Selon l’agence du transport aérien russe Rossaviatsia, le patron du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, 62 ans, se trouvait à bord d’un avion privé qui s’est écrasé, mercredi 23 août, dans la région de Tver, à environ 180 kilomètres au nord-ouest de Moscou. De nombreuses zones d’ombre et des interrogations entourent les circonstances et l’origine de l’accident. Voici ce que l’on sait.
Que s’est-il passé ?
L’avion, immatriculé RA-02795, a décollé de Moscou en direction de Saint-Pétersbourg entre 16 heures et 17 heures (heure de Paris). Selon Rossaviatsia, l’appareil appartenait à la société MNT-Aero, spécialisée dans l’aviation d’affaires.
Le jet a parcouru environ 180 kilomètres avant que le signal ADS-B (un système de géolocalisation utilisé par le contrôle du trafic aérien) qu’il émettait ne disparaisse, sans qu’il soit possible d’en déterminer la cause. Il se trouvait alors à 8 000 mètres, proche de son altitude de croisière.
Environ une heure plus tard, les images publiées sur les réseaux sociaux montraient la carcasse en feu d’un avion dont la forme des réacteurs, ainsi que les derniers caractères de son immatriculation (« 795 ») révèlent qu’il s’agit bien du même jet.
A l’aide d’autres vidéos montrant la chute de l’appareil, Le Monde est parvenu à localiser le site du crash, dans une prairie au sud du village de Koujenkino, dans le raïon Bologovski (oblast de Tver). Plusieurs corps étaient visibles, sans qu’il soit encore possible de les identifier.
Une enquête a été ouverte pour « violation des règles de sécurité du transport aérien ». « Une équipe d’enquêteurs a été envoyée sur les lieux (…) pour établir les causes de l’accident », a fait savoir le comité d’enquête de la Fédération de Russie.
La chaîne Telegram Grey Zone, proche de M. Prigojine et du Groupe Wagner, a accusé explicitement l’armée russe d’avoir abattu l’avion avec un missile antiaérien. Grey Zone assure que des témoins ont entendu « deux explosions caractéristiques du travail de la défense antiaérienne » et se fonde également sur des traces observées dans les vidéos du crash diffusées en ligne.
Qui se trouvait dans l’avion qui s’est écrasé ?
« Il y avait dix personnes à bord, dont trois membres d’équipage. Selon les premières informations, toutes les personnes à bord sont décédées », a d’abord annoncé sur Telegram le ministère des situations d’urgence russe.
L’agence Rossaviatsia a confirmé qu’Evgueni Prigojine se trouvait à bord de l’avion, ainsi que son bras droit, Dmitri Outkine, « Wagner », selon son nom de guerre, un homme discret, connu pour ses tendances néonazies.
Selon l’agence de presse russe Interfax sur Telegram, citant les services de secours, les corps des dix personnes qui se trouvaient à bord de l’avion ont été retrouvés. Les recherches sont terminées, a-t-elle ajouté, sans préciser si les victimes ont pu être identifiées.
Prigojine et Vladimir Poutine ?
Après avoir passé neuf ans en prison à l’époque soviétique pour des délits de droit commun, Evgueni Prigojine a monté un groupe de restauration qui a officié au Kremlin, ce qui lui a valu le surnom de « cuisinier de Poutine », et la réputation d’être devenu milliardaire grâce aux contrats publics. C’est cet argent qu’il aurait utilisé pour fonder le Groupe Wagner, une milice privée d’abord composée de vétérans endurcis de l’armée et des services spéciaux russes.
A l’occasion du conflit en Ukraine, il a recruté des dizaines de milliers de prisonniers pour aller combattre sur le front là où l’armée russe était en difficulté. En mai 2023, après près d’un an de combats sanglants, M. Prigojine a atteint son objectif, en revendiquant la prise par les Wagner de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, célébrant une rare victoire russe, malgré son coût humain important.
Il a ensuite lancé une rébellion contre l’état-major russe et le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, menée par ses hommes, qui ont brièvement capturé des sites militaires dans le sud de la Russie avant de se diriger vers Moscou. Le chef mercenaire a renoncé au coup de force au bout de vingt-quatre heures, négociant un exil pour lui et ses fidèles en Biélorussie. Il a échappé à la prison, à la justice, mais Vladimir Poutine avait dénoncé, sans prononcer son nom, la « trahison » d’Evgueni Prigojine, « provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels ».
En juillet, le président russe avait assuré qu’il avait proposé aux hommes de Wagner de servir sous le commandement d’une autre personne au sein de l’armée, mais que leur chef, Evgueni Prigojine, avait refusé cette offre.
Que faisait Evgueni Prigojine en Russie ?
Pour une raison inexpliquée, le patron de Wagner semblait aller et venir en Russie malgré son statut de paria, jusqu’à participer quelques jours après sa révolte à une réunion au Kremlin.
Lundi soir, il est apparu dans une vidéo diffusée par des groupes proches de Wagner sur les réseaux sociaux, où il affirmait se trouver en Afrique. Dans un paysage désertique et armé d’un fusil d’assaut, il disait travailler à « rendre la Russie encore plus grande sur tous les continents et l’Afrique encore plus libre ».
Quelles ont été les réactions à l’annonce de la mort d’Evgueni Prigojine ?
Un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, a sous-entendu que le rival de Vladimir Poutine a pu être éliminé par le Kremlin. « L’élimination spectaculaire de Prigojine et du commandement de Wagner deux mois après [leur] tentative de coup d’Etat est un signal de Poutine aux élites russes avant les élections de 2024 », a-t-il écrit sur X (anciennement Twitter), estimant que « Poutine ne pardonne à personne ».
Le président des Etats-Unis, Joe Biden, a déclaré qu’il n’était « pas surpris » de la possible mort du patron du Groupe Wagner. « Peu de choses se passent en Russie sans que Poutine y soit pour quelque chose », a-t-il estimé.
La meneuse de l’opposition biélorusse en exil, Svetlana Tsikhanovskaïa, a estimé qu’Evgueni Prigojine était un « meurtrier » qui « ne manquera à personne ». Elle a espéré sur X que « sa mort pourrait démanteler la présence de Wagner en Biélorussie », un pays allié de Moscou.
Le Kremlin a-t-il réagi ?
Vladimir Poutine a prononcé mercredi un discours à l’occasion du 80e anniversaire de la bataille de Koursk, au cours de la seconde guerre mondiale, se rendant dans cette région du sud-ouest de la Russie, frontalière de l’Ukraine. Sans mentionner le crash, le président russe a salué sur scène devant la foule le « dévouement » et la « loyauté » des soldats russes en Ukraine, qui « combattent avec courage et détermination ».
A Saint-Pétersbourg, près des locaux de la société Groupe Wagner, un mémorial a été improvisé dans la soirée de mercredi. Des bougies, des fleurs, des écussons et des banderoles à l’effigie du groupe paramilitaire ont été déposés et des sympathisants de la milice armée se recueillaient.
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