Le porte-parole de l’Union juive française pour l
a paix (UJFP) a eu l’amabilité de répondre à nos questions sur la guerre qui fait rage au Proche-Orient. Pierre Stambul décrit la situation catastrophique qui prévaut à Gaza, suite aux bombardements israéliens, et fustige les médias occidentaux qui ne parlent que des victimes israéliennes. Pour lui, si le Hamas a réussi son attaque-surprise du 7 octobre, c’est parce qu’il a retenu la leçon de ses «échecs passés». «L’extrême-droite suprémaciste qui dirige Israël se moque des vies humaines, y compris de celles des Israéliens emmenés à Gaza», fait-t-il remarquer, tout en comparant le gouvernement israélien actuel à l’OAS. Interview.
Algeriepatriotique : Une propagande de guerre s’est mise en place dès après l’attaque du Hamas sur Israël. Pouvez-vous nous décrire la situation réelle qui prévaut au Proche-Orient actuellement ?
Pierre Stambul : Une grande militante de Gaza est chez moi. Je reçois à tout moment des nouvelles et des vidéos de Gaza. On voit des tours de 15 étages pulvérisées les unes à la suite des autres, des quartiers entiers totalement détruits, les enfants cherchent dans les gravats un souvenir de ce qu’était leur vie. Un ami très cher a perdu deux de ses fils. Un autre a sa maison transformée en refuge pour plus de 100 personnes, mais il n’y a plus d’eau ni de nourriture. A Jabalia, dans l’hôpital Al-Awda, on soigne tant bien que mal les blessés. L’ordre d’évacuation donné par l’armée israélienne est synonyme de mort pour eux.
Et pourtant, les médias occidentaux ne parlent que des victimes israéliennes ou des Français morts là-bas. Pendant un court instant, les civils d’une société coloniale, Israël, ont connu l’horreur de ce qu’est une guerre. Les Palestiniens vivent ça depuis des décennies. Amnesty International dit que le Hamas a commis des crimes de guerre. Je les crois, mais quand ils expliquent qu’Israël est un Etat d’apartheid, là, les médias s’insurgent. Quand l’armée israélienne affirme que des «bébés ont été décapités», les démentis de CNN n’ont plus d’effet. Le ministre israélien Yoav Galant affirme que les Palestiniens sont des «animaux humains» et quelque chose qui ressemble de plus en plus à un génocide peut commencer.
Pour les dirigeants israéliens, les Palestiniens sont des terroristes. Qui a expulsé tout un peuple en 1948 ? Qui occupe illégalement la Cisjordanie ? Qui a transformé Gaza en une cage bouclée par terre, par air et par mer depuis 17 ans ? Tant que ce colonialisme écrasera la Palestine, Israël ne sera pas en sécurité.
Quelle lecture faites-vous de l’attaque d’envergure menée par les résistants palestiniens, une première depuis la guerre d’octobre en 1973 ?
J’étais au Caire le 7 octobre avec un petit groupe. Nous avions l’autorisation française d’aller à Gaza, il nous manquait l’autorisation égyptienne. Des Palestiniens étaient avec nous. Tout le monde a été surpris par l’attaque du 7 octobre. Gaza est une société très pluraliste, où on entend souvent des critiques extrêmement vives contre les deux gouvernements palestiniens rivaux. Cette attaque – survenue le lendemain du 50e anniversaire de l’attaque égyptienne sur le canal de Suez qui est jour férié en Egypte –, a été perçue avec soulagement à Gaza. Enfin les Palestiniens cessaient de subir. Le droit international dit que, en cas d’occupation et d’oppression, un peuple a le droit de résister, y compris par la lutte armée. Vous le savez bien en Algérie. Enfin, face au rouleau compresseur colonial, face au silence et à la complicité des dirigeants occidentaux et de la plupart des dirigeants arabes, les combattants de Gaza disaient «ça suffit !».
Je suis juif. Mes parents ont été des résistants au nazisme. Mon père, déporté à Buchenwald, a été un des très rares survivants du groupe Manouchian, aujourd’hui célébré en France. Peu avant sa mort, il m’avait dit : «Nous savions que, si nous combattions, nous étions condamnés à mort, et si nous ne combattions pas, nous étions aussi condamnés à mort. Alors nous avons choisi de combattre.» C’est l’état d’esprit des Gazaouis.
Israël a-t-il été surpris par l’offensive du Hamas ou a-t-il, comme le disent certains, laissé faire pour justifier une invasion terrestre et une occupation de Gaza ?
La version que j’ai eue de l’attaque du 7 octobre est la suivante : très peu de gens étaient au courant. Le Hamas a tiré les leçons d’échecs passés. Les téléphones, surveillés, n’ont pas servi. Il y a des «espions» à Gaza. On ne devient pas espion par vocation. Un pêcheur, capturé par les Israéliens et emmené à Ashdod, nous avait expliqué ce que les services israéliens lui avaient dit : «Tu sais, ta mère a un cancer et il n’y a pas de médicaments anticancéreux à Gaza, mais si tu travailles pour nous, on pourra la soigner.»
Cette fois-ci, ça n’a pas marché. Des hackers ont neutralisé pendant quelques heures toute l’informatique de l’armée israélienne. Les avions n’ont pas pu décoller. Les combattants palestiniens ont pu assez facilement détruire la barrière de haute technologie. Ils ont été surpris de rencontrer très peu de résistance. Certains ont pénétré assez profondément en Israël.
La réalité est-elle plus compliquée ? Je ne sais pas. Par contre, clairement, ce qui est à l’œuvre à présent, c’est une nouvelle Nakba [exode palestinien de 1948, ndlr].
