Plus de 6 068 feux se sont déclarés au Canada depuis début le début de la saison. 1 063 sont encore actifs, dont 686 jugés hors de contrôle. Au total la barre des 16 millions d’hectares brûlés vient d’être franchie. La province du Québec a été la plus durement touchée, dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.
Le long de la route 117, qui file de Montréal vers le nord du Québec, le décor semble, à première vue, immuable. Des murs d’épinettes vert sombre, ce conifère qui peuple la forêt boréale canadienne, se dressent tels des sentinelles de chaque côté de la voie sur des centaines de kilomètres. Seule fantaisie dans ce spectacle statique, le mouvement des branches, agitées par la brise, des trembles et bouleaux, ces feuillus également présents dans la forêt primaire.
Mais, à la sortie du parc de La Vérendrye, la plus grande réserve forestière protégée de l’Abitibi-Témiscamingue, une région située dans l’ouest de la province de Québec, il suffit d’un détour de quelques kilomètres, parcourus sur un chemin forestier cahoteux, pour que surgisse un tout autre paysage. Où que le regard se porte, des monts et des vallons noircis et arasés, des épinettes et des pins gris consumés comme des tiges d’allumette. Des troncs charbonneux gisent à terre. Des énormes blocs de granit rose ont été fracassés sous l’intensité de la chaleur. La blancheur des troncs de bouleaux, intacts, accroche la lumière du soleil de cette fin août : ils sont les seuls rescapés du brasier qui a ravagé la région dans les premiers jours de juin. Trois mois après le passage de l’incendie le plus intense jamais subi, bleuets, fougères, épilobes aux fleurs violettes et feuillus repoussent déjà dans le sol meuble.
Après l’Alberta à l’ouest du Canada début mai, les provinces atlantiques à l’est du pays quelques semaines plus tard et avant que les flammes ne s’emparent de la Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest – forçant encore, ces derniers jours, plusieurs dizaines de milliers de personnes à évacuer leurs habitations –, le Québec a lui aussi vécu une saison des feux hors du commun.
Chacun ici a conservé dans son smartphone les photos de cette saison en enfer – les flammes qui surgissent à l’arrière du chalet, la fumée, « la boucane » dit-on dans la région, qui fait perdre tous les repères, le soleil transformé en disque opaque dans un ciel orange vif, les files de voitures fuyant les brasiers – et les messages affolés échangés avec les proches : « C’est l’apocalypse », écrit un homme à son épouse.
Depuis le mois de mai, 668 incendies ont ravagé plus de cinq millions d’hectares au Québec, soit près d’un tiers de la superficie brûlée à travers tout le Canada.
Les surfaces touchées sont à l’échelle de l’immensité du pays, démesurées. Dans le Grand Nord, le plus grand feu jamais répertorié dans la province, de plus de un million d’hectares, était toujours sous observation fin août. Il a démarré le 27 mai. Mais, exceptionnellement, cette année, les flammes n’ont pas seulement sévi au-delà de la « limite nordique » du territoire, au nord du 50e parallèle, là où la forêt boréale est régulièrement en proie à des feux estivaux. Elles se sont aussi attaquées aux zones dites « de protection intensive », où sont installés de nombreux villages et où la forêt est exploitée par les hommes. C’est 1,5 million d’hectares qui sont partis en fumée sur ces terres habitées, cent fois plus que la moyenne annuelle de ces dix dernières années.
Poissons asphyxiés
Durant cette saison infernale, l’Abitibi-Témiscamingue a été la région la plus durement touchée au sud de la limite nordique. Le brasier le plus important, le feu « 344 » selon la terminologie de la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) du Québec, qui attribue à chacun des foyers un numéro, a rasé à lui seul plus de 500 000 hectares – près de cinquante fois la superficie d’une ville comme Paris. Trois mois après s’être déclaré, le « 344 » menace toujours : il est considéré comme maîtrisé, mais pas officiellement éteint. A l’affût de la moindre fumerolle, des hélicoptères survolent la zone sans relâche.
