D.R.
Pour son second roman L’Odeur d’un homme, après L’Île aux mères, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, auteure franco-tunisienne, est psychiatre et addictologue. Tout en sondant et diagnostiquant l’univers de l’émigration et de ses difficultés, elle travaille aussi sur les troubles psychiques des femmes en dépendance de l’alcool.
Quel fil relie la médecine à la fiction romanesque ? D’emblée l’évidence s’impose car il s’agit de parler et de témoigner de la souffrance humaine mais aussi du moyen de retrouver l’équilibre intérieur, le droit au bonheur, à l’épanouissement. On ne guérit pas seulement avec le serment d’Hippocrate mais aussi avec les mots qui ont leur chemin pour toucher les cœurs et panser les blessures.
C’est dans cette direction de se retrouver au plus profond de son être, que s’inscrit ce roman où l’olfactif a un pouvoir non seulement secret et immense mais apaisant et libérateur. Un pouvoir de guérison et de joie de vivre. D’ailleurs le titre de l’ouvrage L’Odeur d’un homme claque comme un fouet au vent. Même s’il y a un sillage de déjà vu, entendu ou lu. Et ce n’est guère hasard, si en exergue de cette narration, on retrouve cette phrase de Patrick Suskind, maître en l’alchimie des odeurs : « Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs. »
Pour un préambule, c’est clair, l’écrivaine avance les pions de toutes les sensations du pouvoir de l’odorat pour tisser la trame d’une histoire et la charpente des personnages qui portent en eux non seulement des nostalgies refoulées, des souvenirs soigneusement camouflés mais aussi les parfums tenaces d’une terre, d’un pays, d’une végétation, d’un ciel, d’une mer, d’une révolution…
Inès, femme apparemment comblée, professionnellement et conjugalement, du bord paradisiaque du Lac Leman dans une paisible Suisse de carte postale et du haut lieu musical de Verbier pour ses escapades culturelles, n’en pince pas moins pour sa Tunisie originelle. Pour ce minuscule hameau de Béja où elle est née fille d’un patriarche du village. Remettre les pieds en ces lieux, comme un retour aux sources, après une longue expatriation, semble relever du défi.
Cette Tunisie où « La Révolution du Jasmin » (encore une trace olfactive évidente !) a éclaté en 2011 mais que beaucoup préfèrent aussi appeler « La Révolution de la dignité » n’a pas tenu ses promesses… Dans cette post-période révolutionnaire, Inès n’hésite plus entre deux rives car sa vie, sans qu’elle s’en rende compte, va prendre un virage décisif. La rencontre avec Youssef, son ami d’enfance, cravache son sang et ses sens. Une rencontre déterminante qui lui restitue toute la force du désir de vivre pleinement, intensément.
Cet homme, gardien des odeurs de l’enfance, ouvre la voie à un horizon nouveau. Pour un destin où les racines, non seulement sont les garants de l’espoir d’un lendemain meilleur pour un pays meurtri par des années de dictature, mais aussi toutes les fragrances du thym, du romarin ainsi que les bruits des cortèges des peuples et des civilisations (berbères, grecs, phéniciens, romains, byzantins) qui ont traversé et rempli ses espaces… Avec lui, il y a le partage du passé et l’appel au futur pour destin qui se construit dans l’authenticité, sans déracinement. D’ailleurs c’est dans le fabuleux site archéologique de Bulla Regia que se noue l’histoire inattendue des deux amants sous le regard complice, loin de tout mauvais œil, d’une Vénus marine, généreuse dispensatrice d’amours voluptueux et de délicieux plaisirs.
À travers une plongée au cœur de la société tunisienne, pour scanner toutes les strates d’un peuple confronté au désarroi de vivre (l’immolation par le feu du légumier ambulant Mohammed Bouazziz n’est guère un incident anodin), ce livre, d’une discrète poésie, est une analyse subtile d’un petit mais important pays à la pointe de l’Afrique du Nord. Livre où le sensuel et le sensorial se mêlent intimement aux intermittences du cœur, aux remous de la politique, aux préoccupations de l’identité, de l’émigration, de l’appartenance à deux mondes avec une palette de divers colonialismes, aux phénomènes culturels, à la richesse des civilisations qui résonnent encore en ces lieux.
Écrite dans une langue française colorée, émaillée de dialogues vifs révélant l’état d’esprit des nombreux personnages qui hantent ces pages, cette fabulation, tirée de la réalité tunisienne migratoire, jette une lumière éclairante sur la mosaïque d’influences, de traditions et la quête humaine pour l’authenticité d’une vie.
Inès, le personnage phare de L’Odeur d’un homme aura suivi, par-delà quelques tâtonnements, la célèbre citation : « Va là où ton cœur te porte. » Ainsi le lecteur découvre-t-il une fabuleuse Tunisie au cœur d’une auteure qui rend un vibrant hommage à sa terre natale !
L’Odeur d’un homme de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Éditions du Pont 9, 2023, 208 p.
OLJ / Par Edgar DAVIDIAN, le 06 juillet 2023 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1342555/parfums-damour-et-de-tunisie.html
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