Comment voyez-vous la suite des événements ? Allons-nous vers l’escalade ou les deux parties l’éviteront-elle dans les jours à venir, selon vous ?
Si le monde occidental et le monde arabe ne signifient pas clairement à Israël qu’il doit immédiatement arrêter son offensive, on va vers un massacre terrible et des centaines de milliers de Gazaouis qui auront survécu vont se retrouver sous des tentes dans le Sinaï. L’extrême-droite suprémaciste qui dirige Israël se moque des vies humaines, y compris de celles des Israéliens emmenés à Gaza. L’histoire a montré récemment, en Libye ou en Irak, que quand on laisse une société être détruite, les catastrophes s’enchaînent. Les Palestiniens n’ont qu’une seule revendication : que le droit international leur soit appliqué. Ils sont aujourd’hui en danger de mort, comme société. Et l’histoire a montré, prenons l’exemple des peuples autochtones d’Amérique ou d’Australie, qu’une société peut être détruite.
Comment jugez-vous l’alignement zélé de l’Occident sur les thèses israéliennes ?
Certains pensent que cet alignement vient d’un sentiment de culpabilité vis-à-vis des juifs. C’est faux. S’il est incontestable que l’Europe est coupable de siècles d’antijudaïsme chrétien et d’antisémitisme racial qui ont mené au génocide nazi, ça n’a rien à voir avec le soutien à Israël. D’ailleurs, l’idéologie des dirigeants israéliens actuels est plus proche de celle de ceux qui ont réalisé le génocide que de ceux qui l’ont subi – dont ma propre famille.
Non, l’Occident soutient Israël parce que c’est leur Etat. C’est un exemple de reconquête coloniale, c’est un morceau d’Occident installé au Proche-Orient. C’est devenu un laboratoire des technologies de pointe, de la surveillance et de l’enfermement des populations réputées dangereuses. C’est l’endroit où les armées et les polices du monde entier viennent «se former». Israël est indispensable pour dominer et vassaliser la région.
Mais vous ne m’interrogez pas sur les dirigeants du monde arabe. Comme juif français, je me permets de dire que la complicité de ceux qui ont établi des relations avec Israël en laissant le peuple palestinien se faire massacrer est une honte absolue.
Nelson Mandela disait que l’Afrique du Sud ne serait pas libre tant que la Palestine ne le serait pas. Le monde arabe serait-il amnésique ?
Ces deux complicités – l’Occident et la majorité du monde arabe – et des décennies d’impunité d’Israël expliquent le massacre en cours.
Les Etats-Unis ont envoyé un porte-avions vers l’est de la Méditerranée. Jusqu’où ira Washington dans son appui politique et logistique au régime de Tel-Aviv, d’après vous ?
Le soutien absolu des Etats-Unis pour Israël – et l’Egypte, ainsi vassalisée – est une question stratégique : tenir cette région du monde. Trump ou Biden, c’est pareil, ils veulent faire disparaître la Palestine et permettre expulsion et annexion. Il ne faut pas croire que c’est pour répondre à une demande des juifs des Etats-Unis – 40% des juifs du monde entier. Aux Etats-Unis, de nombreux juifs pensent qu’Israël est un Etat d’apartheid. Mais le lobby sioniste est extrêmement puissant et il est animé par des chrétiens évangélistes très puissants. Et antisémites.
Si d’aventure nous utilisions le mot «résistants» en France pour décrire les combattants palestiniens, nous serions passibles de prison. Comment expliquez-vous cette frilosité du pouvoir français ?
Il y a bien longtemps en France que les libertés fondamentales – manifester, faire grève, etc. – sont menacées. Et bien longtemps que la parole raciste s’est libérée comme aux pires heures de notre histoire.
Il est symptomatique de voir que, sur la Palestine, un pas supplémentaire est franchi. Fini les positions «équilibrées» de De Gaulle ou Chirac.
Nos dirigeants ont entrepris de criminaliser l’antisionisme, d’interdire les réunions ou les manifestations de soutien à la Palestine.
Les télévisions et la plupart des médias ne donnent qu’un seul point de vue. Même des mairies de gauche se plient au discours ambiant : Palestine = terrorisme.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui interdit les manifestations, est un drôle de défenseur des juifs. Son livre sur Napoléon reprend des stéréotypes sur les juifs usuriers qui veulent dominer le monde.
Et, à Strasbourg, des membres de mon association, l’Union juive française pour la paix, sont arrêtés parce qu’ils manifestent pour la Palestine. Le monde à l’envers.
Des rabbins comme David Weiser et des penseurs juifs prédisent une fin proche d’Israël. Qu’en pensez-vous ?
Mon association, l’UJFP, est antisioniste. Nous pensons que le sionisme est un crime contre les Palestiniens. Pour les juifs, c’est une insulte à leur mémoire, à leur histoire, à leurs identités.
Historiquement, jusqu’à la guerre de 1967, les juifs religieux étaient étrangers ou hostiles au sionisme, parce que la religion n’avait aucun aspect territorial. C’est une religion messianique.
Quant aux juifs laïques – dont je suis –, ils estimaient que leur émancipation comme minorité opprimée passait par celle de l’humanité.
On essaie de masquer cette opposition juive au sionisme qui existe aussi en Israël.
Je ne sais pas prédire l’avenir. Je fais un parallèle entre les dirigeants israéliens et l’OAS que vous avez bien connue. Elle a tué des milliers d’Algériens et elle est largement responsable de l’exode des Français et des juifs d’Algérie. Pour les Israéliens, la politique criminelle actuelle est une impasse.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Karim B.
octobre 14, 2023 - 11:26
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