Sur les rives du lac Matchi-Manitou, l’auberge du même nom organisait il y a quelques semaines encore des séjours de pêche pour les amateurs de doré, ce poisson à la chair goûteuse. En quelques heures, le 1er juin, le feu 344 a transformé ses huit chalets en tas de cendres. Le verre des fenêtres a fondu sous la chaleur du brasier, les chaises en métal se sont entortillées sur elles-mêmes. Au milieu d’un amas de charbon, un service d’assiettes en faïence reste miraculeusement intact. Des résidus noirs obscurcissent l’eau, qui vient lécher la plage de sable blanc, désormais désertée.
Le feu, photographié par Eric Paquet, le 1er juin 2023.
A une vingtaine de kilomètres au nord-ouest, Eric Paquet, propriétaire de la pourvoirie (le nom des auberges de pêche et de chasse au Québec) du lac Guéguen, a vu ce jour-là le ciel virer au rouge et la fumée envahir l’air. « Mon urgence, dès qu’on a reçu l’ordre d’évacuation de la sécurité civile, a été d’aller rechercher les pêcheurs partis sur le lac, inconscients du danger, car ils préfèrent éteindre leur portable pour jouir de leur tranquillité. » Lors de son expédition de secours, Eric Paquet voit flotter à la surface de l’eau, « rendue plus chaude qu’à Miami », les cadavres de poissons asphyxiés. Ce 1er juin, tous ses clients ont été ramenés à bon port, et ses chalets ont échappé aux flammes. Mais après avoir survécu à l’absence de touristes pendant la pandémie de Covid-19, le quinquagénaire, qui a investi 1 million de dollars dans cette auberge en vue d’assurer sa retraite, voit une nouvelle fois sa saison estivale réduite à néant. « Va-t-on revivre des feux de cette intensité ? Oui, c’est écrit. Entre nos hivers de moins en moins rigoureux, et nos étés de plus en plus chauds et précoces, ajouté au phénomène El Niño que nous subissons actuellement, ça pourrait même arriver dès l’année prochaine. Mais où aller installer une nouvelle affaire quand le monde entier subit les mêmes tourments ? », s’interroge-t-il.
Dans la région, le feu 344 est surnommé le « feu de Quévillon », du nom de Lebel-sur-Quévillon, une localité de 2 160 habitants située à 650 kilomètres au nord de Montréal, qui s’est retrouvée au cœur du brasier. Guy Lafrenière, son maire, n’a nul besoin de consulter le petit calendrier posé derrière son bureau pour se souvenir, heure par heure, de ce qu’il a vécu trois mois auparavant. « Le vendredi 2 juin à 16 heures, la sécurité publique m’appelle pour me prévenir qu’un feu s’en vient sur la ville. Elle m’informe qu’il faudra peut-être envisager, sous quarante-huit heures, une évacuation. » Il s’affaire, appelle des bénévoles en renfort. Mais quarante minutes plus tard, nouveau coup de fil. Le ton a changé. « Vous avez trois heures pour partir, c’est un ordre. »
De sa mairie, Guy Lafrenière voit les flammes s’élever, à quatre kilomètres de sa bourgade. Un message d’alerte est lancé sur le groupe Facebook de la municipalité, un camion de pompiers sillonne les rues sirène hurlante, les élus font du porte-à-porte pour presser les habitants de se munir d’une simple valise avec du linge de rechange et de fuir. Dans les six autobus qui emmènent ceux qui n’ont pas de véhicule vers la ville de Senneterre, à une petite centaine de kilomètres au sud, qui va accueillir les réfugiés trente et un jours durant, des enfants pleurent. « C’était effrayant », reconnaît l’édile. Deux avions stationnés à l’aéroport embarquent une dizaine de patients dans les hôpitaux de la région. « A 21 heures, Lebel était une ville fantôme », se souvient-il. Le maire reste seul, avec deux membres de son cabinet et dix-sept pompiers municipaux volontaires, un maigre contingent pour faire face au feu qui approche. En bordure de la ville, l’usine de pâte à papier Nordic Kraft abrite des réservoirs de mazout et des wagons de chlore, prêts à exploser.
