscation de véhicules ». Pression également des colons les plus radicaux qui attaquent les fermiers dans leurs champs d’oliviers, les bédouins aux portes du désert.
Dans le salon de sa maison près de Bethléem, Ahmed − son prénom a été changé − offre le thé à ses invités. « J’ai mis de la sauge. Elle vient de mon jardin. Buvez, c’est délicieux. » L’homme aime parler de la Palestine. Cette terre à laquelle il est si attaché. Sa petite-fille ne le lâche pas, elle a recouvert ses cheveux d’un keffieh noir et blanc, symbole de la résistance palestinienne.
Dans la cuisine, le son de la télévision est poussé à fond. Abou Obeida fait ce jour-là un discours. Le porte-parole militaire du Hamas. « Il n’a pas parlé depuis longtemps, souligne Ahmed. Cette résistance par les armes est le résultat de ce qu’ils ont créé. Si je viens, que je prends votre maison, que je frappe votre femme, vous allez réagir comment ? On a le droit de vivre comme vous. Je vous assure, on a perdu espoir. Il n’y a jamais de justice pour nous. Regardez ce qui se passe à Gaza ! Même votre président Macron cède à la pression d’Israël et des États-Unis. »
Issa, le fils d’Ahmed, entre dans la pièce. Un petit garçon qui marche à peine s’accroche à l’un de ses doigts pour ne pas tomber. « J’espère que mon petit-fils connaîtra un meilleur avenir, sans occupation », soupire le grand-père. Certaines voix palestiniennes s’élèvent encore aujourd’hui pour prôner la paix. Elles sont rares et peu audibles mais elles existent. Ibrahim Enbawi, 55 ans, fait partie de ces pacifistes. Il y a plusieurs années, son frère et son oncle ont été tués par l’armée israélienne. Aujourd’hui, il vit dans le camp de réfugiés de Chouafat, près de Jérusalem.
C’est là qu’il nous donne rendez-vous. Passer les checkpoints pour aller jusqu’à Jérusalem-Est, partie occupée, lui prendrait trop de temps. « En 1985, je suis sorti de prison un an après mon arrestation par les autorités israéliennes. J’ai réalisé à ce moment-là que la violence n’était pas une solution pour régler tout cela. Le plus important pour moi, ce n’est pas de convaincre les gens, c’est surtout de les pousser à réfléchir. Je leur pose des éléments sur la table, ensuite c’est à eux de choisir. »
Avant l’attaque du 7 octobre, le Palestinien enchaînait les conférences avec des Israéliens, pacifistes comme lui, tous membres d’une même association qui milite pour le dialogue. Les prochains rendez-vous dans les universités et les écoles ont été annulés après l’attaque du Hamas.
« On a encore un long chemin à parcourir. On partage l’eau, l’oxygène, la lumière, le vent et la terre. Ce n’est pas facile mais sans la paix, il va y avoir d’autres guerres et d’autres morts. Le problème, c’est que la culture de la paix n’intéresse personne ici. Regardez, il faut qu’il y ait beaucoup de sang comme le 7 octobre pour que les médias du monde entier s'intéressent un peu à ce que vivent les Palestiniens de Cisjordanie. » Au fur et à mesure de notre entretien, Ibrahim Enbawi le concède : « Tant que l’occupation israélienne se poursuit, cette spirale de violence ne s’arrêtera jamais. »
C’est cette même occupation qui a interdit à la famille Al-Maghrabi de célébrer la libération de Hamza, leur fils de 17 ans. Les consignes de la police israélienne étaient strictes : pas de scènes de liesse ni de musique dans le secteur de Jérusalem-Est.
À l’abri des regards, derrière les volets clos, proches et voisins se succèdent dans leur maison, sur les hauteurs de Sur Baher. Ils sont venus saluer le jeune homme, libéré dans le cadre de l’accord conclu entre Israël et le Hamas.
Il était emprisonné depuis le mois de février, accusé d’avoir lancé un cocktail Molotov sur un poste de police israélien. Condamné à trente-deux mois de détention, il aurait dû être libéré en 2026.
Rawad, son père, serre la main de chaque invité, l’un après l’autre. Charismatique, physique imposant, son regard tranche avec son sourire franc. « J’essaye, en tant que père de famille, de le protéger un maximum, confie le Palestinien. Je l’empêche de sortir pour éviter qu’il se retrouve face à des policiers israéliens, ou contrôlé par l’armée à un checkpoint, parce que s’ils regardent sa carte d'identité, ils sauront qu’il a été libéré en échange d’otages et ils vont peut-être l’humilier ou même l’arrêter à nouveau. »
Depuis sa libération, Hamza reste chez lui. Il n’a pas pu retourner à l’école. L’accès à son lycée lui a été interdit. Une nouvelle prison physique et mentale. « Grâce à Dieu j’ai retrouvé ma famille. Je suis content, bien sûr. Mais j’aimerais pouvoir poursuivre mes études »,raconte l’adolescent au visage fin.
