En 2005, Jean Bataille, un ancien inspecteur des Renseignements généraux, racontait dans un roman autobiographique la constitution d’un « commando Île-de-France » pour lutter contre la subversion dans les années 1970. Il s’agit du contact de René Resciniti et Marc Ducarre aux RG.
Une deuxième barbouze gravitait autour de René Resciniti de Says lorsqu’il a commis ses crimes. Un deuxième policier que le biographe de René avait baptisé « Tango ». L’enquête judiciaire ne l’a pas identifié, et pourtant cet homme s’est lui-même signalé en faisant paraître un roman autobiographique, Commando Sud (In octavo Éditions, 2005). Jean Bataille est l’ancien policier des Renseignements généraux qui a frayé avec « Néné ». Sur Amazon, il a illustré sa notice biographique d’une photo de lui portant un fusil à lunette.
Jean Bataille y est présenté comme « un spécialiste de la contre-subversion à la fin de la guerre froide pour la période 1971-1996 », ancien inspecteur aux RG de la préfecture de police (RGPP) de Paris « chargé de la surveillance des menées terroristes », ancien « volontaire » à Beyrouth aux côtés des phalanges chrétiennes en 1976. Lié à un groupe d’extrême droite qui venait de commettre un mitraillage en plein Paris, il a été incarcéré en 1980, et radié de la police, comme avant lui, pour d’autres raisons, l’inspecteur Marc Ducarre, l’autre ami de René, qui émargeait au contre-espionnage.
« Ce roman relate certains épisodes de la guerre secrète livrés par une poignée de garçons pour délivrer un message de fermeté aux tenants de la révolution mondiale », explique la quatrième de couverture du livre de Bataille.
Plusieurs proches de René Resciniti de Says ont confirmé à Mediapart l’identité de « Tango », sans toutefois pouvoir préciser son rôle exact aux côtés de René. Dans les affaires Curiel et Goldman, Jean Bataille est présumé innocent. « La connexion Néné, Ducarre, Bataille, s’est faite dans le réseau des anciens du Liban, explique Grégory Pons, l’ancien journaliste proche de René. Néné est arrivé sur Debizet [l’ancien patron du Service d’action civique – ndlr] par Bataille et Ducarre. Lequel des deux je ne sais pas, mais ils fonctionnaient en binôme permanent, les deux. »
Grégory Pons se souvient d’avoir déjeuné avec eux jusqu’au début des années 1980. « Je n’ai jamais su s’ils étaient allés [au Liban] en mission, ou par patriotisme pro-libanais, mais à mon avis ils étaient déjà mouillés dans des barbouzeries, ça se voyait, ça se sentait. Ils avaient ça dans le sang. »
« Un noyau de notre police »
Le roman autobiographique de Bataille commence par l’assassinat à la machette d’un apparatchik est-allemand. Il se poursuit au Liban, par l’enrôlement de son personnage principal dans les phalanges, le voyage initiatique de nombreux nationalistes français, tous courants confondus, à l’époque. Selon les services de renseignement, près d’une centaine s’y sont rendus entre 1975 et 1976, avec un pic à l’été 1976. Lorsqu’ils n’avaient pas d’expérience militaire, leur séjour débutait dans un camp d’entraînement par une formation au maniement des armes et des explosifs, et se poursuivait dans le quartier d’Achrafieh, à Beyrouth.
Sur place, René avait retrouvé l’inspecteur Ducarre, parti sur ses congés, sans prévenir sa hiérarchie, à l’été 1976.
« Je suis allé à Athènes, puis de là à Larnaca à Chypre dans un couvent qui servait de liaison pour aller ensuite vers Beyrouth, a expliqué Ducarre aux policiers. On faisait des actions de type reprise de bâtiments sur la ligne de front. Il y avait René, que je n’avais pas revu depuis le 9e RCP. On est devenus amis au Liban. Il y avait mes deux frères, Bernard et Patrick. Il y avait les frères Pochez, l’un d’eux a été blessé. Il y avait Titi dit “le Chinois”, très connu. Il y avait pas mal de royalistes de Paris, dont René. » Ducarre se flattait d’être devenu un bon sniper à Beyrouth.
