Par Michel Berthelemy de la 4acg
Comment oublier ce qu’il s’est passé le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris et dans la région ?
Beaucoup étaient venus, à l’image d’une dizaine de membres de la 4acg, pour que la mémoire du massacre perpétré par la police parisienne ne s’efface pas. N’en déplaise à ceux qui auraient volontiers passé l’éponge ? Après de multiples échanges entre les organisateurs et la Préfecture, qui interdisait que la manifestation se fasse comme à l’habitude sur le Pont Saint-Michel, le représentant de la Préfecture a finalement autorisé le rassemblement… sur la Place Saint-Michel, à quelques mètres de l’endroit d’où avaient été jetés des dizaines d’Algériens dans la Seine.
Dans son intervention, Olivier Le Cour Grandmaison n’a pas manqué d’épingler les arguments de la Préfecture, qui justifiait sa décision par des raisons de sécurité et de troubles possibles à l’ordre public. Argument fallacieux, la mairie de Paris ayant le matin même organisé un hommage aux victimes de la répression à l’endroit précis où était prévu notre rassemblement. Olivier Le Cour Grandmaison a souligné une certaine continuité entre l’interdiction de manifester faite aux Algériens en 1961, et la même interdiction qui frappe aujourd’hui les soutiens de la Palestine. A noter que le lendemain, le Conseil d’État suspendait l’arrêté d’interdiction ministériel.
Gilles Manceron, quant à lui, a révélé que de nouvelles recherches ont permis d’en savoir un peu plus sur la chaîne de commandement du pouvoir de l’époque. Jusqu’à ce jour, il était entendu que la responsabilité du drame reposait sur le seul Maurice Papon . Or, des investigations nouvelles font partager largement les responsabilités. Papon a certes donné l’ordre, mais on oublie qu’il avait des supérieurs, en l’occurrence Roger Frey, ministre de l’Intérieur, Michel Debré, Premier ministre et le chef de l’État, le général de Gaulle. Si ces hauts responsables politiques n’avaient pas été d’accord avec l’action de Papon, il est possible que les évènements n’auraient pas revêtu un caractère aussi tragique.
Plusieurs autres intervenants ont pris la parole, interrompus un moment par un petit groupe d’Algériens partisans du régime actuel, qualifiant certains organisateurs algériens de « traîtres ».
Après un lancer de fleurs dans la Seine, les participants se sont dispersés dans le calme peu avant 20h.
SOURCE : Paris s’est souvenu du 17 octobre 1961 - 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre)
« Le passé colonial est terrible et on ne peut même pas parler de nos morts »
Ce 17 octobre, la préfecture de police de Paris a interdit aux associations qui militent pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 comme crime d’État de se rassembler sur le pont Saint-Michel. Les forces de l’ordre en ont bloqué les accès. Reportage.
Des gerbes de fleurs à l'endroit du pont Saint-Michel où des Algériens et des Algériennes ont été noyés lors de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961.
Aux extrémités du pont Saint Michel, des voitures de police. Sur un des accès, la police fouille les sacs. De loin, on distingue quelques silhouettes devant les fleurs posées sur le muret. Pour aller près de la plaque du 17 octobre 1961, pas plus de 10 personnes à la fois : c’est l’arrêté émis la veille par la préfecture qui l’énonce. Pour justifier l’interdiction, la préfecture évoque une cérémonie « organisée par la mairie de Paris » dans la matinée ainsi que le procès de Redoine Faïd à proximité des lieux de la manifestation. Et un « contexte de menace terroriste aiguë qui sollicité à un niveau particulièrement élevé les forces de sécurité intérieure » suite « à l’attaque à caractère terroriste qui s’est produite à Arras ».
Regardez ils nous prennent pour des terroristes, alors que c’est une commémoration contre l’oubli.
Un policier demande à un monsieur d’ouvrir son sac. Il a un drapeau algérien. « Il faudra pas le sortir monsieur, c’est interdit », lui indique-t-il. Près de la plaque, une femme fait un live Facebook. Autour de ses épaules, un drapeau rouge vert blanc, celui de l’Algérie encore. « Je ne vois pas pourquoi ils nous interdisent de le porter, c’est inadmissible. » Aux personnes qui suivent l’événement en direct, elle dit : « Regardez ils nous prennent pour des terroristes, alors que c’est une commémoration contre l’oubli ». Elle filme d’abord les quelques personnes qui se recueillent devant les fleurs, puis les forces de l’ordre qui entourent le pont.
10 personnes maximum ont été autorisées à se recueillir devant la stèle. « On était au moins 200 les autres années » indique un participant. (Photo : Pauline Migevant.)
Un homme montre les photos des rassemblements précédents. « On était au moins deux cent les autres années ». Une plaque en fer dessine les contours des personnes assassinées le 17 octobre 1961 par la police française. À l’appel du FLN ils étaient venus braver le couvre-feu destiné aux « Français musulmans d’Algérie ». La manifestation pacifique est alors réprimée par un massacre : entre 150 et 200 personnes sont mortes cette nuit-là, « noyées par balle ». 12 000 autres sont arrêtées et enfermées à Vincennes et au Palais des sports de la porte de Versailles. Un homme âgé vient de partir, il attendra sa femme en face. « Il est trop en colère », explique-t-elle. Pointant du doigt la plaque commémorative, elle dit : « C’est un massacre et c’est la honte de la France ». Et l’interdiction d’être plus de 10 sur le lieu de mémoire, « c’est gravissime ».
