En 1973, lors de la guerre du Kippour, Charles Enderlin était un jeune journaliste. Cinquante ans plus tard, le reporter aguerri, auteur de « Israël, l’agonie d’une démocratie », juge que les attaques du Hamas, ce samedi 7 octobre, sont « sans précédent » et constituent un « échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien ».
Plus de cinquante ans après la guerre du Kippour, lancée par l’Égypte et la Syrie, Israël a subi une série d’attaques de la part du Hamas, depuis la bande de Gaza. En 1973, Charles Enderlin, jeune journaliste franco-israélien, avait été mobilisé quelques semaines après. Aujourd’hui, ce « témoin engagé », auteur de nombreux livres sur le conflit au Moyen-Orient, dont le plus récent est Israël, l’agonie d’une démocratie (collection « Libelle », éditions du Seuil), juge que nous assistons à un « échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien » après cette attaque « sans précédent ».
Mediapart : Qu’est-ce que les événements d’aujourd’hui ont d’inédit ?
Charles Enderlin : C’est sans précédent. Jeune journaliste à Jérusalem lors de la guerre d’octobre 1973, je me suis retrouvé mobilisé quelques semaines plus tard. À l’époque, aucun bombardement n’a eu lieu sur le territoire israélien, aucun civil israélien n’est mort. C’est la première fois que l’on voit des commandos occuper une partie du territoire israélien, rentrer dans les maisons, attaquer. C’est aussi un échec colossal du renseignement et de la conception israélienne de sécurité et de défense.
Comment expliquer cette faillite sécuritaire ?
Il y aura sûrement une commission d’enquête après, mais on peut souligner que c’est encore une fois l’hubris, la croyance de tout connaître et tout maîtriser. Il y a quelques jours, on nous expliquait que la technologie numérique israélienne était toute-puissante, que ses applications rentraient dans tous les téléphones du monde. Eh bien, elles ne sont pas rentrées dans les téléphones et dans les endroits où le Hamas a préparé cette opération sans précédent.
Pour Nétanyahou, qui met en avant la sécurité des Israéliens, c’est un échec...
C’est un échec de l’ensemble du système sécuritaire et de défense israélien, un échec de la conception israélienne de l’affaire palestinienne. En 2005, Ariel Sharon a retiré les colonies de Gaza avec l’idée de laisser Gaza au Hamas et d’annexer au fur et à mesure une partie de la Cisjordanie. Les gouvernements suivants et depuis 12 ans, ceux de Benyamin Nétanyahou, de Naftali Bennett et de Yaïr Lapid, ont autorisé le financement du Hamas, n’ont jamais procédé à une grande opération à Gaza ou tué leurs dirigeants.
Puisque le Hamas refusant tout type d’accord avec Israël, cela permettait de bloquer le processus de paix, tout en gardant Mahmoud Abbas [le président de l'État palestinien – ndlr] à Ramallah, en Cisjordanie. Mahmoud Abbas qu’avant-hier encore les Israéliens appelaient le maire de Ramallah. La vision israélienne de gestion du statu quo vient complètement de s’effondrer. Où ça va ? On verra. Là-dessus se greffe le problème de la démocratie.
Cela intervient aussi à un moment de fragilité démocratique, après des mois de manifestations contre la réforme affaiblissant la justice voulue par le gouvernement...
Absolument. Cela dit, à l’heure actuelle, les Israéliens sont unis, les manifestations sont arrêtées. L’opposition dans son ensemble soutient l’armée. Car il y a des dizaines et des dizaines de morts. Les réservistes de l’armée rejoignent leurs unités, avec d’ailleurs un problème fondamental : on leur a dit d’aller à la gare pour rejoindre leurs unités. Problème, les trains ne roulent pas pendant le Shabbat [du vendredi soir au samedi soir – ndlr]. Ils attendent dans les gares et il n’y a pas de train. C’est hallucinant.
Comment voyez-vous la suite ? Vous pensez que cela peut provoquer un débat politique ?
Les comptes seront réglés avec ce gouvernement ultranationaliste, fondamentaliste, orthodoxe, messianique, quand la crise sera terminée, quand il n’y aura plus de combats, quand le calme sera revenu. Les fondamentalistes orthodoxes veulent conserver et défendre l’autonomie de leurs communautés, en empêchant le service militaire pour leurs jeunes tout en ayant le financement par l’État de leur système d’éducation. Et en payant très peu d’impôts.
Aujourd’hui, les jeunes des écoles talmudiques ne font pas l’armée et ils disposent d’une bourse supérieure à la solde des soldats qui risquent leur peau. C’est un problème fondamental de société, une situation de discrimination. Quelque chose va sortir de tout ça, nécessairement.
Est-ce que Nétanyahou peut utiliser l’union nationale pour se dédouaner de ses échecs ?
Pour l’instant, il n’y a pas de gouvernement d’union nationale. Aucun ministre de l’opposition ne rentre au gouvernement. En revanche, nous voyons un gouvernement qui gère mal, très mal cette situation. On voit des Israéliens paniqués qui appellent au secours au téléphone. Parfois, il n’y a pas d’électricité. Il y a des combattants dans la rue, on ne sait pas si on peut sortir, les ambulances ne peuvent pas secourir les blessés parce qu’on se bat encore et que l’armée n’arrive pas.
Que peut-il se passer avec la question des otages ?
Je ne sais pas. On est dans l’inconnu. Les combats se poursuivent. Pour les Israéliens, le problème, c’est d’abord de reprendre le contrôle sur le terrain. Des vidéos atroces circulent. On est dans une période active de guerre, ce qui rend difficile de parler de la suite. Est-ce qu’à la frontière nord, le Hezbollah va rester calme ? Peut-être. À ce moment-là, on est sur plusieurs fronts. Dans tous les cas, l’armée mobilise.
Que faudrait-il ? Un nouvel esprit d’Oslo où l’on pensait la paix possible ?
Tout dépend d’où, comment va se terminer cette guerre. Que va-t-il se passer politiquement, socialement en Israël, est-ce que le gouvernement va tomber ? Où va mener la colère des citoyens ? Faire des projections me paraît difficile. Le Hamas vient de démontrer qu’il ne veut pas se contenter de gérer Gaza, mais se pose en défenseur des Palestiniens. Je rappelle que c’est une organisation islamique qui est opposée à l’existence d’Israël en terre d’Islam, alors que les messianiques israéliens et les nationalistes ne veulent pas d’un État palestinien en terre d’Israël.
François Bougon
7 octobre 2023 à 18h57
https://www.mediapart.fr/journal/international/071023/c-est-la-premiere-fois-que-des-commandos-occupent-une-partie-du-territoire-israelien
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