Volontaire au même moment, Olivier Danet, ancien d’Ordre nouveau et du Parti des forces nouvelles (PFN) qui marchera sur les pas du mercenaire Bob Denard aux Comores, côtoie le groupe au Liban. René a d’ailleurs failli le « flinguer » accidentellement d’un tir de kalachnikov. « À mon avis, il ne faut pas trop chercher dans nos milieux politiques, avance l’ancien mercenaire, s’agissant des exécutions de Curiel et Goldman. C’était plutôt une barbouzerie. Un noyau de notre police qui déconnait... » Lorsqu’on évoque le binôme de policiers proche de René, Danet répond qu’il ne « confirme rien ». « Mais c’est dans ces coins-là qu’il faut chercher », concède-t-il.
« Je ne crois en rien à cette hypothèse selon laquelle cette fraternité [des volontaires français au Liban – ndlr] serait concernée par ce dossier », juge aussi un autre volontaire proche de Denard, Patrick Klein, qui a également connu les frères Ducarre à Beyrouth et qui a consacré un chapitre de son autobiographie à l’engagement libanais(1). Selon lui, Ducarre, René et Bataille « formaient un groupe indépendant car ils avaient été militaires au préalable », explique-t-il.
Dans son livre, Jean Bataille raconte son séjour chez les milices chrétiennes, en octobre et novembre 1976. Il y rencontre Pierre, un corse, « qui avait un grand passé de chevalier à la barre de fer à Nice », et s’était déjà illustré à Beyrouth, dans de nombreux combats de rue. Il fait ainsi apparaître Pierre Bugny-Versini, un jeune militaire d’extrême droite, formé chez les paras du 1er RPIMa, qui deviendra une figure du milieu, et son grand ami. Les volontaires « formaient une équipe de choc qui pouvait intervenir rapidement à peu près partout dans la ville », écrit Bataille. En regagnant Paris, son héros se dit « un peu déçu par l’intensité des combats », mais « rassuré sur sa conduite au feu ».
Au retour, le double de Bataille crée une « petite organisation » avec un groupe de camarades, autour de « Pierre », avec l’objectif de résister à une insurrection communiste, voire à l’Armée rouge. Ce « Commando Sud » se met à réaliser des opérations extérieures en Afrique, commanditées par un mystérieux colonel. Ponctuelles. Contre des forces cubaines, vraisemblablement en Angola ; puis en Rhodésie, pour contrer les mouvements nationalistes zimbabwéens. Et d’autres actions, en France, celles-là.
« La plus grande partie des actions étaient impulsées par le colonel [...]. De temps à autre, exploitant leurs propres sources de renseignement, ils s’accordaient un petit plaisir en liquidant une équipe plus proche du banditisme que de la politique. C’était un accord tacite avec le colonel, une contrepartie au fait qu’ils n’étaient pas rétribués, pas décorés, et encore moins reconnus. Cette forme de paiement en nature leur donnait l’illusion d’être libres. »
Ils étaient « obligés de laisser s’échapper du beau gibier par manque de temps, de moyens », « et parce que la désignation des objectifs n’était théoriquement pas de leur niveau ». Il fallait créer une « équipe supplémentaire », et « sous-traiter des objectifs ».
C’est alors, page 133 de son livre, que le double de Jean Bataille rencontre le double de Marc Ducarre :
« Parmi les gars qu’il avait contactés, il y avait un ancien du Liban dont la conduite au feu avait été semble-t-il irréprochable. Il semblait désireux de s’engager dans la lutte antisubversive avec son groupe de camarades. On l’aurait cru sorti d’une affiche de propagande pour les T.A.P. [troupes aéroportées parachutistes – ndlr]. Même lorsqu’il était en civil, on avait l’impression qu’il revenait de manger du mess des officiers. Il se la jouait “bête de guerre” au repos et portait en permanence un foulard sous sa chemise et des lunettes de soleil même lorsque le ciel était gris. »
L’alias de Bataille lui avait proposé « une sorte de prestation clefs en main du contre-terrorisme », ainsi qu’une « aide logistique et technique ». Le para qui « ne lâchait pas plus de cinq mots à l’heure » s’était dit d’accord sur le principe.
Mais ses camarades étant « également des pisse-froid, d’un naturel soupçonneux », il avait fallu « sous-entendre que les plus hautes autorités étaient dans le coup », et leur rendre quelques menus services. Ils étaient friands de notes de renseignement. Un jour, l’un d’eux a demandé un coup de main pour protéger une prostituée qui exerçait « dans une galerie des Champs-Élysées » – coïncidence, René Resciniti de Says vivait au-dessus de la galerie du Lido –, une faveur fermement refusée.