« J’ai de la famille sous la Seine »
« Le passé colonial, c’est terrible, on n’a pas toutes nos archives, on n’a pas tous les corps et on ne peut même pas parler de nos morts. » Elle a le visage crispé et explique : « Je suis triste, je suis tellement triste, parce qu’on doit être silencieux… silencieux ». Elle se passe la main devant la bouche comme si elle se la scotchait. 18 heures passées, il ne fait plus jour mais elle porte des lunettes de soleil. « C’est devoir être silencieux qui me fait pleurer. »
D’un signe de tête, elle indique le bateau-mouche qui vient de passer sous le pont. « Je me souviens de mon premier jour à Paris, je me disais que j’étais libre. Je rêvais de la France quand j’étais petite. » Elle ajoute : « Aujourd’hui, on peut plus s’exprimer sinon on est traités de terroristes. Vous savez, moi j’ai connu le terrorisme en Algérie dans les années 1990 et je pardonnerai jamais aux terroristes. » Elle confie : « Ça me rend malade. Si on n’est pas libre alors… alors je pense à retourner en Algérie ».
Je suis triste, je suis tellement triste, parce qu’on doit être silencieux… silencieux.
Une femme d’une vingtaine d’années, les mains serrées sur la poitrine, se recueille devant la plaque. Le monsieur obligé de laisser son drapeau dans son sac est toujours là. « J’ai de la famille sous la Seine », explique-t-il. « J’ai connu ma grand-mère quand elle pleurait ses frères ». Il insiste sur la tenue des manifestants du 17 octobre, « pour montrer qu’on n’était pas des clochards. Vous avez-vu les images de l’époque ? Costumes, cravates, chemises, ils étaient sur leur 31, c’était ça le mot d’ordre. Les femmes ont sorti des habits de leur trousseau pour aller manifester. »
Il évoque Maurice Papon, préfet de police de Paris lors du 17 octobre 1961, plus tard condamné pour crimes contre l’humanité en raison de son rôle lors dans la déportation des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. « Il faut enlever ce prénom du dictionnaire. » Au sujet de la présence de la police, il énonce des proverbes, tels que « Quand on connaît la mort on n’a pas peur de la fièvre » ou encore « Le haut de la canne est tordu et le bas de la canne est sale ». Selon lui, c‘est le gouvernement – plus que les policiers qui exécutent les ordres – qui est problématique. Un autre homme arrive et vient rappeler qu’à l’autre bout du pont, des gens attendent que certains sortent pour pouvoir à leur tour se recueillir. Le premier répète : « J’ai de la famille sous la Seine ».
L’interdiction du rassemblement sur le pont fait écho aux interdictions des manifestations de soutien à la Palestine. (Photo : Pauline Migevant.)
Comme le pont est interdit, c’est sur la place Saint Michel, à une centaine de mètres, qu’ont lieu les prises de parole. « Nous n’aurions pas dû être ici, nous aurions dû être en face. Nous aurions dû être là-bas pour manifester comme cela se fait depuis 1990. Le risque, c’est que cette préfecture qui agit sous les ordres de Darmanin et de Jupiter (le surnom d’Emmanuel Macron, N.D.L.R) transforme en normalité une disposition d’exception. » Le président du collectif « 17 octobre 61 », Olivier Le Cour Grandmaison, évoque aussi l’interdiction des manifestations pro-palestine.
« État colonial un jour, État colonial toujours », entend-on sur la place. Le président rend hommage « aux manifestants et manifestantes travailleurs et travailleuses qui, le 17 octobre 1961, ont bravé une République coloniale, qui ont bravé des dispositions d’exception racistes ». Il ajoute : « Avant d’être des victimes, ils étaient des combattants pour la liberté contre les discriminations pour l’égalité et pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
« Réfuter la fable forgée par l’Élysée »
Les associations et collectifs réclament notamment la reconnaissance du 17 octobre comme un crime d’État. C’est le travail des collectifs et de militants comme Jean-Luc Einaudi qui avait permis, en 1999, de pouvoir qualifier de « massacre » cette journée, des propos pour lesquels il avait été poursuivi pour diffamation par Maurice Papon, avant d’être relaxé par la justice. En 2012, François Hollande avait reconnu une « sanglante répression ». En 2021, soixante ans après le massacre, Emmanuel Macron avait qualifié d’« inexcusables pour la République » les crimes commis cette nuit-là, sous l’autorité de Maurice Papon.
Nous devons exiger la reconnaissance précise par les plus hautes autorités de l’État que ce qui a été commis le 17 octobre 1961 est bien un crime d’État.
Un « mensonge par omission », pour le président du collectif 17 octobre 61. « Nous devons exiger la reconnaissance précise, circonstanciée par les plus hautes autorités de l’État que ce qui a été commis le 17 octobre 1961 est bien un crime d’État et réfuter de ce point de vue la fable forgée par les services de communication de l’Élysée (…) selon laquelle le seul responsable de ces massacres serait Maurice Papon. Pas un historien, pas un spécialiste de la constitution de la Ve République, pas un spécialiste des rapports entre la police et l’État ne peut souscrire à une fable. »
Pauline Migevant • 18 octobre 2023
https://www.politis.fr/articles/2023/10/le-passe-colonial-est-terrible-et-on-ne-peut-meme-pas-parler-de-nos-morts/
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