1 NOVEMBRE 2023
L'attaque du 7 octobre 2023 m’a rappelé que mon plus vieux souvenir d’un événement politique n’est autre que celui de la « Guerre du Kippour », en octobre 1973. Les émissions avaient été interrompues. Avec cette interruption, commençait mon intérêt pour la vie politique, les affaires des adultes. 50 ans plus tard, une impression d’avoir vécu ma vie d’enfant, d’adolescent, d’adulte, dans une époque dont tout montre, qu’a posteriori, elle sera désignée comme celle de toutes les occasions perdues, de toutes les erreurs.
Chers rares et lecteurs, je me fais rare par ici ces temps-ci. Le temps des blogs est sans doute passé. Cependant, je compte rester fidèle à ce pari de documenter ce qu’a pu lire et penser un politiste ordinaire au cours de ces années.
Il se trouve que l’attaque à l’encontre d’Israël au matin du 7 octobre 2023 m’a rappelé que mon propre plus vieux souvenir d’un événement politique n’est autre que celui du déclenchement de la « Guerre du Kippour », en octobre 1973. Je n’avais pas encore dix ans, et je regardais (trop avidement) la télévision tout mon samedi après-midi (alors que j’aurais dû plutôt aller chez les scouts auxquels mes parents m’avaient inscrit). Je me rappelle que les émissions avaient été interrompues pour annoncer l’attaque d’Israël par l’Égypte et la Syrie. Cela m’avait à la fois fait grande impression que ce direct totalement inhabituel et m’avait énervé d’être privé de mon émission préférée, où passaient toutes les séries à la mode de l’époque (Les Mystères de l’Ouest, Cosmos 1999, L’homme qui valait trois milliards, etc.) dont je raffolais. Je ne me souviens pas du tout de la réaction de mes parents.
Avec cette interruption, commençait sans doute mon intérêt pour la vie politique, les affaires des adultes. Surtout, l’histoire continuait. Jusqu’alors, la seule ombre historique qui pesait sur l’enfant que j’étais était celle de la Seconde Guerre mondiale. Né en Alsace d’une famille mêlant Alsaciens et « Français de l’intérieur » depuis le lendemain de la victoire de novembre 1918, j’avais sans doute déjà bien des souvenirs à assimiler. Et, là, il y avait une autre histoire à suivre. Ma grand-mère paternelle, très dévote, avait été ensuite en ‘Terre sainte’ en pèlerinage pour l »Année sainte 1975′, et je ne me rappelle pas que mes parents aient été particulièrement inquiets de son voyage. Tout était de nouveau calme alors.
Je ne suis évidemment pas devenu spécialiste du Moyen-Orient. Je ne le connais, comme toute personne suivant l’actualité politique, que pour en avoir suivi les péripéties depuis lors. (A une époque, le conflit israélo-palestinien domina l’actualité internationale en quantité d’articles qui lui était consacré dans la presse française. Ce fut moins le cas les dix dernières années. Et, combien de fois, ai-je dû en expliquer toutes les subtilités de ce conflit aux étudiants de troisième année de Science Po Grenoble lorsque je les préparais au ‘Grand Oral’.) Cependant, une conclusion s’est imposée avec éclat dans mon esprit : vraiment, lors de ces cinquante dernières années, rien ne s’est arrangé « entre le Jourdain et la mer ». On le rappelle assez ces jours-ci, une fois l’émotion un peu retombée : la solution à deux États a été définie par les Nations Unies dès 1947 avec son plan de partage de la Palestine mandataire, et, mutadis mutandis, la solution proposée par la communauté internationale n’a jamais variée depuis lors. Cela apparait toujours comme la seule et unique solution rationnelle dans la mesure où aucune des deux populations concernées n’a envie d’être la minorité dominée de l’autre.
Or nous en sommes, a priori, très loin. Si l’on compare la situation avec celle de 1973, certes déjà peu brillante, la radicalisation des deux côtés est patente. Force est de constater que le Hamas et ses alliés djihadistes ont réussi à terroriser les Israéliens (le mot est faible!), et que l’État d’Israël a, pour l’instant, fait exactement les erreurs que ces derniers attendaient en réponse de sa part en bombardant massivement la bande de Gaza et ses civils palestiniens.
Ce pourrissement sans solution tient à l’absence d’une pression unanime et sans concession sur les deux parties pour arrêter là les dégâts. De ce point de vue, les lendemains de l’assassinat de Yitzhak Rabin, le Premier ministre israélien signataire des Accords d’Oslo en 1995 par un extrémiste nationaliste juif, m’ont toujours paru la grande occasion perdue de ces cinquante années. Les États-Unis étaient alors largement dans une phase d’hégémonie sans partage. En raison même de cet assassinat, ils auraient dû obliger Israël et l’Autorité palestinienne à établir une paix définitive au plus vite, bien plus vite que prévu dans les Accords d’Oslo. Ils ne l’ont pas fait. Voilà le résultat.
Cela importe peu au fond. Comme en matière de lutte contre le changement climatique, l’hégémonie américaine n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités. Désormais, dans un monde plus multipolaire, sans plus d’hégémonie évidente, tous les problèmes pendants paraissent encore plus compliqués à résoudre, et ce n’est pas notre très nul Président de la République – de loin le plus nul depuis 1973 – qui risque de faire avancer le Moyen-Orient vers quelque solution que ce soit.
Quoi qu’il en soit, cela me fait de plus en plus une impression pour le moins dérangeante d’avoir le sentiment d’avoir vécu ma vie d’enfant, d’adolescent, puis d’adulte, dans une époque dont tout montre, qu’a posteriori, elle sera désignée comme celle de toutes les occasions perdues, de toutes les erreurs. « Le moment où l’humanité aurait encore pu… »
C’est seulement l’Histoire sans doute avec un grand H. Inexorable. Shakespearienne.
BOUILLAUD
Professeur de science politique (Science Po Grenoble)
Grenoble - France
1 NOVEMBRE 2023
https://blogs.mediapart.fr/edition/1973-annee-charniere-une-retrospective-collective/article/011123/octobre-1973-octobre-2023-lepoque-des-occasions-pe
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