Dans son nouveau recueil de poèmes en prose, Natakhallass memma noheb, Emad Ghazali creuse dans une écriture plus réaliste, consciente qu’il n’existe pas de paradis sur terre, et associe l’image de la vérité à celle d’« un enfant à plusieurs têtes ».
Ceux qui ont vécu la mort
N’ont jamais pensé à l’enregistrer.
Ceux dont les coeurs ont bougé, en une vitesse vertigineuse,
Ne sont jamais revenus
De la vie.
Elle s’allonge, s’étend sur le ventre, nue près de toi,
Si l’idée de la toucher te frôle
Le corps prend forme et se multiplie spontanément.
Elle redevient une enfant, elle grandit et mûrit
Comme si le temps, à tes yeux seulement, filait à la vitesse
De la lumière.
Elle se divise en une femme et une enfant
Qui tombent dans les bras, l’une de l’autre, se retournent.
En tentant de regarder chaque détail
On peut lire sur le visage
La vérité entière révélée, prenant la forme d’un enfant à plusieurs têtes,
Qui te regardent avec les traits d’une femme enfant
Pendant que la femme garde une seule tête qui t’épie
Son visage a les traits d’une femme qui n’a pas eu une enfance.
Je vis l’écriture comme si c’était la vie.
Je vis la vie,
Comme si c’était une traversée rapide.
Je vis la mort,
Comme si c’était un oeil de poisson.
Cette femme épuise mon coeur,
Plus elle est fine et tendre, plus elle fatigue mon coeur.
Pour une raison cachée
Pour une raison que je ne nomme pas
Pour une raison qui n’existe peut-être pas.
Il se frappe la tête,
Il trace quelques mots,
Il s’extasie.
Ce n’est pas moi.
C’est l’homme talentueux,
Les images tombent sur lui,
Comme des vipères colorées,
Elles s’entortillent et s’enchevêtrent et on n’en voit pas les deux bouts,
Elles l’emportent en trottant et il est comme captivé,
Il est pris et laisse de nouveau son empreinte.
Ce n’est pas moi.
A mi-chemin, de la pérennité à l’éternité,
Je suis né.
Non pas comme les milliers qui naissent, attaché à une branche,
A une distance immémoriale du passé
A une très haute distance de l’avenir,
Mon ami m’a dit: Tu n’es pas perdu.
Je répondais: Et cet arbre?
J’hésitais entre le sens du chemin de mes pas
Et l’impatience de mes bras.
Mais je le croyais,
Et je contenais tout l’univers.
Toi, tu dors pour dormir,
Mais moi je cours vers la rencontre de mes secrets
Vers des souris qui ne cessent de bouger
Autour de l’embrasure de la fenêtre
De la vieille maison familiale
Où s’arrête le cadre de l’image,
Et quelqu’un me jette une souris éventrée.
Vers le centre dont les villes sont ramifiées
Les mêmes rues dans chaque ville
Les boutiques et les lieux de culte
Les cafés, les marchands de fruits et les bars
Seuls les panneaux m’avertissent pour distinguer la langue de mon peuple
De la langue de l’envahisseur
Et ce n’est pas tout
Je fais attention aussi aux monnaies peu franches dans ma main,
Je cours vers le bus en cherchant
La place Ataba,
En fuyant les aéroports,
Lassé des hôtels où se sont déplacées
Les files d’attente pour le pain.
Mais la place ne se trouvait pas là-bas,
C’était loin, très loin.
Et ainsi de suite.
Je vais tout le temps esquiver l’idée
Que je suis seul
Rien ne peut répertorier mon existence,
Avec la frénésie des questions,
Echauffé à l’approche de la fin.
Je ne suis pas revenu, par le passé,
A cette question difficile à résoudre
Je veux dire l’habitude
Mes habitudes n’étaient pas toutes mauvaises
Et n’étaient pas toutes secrètes.
Je gardais ma porte close
Et je tenais seulement le stylo.
