Alors que l’opinion internationale s’émeut du nombre effarant de victimes à Gaza, le gouvernement israélien riposte en diffusant au monde entier, à la presse et aux politiques, une vidéo montée par Tsahal qui documente les exactions du 7 octobre. En France, après l’Assemblée nationale, il est diffusé ce mardi au Sénat.
Un conteneur où sont entreposés les corps non identifiés de citoyens israéliens tués par le Hamas est montré à la presse à Ramla, le 13 octobre. (LEON NEAL/GETTY IMAGES VIA AFP)
Il n’y a pas une goutte de sang dans la séquence la plus marquante de la fameuse vidéo que le gouvernement israélien montre pour documenter le massacre du 7 octobre. Dans cet extrait de quelques minutes, en noir et blanc, capté par les caméras de sécurité d’une maison dans l’un des kibboutz attaqués par le Hamas, un père court avec ses deux petits garçons, affreusement vulnérables, torse nu et en caleçon… Ils s’engouffrent dans la maison, et disparaissent du plan. Puis on entend la déflagration d’une grenade jetée par un terroriste dans la petite pièce sécurisée où ils se trouvent. Les deux enfants réapparaissent, leurs voix surgissent, déchirant le silence. « Ils ont tué papa ! » « Pourquoi suis-je vivant ? Maman, maman ! » Les gamins ont survécu, ils sont aujourd’hui avec leur mère. Leur frère aîné, qu’on ne voit pas sur la vidéo, sorti de la maison au moment de l’attaque, a été tué, nous précise un officiel.
Il n’y a pas une goutte de sang dans cet extrait au flou granuleux, mais ces voix d’enfants risquent de nous hanter longtemps. Bien plus, finalement, que les images gore incluses dans cette vidéo produite par Tsahal : la décapitation filmée d’un ouvrier thaïlandais sur lequel un terroriste s’acharne avec une pioche, ou les clichés de dizaines de cadavres mutilés ou brûlés.
Voilà pourquoi on s’interroge sur l’objectif même poursuivi par le gouvernement israélien en diffusant ces images : documenter l’horreur, d’accord, mais comment ? D’abord projetée à plusieurs reprises en Israël, la vidéo l’est désormais un peu partout dans le monde. « L’Obs » l’a vue lors d’une première projection de presse organisée par l’ambassade d’Israël, le 7 novembre à Paris. Une deuxième séance a été organisée à l’Assemblée nationale devant une centaine de députés le 14 novembre, puis une au Sénat une semaine plus tard. L’actrice israélienne Gal Gadot, qui incarne Wonder Woman, s’est activée pour en organiser une le 9 novembre, pour des pontes de Hollywood, au Musée de la Tolérance du Centre Simon-Wiesenthal à Los Angeles.
Polémique après la diffusion par Tsahal d’une photo du Bataclan
Le protocole fixé par l’armée israélienne est le même. Interdiction d’avoir un téléphone sur soi et d’enregistrer. A l’ambassade d’Israël, il y avait une décharge à signer, accompagnée d’un message qui dit tout sur la volonté israélienne de communiquer au maximum sur le massacre du 7 octobre, à l’heure où les organisations internationales alertent sur le nombre effarant de victimes des bombardements à Gaza : « Il est important pour nous de montrer ce film à des personnes spécifiques qui forment l’opinion publique, car nous sommes malheureusement confrontés à une difficulté au sein de la communauté internationale qui trouve parfois opportun de devoir justifier dans une certaine mesure le massacre qui s’est produit le 7 octobre au nom de la libération de la Palestine. »
Interrogé par les journalistes pour savoir s’il s’agissait de la hasbara, ce terme hébreu qui veut dire « explication » et désigne la stratégie de communication du gouvernement israélien, le porte-parole de l’ambassade a répliqué : « Ce n’est pas la hasbara d’Israël. C’est la hasbara préparée par le Hamas ! »
Que la guerre soit, aussi, une affaire de communication n’est bien sûr pas nouveau. Après le massacre de Boutcha, le gouvernement ukrainien avait « convoyé » des centaines de journalistes sur les lieux, alors que les cadavres jonchaient encore les rues. Une volonté de montrer au monde l’horreur, tout comme aujourd’hui lorsque l’armée israélienne convoie la presse dans les kibboutz dévastés. Pourtant, on le sait : le massacre de Boutcha a beau avoir été amplement documenté, rien n’y a fait : « C’est de la mise en scène ! » répètent toujours les prorusses. Aucune vidéo n’a jamais réussi à convaincre ceux qui mettent en doute la réalité… Et l’initiative a d’ailleurs divisé, à l’Assemblée nationale. Si certains députés ont trouvé le visionnage indispensable, voyant le film comme « une arme anti-négationnisme », d’autres comme Olivier Faure, président du groupe PS, ont préféré s’abstenir « par respect pour l’image des victimes, par volonté de ne pas soumettre notre raison à l’émotion ».
