L’abaya, longue robe ample traditionnelle, est interdite depuis lundi 4 septembre dans les établissements scolaires en France. Habit traditionnel des Bédouins, l’abaya se teinte de religieux après que la police saoudienne l’impose, de couleur noire, pour les femmes. À partir des années 2000, elle est revisitée comme accessoire de mode.
Ce lundi 4 septembre a eu lieu la première rentrée scolaire française sans abaya, cette longue robe ample dont l’interdiction a été annoncée la semaine dernière par le ministère de l’éducation nationale au nom de la laïcité.
Du sable et du soleil
L’abaya, « un manteau ample constitué d’une seule pièce » (1), est d’abord un vêtement traditionnel qui serait né en Mésopotamie il y a quatre millénaires, avec pour objectif de se protéger du soleil et du sable dans le désert. Il s’agit alors d’une large toile en coton ou en laine dont on s’enveloppe le corps, ne laissant dépasser que le visage, les mains et les pieds.
Dans son Dictionnaire détaillé des noms de vêtements chez les Arabes, publié en 1845, l’orientaliste néerlandais Reinhart Dozy y voit « l’habit caractéristique des Bédouins d’à peu près tous les temps ». Chaque tribu a alors une abaya distinctive, par sa coupe, sa matière ou ses broderies.
Un symbole islamique
L’abaya se popularise et devient un symbole de l’identité arabe et musulmane, alors que le Moyen-Orient, et notamment le Golfe, est en proie à un retour du religieux, à la suite de la défaite des armées arabes face à Israël en 1967. Si le port de l’abaya n’est pas recommandé dans le Coran, la sourate Al-Ahzab incite à la pudeur pour les femmes : « Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles. »
Après la prise d’otages à La Mecque par des rebelles fondamentalistes en 1979 et dans un contexte de compétition avec la jeune République islamique d’Iran, le roi Khaled Ben Abdelaziz Al Saoud veut donner des gages aux tenants d’une approche rigoriste de l’islam. « Voyant des mouvements de contestation émerger, le régime étend l’emprise du religieux sur la société afin de renforcer le contrôle social », explique Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po. Le roi accroît les prérogatives de la police religieuse. Cette dernière fait alors respecter le port de l’abaya de couleur noire pour les femmes, qui devient de facto la norme.
Cette obligation est précisée en 2000 dans une fatwa, un avis non contraignant, du Comité permanent saoudien pour la recherche scientifique et l’orientation, l’autorité religieuse du royaume. L’abaya « licite » doit être « d’un tissu épais, non collant et entièrement couvrant », « l’ouverture de ses manches doit être étroite » et « elle ne doit comporter aucun ornement susceptible d’attirer les regards et être exempte de dessins, de décorations ou d’écritures ». Surtout, « elle ne doit pas ressembler à la tenue des infidèles, femmes ou hommes ».
« Dans un pays où le droit n’est pas codifié, c’est la police religieuse qui fait appliquer les fatwas prononcées par les grands oulémas et les transforme en contraintes », détaille Stéphane Lacroix.
La mode « mastour »
La fatwa n’empêche pas les mutations de ce vêtement et même sa transformation en accessoire de mode, loin des critères stricts du wahhabisme. En 2007 est créée la première abaya sportive, au tissu plus élastique et aux tons pastel pour supporter les fortes chaleurs.
À la même époque, l’abaya est revisitée par des designers arabes ou internationaux, qui surfent sur l’émergence de la mode mastour (« cachée ») ou modest fashion, qui fait de la modestie et de la pudeur ses maîtres mots.
Plusieurs marques de prêt-à-porter telles qu’Uniqlo, H & M ou Mango lancent des lignes d’abayas pour s’emparer du marché du vêtement féminin dans la péninsule arabique. La haute couture n’est pas en reste. Dolce & Gabbana sort en 2016 une collection de hijabs et d’abayas cintrées, colorées, à motifs. Le style l’emporte sur la piété.
La chercheuse Noor Al Qasimi expliquait, dès 2010, au Journal of Middle East Women’s Studies que « le phénomène de mode de l’abaya va à l’encontre de sa signification première sans toutefois entraver complètement l’ordre hégémonique du patriarcat islamique. Elle constitue ainsi une forme de résistance passive ».
Dans le même temps, l’Arabie saoudite s’ouvre un peu sur la condition féminine, sous l’impulsion du prince héritier Mohammed Ben Salmane. Ce dernier va jusqu’à déclarer, en 2018, que le port de l’abaya n’est pas obligatoire. « Il appartient aux femmes de décider du type de vêtements décents et respectueux à porter», estime-t-il. Celui que l’on nomme « MBS » ne modifie certes pas la loi, mais met au placard la police religieuse, relâchant la contrainte sur le port de l’abaya noire.
https://www.la-croix.com/Religion/Petite-histoire-labaya-entre-habit-traditionnel-symbole-religieux-mode-pudique-2023-09-05-1201281396
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