Avec cette première habitude toutes mes autres habitudes sont nées,
Le rêve de voler, la haine du pouvoir,
Epier le déhanchement des femmes,
L’écriture quand je m’ennuie
De la constance des saisons,
Fumer seul assis au café,
Attendre longtemps avant l’instant de passer au sommeil,
Distinguer des vers au mètre long avec un soin extrême, et cetera.
Mon problème c’était de perdre rapidement chaque plaisir
A peine j’avais acquis une habitude
L’étonnement qui l’accompagne se dissipait lentement,
Je me retrouvais poussé à chercher de nouveau
Sans la moindre énergie nécessaire à ma libération
D’une seule vieille habitude.
Ma nouvelle habitude rejoint ses soeurs
Les espaces rétrécissent avec le temps,
Je me suis dispersé alors
Je suis devenu une proie sans merci
Et sans douleur
Car je me suis probablement habitué aux contrastes
Les préceptes et le désordre, être effronté ou sublime, la connaissance
Et la certitude
Le stylo et la page blanche
La compassion et la cruauté,
Et ainsi de suite.
J’aurai la nostalgie de plusieurs choses
Le ciel, fâché du conflit de la nuit et du jour,
Le jour avec un sombre nuage chargé de secrets
Vers la terre ferme
Sur laquelle les murs ne sont pas sur le point de s’écrouler.
Parfois, l’amour voué à un autre être humain devient comme un credo
Et c’est alors que, à l’aveuglette, nous sommes menés à l’abattoir.
J’ai dit à la gloire: qu’elle périsse!
Il vaut mieux un instant de plaisir évanescent qui dure
Car au moins ça éternise chaque individu, en son enfer.
Tout poète naît avec ses murs autour de lui.
Dis-moi: Comment rendre un mur moins épais ?
Tout ce qui t’est arrivé est arrivé alors que tu n’en étais pas conscient
Comme dans un rêve
Et ce qui se déroule en rêve on ne peut lui faire confiance.
Le regard s’éteint par la familiarité
Et plusieurs sons rendent l’oreille familière
La main reproduit le toucher
Et le coeur est le centre des battements qui s’inventent intimement
Sans jamais se ressembler
Et qui nous manquent quand ils passent une seule fois,
Le nez analyse les odeurs, qu’elles soient bonnes ou stupides
Et il secrète une morve stupide.
Le cerveau pompe les vérités et les imaginations
Celles qui étaient et celles qui seront
Et celles qui existent entre les deux.
La langue engendre le langage
Et consomme les appâts
Et nourrit l’odorat et l’intellect
Et les battements entre deux.
La question du paradis qui est si difficile à résoudre
Ne consiste pas en « ce qu’aucun oeil n’a vu et aucune oreille n’a entendu »
Il faudrait plutôt redonner les bonnes bases aux sens.
Et si nous t’avons sauvé de l’éternité
Et nous avons écrit pour toi la mort, par notre sagesse,
C’est pour que tu puisses t’élever.
Emad Ghazali
Il est né au Caire en 1962. Après un diplôme d’ingénierie en 1989 de l’Université de Aïn-Chams, il obtient un diplôme d’études théâtrales de la faculté des lettres de la même université en 1992. Parallèlement à son travail, il a très tôt commencé l’écriture, s’attachant tout d’abord au poème libre puis au poème en prose. Son recueil de poèmes en prose, Al-Makan bi khefa est sa 6e production aux éditions Al-Dar en 2008 et au GEBO en 2009. Il a déjà publié 9 recueils de poèmes, dont Oghniya oula (première chanson) en 1990, Fadaät okhra lil-taër al-dalil (d’autres espaces pour l’oiseau désorienté) en 1999, Natakhallass memma noheb (esquiver ce qu’on aime) en 2013. Il a reçu le prix Soad Al-Sabbah du poème en 1990, celui de la créativité du nom d’Ahmad Bahaeddine en 1999, et le Prix de l’encouragement de l’Etat en 2000.
https://hebdo.ahram.org.eg/News/5917.aspx
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