Le débat s’était aussi présenté après la tuerie de l’école Ozar Hatorah en 2012 à Toulouse, dont les images avaient été filmées en direct par Mohamed Merah avec sa caméra GoPro. Lors du procès d’Abdelkader Merah, son frère aîné, certaines des parties civiles réclamaient leur diffusion. La procureure générale s’y était opposée, refusant de « participer à la politique d’Al- Qaida qui voulait que ces images soient vues ». Le président de la cour d’assises avait tranché, jugeant que ces vidéos n’étaient pas « utiles à la diffusion de la vérité » et qu’il était inutile « de rajouter de l’horreur à l’horreur ». Après les attentats de 2015, les images de violences n’avaient pas non plus été diffusées en France, une stratégie à l’inverse de Tsahal, qui, ce 13 novembre 2023, a fait polémique en diffusant dans une vidéo d’hommage une photo de la fosse du Bataclan après la tuerie, contraignant les associations de victimes à demander son retrait.
Le visionnage des images du 7 octobre a par ailleurs une conséquence
Trouble devant les interrogatoires des terroristes du Hamas
plus paradoxale. Les vidéos du Hamas sont très différentes de la communication ultra-maîtrisée de Daech, qui avait fait de la propagande une arme stratégique. La décapitation de James Foley en 2014 reprenait les codes de Hollywood, en copiant presque toute une scène du film « Seven ». Rien de tel dans les vidéos issues des bodycams des terroristes du Hamas.
Aux côtés de combattants plus aguerris, on y voit de très jeunes hommes, en une horde désordonnée tirant à l’aveuglette. On entend les cœurs battre la chamade, les souffles courts, la peur et l’excitation presque palpables… Et on est désarçonné d’entendre la voix du terroriste dans ce fameux échange très repris, où il dit à ses parents : « Ton fils a tué dix juifs ! » A l’autre bout du fil, la mère pleure. Et soudain, on ne sait plus ce qu’on entend dans la voix haletante du terroriste, qui répète « J’en ai tué 10 !!! » : de la haine, de la peur, ou l’effet du captagon, la drogue des djihadistes syriens… Un trouble qui rappelle celui éprouvé lors du visionnage d’interrogatoires de terroristes capturés par Tsahal, qui décrivent les tunnels du Hamas avec une volubilité qui contraste avec le mutisme le plus souvent observé par les terroristes traduits en justice.
Qu’en est-il donc réellement de l’organisation qui a conçu l’attaque du 7 octobre ? Ces terroristes étaient-ils appâtés par les 10 000 dollars de récompense promis pour chaque otage capturé ? Ou biberonnés à la haine depuis l’enfance, endoctrinés depuis la prise du pouvoir par le Hamas en 2007 dans l’enclave palestinienne ? « Nous faisons face à un ennemi brutal », dit Benyamin Netanyahou. Dans la vidéo, l’ennemi sans visage en a soudain un, et même plusieurs… Pas sûr que ça ait été la volonté initiale de Tsahal.
·Publié le
https://www.nouvelobs.com/monde/20231121.OBS81143/israel-gaza-faut-il-montrer-l-horreur.html
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