L’orage qui s’est déclaré la veille au soir a frappé depuis l’Ontario voisin tout le nord du Québec. Une ligne de foudre a allumé simultanément près de deux cents foyers. La région entière, qui sort d’un printemps inhabituellement chaud et sans eau – « 0,1 millimètre de pluie tombé entre avril et mai, nous n’avions jamais vécu cela », témoigne Guy Lafrenière –, s’enflamme tel un fétu de paille. Seuls les lacs, les cours d’eau et parfois les routes servent de « freins naturels » aux flammes qui se propagent. Le feu saute de cime en cime, projette à des kilomètres à la ronde des tisons incandescents, qui embrasent à leur tour les sols desséchés des forêts. Les ordres d’évacuation s’enchaînent. Au total, 25 000 personnes au Québec devront quitter leur résidence pour quelques heures ou plusieurs semaines.
Aldée Paré et Liliane Dion ont été évacués le 2 juin de leur pavillon, à Lebel-sur-Quévillon (Québec, Canada), le 24 août 2023.
Ce 2 juin, Aldé Paré et Liliane Dion, 81 ans tous les deux, ont abandonné leur dîner qui mijotait sur la gazinière, ils ont sauté dans leur caravane pour se réfugier chez leur fille Hélène, à Senneterre. De retour dans leur pavillon de briques rouges de Lebel-sur-Quévillon, Aldé, droit comme un « i » dans sa chemise violette, assure qu’il se trouve « chanceux » de n’avoir pas perdu sa maison. Mais deux « camps de chasse » du couple, ces petits chalets rudimentaires construits au bord de l’eau, où les Québécois aiment passer leur temps libre pour profiter de la pêche, de la chasse et du bois, sont « passés au feu ».
Les traumatismes laissés par les incendies tiennent parfois à une perte dérisoire. « Une table basse sur laquelle notre fille Geneviève avait laissé son empreinte de pied lorsqu’elle était petite s’est entièrement consumée. Ça peut paraître “niaiseux” mais c’est comme si toute ma vie était concentrée dans cette petite table ronde », s’étouffe Liliane, la voix brisée. « Depuis trois mois, j’ai le sentiment que le feu est entré dans mes poumons, je ne parviens plus à respirer. » Le feu, qui enflamme tous les souvenirs sur son passage, joue parfois des farces. Le chalet de leur fille Hélène Paré, pourtant au cœur de la fournaise, a été épargné. « On se dit que nos aïeux ont veillé sur lui », veut croire la volubile quinquagénaire.
Pas de victime
Malgré le caractère exceptionnel des incendies endurés au Québec cet été, aucune ville n’a été détruite dans la province, et aucune victime n’est à déplorer. Mais aucun feu n’a été éteint non plus par la seule action des pompiers. Marc Waltz, agent de protection de la Sopfeu, a été assigné au « 344 » dès son éclosion. Vingt-quatre jours de travail d’affilée, entrecoupés de nuits courtes et un constat à l’issue de cette épreuve : « Il nous a fallu revoir complètement notre façon d’appréhender le feu. Avec un brasier de 107 kilomètres de long et de 97 kilomètres de large, un périmètre de 2 000 kilomètres et des flammes de quinze mètres de hauteur au-delà des arbres, il était impossible de l’attaquer de front. Le feu est une bête en soi, imprévisible. Nous avons dû nous résoudre à nous mettre en mode défensif. »
Avec, à ses côtés, seulement vingt pompiers disponibles pour protéger Lebel-sur-Quévillon aux premiers jours de juin, quand des hommes étaient déjà déployés à l’est et à l’ouest du territoire autour d’autres localités également menacées, Marc Waltz n’a pu que superviser le défrichage de tranchées coupe-feu à l’aide de volontaires, et installer des systèmes d’arrosage autour de l’usine Nordic Kraft. « Cette usine, c’était mon Fort Alamo. Si elle sautait, toute la ville y passait, se souvient-il. La seule action possible était de ralentir le feu pour sauver des vies et les infrastructures essentielles. »
Marc Waltz, agent de protection, dans le bureau de la Sopfeu, à Val-d’Or (Québec, Canada), le 25 août 2023.