Entre Rita et mes yeux, un fusil Et celui qui connaît Rita se prosterne Et adresse une prière à la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel Moi, j’ai embrassé Rita quand elle était petite Je me rappelle comment elle se colla contre moi Et de sa plus belle tresse couvrit mon bras Et moi, je me rappelle Rita Ainsi qu’un moineau se rappelle son étang Ah Rita! Entre nous, mille oiseaux, mille images D’innombrables rendez-vous criblés de balles par un fusil Le nom de Rita prenait dans ma bouche un goût de fête Le corps de Rita dans mon sang était célébration de noces Et deux ans durant, je me suis perdue dans Rita Et deux ans durant, Rita a dormi sur mon bras Nous prêtâmes serment autour du plus beau calice, nous brulâmes dans le vin de (nos) lèvres et nous ressuscitâmes. Ah Rita! Qu’est-ce qui aurait pu éloigner mes yeux des tiens, Hormis le sommeil et les nuages couleur de miel, avant ce fusil ? Il était une fois Ô silence du crépuscule Au matin, ma lune a émigré, loin dans ces yeux couleur de miel Et la ville a balayé tous les aèdes…et Rita. Entre Rita et mes yeux, un fusil.
Une conférence sur les crimes du colonisateur français contre les sites et monuments religieux algériens a été organisée mercredi dernier, au musée du Moudjahid d'Alger, à l'occasion de la commémoration du 191e anniversaire de la transformation de la mosquée «Ketchaoua» en cathédrale et de l'extermination de milliers d'Algériens.
Lors de cette conférence, placée sous le thème «La France et la guerre des monuments, Ketchaoua, un symbole d'identité et de résistance», des chercheurs et des universitaires ont évoqué ce crime colonial en mettant en avant la politique de la France visant à détruire les sites et monuments religieux algériens, à l'instar des mosquées et des Zaouïas qui avaient pour missions, à l'époque, de préserver les préceptes de la religion islamique, la langue arabe et les composantes de l'identité algérienne.
À ce propos, l'archéologue spécialiste de l'époque ottomane, Mohamed Tayeb Akab, a indiqué que la France «a transformé, au début de l'occupation, la mosquée Ketchaoua en écurie, puis en église sous le nom de Cathédrale Saint- Philippe, ce qui a poussé les Algériens à la révolte le 18 décembre 1832 en se rassemblant et en occupant les lieux du site, avant d'être exécutés.
Plus de 4.000 fidèles algériens sont tombés en martyrs, sur ordre du sanguinaire français Rovigo», a-t-il rappelé soulignant qu' «il s'agit d'un crime contre l'humanité qui s'inscrivait dans le cadre du plan colonial d'évangélisation en Algérie».
Le conférencier a indiqué dans son intervention intitulée «la mosquée de Ketchaoua dans la mémoire de l'histoire» que cette mosquée compte «parmi les monuments religieux les plus célèbres de la ville d'Alger et témoigne de l'attachement des Algériens à leur identité et de leurs sacrifices, sachant qu'elle a été bâtie durant l'ère ottomane en 1612 et reconstruite en 1794 par Hassan Pacha...», Mettant en avant «le cachet architectural de la mosquée qui a été complètement démolie par la France plus tard». De son côté, l'universitaire Youcef Benhlima a affirmé dans son intervention sous le thème «Résistance de la mosquée de Ketchaoua face au colonialisme», que le carnage de la place des Martyrs le 18 décembre 1832 est «un autre épisode sanglant des crimes coloniaux commis par la France en Algérie, pour affaiblir les Algériens et effacer leur identité, mais c'était sans compter, a-t-il dit,sur leur forte résilience et leur profond attachement à l'Islam et aux constantes nationales, confirmés par les révoltes populaires menées par de grands symboles tels que l'émir Abdelkader, Ahmed Bey et Lalla Fatma N'Soumer.
De son côté, l'universitaire, Houcine Meghdouri, de l'université de Djelfa, a indiqué que la commémoration de ce douloureux anniversaire était une «occasion d'évoquer les sacrifices de nos prédécesseurs depuis le début de l'occupation et de renforcer l'appartenance à l'identité nationale chez la nouvelle génération», précisant que «la France a mené une politique de destruction des monuments religieux et historiques à cachet architectural islamique et encouragé en revanche la promotion de la recherche archéologique dans le domaine des ruines romaines en Algérie».
Le moudjahid, Abdellah Athamnia a évoqué pour sa part, la réhabilitation de la mosquée après l'indépendance et lu des extraits du premier prêche du vendredi prononcé par le cheikh Mohamed El Bachir El Ibrahimi le 2 novembre 1962. Il s'agissait de la première prière de vendredi accomplie dans cette mosquée historique après 124 ans de sa transformation en cathédrale.
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