Davide Faranda est climatologue à l’institut Pierre-Simon-Laplace. Spécialiste des événements extrêmes et de leur lien avec les changements climatiques, il analyse le « medicane » – contraction de « mediterranean » (« méditerranéen ») et de « hurricane » (« ouragan »), un cyclone subtropical méditerranéen très violent qui a traversé l’est de la Libye, provoquant des milliers de morts.
Que s’est-il passé au niveau météorologique au-dessus de la Libye ?
La Libye a subi de plein fouet les impacts d’un Tropical Like Cyclone (TLC), une structure dépressionnaire verticale alimentée par l’énergie d’une mer très chaude. Il s’agit de la continuité du cyclone Daniel qu’ont connu la Grèce, la Turquie et la Bulgarie la semaine dernière. Il ne s’était pas épuisé. D’habitude, ce genre de phénomènes est évacué vers l’est. Là, à cause du blocage en oméga [un anticyclone avec deux zones de basse pression accolées, formant les « pattes » de la lettre grecque oméga] qui a provoqué les fortes chaleurs en France il y a plusieurs jours, il est d’abord resté longtemps sur la Grèce, ce qui explique le niveau des précipitations pendant de longues heures. Puis, il est resté statique en mer, entre la Sicile et la Grèce. Les pluies y ont été très violentes. Les courants atmosphériques l’ont ensuite entraîné vers les côtes libyennes, où il a aussi été attiré par les températures très élevées de la mer.
Comment expliquer de telles précipitations ? En Grèce, il y a eu jusqu’à 750 millimètres en dix-huit heures…
Comme les vents d’altitude ne l’emportaient pas, il est resté actif très longtemps au-dessus de certaines zones. Et sa puissance vient de la température de la mer, très élevée. La moyenne de la Méditerranée était de 28 °C cet été. Dans cette atmosphère réchauffée depuis des semaines et rendue très humide à cause de l’évaporation de la Méditerranée, le cyclone se recharge au fur et à mesure. Il arrive sur les côtes libyennes bourré d’énergie. Ces fortes précipitations se déversent sur des sols désertiques encore plus asséchés par des mois de fortes chaleurs. Cela crée des ruissellements. A la fin de la saison, les cours d’eau sont aussi encombrés de déchets naturels ou humains qui empêchent le bon écoulement et favorisent les débordements. On a déjà vu ça en Sicile.
Que va-t-il devenir maintenant ?
Il va finir sa course sur l’est de la Méditerranée. Le blocage en oméga est en train de disparaître avec la perturbation qui va arriver en Méditerranée. Il ne va plus parvenir à garder sa structure verticale et il va se déchirer. Il va s’évanouir sur les côtes d’Israël.
Ce phénomène est-il renforcé par le réchauffement climatique ?
Oui. Le réchauffement ne le rend pas plus probable, mais ses conséquences sont plus intenses. Avec mes confrères, nous avons étudié un tel phénomène en 2021 près de Syracuse, en Sicile. Nous avons aussi regardé de près ce qu’il s’est passé la semaine dernière en Grèce. A cause des changements climatiques, l’atmosphère est réchauffée et la Méditerranée a connu des anomalies très importantes cet été. Près des côtes libyennes, la température de la mer est trois à quatre degrés plus élevée par rapport aux normales. Cela renforce l’évaporation, mais aussi les températures de l’air près de la surface et, donc, le différentiel avec les températures d’altitude.
Quelles sont les conséquences ?
Tout cela augmente l’énergie disponible pour le cyclone, avec des énormes orages près du cœur. Nous estimons que cela provoque 10 % à 20 % de précipitations en plus par rapport aux mêmes phénomènes dans un climat préindustriel. Nous n’en sommes qu’au début et cela peut s’aggraver dans les années à venir. Ce cyclone est en fait normal dans un climat réchauffé de trois à quatre degrés.
Certaines zones sont-elles plus menacées dans les années à venir ?
Ce genre de cyclones trouve sa source loin des villes, au-dessus de la mer, lorsque les conditions sont favorables avec ce différentiel de températures. On peut par exemple en trouver, de la même taille et de la même intensité qu’un « Medicane », près du pôle Nord, quand le courant du Labrador est situé en dessous d’un air troposphérique très froid. En Méditerranée, ils se forment souvent près des îles Baléares, du golfe de Gênes, ou entre la Tunisie et la Sicile, quand on a du vent du sud-ouest. Daniel est d’un troisième type. Il s’est créé à cause d’un air froid qui rentre par les Balkans. Après, [la] trajectoire [de ces cyclones] dépend des courants atmosphériques.
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