« Ce projet avançait vite, car ce commando, appelons-le Île-de-France, était un clone du leur », écrit Jean Bataille.
Le roman n’en dit pas plus sur la destinée du mystérieux commando et ses actions en Île-de-France.
Un mitraillage à Paris
C’est que la carrière de l’inspecteur Jean Bataille a été stoppée net, le 2 juin 1980, après l’interpellation de Pierre Bugny-Versini, son ami corse, dans l’enquête sur le mitraillage de l’ambassade d’Iran, le 14 mai précédent. Cet attentat, qui blesse plusieurs gendarmes en faction devant l’ambassade, est revendiqué par le FLNC, dont certains leaders, notamment Alain Orsoni, sont liés à l’extrême droite – Bugny-Versini et Orsoni ont frayé avec le GUD à l’université d’Assas quelques années plus tôt. À Paris, les policiers perquisitionnent un box situé impasse de l’Église, dont Bugny-Versini a la clé. Ils découvrent les armes utilisées pour le mitraillage, des pistolets mitrailleurs, des pistolets automatiques, mais aussi des explosifs, des cagoules, et même des perruques. Ils mettent la main également sur des notes des Renseignements généraux sur des personnalités et des mouvements de gauche et d’extrême gauche, ainsi qu’une photocopie de la carte de policier de Jean Bataille – Jean-Pierre de son état civil.
Le policier est inculpé et écroué en même temps que Bugny-Versini. Puis il est révoqué le 19 septembre suivant. Lorsqu’il comparaît au tribunal, en décembre, Jean Bataille tente vainement d’expliquer qu’il n’a été « guidé que par la recherche de renseignement ». L’inspecteur est condamné à deux ans de prison, dont neuf mois avec sursis. Quant à Pierre Bugny-Versini, il meurt déchiqueté avec un camarade, en novembre 1985, par l’explosion de sa voiture, dans le parking George-V aux Champs-Élysées. Il avait fait partie des chefs du groupe action du PFN.
La vie de Jean Bataille devient en apparence plus tranquille, comme attaché d’administration dans une université du sud de la France. Après l’écriture de Commando Sud, il publie un livre et un article sur la « cryptie » (un rite de passage des jeunes guerriers à Sparte) dans la revue Sparta animée par Philippe Baillet, l’ancien secrétaire de rédaction des revues du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), auteur de textes favorables aux théories raciales du Troisième Reich, et Jean Plantin, un révisionniste convaincu.
À l’occasion de la sortie de son livre, Kryptie, les services secrets de Sparte (Dualpha, 2022), Bataille explique qu’assez jeune il a été, « dans le cadre de la défense de [ses] idées, un spécialiste de la contre-subversion ». « À l’époque, 1970-1985, le danger était bien réel et après quelques aventures, je me suis retrouvé en prison, reconnaît-il, et c’est pendant mon incarcération que j’ai vraiment pu me consacrer à la lecture des textes de Platon, Plutarque, Xénophon et d’autres auteurs de la Grèce antique. »
L’ancien inspecteur signale « l’histoire du jeune Spartiate qui se laisse dévorer le ventre par un renard plutôt que de parler ». « La Kryptie implique, sur le plan mental et physique, un don total de sa personne, la conservation absolue du secret, et une résistance stoïque allant jusqu’au sacrifice de sa propre vie », souligne-t-il. Joint via son éditeur Philippe Randa, le patron des éditions Dualpha, Jean Bataille a fait savoir qu’il ne souhaitait « pas entrer en contact avec Mediapart ». Il n’a donc pas répondu à nos questions.
L’amie qui « savait »
Dans cette affaire, le secret, d’abord brisé par René, continue de s’effriter. Après le nom de Marc Ducarre, l’ancien contre-espion dont il était proche, l’enquête a révélé l’identité de plusieurs personnes de l’entourage de René Resciniti de Says qui figuraient sous pseudonyme dans le livre de son biographe et ami Christian Rol.
