Les humains sont des superprédateurs qui exploitent un tiers des espèces de vertébrés
Une étude, publiée jeudi, quantifie les différents usages que les hommes font des animaux et leur impact global sur la biodiversité.
Il y a le lion, le tigre, le jaguar, l’aigle d’Eurasie ou le grand requin blanc. Des animaux charismatiques, au sommet de la chaîne alimentaire, qui ont pour proies un grand nombre d’autres vertébrés. Et puis il y a les êtres humains, des superprédateurs hors catégories : une étude, publiée jeudi 29 juin dans la revue Communications Biology, démontre qu’ils utilisent, pour une multitude d’usages, près du tiers des espèces de vertébrés de la planète. Au-delà des risques directs qu’elle fait peser sur les animaux concernés, cette exploitation massive peut avoir des conséquences écologiques majeures sur le fonctionnement des écosystèmes.
« Nous avons imaginé que nous venions d’une autre planète et que nous voulions en savoir plus sur les prédateurs de la Terre, explique Chris Darimont, chercheur à l’université de Victoria, au Canada, et principal auteur de l’article. Nous avons cherché à comprendre en quoi les humains se distinguent des autres espèces prédatrices et quelles sont les implications de la surexploitation. » « L’action de prédation de l’homme s’est accrue avec la mondialisation et l’industrialisation, ajoute Rob Cooke, chercheur au UK Centre for Ecology & Hydrology et l’un des coauteurs de l’article. Nous voulions donc quantifier l’étendue de ces usages et de leur impact. »
La prédation par les humains est ici entendue au sens large : elle prend en compte les animaux tués pour être mangés (chasse, pêche…) mais aussi tous les usages qui conduisent à prélever des individus de populations sauvages – par exemple pour être vendus comme animaux de compagnie –, qu’ils soient létaux ou non. Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont utilisé la base de données de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).ctions
Résultat, sur les quelque 47 000 espèces de vertébrés étudiées, les humains en exploitent environ 15 000, dont près de 80 % sont des oiseaux et des poissons. Viennent ensuite les mammifères et les poissons cartilagineux, puis les reptiles et les amphibiens. La majorité des « proies » humaines sont des espèces marines (43 % des espèces évaluées), avant les espèces d’eau douce (35 %) et terrestres (26 %).
L’équivalent de « 300 espèces de léopards »
Surtout, seules 55 % de ces espèces sont tuées à des fins alimentaires. Si 72 % des espèces d’eau douce ou marines sont mangées, c’est le cas de 39 % des vertébrés terrestres exploités, 74 % étant prélevés dans la nature pour devenir des animaux de compagnie. Environ 8 % sont destinés à la chasse sportive ou à la collecte de trophées ou d’ornements. « Ces utilisations très variées, et en particulier le nombre énorme de vertébrés utilisés comme animaux de compagnie, nous ont vraiment surpris », admet Chris Darimont.
« Ce travail documente non seulement l’impact quantitatif, mais aussi la vaste gamme de vertébrés que les humains utilisent, insiste Sandra Diaz, biologiste spécialiste de l’écologie des communautés et des écosystèmes, qui n’a pas contribué à ces travaux. Ce que je trouve le plus inquiétant, c’est le fait que le commerce des animaux de compagnie et de la médecine affecte presque autant d’espèces que l’alimentation. C’est une illustration frappante du coût que les modes de consommation dominants imposent à la nature. »
Dans cette étude, les chercheurs établissent également que les humains exploitent jusqu’à 300 fois plus de vertébrés que les espèces prédatrices non humaines dans des zones de taille équivalente – 80 fois plus que le lion, 113 fois plus que le grand requin blanc et 300 fois plus que le jaguar. « L’impact des humains est très important ; cela reviendrait presque à avoir 300 espèces de léopards dans la même zone géographique », précise Rob Cooke.
En juillet 2022, une évaluation mondiale réalisée par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) avait montré qu’à l’échelle de la planète quelque 50 000 espèces non domestiquées, animales et végétales, étaient utilisées dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie, de la médecine, des matériaux ou encore des loisirs. Quelques années plus tôt, cette instance avait déjà établi que l’exploitation naturelle des ressources était le deuxième facteur de perte de biodiversité, après la destruction et la fragmentation des habitats. Un résultat confirmé par une vaste méta-analyse, publiée en novembre 2022 dans la revue Environmental studies.
Prédation « démesurée »
Cette exploitation a un impact direct sur les espèces, bien identifié, par exemple, par la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. Sur les quelque 15 000 espèces utilisées par l’homme, 39 % sont considérées comme menacées par ces usages et 13 % risquent de disparaître. Mais ce phénomène a d’autres conséquences. Pour les préciser, les chercheurs se sont penchés sur les principales caractéristiques des « proies » (masse corporelle, superficie de l’habitat, taille de la portée…). « Les humains ciblent les espèces les plus grandes, qui vivent plus longtemps, ont un régime alimentaire plus herbivore et des habitats plus larges que les espèces non utilisées », écrivent les auteurs. Les espèces à risque d’extinction, en raison notamment de cette exploitation, sont également surreprésentées. Autant d’éléments qui font que les êtres humains auraient un impact écologique jusqu’à 1 300 fois supérieur à celui des autres prédateurs.
« Les prédateurs humains utilisent une part du gâteau beaucoup plus grosse, ils prélèvent une plus grande partie de la diversité écologique, détaille Rob Cooke. Et nous observons un fort chevauchement entre les espèces que les humains prennent et celles utilisées par les grands prédateurs. » « Ces espèces que les humains surexploitent ont des fonctions très importantes, et souvent uniques, dans les écosystèmes, ajoute Chris Darimont. Nous risquons donc de perdre non seulement des espèces mais aussi les nombreux processus dans lesquels elles sont impliquées au sein de leurs communautés écologiques. »
Selon l’étude, la « niche prédatrice de l’humanité » affecte ainsi probablement un plus grand nombre d’espèces, de zones et de processus que ceux actuellement identifiés. Les chercheurs appellent ainsi la société à reconnaître pleinement les effets globaux que leur activité de prédation « démesurée » peut avoir sur l’ensemble de la biodiversité. « L’humanité doit changer de cap, et vite, ou elle risque de perdre bien plus que des espèces, insiste Chris Darimont. La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreuses preuves que les populations peuvent exploiter les proies de manière durable. »
publié le 29 juin 2023 à 17h00
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