Albert Camus-André Malraux, Correspondance (1941-1959) et autres textes
Albert Camus-André Malraux, Correspondance (1941-1959) et autres textes, Édition Gallimard, Collection Blanche, de Sophie Doudet, 160 pages, octobre 2016
« Ce fut une des chances de ma vie d'avoir eu Malraux comme un de mes maîtres quand j'étais jeune écrivain et de l'avoir ensuite rencontré comme ami. » (page 143)
« J’essaie de vous dire des choses utiles » écrit André Malraux à Albert Camus à propos de l’Étranger alors en pleine gestation. Il précise ses suggestions, lui écrivant que « peut-être faut-il simplement insister davantage (un paragraphe en plus) sur le lien entre le soleil et le couteau de l'Arabe. » C’est par l’ami Pascal Pia, son "alter ego" d’Alger Républicain, que passe Camus, qui fera la "boîte aux lettres" entre les deux écrivains. Il l’engage aussi « à travailler encore la scène avec l'aumônier… car ce n'est pas clair » et l’incite à revoir la partie relative au meurtre, car écrit-il, « la scène du meurtre c'est bien, ce n'est pas aussi convaincant que l'ensemble du livre. »
Le style aussi. Malraux trouve lassant la phrase classique du genre sujet, verbe complément, point. « Par moments, ça tourne au procédé. Très facile à arranger en modifiant parfois la ponctuation » lui écrit Malraux qui lui demande également
« à travaille encore la scène avec l'aumônier » car, estime-t-il
« ce n'est pas clair. » L'auteur de "La condition humaine" affirme encore que si « la scène du meurtre c'est bien, ce n'est pas aussi convaincant que l'ensemble du livre. »
Portrait d'Albert Camus du 17 octobre 1957. Il vient d'apprendre que l'Académie suédoise lui a attribué le Prix Nobel de littérature.
Comme dans toute correspondance, c’est quand ils sont loin l’un de l’autre qu’ils s’écrivent. Ils prennent la plume pour échanger des idées mais aussi plus simplement des informations pratiques. Si la première lettre date du 30 octobre 194, l’ultime mot envoyé par Camus est de 1959.
Pendant toute cette période, leur situation a beaucoup évolué. Albert Camus, d’un jeune et obscur écrivain est passé au statut de Prix Nobel de littérature en 1957, même si Jean-Paul Sartre n’avait pas alors ménagé ses quolibets. Il est devenu un écrivain qui compte qu'André Malraux avait senti après la lecture du manuscrit de L'Étranger, le militant engagé du théâtre du Travail à Alger et le journaliste d’Alger Républicain.
Le parcours d’André Malraux est plus contrasté. Le compagnon de route du Parti communiste est devenu un cacique du gaullisme,plus tard ministre de la culture. Il s’est peu à peu éloigné du roman qui lui avait pourtant permis de recevoir le Prix Goncourt en 1933, pour publier des essais sur l’art. Camus est plus rationnel, n’a pas cette étincelle qui porte Malraux à enflammer son verbe, comme dans son hommage à Jean Moulin, il élabore ses "cycles", cycles de l'absurde puis de la révolte, alternant romans, essais et pièces de théâtre
Trente-six lettres, des rencontres et des échanges, [1] permettent de suivre leurs relations et, sans parler de véritable amitié, la bienveillance qui les caractérise. S’ils poursuivent chacun leur voie, ces lettres nous montrent que l’estime et l’attention réciproques étaient toujours restées intacts.
Malraux n’aime pas trop ce rôle d’aîné critique, de "coach" qu’il a joué pour L’Étranger, précisant : « je n'essaie pas de vous dire des choses intelligentes, ni du genre pénétrant, j'essaie de vous dire des choses utiles. ». Camus semble avoir été ému par la sollicitude de Malraux et lui répond chaleureusement fin 1941,
« Vous êtes parmi ceux dont j'ai souhaité l'approbation » et il écrira l’année suivante à Jean Grenier, après la parution de l’Étranger qu’il a été servi par la chance et ses amis, « Pia et Malraux ont tout fait. »
De ces lettres qu’ils ont échangées pendant quinze ans, se dégagent l’idée, comme le souligne Sophie Doudet, spécialiste de Malraux, qu’ils sont passés « d’une amitié teintée de respect et d'admiration à une fidélité fondée sur l'estime ».
Entre eux, ce n’est pas la grande amitié qu’on sent dans la correspondance entre Camus et Louis Guilloux ou René Char, et encore selon Sophie Doudet, « le ton est toujours cordial et le vouvoiement de rigueur… Jamais Albert n'écrit à André et seuls Camus et Malraux dialoguent. »
Entre Albert Camus (1913-1960) et André Malraux (1901-1976), il y a tout d'abord un profond respect mutuel, puis les rencontres parisiennes et ensuite une certaine distance due surtout aux engagements gaullistes de Malraux. Pourtant sur le plan littéraire, on se rappelle le cri du cœur de Camus en apprenant l’attribution du Prix Nobel : « C’est Malraux qui aurait dû l’avoir ! »
Ce sont deux intellectuels engagés dan le Gaullisme pour Malraux et la gauche pour Camus, mais prenant un sens différent, très politique pour l’un plus esthétique pour l’autre, une vison du monde différente, marquée par les certitudes d'un Malraux fidèle du Général et les doutes d’un Camus déchiré par le drame algérien, l’absurde menant pour chacun à des conclusions différentes.
De cet ensemble de textes basé sur les 36 lettres retrouvées, [1] le plus intéressant réside d’abord dans un document bien argumenté de Malraux relatif à L’Étranger, l’adaptation théâtrale, par Camus du Temps du mépris de Malraux, ainsi que plusieurs articles de Camus sur Malraux.
À la mort de Camus le 4 janvier 1960, Malraux lui rend hommage dans un article qui paraît dans Le Monde du 6 janvier : « Depuis plus de vingt ans, l'œuvre d'Albert Camus était inséparable de l'obsession de la justice. En déposant devant son corps les premières fleurs funèbres, nous saluons l'un de ceux par qui la France demeure présente dans le cœur des hommes. »
Abdelhalim Belaid
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