La femme qui partageait la vie de René, baptisée Éléonore dans ce livre, s’avère être Catherine Barnay, une figure de la droite radicale, membre du comité national d’Ordre nouveau en 1973, puis de celui du Parti des forces nouvelles en 1976. « Une fasciste pure et dure » comme le signale Rol, qui fera carrière dans les médias d’extrême droite, Le Choc du mois et Minute, dont elle reprendra le titre en 1999, avant d’entrer dans le groupe Causeur (voir ici l’enquête de René Monzat sur le contrôle de ce groupe de presse). Catherine Barnay est à l’époque partie prenante de plusieurs officines (L’Institut européen de recherches et d’études politiques, l’IREP, qui fait paraître la revue Confidentiel, en 1979), liées aux radicaux italiens et espagnols, dont certains sont activement recherchés.
Selon ses propos rapportés par Christian Rol, elle a été informée de l’attentat contre Goldman deux jours avant les faits, mais elle dit n’avoir rien su de l’assassinat de Curiel. Catherine Barnay n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
« Pour Goldman, je savais, raconte-t-elle au journaliste d’extrême droite. Il [René] m’a prévenue deux jours avant de commettre l’attentat. Je me suis toujours tue évidemment [...]. Tout ce que je sais c’est que, lorsqu’ils sont revenus à la maison, ils étaient comme en état d’hypothermie, tremblants. Je ne sais pas si René a tiré comme il l’assure, en tout cas, il était de l’opération. Quant à Curiel, je ne sais rien. Pour la bonne raison que je n’ai jamais entendu parler de cette opération quand nous vivions ensemble. »
Elle confie aussi qu’elle a présenté le néofasciste italien Stefano Delle Chiaie à René. Ce dernier est d’origine italienne par ses deux parents, et il se fait une joie de servir d’agent de liaison au terroriste activement recherché par la police italienne. « René avait l’habitude de dire : “Je suis monarchiste en France et fasciste en Italie” », va d’ailleurs expliquer Christian Rol, sur Radio Courtoisie, pour justifier le titre de son livre, inapproprié de l’avis des royalistes, Le Roman vrai d’un fasciste français.
Via Catherine Barnay, le tueur s’est aussi rapproché, épisodiquement, de l’équipe du Choc du mois, puis de certains membres de Jalons, un groupe parodique animé par un conseiller de Charles Pasqua, Bruno Telenne, alias Basile de Koch. René avait ainsi raconté ses actions à Pierre Robin, représentant de l’aile nationaliste de Jalons, « Nazisme et dialogue », et ils avaient réfléchi ensemble à un projet de livre. Une idée finalement concrétisée par Christian Rol.
Mais Rol a fini par regretter d’avoir écrit cette biographie qu’il « traîne comme un boulet », raconte-t-il sur sa page Facebook. Il espérait raconter les exploits de René, sans éclabousser ses proches et sa mouvance. C’est raté. « Bon, je ne vais pas faire le malin outre mesure et jouer les cadors alors que j’ai gentiment collaboré pour me sortir de ce piège à con et pour absoudre tous les protagonistes de ce livre qui eurent à déplorer parfois ma légèreté coupable », écrit-il, après sa deuxième audition par les policiers de la brigade criminelle. Sur Facebook, le journaliste laisse libre cours à ses haines, en gratifiant au passage la famille Curiel de remarques antisémites. « En fait, la famille Curiel et les héritiers spirituels du macchabée ont le bras très long, écrit-il. Essentiellement parce qu’ils appartiennent à la fameuse Kommunauté [sic], comme Curiel lui-même, et qu’ils comptent bien faire payer l’État français pour les barbouzeries fatales au cher grand homme. »
Sur une écoute judiciaire, l'ancien journaliste du Choc du mois s’inquiète d’en avoir trop dit aux policiers. « Est-ce qu’il est encore dangereux machin là, Ducarre ? » demande-t-il à un ami de René. « Il bougera pas, lui répond ce dernier. C’est un flic, donc il est quand même solide. S’il ne se sent pas menacé, il bougera pas. »
Devant les policiers, Rol précise qu’il a demandé à Catherine Barnay de l’introduire auprès de Marc Ducarre pour la préparation de son livre, mais que « cela faisait vingt ans – depuis le milieu des années 1990 – qu’elle ne l’avait pas vu ». Ducarre, lui, s’était souvenu de Barnay comme d’une femme « sympa », au « caractère bien trempé ».
La cellule « Néné, DST, Poulets »
Un autre ami a su, mais bien plus tard, ce que René avait fait. Ancien militant de Jeune Nation, et ancien de l’OAS, Claude C. avait rencontré René en 1994, et Marc Ducarre peu après. Les deux hommes lui avaient confié qu’ils étaient responsables de l’exécution de Pierre Goldman.