Une plante en fleur, près de trois mois après le passage du feu « 344 ». A droite, une tranchée coupe-feu. A Senneterre (Québec, Canada), le 24 août 2023. GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
Maîtriser les bordures du feu à défaut de l’éteindre, préserver les vies humaines, les pompiers de la Sopfeu estiment avoir accompli leur mission. « Mais ils n’ont pas protégé la forêt », s’insurge Guillaume Côté. Cet entrepreneur forestier de 28 ans a perdu dans le feu de Quévillon deux de ses machines, une abatteuse et un transporteur, ainsi que son « camion garage » avec tous ses outils. Deux millions de dollars (1,4 million d’euros) de pertes sèches, auxquels il faut ajouter le manque à gagner des huit semaines, à raison de 50 000 dollars de revenus hebdomadaires perdus, où il lui a été impossible de repartir « bûcher » dans les bois, tant que le feu était jugé « hors de contrôle » par les autorités. « J’ai ce métier dans le sang, mais je ne sais pas si je m’en relèverai », se désole-t-il, insatisfait de l’aide de 50 millions de dollars (34 millions d’euros) accordée aux entreprises sous forme de prêts remboursables, annoncée le 5 juillet par le gouvernement du Québec.
Renoncer aux lucratives épinettes noires
« Ce qui vient de se passer n’est pas qu’une anomalie, ça va forcément se reproduire. Le gouvernement doit en tirer les leçons, augmenter les effectifs de pompiers, mais aussi aider les entrepreneurs forestiers à survivre », poursuit M. Côté. Lors d’un déplacement le 25 août à Kelowna, en Colombie-Britannique, où un incendie toujours en cours a détruit plus de 200 habitations, le premier ministre, Justin Trudeau, n’a pas fermé la porte à l’idée de créer un service fédéral permanent de lutter contre les feux, pour pallier les ressources limitées des provinces aujourd’hui chargées de la protection des forêts. Sans pour autant proposer d’avancées concrètes.
En Abitibi-Témiscamingue, la destruction de la forêt boréale est vécue comme un traumatisme. Notamment parce que l’industrie forestière, forte de ses quelque 60 000 emplois directs et indirects, est, avec l’activité minière, l’un de ses principaux moteurs économiques de la région. Exploitée de façon intensive depuis le début du XIXe siècle, la forêt fait encore vivre des villes entières.
La priorité ici est moins de s’alarmer de ce puits de carbone qui a libéré dans l’atmosphère plus d’un milliard de tonnes de CO2 depuis début mai (pour l’ensemble des incendies canadiens) ou de s’inquiéter de la fragilisation des écosystèmes forestiers, que de souligner l’urgence à reprendre coupes, récoltes et sciages qui fournissent en bois de construction et en pâte à papier tout le continent nord-américain. « En quelques jours, les incendies ont réduit en cendre des milliers de mètres cubes de bois qui attendaient d’être récoltés », explique Patrick Garneau, directeur régional de Produits forestiers Résolu, l’une des plus grosses entreprises du secteur au Québec. La perte est néanmoins relative pour ce secteur industriel : quand il n’a pas été entièrement consumé, le bois brûlé ne l’est qu’en surface et reste exploitable une fois débarrassé de la suie.
Un chargement de bois brûlé, à l’usine Produits forestiers Résolu, à Senneterre (Québec, Canada), le 23 août 2023. Une fois nettoyé de la suie, ce bois reste exploitable.
Mais les acteurs de la filière bois sont engagés aujourd’hui dans une course contre la montre. Car à peine le feu étouffé, un autre danger guette déjà : le longicorne. Ce coléoptère à la carapace noire et aux longues antennes a profité du printemps pour pondre ses œufs entre le tronc et l’écorce du bois mort. Ses larves, affublées de puissantes mandibules, se nourrissent de la pulpe du bois en creusant des cavités dans les troncs. Depuis juin, la forêt de Quévillon est devenue un immense garde-manger à ciel ouvert pour ces insectes. Quand les abatteuses et excavatrices chargées de débarrasser la forêt de ses stigmates noirs font une pause, quand les énormes trucks de chargement, lourds de quinze tonnes de troncs calcinés, cessent leurs va-et-vient, Denis Dubé, superviseur chez Produits forestiers Résolu, invite à tendre l’oreille. La forêt résonne du « scrouic scrouic » des larves voraces. Pour l’industrie forestière, les trous qu’elles laissent derrière elles font baisser la valeur commerciale des produits. « Nous nous donnons jusqu’à la fin du printemps pour récolter ce bois brûlé, avant d’aller de l’avant en reprenant nos coupes de bois vert », déclare, optimiste, Patrick Garneau.
Denis Dubé, superviseur chez Produits forestiers Résolu, montre un longicorne et les dommages causés sur le bois par les larves de cet insecte, dans la forêt brûlée par le feu « 344 », à Senneterre (Québec, Canada), le 24 août 2023.
Repartir comme avant, vraiment ? En replantant des conifères, alors que ce sont les feuillus qui ont le mieux résisté au feu, qui ont servi de pare-feu efficaces à certaines habitations, et que leurs repousses sont déjà visibles dans les parcelles dévastées ? Le débat sur la régénération de la forêt boréale couve à bas bruit, dans cette région frappée de stupeur par la catastrophe d’ampleur inégalée qu’elle vient de vivre, mais qui ne remet pas en cause sa dépendance au commerce du bois.
Le forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, un ancien dirigeant d’entreprise forestière, doit réviser d’ici quelques semaines, à l’intention du gouvernement du Québec, ses recommandations sur les futurs volumes de bois pouvant être récoltés sans accroître la déforestation. Nul ne sait comment il prendra en compte l’année 2023 : comme une année « accidentelle » au vu de l’ampleur des dégâts causés par les incendies, ou comme l’indice de la menace qui pèse désormais sur tout l’écosystème de la forêt canadienne ? Une étude publiée le 22 août dans le cadre du World Weather Attribution (WWA), a démontré que le changement climatique a rendu sept fois plus probable le contexte météorologique de chaleur et de stress hydrique qui a favorisé les incendies au Canada en 2023.
Henri Jacob, le militant écologiste qui a fondé en 2000 Action boréale, une association de défense de la forêt canadienne, subodore déjà que rien ne va changer. Il a passé le mois d’août à baguer des sauvagines, des oiseaux aquatiques sauvages, dans des marais situés dans le périmètre du brasier de Quévillon, afin d’étudier leur migration. « Pour la première fois en vingt-neuf ans, je n’ai vu ni castor ni ours ni orignal ni lynx dans cette zone ravagée par les flammes. »
Atterré par les dégâts majeurs en termes de biodiversité provoqués par ces incendies, il tempête contre l’inertie des gouvernements, fédéral et provincial, à lutter contre le dérèglement climatique. « Nous savions que cela allait se produire, et nous savons que cela se reproduira. Le pire drame, c’est que nous considérons qu’il n’y a pas de drame. » Le septuagénaire à la barbe blanche répète inlassablement ce que le gouvernement du Québec ne veut pas entendre, selon lui, pour ne pas froisser le puissant lobby forestier local : pour assurer la pérennité de la forêt, le moment est venu de renoncer à ne replanter que les lucratives épinettes noires. Elles sont les seules à intéresser l’industrie forestière, mais elles constituent, insiste-t-il, le combustible des futurs feux.
Paysage typique de la forêt boréale, près du lac Guéguen. Des plants d’arbres résineux pour reboiser la forêt brûlée, à la pourvoirie du lac Guéguen. A Val D’Or (Québec, Canada), le 23 août 2023.
Située à la limite sud du feu 344, la communauté anichinabée (algonquine) de Lac-Simon, une réserve autochtone de 2 500 personnes, a elle aussi dû fuir quelques jours, début juin, la toxicité de l’air. En cette fin d’été, son chef, Lucien Wabanonik, confie « avoir la rage au cœur ». Les populations autochtones ont un attachement ancestral à leurs territoires qui, depuis des millénaires, les approvisionnent en gibier comme en plantes médicinales. « Cela fait des années que les Premières Nations alertent sur la nécessité de protéger tout ce qui constitue le cosmos, l’eau, la terre, les animaux et les hommes. Mais personne ne nous écoute. » Attristé que les hommes aient participé à « abîmer » le précieux écosystème de la forêt boréale, le poumon vert de l’hémisphère Nord, Lucien Wabanonik est sans illusion sur les leçons qu’ils s’apprêtent à en tirer. Le chef anichinabé envisage avec fatalisme un avenir lourd de menaces : « Nous allons payer très cher l’action de l’homme sur le dérèglement du cosmos. »
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