« Les deux me l’ont dit, a exposé Claude aux policiers. Chacun à leur tour. Marc Ducarre m’avait dit que c’était lui qui avait monté l’opération et que c’est lui qui avait tiré le premier, et que René l’avait achevé. C’était une affaire commanditée en haut lieu [...] Marc Ducarre travaillait pour Debizet entre autres, qui était la courroie de transmission du pouvoir. »
Joint par Mediapart, et obsédé par un long conflit immobilier qui l’oppose à Ducarre, Claude C. exhume en vrac toutes les confidences de René et de Marc. D’abord sur l’assassinat d’Henri Curiel. « Quand René m’a présenté Marc, il m’a dit : “Ça va te faire plaisir, il m’a aidé à flinguer un porteur de valises”, dit-il. Parce que René me reliait à l’affaire algérienne. Pendant cette action [contre Curiel] Ducarre avait fait la protection. Pour eux, c’était très facile. »
Les deux hommes avaient parlé à Claude d’autres opérations. René lui avait confié qu’il avait « donné le coup de grâce » à Pierre Goldman. « René m’a dit : “Quand je l’ai donné, il m’a bien regardé en face.” Goldman avait été touché par les premiers tirs, donc il est tombé, et c’est René qui est arrivé, et boum, qui lui a mis une balle en plein cœur. Goldman l’a bien regardé dans les yeux. »
Ils lui parlent aussi de l’assassinat de Mahmoud Ould Saleh. Palestinien d’origine mauritanienne, cet ancien représentant de l’OLP a été exécuté devant sa librairie, par deux balles de 11.43 dans la tête, par deux inconnus, rue Saint-Victor à Paris, le 3 janvier 1977. « Le libraire, Ducarre m’a dit comment il l’avait flingué, poursuit Claude. Il avait ouvert un volet, et l’autre, boum. Il m’avait dit que c’était un libraire gauchiste. » Grégory Pons, l’ancien journaliste proche de René, confie à Mediapart qu’il avait lui aussi « relié cette affaire à Néné », mais « sans avoir de vraie preuve ». « J’avais toujours mis ça du côté de la cellule Néné, DST, Poulets », dit-il.
La « cellule terroriste », comme l’appelle aussi Grégory Pons, se disperse en 1980. À peu près au moment où Jean Bataille est incarcéré dans l’affaire du mitraillage de l’ambassade d’Iran. René s’envole pour l’Amérique centrale, pour former des « Contras » à la frontière du Guatemala et du Salvador, recruté par Jean-Denis Raingeard de la Blétière, un ancien d’Aginter, l’agence de contre-subversion basée à Lisbonne jusqu’en 1973.
Marc Ducarre, occupé par les derniers soubresauts du SAC, est chargé de la sécurité de son patron, Pierre Debizet, dit « Gros sourcils ». L’assassinat de la famille d’un membre du SAC à Auriol, en juillet 1981, provoque la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’organisation parallèle, puis sa dissolution en août 1982. Mais des soupçons subsistent sur les raisons de l’arrivée de Ducarre au Pays basque, après sa formation de bûcheron, en 1984. Il s’installe à Hasparren et à La Bastide, où il passe deux ans, de 1985 à 1987. « Il a appris le métier de bûcheron pour flinguer les mecs de l’ETA, témoigne encore Claude C.. Il m’a raconté qu’il en avait buté un qui faisait son footing dans les bois. »
« C’est délirant cette histoire de GAL [Groupes antiterroristes de libération – ndlr], a démenti Ducarre devant les policiers. Alors oui j’ai habité au Pays basque. Je vous rappelle qu’en 1984, j’ai tout lâché pour faire une formation de bûcheron. Ce n’est pas pour me retrouver dans les GAL. »
L’enquête sur l’assassinat d’Henri Curiel déborde d’indices et de faits nouveaux. Elle est désormais entre les mains d’une juge du pôle dédié aux affaires non élucidées et aux crimes en série à Nanterre.
(1) Patrick Klein, Par le sang des autres. Coup d’état d’âme, éditions du Rocher, 2013.
Karl Laske
29 août 2023 à 11h00
https://www.mediapart.fr/journal/dossier/france/un-commando-dans-les-annees-de-plomb
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